Festival Traverse (suite et fin)

Festival Traverse (suite et fin)

J’ai toujours voulu présenter la météo marine mais la place était prise par Marie-Pierre Planchon de Babette Largo

Comme souvent dans les festivals ou autres manifestations culturelles, il y a une  introduction bla-bla-bla langue de bois insupportable par quelqu’un de soi-disant important de la Région ou du Ministère de tutelle. Cela n’a pas raté et ce moment d’anthologie vaut le coup d’être longuement cité, je vous laisse deviner le pourquoi.
« Je me présente, dit une jeune femme, je suis Adeline Dribault, chargée de mission sur le territoire, chargée plus spécifiquement de la pérennité de la relation avec les publics et de la médiation entre les publics et les artistes sur les territoires. J’ai tout récemment rejoint l’équipe de la Volige «propulsée» si j’ose dire, par un dispositif interministériel innovant, conçu pour restaurer, accompagner et même réinventer la relation publics-artistes-territoires. Ce dispositif accompagne les festivals situés dans les fameuses «zones blanches» de l’Hexagone, véritables trous dans la raquette culturelle mis au grand jour par le Ministère, depuis l’arrivée de notre flamboyante ministre. C’est ainsi que Traverse! a reçu tout récemment le label ministériel Cultures Connectées 2025 déployé dans le cadre du plan France-Relance. »

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«Les ministres Roselyne Bachelot, Élisabeth Borne et Gérald Darmanin ont tenu tout d’abord à la suite de cette crise majeure que nous venons de vivre, que chaque évènement culturel se déroulant à compter du premier juin 2021 soit accompagné, dorloté je dirais, afin d’encadrer au mieux cette reprise tant attendue. C’est pourquoi, nous sommes là, nous autres, pour permettre à chacun, public, artistes, élus, de vivre (re- vivre, je dirais) cette reprise culturelle, cette presque convalescence culturelle, dans un esprit sécurisant et joyeux de retrouvailles. Dans cette optique mais j’en reparlerai, je vous inviterai à l’issue de cette soirée lors du moment convivial, à remplir l’évaluation (appelée évaluation-test-expérience 2021) ou E.T.E 2021 que vous trouverez sur l’application Stop Covid sur votre smartphone. Un Q. R. code doit figurer sur votre billet pour y parvenir. « 
Je dois vous confier qu’une exposition devait accompagner cet espace sonore, exposition scénographiée dont les critères, malheureusement, ne correspondaient pas aux normes de sécurité imposées par le dernier protocole datant de ce jour à 16h 30. Donc, cette proposition atypique et singulière qui vous est faite ce soir, est d’écouter collectivement et de manière que nous espérons conviviale, un documentaire radiophonique de l’artiste brestoise Babette Largo. L’artiste qui n’a pu être présente parmi nous ce soir car elle est malheureusement cas contact (on se demande si on va enfin sortir de cette crise un jour !) vous prie d’ailleurs de l’excuser. Elle a quand même tenu à ce que son travail, même «amputé»
« Une petite remarque quand même sur la remarquable exposition scénographiée que vous ne découvrirez pas ici, donc, qui a été imaginée et conçue par Naohiko Futusawa. Il s’agit, et je vous laisse à votre imagination, d’un jardin zen minéral composé de matériaux récupérés et collectés par l’artiste dans les décombres de Raqqa en 2019. »

Nous écoutons sans broncher ce bla-bla-bla que tous les vieux critiques de service ont dû souvent subir dans tel ou tel festival. Mais…  ici sorti tout droit de l’imagination de Babette Largo et qu’elle joue de façon très juste. Chapeau! Et, même quand elle en remet une couche en n’arrivant pas à dire correctement: Naohiko Futusawa et en l’appelant juste: «le Japonais», nous y croyons… Le vieil adage : «Plus c’est gros, mieux cela passe» s’avère une fois de plus exact!

Suit une parodie d’émissions de France-Inter: d’abord le célèbre bulletin de la météo marine de Marie-Pierre Planchon que l’on peut entendre encore chaque jour mais maintenant  avec un bulletin météo terrestre. Ici revu et corrigé. Et nous ne résistons pas au plaisir de vous en citer un extrait: «Pour les hommes de l’Atlantique à la mer du Nord grand frais prévu à l’exception de Riton et Fisher qui se maintiendront dans des dépenses modérées. (…) Une dépression relative de 1025 ectoplasmes sur le Nord Portugal se comblera rapidement et un anti- cycliste de 1031, il a tort Pascal, au Sud-Ouest immédiat de l’Irlande, se renforcera à la fin de ma tournée. Les prévisions par zones pour ces prochaines vingt-quatre heures pour vicking belle-mère agitée avec sentiment de culpabilité Nord à Nord-Ouest fléchissant en fin de journée des pluies des averses éparses. Sur Ouest Bretagne et Gascogne, vent de sexe mollissant 4 en fin de nuit s’affaissant au petit matin avec possibilité de brouille. Sur Manche-Ouest, des ondées avec passades orageuses et mâle dominant 4 à 7 cette nuit. Sur Utside et Est de Forties, liaisons passagères force 6, temporairement 7 puis revenant lentement chez sa mère forte à très forte. Des aversions, des brumes.Enfin sur Sardaigne et Golfe de Gênes, gêne persistante avec houle modérée, tu m’écoutes ? La bière sera belle avec de la moule par bocks de 8 à 10 en fin de nuit. Dans la foulée et sans sourciller, Babette Largo annonce en direct au micro l’assassinat survenu ce jour de Marie-Pierre Planchon, mais elle est heureusement bien vivante…

Puis nous entendons les notes du métallophone du très ancien et populaire Jeu des mille euros et une courte parodie de l’habituelle présentation par Nicolas Stoufflet, son animateur: «Exireuil est un village planté dans la région du Haut Val de Sèvre, département des Deux-Sèvres. A proximité de la commune de Saint-Maixent-L’Ecole, Exireuil est bordé à l’Ouest par la départementale D 938 reliant Saint-Maixent à Parthenay et à l’Est par la D 121 menant au site touristique du Puits d’Enfer. Quant au lavoir de Fontournable, site sur lequel nous nous trouvons aujourd’hui, sachez qu’il a été construit en 1890. Sur le devis datant du 2 août 1890 et s’élevant à 505,43 francs, figure la mention: «démolition de l’ancien et préparation du sol pour construire le nouveau en bloc», ce qui confirme la présence très ancienne d’un lavoir à Fontournable. »

imagesSuit Allo Macha de Macha Béranger (1941-2009) dont l’émission-culte sur France Inter a eu une longévité exceptionnelle: de 1977 à 2006 et de minuit à deux heures du matin, du lundi au vendredi. L’animatrice à l’impeccable diction -elle avait été apprentie-comédienne au cours Dullin,  écoute et console avec sa voix grave de grande fumeuse, ses auditeurs qui lui disent leur mal-être, leur solitude, quelquefois aussi leurs petits bonheurs intimes. Dans l’ambiance feutrée du studio et tout près de son amoureux qui vient régulièrement la rejoindre au studio. Marié, il avait quarante-neuf ans et elle, vingt-neuf, quand ils se rencontrèrent. Cette vieille liaison qu’il voulait secrète (ou presque) dura jusqu’à la mort de… Louis de Funès.

Les enregistrement des paroles d’auditeurs de 1980 à 1994 ont été versées aux Archives nationales et à partir de 1994, ceux de l’émission sont conservés à l’I. N. A. Bref, un trésor national, une sorte de radiographie des états d’âme de la société française tous milieux confondus mais aussi une mine d’or pour les chercheurs et les artistes comme Babette Largo… Elle a repris texto certaines interventions diffusées via de grosse baffles, avec, en arrière-plan, quelques croassements des grenouilles du lavoir et elle a eu raison: cela donne une incroyable vérité à ce petit spectacle qu’elle interprète qu’elle-même. Un solo formidablement réussi…  «Ah! Je crois qu’on a Michel de Clermont-Ferrand en ligne, Michel qui veut nous parler du coup de foudre. C’est bien ça, Michel ? Quel dommage ! Cela vous était déjà arrivé une aventure comme celle-là ?  Mais vous êtes un véritable tombeur, Michel…  C’est formidable ça ! Un mois ! Et c’est tout ? – «Ah ! Vous me flattez là, lui répond-il!» Merci pour ce témoignage plein de sensibilité. N’hésitez pas à me rappeler pour me donner des nouvelles. Je vous embrasse Michel. Et qui sait ? Qui sait si l’amour ne va pas être au rendez-vous ce soir pour Michel, si la jeune femme brune du supermarché nous écoute… »

Cette mini-illustration en une heure de quelques moments de mémoire collective est dispensée avec une rigueur absolue et un savoir-faire brillantissime. Du vrai et du juste théâtre, au comique acidulé mais jamais facile ni vulgaire, joué en solo sur un petit plateau par une excellente actrice. Que demande le peuple, celui de France-Inter et des autres stations de radio?

L’Estrambord de et par Daniel Lhomond

© ymoigne

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Autre pépite de la soirée… Ce conteur périgourdin qui a la soixantaine, a beaucoup  voyagé en Angleterre, Etats-Unis, Afrique, Espagne, Russie, Japon, Corée mais aussi au Québec où il a commencé à être conteur-chanteur à partir de 1979. Daniel L’Homond écrit et conte aussi depuis longtemps pour France-Bleu-Périgord  et l’Atelier de Création de Radio-France. Et il est auteur et interprète de Contes Pays d’Oc pour France 3  et de Contes Express pour Aqui-TV.

Assis et très à l’aise sur cette petite scène son accordéon près de lui -il assure lui-même quelques pauses musicales- il nous emmène très vite avec une efficacité surprenante dans une histoire à tiroirs comme seul, savent le faire les bons conteurs. Il s’agit ici un homme dont la voiture est tombée en panne la nuit. Il réussit à se faire transporter par une gabarre, ces grand bateaux plats  à voile  et à fond plat qui pouvaient, même avec un faible tirant d’eau, porter un maximum de charge sur la Garonne, le Lot… Lui veut simplement traverser la Dordogne pour arriver à temps à sa propre veillée funèbre…

Difficile de rendre compte de cette merveilleuse histoire avec jeu sur les mots du genre : « sa carpe dans le congétaleur » et autres  trouvailles sémantiques. Il faut l’entendre sur place avec sa voix grave et son accent chaleureux mais aussi une diction et une gestuelle impeccables. Et en plus avec un incomparable humour, du genre: «A Vancouver, il a inventé le cabécous au sirop d’érable. » «Il progressait vite et comme il était Français, on pensait qu’il était bon cuisinier. «Elle était adventiste du Septième Jour, c’est un truc de là-bas!  Mais elle était très libérée sur le plan sexuel, et cela a joué pour beaucoup. » « Au café chez Doute, il y avait une immense affiche: «L’alcool n’arrangera pas vos problèmes et, à côté, une plus petite: «Le lait, non plus».  «Il a commencé à piger que le voyage valait mieux que le terminus. » «Hélas! d’où l’expression : trois fois, hélas: c’est quand même beaucoup plus ramassé.» «Il y a trois choses qu’on ne peut pas cacher: la pauvreté, la toux et l’adultère. Evidemment, des fantômes ont dénoncé Espantal – il y a un côté paparazzi chez les fantômes. » «La veuve Faure a tranché la tête d’Espantoun: c’est ce qui arrive à eux qui veulent diminuer les retraites. » Et tout le public craque, quand il entonne une courte chanson qu’il accompagne à l’accordéon dans la nuit estivale qui tombe doucement sur la prairie: «Que savez-vous de la vie? Que savons-nous de l’amour? Des lumières dans la nuit, des hasards des carrefours. Amoureux, amoureux… amoureux, qui ne savez pas qu’il y tant de choses derrière les choses. »

Si jamais vous croisez Daniel Lhomond dans un festival ou ailleurs, ne le ratez surtout pas. Cela fait un bien fou de l’écouter dire et redire ses quatre vérités poétiques, loin, très loin des pièces approximatives et des solos parisiens. Mal connu du grand public comme des critiques, il mériterait amplement d’être reconnu comme au Japon: « Trésor national vivant ». En France, le titre de Maître d’art a bien été créé par le Ministère de la Culture en 1994 pour pérenniser les savoir-faire remarquables et souvent rares de métiers dits « d’art » absolument nécessaires à l’économie de nombreux secteurs: orfèvrerie, mobilier, tissage, sculpture sur bois, verrerie, etc. Mais pas ceux du spectacle! Allez, madame Roselyne, encore un petit effort avant votre départ du Ministère de la Culture…
Voilà un compte-rendu des spectacles présentés au cours de cette journée mais le festival  s’est poursuivi jusqu’au 13 juin.

Philippe du Vignal

Spectacles vus au festival itinérant des arts de la parole du Haut Val de Sèvre (Deux-Sèvres), le 10 juin.


Archive pour juin, 2021

Les Origines du monde/ L’Invention de la Nature au XIX ème siècle au Musée d’Orsay

 

Les Origines du monde/ L’Invention de la Nature au XIX ème siècle exposition au Musée d’Orsay

Pour la neurologue et historienne des sciences Laura Bossi, commissaire de l’exposition: «La Nature ne s’est jamais tant imposée à notre réflexion. Pour penser notre relation avec elle, un détour par le XIX ème siècle est indispensable. C’est l’époque où naissent les sciences modernes de la Terre et de la Vie… »

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photo MD

La découverte de l’évolutionnisme par Charles Darwin est l’axe de ce parcours raisonné et pédagogique qui va des Lumières, jusqu’à la Première Guerre mondiale. Il est frappant de constater comment l’art met en scène la Nature, à mesure que les scientifiques explorent la Terre en la sillonnant ou en la creusant. Un diorama de Zarafa, la première girafe arrivée en France en 1826, permet de voir l’animal en relief ; des lions et des oiseaux exotiques font l’objet de portraits précis et saisissants. C’est le début des parcs zoologiques et les cabinets de curiosités, ces ancêtres des musées, se remplissent d’objets insolites. Les paléontologues inspirent au artistes des monstres comme ce mammouth terrifiant les premiers humains et représenté par le peintre Paul-Joseph Jamin en 1885. Les géologues, eux, font naitre chez les peintres des scènes cataclysmiques avec torrents de glace ou montagnes en feu… Dans ces mises en images théâtrale, une Nature qu’on voudrait dompter mais qui ne se laisse pas saisir…

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Singe devant un squelette © MD

 Après la révolutionnaire Origine des espèces (1859) de Charles Darwin, l’être humain est désormais placé dans un arbre généalogique où l’on voit ses liens de sang avec le monde animal. A commencer par les singes et leur caractère anthropomorphique par excellence. Gabriel von Marx nous montre notre lointain cousin, songeant, tel Hamlet,  songeant devant le squelette d’un de ses semblables : Singe devant un squelette (vers 1900). 

Mais la traversée ne s’arrête pas là et certains artistes se posent la question des origines, en particulier Gustave Courbet avec L’Origine du monde sa célèbre peinture accroché, ironiquement, à côté de la magnifique Coquille (1912) d’Odilon Redon. Edvard Munch nous surprend avec La Madone (1895-1902), une lithographie où une mère entourée d’une frise de spermatozoïdes bleutée s’élance dramatique, flanquée d’un minuscule fœtus recroquevillé dans un coin… «Je suis le contemporain des origines», écrivait Gustave Flaubert dans La Tentation de Saint-Antoine…

Le parcours se termine par une évocation, moins théâtrale, du refus du naturalisme chez des artistes comme Vassily Kandinsky, François Kupka, Hilma af Klint ou Piet Mondrian, qui, à l’instar d’Odilon Redon, s’aventurent dans la théosophie ou aux confins de l’abstraction.

En prologue, La Genèse du monde et de l’Homme, nous était présentée dans une bible vénitienne de 1475, et en épilogue spectaculaire nous attend  juste avant la sortie.  Se font face deux grandes huiles sur toile à la vision contradictoire. Rudolf Schlichter,  montre un homme bionique avant la lettre, martial et détruisant tout sur son passage dans Pouvoir aveugle (1932-1937),  un tableau apocalyptique. La guerre est passée par là ! Avec Nature ou Abondance (1897), Léon Frédéric peint, au contraire, une Nature surabondante et maternelle haute en couleurs … Belle dialectique, comme celle qui anime cette pittoresque et instructive exposition où l’histoire de l’art embrasse celle de la science.…

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La Coquille Odilon Rodon

 Mireille Davidovici

 

Jusqu’au 18 juillet, Musée d’Orsay, 1 rue de la Légion d’Honneur, Paris (VII ème).

 

 

 

Traverse, Festival itinérant des arts de la parole (première partie)

 

Traverse, Festival itinérant des arts de la parole ( première partie)

 Né en 2009, cet événement est animé dans des villages du Haut Val de Sèvre (près de Poitiers) par la musicienne Fanny Chériaux et Nicolas Bonneau, comédien et metteur en scène (voir Le Théâtre du Blog)  et il le dirige depuis deux ans. Il y  met en valeur l’art du récit, souvent proche  du théâtre documentaire, avec des formes légères, adaptées à des lieux comme des chapiteaux, une église protestante ou une merveilleuse petite prairie… Et la part belle est faite aux créatrices dans une logique d’ouverture. Au fait, quand verra-t-on une femme seule à la tête du festival d’Avignon? Même s’il y a eu un « demi-précédent » avec Hortense Archambault.
Nicolas Bonneau qui est aussi conteur, pratique le collectage dans ce département des Deux-Sèvres où il a vécu et il y a implanté sa compagnie la Volige. Avec Fanny Chériaux, il écrit et met en scène. Noémie Sage, elle, gère l’équipe administrative, la production de la compagnie et du festival.

Nicolas Bonneau explore l’art du récit, souvent proche du théâtre documentaire avec des formes légères capables de s’adapter à des lieux comme un petit ou un grand chapiteau, un temple, une salle polyvalente, voire une merveilleuse petite prairie… Fanny Chériaux et lui écrivent et mettent en scène. Noémie Sage, elle, gère l’équipe administrative, la production, l’administration de la compagnie et du festival

Quatorze millimètres de Catherine Michaud

Un thème encore tabou il y a une vingtaine d’années: comment vivre après un cancer du sein, puis une mastectomie et une séparation douloureuse. Comment faire son deuil de tout ce qui tombe sur la tête d’une femme pourtant encore dynamique  il y a quelques mois et travaillant dans les relations publiques…  Et surtout, comment reprendre goût à l’existence… quand on se retrouve pas très âgée mais seule dans la vie dont on voudrait bien encore croquer quelques fruits savoureux. Mais il y a -parfois mais pas toujours- une rencontre. Pierre, un comédien, surgit comme par miracle dans sa vie dont elle n’attendait plus grand chose.

Et Catherine Michaud, une fois disparue cette minuscule tumeur de quatorze millimètres mais qui aurait pu l’emporter, va retrouver petit à petit toute la saveur des jours  d’autrefois:  les caresses et les baisers d’un amoureux, la joie de faire des plats que l’on partagera et d’écouter de la musique, donc de multiplier les plaisirs quotidiens. « Jouissez chaque jour des joies que la vie vous apporte, conseillait  déjà dans Les Perses, il y a cinq siècles avant J. C., le génial Eschyle, car la richesse est vaine chez les morts. »  Et Catherine Michaud semble avoir entendu Montaigne, ce Bordelais comme elle: “Ne pouvant régler les événements, je me règle moi-même. Le bonheur ne se perçoit pas sans esprit et sans vigueur.”
Et tout va se passer comme si ce Pierre lui créait comme une obligation de ne pas tomber et de recommence à vivre. Alors, dit-elle, «le processus de guérison absolue et définitive était en marche.» Mais qui est ce Pierre? Un homme bien vivant ou un rêve dont s’empare Catherine Michaud? Qu’importe et Sandrine Bourreau est tout à fait convaincante dans ce rôle de femme qui renaît à la vie après avoir été fracassée. Un rôle qui exige d’une interprète à la fois solidité et sensibilité. Ce que réussit à faire cette actrice qui ne tombe jamais dans le pathos et reste toujours très crédible.


 Déesses
de Pauline Letourneur

 

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Cela se passe dans l’église protestante de Pamproux (Deux-Sèvres). Murs blancs,  pas de scène, bancs en bois et devant la chaire, un rideau blanc qu’à la fin, Rebecca Fels et Pauline Letourneur feront glisser et où sont mentionnées les grandes dates des victoires féminines. Il s’agit d’une sorte de récit de la Womans’s Pentagon Action, un événement éco-féministe  qui a eu lieu à Washington en 1980. Oui mais voilà, il n’y a guère de véritable dramaturgie et aucune mise en scène digne de ce nom.  Et même si elle sont sympathiques, ces jeunes femmes ne sont pas vraiment des actrices. Et côté leçon de morale, grand merci, nous avons déjà beaucoup donné. Ce qui, à la rigueur, pourrait faire l’objet d’un petite performance, ici ne fonctionne absolument pas, même le temps d’une heure et distille vite un ennui pesant. Tant pis.

 Je me maquille pour ne pas pleurer d’Héloïse Desrivières

Là, on a  affaire à quelque chose d’une toute autre dimension. Cette jeune écrivaine, après un master de Littérature comparée à la Sorbonne Nouvelle, a intégré il y a quatre ans le département d’écriture dramatique de l’ENSATT.  Elle écrit notamment Arthur et Bérénice sont insomniaques,  Le Guide Rouge et la Tendresse du Gibier. Elle a aussi été l’assistante de François Rancillac, d’Adel Hakim et de Joël Pommerat.  Dramaturge, elle collabore avec des chorégraphes et danseurs et travaille actuellement à Monte-Cristo, une pièce librement adaptée du célèbre roman d’Alexandre Dumas.

 

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Un  récit, à base autobiographique, d’une renaissance qu’elle interprète elle-même. «Mon enfant, dit-elle, est né deux semaines avant mon entrée à l’E.N.S.A.T.T. Les étudiantes n’ont pas le droit à un congé-maternité mais je ne voulais pas renoncer à écrire ni à créer. J’étais mère célibataire et pendant les deux années qui ont suivi, je me suis répété en boucle : “La dernière fois que j’ai fait l’amour, j’ai fait un enfant. » Les produits cosmétiques sont devenus ma première arme : me maquiller pour ne pas pleurer. (…) Et mon geste artistique consistait à créer de la beauté pour rendre mon monde -le monde- soutenable. Pour ce faire, j’écris un récit ancré dans le réel qui décrit le quotidien dans sa plus franche crudité. (…) Avec Déesses, je cherche une écriture vitale et mordante, nourrie de l’énergie sans limite que l’on peut déployer en situation de crise, lorsqu’on décide d’enfin assumer le poids des choses. Je veux rendre joyeux le désespoir, je veux rendre désirable cette femme, je veux écrire cette intimité crue. »

Astrid a eu un enfant pendant ses études et a trouvé dans les cosmétiques le moyen de survivre aux impératifs économiques et sociaux qui pesaient sur elle. Suite au décès de son compagnon pendant la grossesse, elle se retrouve seule, face à elle-même  pour assumer toutes les nouvelles responsabilités et apprivoiser son corps qui a subi un bouleversement réel.  Elle se fait un « wrap». Pour les non-initiés: un masque corporel d’argile verte recouvert de film plastique qu’elle déchirera ensuite jusqu’à se retrouver  les seins nus. A la fin de cette performance textuelle, elle apparaît dans une longue robe où elle a cousu des centaines de coquilles de moules qui, en s’entrechoquant, produisent une curieuse nappe sonore.  Dans une sorte de cérémonie très intime, elle se raconte et fait le point sur sa vie.

«Astrid, dit Héloïse Desrivières, essaye de faire à la fois le deuil de son compagnon et de son corps de jeune fille. Et se raccroche à une seule chose : la beauté, qu’elle décortique et qui se réinvente dans son regard. Avec humour et férocité, elle confie aux fleurs les stratégies plus ou moins nobles qu’elle a mises en œuvres pour passer à autre chose, pour se réapproprier son vagin et voir son désir renaître. Pour l’aider, les femmes de son entourage ont des conseils ou des cadeaux plus ou moins inattendus : sa petite sœur esthéticienne lui apprend la cosmétique, sa cousine Léa l’aide à interpréter un rêve dans lequel elle se transforme en taureau et parle une langue inconnue ou encore sa tante qui lui offre un petit pot de crème à l’abricot, spécial muqueuse, pour se masser le périnée. »

Sur le petit plateau, la jeune femme se raconte abondamment mais avec intelligence. Le texte, encore souvent brut de décoffrage, mériterait quelques sérieuses coupes et le décor: une espèce de petit comptoir en fil doré aux étagères dotées de quelques flacons mais pas très réussi et nous préférons oublier le charabia de la note d’intention: « Le parti pris physique au plateau crée des espaces de tensions, en arythmie et en dissociation, entre les mots et le mouvements pour provoquer un effet hypnotique qui ouvre la brèche dans laquelle peuvent s’immiscer les spectateurs. (…) La dimension du monstre, du détournement et de l’être “à la frontière du critère social” nous invite à tomber les masques de spectateurs et à laisser surgir le trouble de nos profondeurs. »

Mais bon, tout cela n’est pas grave et compte surtout cette écriture, violente et douce à la fois, tout à fait intéressante interprétée avec une belle diction, pas très loin de Virginie Despentes. Bref, une sorte de conte de notre époque, portée par une jeune artiste qui règle ses comptes et qui a sans doute encore bien des choses à dire sur un plateau. Nicolas Bonneau a eu raison de la faire venir à Traverse… A suivre de près.

Récital de chansons: Fanny Chérieaux

Cela se passe sous le même petit chapiteau, la chanteuse chante, en s’accompagnant une voix profonde et grave, le temps passé, la difficulté qu’il y a se trouver et à se perdre, à se tromper aussi. Dans J’ai rien dit, elle parle de la frustration de ne pas avoir osé dire oui. Suivent d’autres chansons comme Qui va t’aimer? où elle s’interroge sur elle-même.
Puis Fanny Chérieaux entame son Monologue du jogging, bientôt rejointe par un très jeune danseur puis par un autre. Ils la soulèvent et jouent avec elle. Il fait encore très chaud sous le chapiteau mais le public l’écoute avec plaisir et règne en cette fin de soirée, un vrai plaisir de se  retrouver ensemble…
Puis cette soirée dite professionnelle se passe dans un endroit d’une rare poésie; une belle petite prairie au bout du village de Saint-Martin de Saint-Mexent avec une rivière où se trouve le  lavoir des Genets qui a été  restauré et où des grenouilles coassent au milieu d’un beau silence comme si le temps s’était arrêté. Il y a quelque cent cinquante spectateurs devant une petite scène, rustique avec quelques projecteurs, des bancs et des chaises pour deux étonnants spectacles…

Deux Sœurs de Marien Tillet

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« Pourquoi, se demande l’auteur qui joue aussi ce monologue,  la peur est-elle la grande absente des émotions suscitée au théâtre, quand elle est présente au cinéma, dans la littérature, la peinture? Pourquoi les metteurs en scène et auteurs de théâtre contemporain s’y intéressent-ils si peu? Est-elle le parent pauvre des émotions primaires ? Est-elle une émotion trop populaire? Les millions de personnes qui la recherchent dans les séries, films et romans de genre sont-ils étrangers à l’espace théâtral?

Marien Tillet raconte les destinées singulières de personnages confrontés au fantastique. En novembre 1953 au Sud-Ouest de l’Irlande, la jeune Aïleen O’Leary disparaît. Soixante ans plus tard, Marc, un ethnologue spécialiste des hystéries collectives, retrouve son carnet intime. Il soupçonne un lynchage en règle, avec massacre comme au temps des sorcières. Marien Tillet se lance dans une enquête qui tient d’un thriller, en confrontant les témoignages des protagonistes de cette rude histoire remarquablement écrite. Et où on entre comme par effraction mais avec grand plaisir.

« Alors Cian a eu une idée : qu’elle meurt de la même mort que son fils, la pire des morts, la noyade. On l’a traînée jusqu’au port, et comme personne n’osait la prendre avec lui sur sa barque, on s’est rendu au large en la tirant derrière nous, encordée par les pieds. Puis on l’a encerclée de nos barques, et on a essayé de la faire couler avec nos rames. Chaque fois sa tête disparaissait sous l’eau mais chaque fois elle remontait.Mon père ma tendu la rame et m’a dit: «Tiens, deviens un homme, mon fils ! » Je suis devenu un homme.
 Au bout de deux heures, elle nous a regardés les uns après les autres, dans le silence de la nuit, dans la noirceur de la mer, éclairée juste par nos torches, et je ne saurai pas dire ce qu’il y avait dans ses yeux jaunes, dans ses yeux fous, mais quand elle m’a regardé plus longtemps que les autres, moi qui était le plus jeune, qui la connaissais, qui l’aimais bien. J’ai regretté d’être devenu un homme.Puis c’est elle qui a mis fin à tout ça. Elle s’est laissée recouvrir par l’eau. »

La chaleur est accablante sous ce grand chapiteau noir mais grâce à un indéniable métier, aux belles lumières de  Samuel Poncet et au dispositif sonore de Pierre-Alain Vernette, le comédien-conteur sait embarquer le public comme on le voit rarement, même si on se perd parfois dans les méandres de cette histoire glauque à laquelle nous croyons. Comme quand nous dévorions, enfants, les livres de la célèbre et merveilleuse collection des quelque cent cinquante Contes et légendes créée par les éditions Fernand Nathan en 1913 et …toujours éditée, avec des récits issus de l’histoire ou du folklore national ou étranger.

« Cette démarche est possible en faisant du public et du comédien un seul groupe dit Marien Tillet. « Et sa compagnie Le Cri de l’Armoire veut créer «de l’envie, du désir, de la curiosité auprès de publics qui ne vont jamais au théâtre.» Effectivement, c’est une autre forme de spectacle avec une relation privilégiée entre le conteur et son public. Créé au Théâtre Dunois à Paris (XIII ème) donc dans un petite salle, le spectacle -un peu trop long- n’est sans doute pas ici dans le lieu idéal mais Marien Tillet réussit la prouesse de tenir son public dans des conditions limites. C’est aussi cela l’art de l’acteur. Chapeau!

Philippe du Vignal

A suivre…

Spectacles vus à Pamproux (Deux-Sèvres)  le 10 juin.

 

Solaris d’après le roman de Stanislas Lem, adaptation et mise en scène de Pascal Kirsch

copyright: Geraldine Aresteanu

Solaris d’après le roman de Stanislas Lem, adaptation et mise en scène de Pascal Kirsch

Dans les vapeurs d’un «océan gélatineux qui stabilise la planète», figuré ici par une grande coupelle blanche flottant au-dessus du plateau, une équipe d’astronautes en orbite autour de Solaris essaye de percer l’énigme de cet étrange corps céleste à l’intelligence «au-delà des limites de la connaissance humaine ». L’océan est capable de répliquer une infinité de formes terriennes : musiques symphoniques inouïes, clones de végétaux ou d’être humains…

Malgré l’effort des scientifiques pour établir un contact avec cette vitalité extra-terrestre, Solaris ne répond pas. Ils décident de bombarder la planète qui développe alors une stratégie de déstabilisation des humains. En sondant leur psyché et matérialisant leurs fantasmes, elle les met face à leurs propres défaillances. Kris, nouveau venu à bord de la station spatiale, en fera les frais: une créature artificielle, semblable à sa femme qui s’est suicidée il y a des années, apparaît pour lui faire revivre une culpabilité enfouie… Chaque membre de l’équipage est tourmenté par son propre «visiteur», façonné par Solaris à partir de souvenirs douloureux.

Le Polonais Stanislas Lem (1924-2006) écrit cette histoire en 1961, en pleine guerre froide, alors que l’Union soviétique a envoyé le premier homme dans l’espace. C’est l’année des missiles de Cuba et la menace d’une guerre nucléaire. Mais aussi celle de la construction du mur à Berlin… Celle aussi du procès d’Eichmann à Jérusalem, en écho à celui de Nuremberg où le nazisme, mal absolu, se dévoilait à la face du monde. L’écrivain transcrit les angoisses qui traversent ce milieu du XX ème siècle dans un récit où l’homme est aux prises avec ses propres peurs et d’abord avec les forces destructrices qui sommeillent en chacun de nous. Ce que révèle Solaris: «Nous n’apprendrons sans doute rien sur l’océan, dit l’un des scientifiques, mais alors, sur nous!»

Comment adapter au théâtre ce roman, après le beau film d’Andreï Tarkovski et celui de Steven Soderbergh qui connut lui, un demi-échec? Pascal Kirsch relève le défi avec succès. L’impressionnant décor de Sallahdyn Khatir, et la création lumières de Nicolas Ameil y sont pour beaucoup. Ils nous propulsent au cœur de l’intrigue, sur cette lointaine planète située près d’Alpha et du Verseau et gravitant autour d’étoiles jumelles. La musique vibratoire de Richard Comte, jouée en direct, en interaction avec les comédiens, contribue au climat particulier qui règne dans la station spatiale, au sol instable, fait de moellons disjoints. Acteurs et spectateurs baignent dans un espace sonore omniprésent. Il s’agit pour le compositeur « d’induire une manière d’écouter, de jouer sur la perception du temps et de l’espace, de rendre palpable, physique, cette musique des sphères, par un jeu de timbres et de texture. »

Les comédiens, en tension permanente, électrisent cette fable métaphysique qui nous parle aujourd’hui du sabotage de notre Planète par les Terriens. Cet « océan pensant » nous apparaît comme la conscience de la Nature, plus forte que la malignité des humains… «Est-ce que nous devons partout nous rendre avec cette énorme puissance de destruction à bord de nos navires, afin de briser tout ce qui est contraire à notre façon de comprendre ? écrivait Stanislas Lem dans L’Invincible

 Le récit aurait gagné à être condensé et parfois clarifié mais ce spectacle de deux heures trois quart nous plonge dans une histoire fascinante qui redonne à la science-fiction ses lettres de noblesse…

 Mireille Davidovici

Le spectacle a été joué du 4 au 12 juin, Théâtre des Quartiers-Manufacture des Œillets Centre Dramatique National, 1 place Pierre Gosnat, Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne). T. : 01 43 90 11 11.

Du 1er au 3 juillet, MC 2, Grenoble (Isère).

 

Solaris, traduit du polonais par Jean-Michel Jasienko, est publié aux éditions Gallimard collection Folio SF.

 

La Baie des Anges de Serge Valetti

La Baie des Anges de Serge Valetti, sur une idée originale de Faramarz Khalaj, mise en scène d’Hovnatan Avédikian
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© Aminata Beye, Julien Benhamou

 

Cela se passe dans une villa dans les hauteurs de Nice. Au début, il  y a de grands tissus blancs (qu’on enlèvera ensuite) et qui cachent un bric-à-brac de chaises, malle, gros canapé confortable  de cuir rouge aux accoudoirs en mauvais état et vieille armoire en pin qui sert aussi de coulisse. Gérard, un producteur,  a réuni un acteur et une jeune actrice pulpeuse pour recréer quelques fragments de la vie de son ami Dominique que l’on a retrouvé pendu contre le volet de sa chambre. Il y a aussi un régisseur lumière et son, assis côté jardin à une petite table. Sans doute pour  montrer qu’on est bien sur une scène et pendant une répétition…Ce Gérard, un assez inquiétant personnage qui semble cultiver le mystère sur sa personne,  leur fait  travailler des scènes mais voilà que la jalousie s’en mêle et que la vie des acteurs et la fiction des personnages s’entremêlent. Et  pour faire bonne mesure, il y a dans l’air comme un certain suspense proche d’un polar, avec l’histoire de la mort brutale de cet homme qui choisit de ne pas dépasser l’âge du décès de sa mère et qui ,un jour, en arrive à se pendre. Très riche, il gagnait vraiment beaucoup d’argent en vendant des guirlandes d’ampoules électriques que tous les propriétaires de la Côte d’Azur achetaient pour éclairer les soirées données dans leur jardin. Producteur de cinéma, Faramarz Khalaj a suggéré à Serge Valletti d’écrire  une pièce sur le deuil d’un ami proche qui a vécu la  «douloureuse chronique d’une mort annoncée » . Nous avons connu l’auteur marseillais mieux inspiré (ses traductions de pièces d’Aristophane mais aussi Carton plein, Pourquoi j’ai jeté ma grand-mère dans le Vieux-Port et surtout   Le jour se lève, Léopold !)

Ici, il essaye tant bien que mal de faire vivre un étrange trio de personnages, mais rien à faire, ce laborieux théâtre dans le théâtre n’arrive pas décoller et Hovnatan Avédikian qui remplace David Ayala atteint de covid, a bien du mal à nous faire entrer dans cette piécette. Rien à dire, Joséphine Garrreau, Nicolas Rappo et lui font le boulot (manque sans doute quand même la présence  de David Ayala qui devait jouer le rôle de Gérard en alternance avec le metteur en scène). Mais, de toute façon, cette prétendue mise en abyme ne fonctionne pas et l’heure et demi où les trois personnages semblent être en quête d’auteur, nous a paru bien longuette… A vous de voir.
Philippe du Vignal
Jusqu’au 4 juillet, Théâtre du Rond-Point, 1 avenue Franklin D.  Roosevelt, Paris (VIII ème). 

 

 

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Plaidoirie pour vendre le Congo de Sinzo Aanza, mise en scène d’Aristide Tarnagda

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© Ry Barbot

Plaidoirie pour vendre le Congo de Sinzo Aanza, mise en scène d’Aristide Tarnagda

Dans une atmosphère surchauffée et un brouhaha, se tient une réunion du comité du quartier populaire Masina à Kinshasa. En débat, la proposition du gouvernement d’indemniser les familles qui ont perdu un parent tué lors d’une bavure de l’armée. On compte soixante-trois morts. Mais quel est le prix de ces vies? Que vaut un mort enfant et son avenir, un mort adulte et ses responsabilités, un vieux et sa sagesse, un bébé dans le ventre de sa mère, une mère portant un enfant, un mort illettré, un mort qui a fait des études? Comment mettre d’accord une religieuse catholique, une pharmacienne affairiste, un boucher, un pasteur, un flic, un tenancier d’hôtel mal famé  ? Le chef du comité est dépasssé.

«Un mort sur lequel on met un chiffre, c’est de la boucherie, pensons plutôt au deuil, dit le boucher.» «Mettez-vous à la place des morts, quelle serait leur décision? demande un autre conseiller.» Le policier propose que l’argent aille à des projets collectifs. Dans cette cacophonie, survient la vedette du quartier: il frime et compte les « like » sur son smartphone… «Je propose que nous vendions le pays, réclamons notre part du business», lance l’artiste. Et chacun de lui emboîter le pas… Mais, au fond, que veut le peuple? «On n’est pas là pour vendre les morts mais pour demander réparation. On veut de l’argent. »

Dans ces calculs macabres, l’auteur ne perd jamais le sens de l’humour ni de la provocation. La tragédie de ces gens sur lesquels on a tiré est prétexte à une comédie impitoyable qui donne voix à tout un chacun dans sa diversité, mais sans jugement moral. Un procès à la sauce pimentée, de l’Etat congolais, du colonialisme, du néo-colonialisme, le rire en prime…

Tout au long de la pièce, le dehors et le dedans s’interpénètrent: dans le mur de paille colorée barrant la scène, s’ouvre un guichet à travers lequel les habitants s’adressent au comité de quartier. Leurs discussions sans fin mêlent avis du conseil et réactions du Kinois de la rue. Le bruit de voix enregistrées renforce l’effet de foule et ce chœur sonore et agité, derrière le décor à clairevoie, témoigne d’un pays bien vivant. Dans une langue de haute tenue, imagée et cocasse, les paroles vives de ces personnages exubérants alternent avec des récitatifs poignants, moments de pure lyrisme narrant le destin d’une petite vendeuse de pain ou d’autres figures populaires.

Les intermèdes musicaux de Daddy Mboko avec guitare acoustique et chant en lingala, viennent calmer le jeu. Sous la houlette d’Aristide Tarnagda , Ibrahima Bah, Serge Henri, Safourata Kabore, Nanyadji Kagara, Ami Akofa Kougbenou, Hilaire Nana, Halima Nikiema, Rémy Yameogo s’emparent avec bonheur de ce texte bien charpenté. De nationalité différente: Congo, Tchad, Burkina, Côte-d’Ivoire, France, ils réussissent en épousant l’accent congolais, à ancrer la langue de l’auteur dans la vie de son pays.

«J’ai trouvé un poète à servir, dit le metteur en scène, directeur artistique du festival Les Récréâtrales de Ouagadougou où il a créé cette pièce en 2020. « On va rire jusqu’aux larmes, des larmes de nos pays. Des commotions de nos démocraties (…) Rire du laid, afin qu’espère le beau et le rêve.»Après un début assez confus où le spectacle peine à trouver son rythme et sa cohésion, la pièce prend ensuite toute sa dimension grâce à une écriture incisive et poétique et qui, malgré le thème, ne verse jamais dans le pathos ou le lamento.

A voir aussi: Que ta volonté soit Kin, pièce plus ancienne de Sinzo Aanza, également mise en scène par Aristide Tarnagda avec certains des acteurs de Plaidoirie pour vendre le Congo, et présentée dans le cadre d’Africa 2020. Cette programmation  africaine de grande ampleur était initialement prévue sur toute la saison 2020-2021…

Mireille Davidovici

Spectacle vu le 4 juin au Théâtre Jean Vilar, 1 place Jean Vilar, Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne). T. :01 53 53 10 60. En partenariat avec le festival d’Automne à Paris dans le cadre d’Africa 2020.

Que ta volonté soit Kin,  les 17 et 18 juin, Comédie de Caen, Caen (Calvados) ; les 22 et 23 juin, Le Grand T à Nantes (Loire-Atlantique) et du 30 juin au 10 juillet, Odéon-Ateliers Berthier, Paris (XVII ème).

https://www.saisonafrica2020.com/fr

 

 

 

Adieu Raoul Sangla

Adieu Raoul Sangla

© Nicolas Villodre

© Nicolas Villodre

Il y a quelques jours, Raoul Sangla est mort à quatre vingt-dix ans. Ce jeune plâtrier basque d’origine monta à Paris où il fut d’abord l’assistant de Sacha Guitry et de Marcel Carné. Puis il devint un pionnier inventif de la télévision que dans les années cinquante une bande de jeunes gens prit très au sérieux… Ils considéraient qu’elle avait  sa propre logique d’expression. Ainsi pour lui, comme pour Claude Barma, Stellio Lorenzi, Jean Prat… l’autonomie des médias est essentielle et ils  ne se réduisent pas seulement à un message. Marshall Mac Luhan l’avait bien vu, ce message contient lui-même des potentialités visuelles. Ils eurent donc des idées télévisuelles…

A l’époque où l’information était sévèrement contrôlée par le pouvoir gaulliste, ces réalisateurs découvraient la singularité de la télévision et devinrent eux-mêmes singuliers. La présence d’André Malraux peut-être? Raoul Sangla en 1955 avec sa femme Joséphine Bitondo, sillonna l’Allemagne de l’Est au cours d’un tournée de chants et  danses du  groupe basque Etorki. Il découvrit alors le Berliner Ensemble et rencontra Bertolt Brecht dont sa pièce Galileo Galilei lui fait découvrir l’importance de la forme. Et l’impressionne notamment une scène où le nouveau Pape joue de dos et prend ses distances avec Galilée, à mesure qu’il revêt pièce à pièce son costume d’apparat.  

Raoul Sangla entrera à la télévision en 1959 et devient assistant-réalisateur de Stellio Lorenzi pour La Caméra explore le temps. De 1964 à 1970, à la demande de Denise Glaser, il réalisera Discorama qui présente les danseurs et chanteurs du moment. Mais il cassa les décors habituels comme ces grandes photos sans vie qui accompagnaient par exemple un récital de Jean Ferrat. Le plateau devient son affaire mais comment le peupler? « J’essayais d’intégrer  la variété, le rêve dans le concret du studio. Les couloirs, les échafaudages, les échelles. » Une  démarche brechtienne, comme le souligne Nicolas Villodre.
Cet ensemble d’objets déjoue toute intention d’illustration et d’identification (c’est l’apport de la critique de Brecht) mais  « biaise » la distanciation : les objets dans leur réalité même, accèdent à une nouvelle visibilité. Logés dans la musique et le chant, ils gagnent un surcroît d’apparence et ce n’est pas par hasard si Raoul Sangla a aussi réalisé en 1967 Henri Lefebvre, le fil du siècle. Lefebvre, ce philosophe des choses dans l’espace et de la ville.Et En 1994, il fonde l’institut européen du cinéma et de l’audiovisuel dont il sera président jusqu’en 2007. Et par ailleurs, en 1970 il crée Du bonheur et rien d’autre et Un pas ou deux sur la neige, deux comédies musicales de Jean-Claude Grumberg. Et en 1978, Raoul Sangla tourne La Passion avec un plan fixe de cinquante-huit minutes jouée par une vingtaine de comédiens et cent cinquante figurants. Et de 1978 à 1981, il sera directeur de la Maison de la Culture de Nanterre.

De la nuit à la lumière, de la lumière à la nuit, Raoul Sangla diffuse au ralenti un élan, un hors-champ mental qui se trouve dans la caméra. On ne montre pas impunément les choses: « La caméra, dit-il dans ses Mémoires de télévision, n’est pas qu’une chambre d’enregistrement, elle est bien ce lieu de la  nuit que la lumière désordonne. » C’était un homme, si joyeusement actif…

Bernard Rémy

 

 

 

L’Arbre, le Maire et la Médiathèque, d’après le scénario d’Éric Rohmer, mise en scène de Thomas Quillardet

L’ARBRE, LE MAIRE ET LA MÉDIATHÈQUE

© Pierre Grosbois

L’Arbre, le Maire et la Médiathèque, d’après le scénario d’Éric Rohmer, mise en scène de Thomas Quillardet

Dans une clairière du Parc floral au Bois de Vincennes, au pied d’un arbre, Julien Dechaumes (Guillaume Laloux), maire P.S.  de Saint-Juire, un village en Vendée, nous accueille d’un salut républicain avec un tract à son effigie. Nous sommes en juin 1992 et il vient d’être battu aux élections départementales qui connurent un raz de marée de la Droite.

Le jeune homme, loin de se décourager, ambitionne de moderniser sa commune, minée par l’exode rural et la désertification, en construisant un centre culturel et sportif ultra-moderne «mais respectueux de l’environnement »… Au grand dam de l’instituteur (Florent Cheippe) qui y voit un manœuvre politicarde et refuse qu’on défigure le paysage et sacrifie les arbres… Un combat idéologique s’engage auquel se mêlent la fiancée du maire, intello parisienne type (Malvina Plégat) et une journaliste à la recherche d’un scoop (Clémentine Baert)…

Les oiseaux chantent, le garde-champêtre déboule à bicyclette, le pré est en fleurs et l’herbe sent bon… Dans cette ambiance bucolique, les spectateurs, assis sur des bottes de foin, goûtent la finesse du texte d’Éric Rohmer, à l’aise sur un terrain qui ne lui était pourtant pas familier. Thomas Quillardet en a condensé les dialogues et, sans trahir la continuité narrative, met en valeur la qualité théâtrale et l’acuité dialectique de la dramaturgie rohmérienne. Les bons mots, bien dosés, offrent une légèreté à ce débat qui aurait pu être indigeste et nous percevons aussi le caractère prémonitoire des questions sociétales posées dans le scénario, surtout depuis que le covid est passé par là.

Le spectacle, prévu avant cette crise, a dû être reporté. Dans ces circonstances, les propos de chacun des personnages sont d’une étonnante actualité et la chanson qui clôt le film, entonnée ici par la troupe, est dans l’air du temps: «Nous vivrons tous à la campagne/Parmi les champs et les prairies/Tout en étant chef de bureau/Comptable ou informaticien/Plus besoin d’aller au boulot/ Avec la voiture ou le train.»

Eric Rohmer envisageait, avec vingt ans d’avance, le poids du discours écologique dans la vie politique et la récupération qu’en font les partis de tout bord comme dans la campagne électorale actuelle. Il donne le dernier mot à une petite fille (Liv Volckman) anticipant ainsi l’engagement de la jeunesse d’aujourd’hui pour sauver la Planète.

Avec ses comédiens, tous excellents, Thomas Quillardet s’impose comme metteur en scène, tout en restant dans le droit fil de l’original. Ne manquez pas ce bol d’air ! Au théâtre de la Tempête, ce spectacle d’une heure trente est couplé avec la reprise d un diptyque créé avec talent en 2017 par la même équipe. Sous le titre emprunté à Rimbaud Où les cœurs s’éprennent, il rassemble  Les Nuits de la pleine lune et Le Rayon vert d’Éric Rohmer (voir Le Théâtre du Blog). Une adaptation riche d’inventions théâtrales et qui distille avec grâce les atermoiements amoureux des protagonistes.  

Mireille Davidovici

Jusqu’au 20 juin, Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes, route du Champ de manœuvre. Métro: Château de Vincennes et navette gratuite. T. : 01 43 28 36 36.

 Le 2 juillet, Festival de Châteauvallon (Var) ; 7 Juillet, Festival Par Has’art, Noisiel (Seine-et-Marne); 9 Juillet, Théâtre de Chelles (Seine-et-Marne); 18 juillet, Le Moulin du Roc, Niort (Deux-Sèvres) ; 24 juillet, Lieux Publics, Marseille (Bouches-du-Rhône).

Du 19 au 21 août, Festival Eclat-Les Rencontres d’Aurillac (Cantal).

Ma Forêt fantôme, texte de Denis Lachaud, mise en scène de Vincent Dussart

©x

©C.M. Pontoir

Ma Forêt fantôme, texte de Denis Lachaud, mise en scène de Vincent Dussart

Paul, le mari de Suzanne est mort de la maladie d’Alzheimer et Nicolas, le compagnon de Jean et frère de Suzanne a, lui,  été emporté par le sida. Les vivants en deuil et les morts rassemblés pour une heure et demi ont des choses à se dire… Après tout pourquoi pas?  « La forêt fantôme des êtres disparus durant les années sida ne cesse de hanter les survivants de cette génération, dit Vincent Dussart. Et, parce que cette forêt est aussi la nôtre, il s’agit donc d’affronter le deuil, individuel et collectif et de travailler la mémoire toujours vive de cette histoire. Dans le même temps, l’imaginaire des mêmes sociétés vieillissantes se confronte aujourd’hui à une banalisation de la maladie d’Alzheimer qui touche près de 20% des plus de soixante-quinze ans aujourd’hui en France. » Nombre de pièces et de films ont pour  thème les conséquences familiales et sociales entraînés par ce fléau, notamment la plus connue : Angels in America: A Gay Fantasia on National Themes de Tony Kushner créée en  91 et qui a connu de nombreuses adaptations et mises en scène. Sans doute une pièce majeure de la fin du XX ème siècle.

Encore faut-il qu’il y ait une réelle cohérence, comme chez cet auteur américain, entre le scénario et le message à transmettre  dont le le plus important: une  information courte, préventive est efficace et beaucoup moins telle ou telle histoire familiale ou non entraînée par ce virus qui s’est mondialement répandu. Malheureusement, ce n’est pas le cas ici. Pourtant ce genre de piqûre de rappel n’est jamais un luxe et Vincent Dussart dont nous avions apprécié la mise en scène de Puvérisés d’Alexandra Badéa présentée dans ce même théâtre de Soissons il y a quelques années (voir Le Théâtre du Blog) a essayé de construire une sorte de monument aux morts où les disparus côtoient les vivants sur un même plateau dans une sorte de fable poétique.
Il y a dans Ma Forêt fantôme, un très beau moment, même s’il n’est pas tout à fait réussi: assis sur un fauteuil au centre du plateau, un des acteurs lit simplement dans un carnet une longue liste d’hommes et de quelques femmes aussi, avec dates de naissance et de mort, tous emporté par le sida et qu’il a connus. Moyenne d’âge en dessous de cinquante ans…

Cela nous a  très remué et fait penser à la liste que nous avions aussi établie à l’époque et que nous lisions à chaque rentrée aux élèves-comédiens de l’Ecole du Théâtre National de Chaillot. Des gens que nous avions tous connus à un titre ou à un autre: Bernard Dort, notre ancien  enseignant à la Sorbonne et spécialiste de Brecht, Gilbert Tilloy, un copain de fac, Christian Lebon, comédien et ancien élève de l’Ecole, Jean-Luc Lagarce, écrivain, Robert Anton, marionnettiste, Jacques Musy, directeur des affaires culturelles de la Ville de Paris, Sony Labou Tansi, écrivain et son épouse disparue trois jours avant lui, Patrick de Rosbo, critique de théâtre, et une bonne vingtaine d’autres dont X, accessoiriste à Chaillot. Et le plus connu: Michel Guy, ancien ministre de la Culture!

Ici, la simple et glaçante énumération de cette liste ferait une performance ou un court spectacle d’agit-prop et à elle seule mais bien conçue, suffirait à mettre en garde un public quel qu’il soit. Même si cela durait disons une cinquantaine de minutes. «La maladie, rappelle avec raison Vincent Dussart, est toujours là, comme tapie dans l’ombre. Désormais, dans les pays développés, moins vécue comme
 un péril urgent, que comme une menace sourde, latente. Les jeunes générations, épargnées par le traumatisme initial de l’apparition de la maladie, la prennent presque à la légère. Ses vint-cinq millions de morts n’en demeurent pas moins les arbres d’une forêt qui est aussi la leur. »

Oui, mais voilà, à part ce beau moment, il n’y a rien, du moins pas à ce jour, à sauver du spectacle qui a été accueilli poliment mais sans plus, à la première à Soissons (Aisne). Il sera joué dans juste un mois au festival d’Avignon. D’ici là, que peut faire le metteur en scène pour sauver les meubles? Un cas d’école intéressant!
Vincent Dussart devrait revoir d’urgence: scénographie, lumières et costumes -tout cela très médiocre-dûs à Antony Pastor, pourtant issu de l’Ecole Nationale Supérieure des Arts décoratifs. Lequel a conçu un grand plateau nu avec, au centre, un carré blanc, un fauteuil et un lustre couverts de feuillages et fruits. Et un mur de fond coloré de lumières rouge, verte ou bleu selon le moment, vaguement inspirée par celles du grand Bob Wilson mais qui ne font pas sens.

Reprendre tout cela risque fort de ressembler à un parcours du combattant pour Vincent Dussart mais il devrait aussi retravailler TOUTE la dramaturgie de ce texte beaucoup trop long, mal agencé, répétitif, truffé de termes médicaux inconnus du public qui n’accroche donc pas. Malgré la gravité du thème abordé, nous ne nous sentons pas concernés. En partie donc à cause de cette scénographie aussi maladroite que prétentieuse.
Et comme les acteurs jouent déjà en retrait sur ce grand plateau loin, très loin de la salle dont en plus, sans doute pour des raisons sanitaires, les six ou sept premiers rangs ont été condamnés, nous les entendions et les voyons de loin… Il y a toujours un passage délicat quand un spectacle quitte un lieu de répétition pour aller sur le vrai plateau d’une grande salle. Ce qui semble avoir été le cas ici, même si cela n’explique pas tout.

Côté mise en scène, c’est aussi la bérézina et la note d’intention ne manque pas non plus de prétention: «un décor unique permettant de passer d’un lieu à l’autre dans la plus grande fluidité. Ne pas distinguer sur scène les vivants, des morts. Mettre à jour les vents contraires, 
les différences de points de vue. Montrer les plaisirs, la vie, les amours, jeunesse, malgré, ou peut-être à cause de la violence de la maladie. Ne pas esquiver la douleur physique… Dire la peur de vieillir, de mal vieillir, la peur de la contagion de la maladie, la peur de l’oubli. Passer du trash au poétique. »

Désolé, mais rien ici ne fonctionne et, de tous ces thèmes abordés, nous n’avons rien perçu ou si peu. Texte redondant, manque de rythme, personnages peu crédibles auxquels nous avons le plus grand mal à nous intéresser, direction d’acteurs aux abonnés absents, diction et gestuelle approximatives, jeu assez sec et interprétation bas de gamme des chansons et danses… Et pourquoi Vincent Dussart fait-il jouer ses acteurs le plus souvent face public -une manie héritée de Stanislas Nordey- et passer de l’intérieur, à un soi-disant extérieur en suivant des diagonales?

 Cinq minutes après le début, l’entreprise  se révèle sans espoir. Les comédiens dont nous avions déjà vu certains dans les précédentes mises en scène de Vincent Dussart font le boulot mais semblent s’ennuyer, comme s’ils étaient coincés dans un scénario et  un espace qu’il n’arrivent pas vraiment à habiter. Et quand il prétend: «Vouloir être incroyablement romanesque et furieusement politique et montrer l’énergie des corps et leur lassitude», là, stop à ce charabia! Sur le plateau, on est en effet vraiment trop loin du compte…
Le public de l’Avignon off est réputé indulgent mais il y a des limites! Vincent Dussart est sans doute lucide sur la grande faiblesse du travail qu’il nous a présenté mais pour que ce spectacle puisse s’améliorer, il a encore beaucoup,  beaucoup de pain sur la planche! Il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre et laissons une seconde chance à cette fantomatique forêt qui, pour le moment, n’est pas du bois dont on fait les flûtes. Donc à suivre… et quand nous serons dans la cité des Papes, nous vous en donnerons peut-être des nouvelles.

Philippe du Vignal

Spectacle vu au Mail-Scène culturelle, Soissons (Aisne) le 3 juin.
Du 6 au 26 juillet, Présence Pasteur, 
13 rue du Pont Trouca, Avignon (Vaucluse).

Le 12 octobre, Maison du Théâtre à Amiens (Somme). Le 15 octobre, Le Palace, Montataire et le 22 octobre, La Manekine, Pont-Sainte-Maxence (Oise).

 


La Collection de et par le collectif BPM

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© Anouk-Schneider

La Collection de et par le collectif BPM

 Passés aux oubliettes, les K7 audio, mobylette, téléphone fixe à cadran rotatif ou téléviseur à tube cathodique sont encore bien présents dans les mémoires du trio genevois Catherine Büchi, Léa Pohlhammer et Pierre Misfud. Croisant leurs souvenirs de jeunesse, ils ont voulu sauver de l’oubli ces objets quotidiens devenus obsolètes, en trente minutes chrono pour chacun. Et, tel qu’on connaît ce trio, cette Collection a de fortes chances de s’agrandir au fil du temps avec d’autres items devenus collectors. On connaissait Pierre Misfud pour son inoubliable Conférence de choses imaginée avec Pierre Gremaud de la 2b compagny (voir Le Théâtre du blog). Nous retrouvons ici son inénarrable fantaisie et celle de ses complices.

Il y a ceux eux qui n’ont pas de vélomoteur et qui vont à vélo, se sentant hors du coup tandis que d’autres trônent leur Maxi Much ou leur Ciao… Ça drague, ça court les boîtes de nuit… Les filles cancanent et pouffent quand Robert passe sur sa mobylette. Quant au pauvre cycliste, un type à moto le frôle et renverse sa glace à la pistache… Les petites choses de la vie des adolescents à l’époque. Nostalgique et drôle à la fois.

Le téléphone à cadran rotatif donne lieu à une tissage plus complexe: avec le récit d’une Colombienne (Léa Pohlhammer) échouée à la gare de Genève-Cornavin après de longues conversations téléphoniques avec un amoureux fantôme alternant avec des scènes d’effroi inspirées de Terreur sur la ligne (1979), un film de Fred Walton. Jill (Pierre Misfud), une baby-sitter, seule dans un appartement tout en vitres, est importunée par un inconnu mais quand la sonnerie terrorisante du téléphone retentit  pour la dixième fois sur le plateau, il s’agit cette fois du téléphone blanc celui de Katherine Hepburn (Catherine Büchi) qui, de son appartement luxueux, appelle Gary Grant au secours : une séquence inspirée de L’impossible Monsieur Bébé de Howard Hawks (1938)…

Le trio n’a pas besoin de la présence matérielle des objets en question pour les faire exister. Ils reprennent vie grâce à leur familiarité retrouvée et leur poids sentimental. «Objets, inanimés avez-vous donc une âme/Qui s’attache à notre âme et la force d’aimer?» s’interrogeait Alphonse de Lamartine dans Milly ou la terre natale. Rien n’est plus vrai ici,  avec l’humour en prime.

Nous devons la présence de La Collectionau Musée d’Orsay qui s’ouvre depuis quelque temps au spectacle.à une exposition temporaire: La Modernité suisse.  On y découvre une génération de peintres de la fin du XlX ème siècle: Cuno Amiet, Giovanni et Augusto Giacometti (le père du célèbre Alberto), Félix Vallotton, Ernest Bieler, Max Buri… encore peu connus hors de Suisse… Commande a été passée au collectif BPM pour accompagner cet accrochage. Dans cette performance qu’ils nous offrent en deuxième partie de soirée, ils s’emparent avec drôlerie des personnages de ces tableaux :  la jeune femme de La Sieste de Max Buri se plaint de la pose inconfortable que le peintre lui fait tenir et La Mare de Félix Valotton inspire à Pierre Misfud un lyrisme romantique… Mission accomplie : donner corps à ces oeuvres.

 Mireille Davidovici

Performance vue au Musée d’Orsay le 3 juin, dans le cadre de La Modernité suisse, exposition prolongée jusqu’au 25 juillet. 

Musée d’Orsay, 1 rue de la Légion d’honneur, Paris (VII ème) www.musee-orsay.fr

La Collection du 7 au 27 juillet, festival d’Avignon off, au 11, 11 boulevard Raspail. T. : 04 84 51 20 10. Un spectacle de la Sélection suisse en Avignon

En Suisse: du 23 septembre au 3 octobre, Théâtre Saint-Gervais, Genève ; les 25 et 31 octobre, Le Nebian, Bienne  ; les 2 et 3 décembre, L’Usine à gaz, Nyon ; les 17 et 18 décembre, L’ABC, La Chaux-de-Fonds

Du 9 au 11 février, festival Région(s) en Scène à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme); les 18 et 19 mars, festival des Autofictions, Yverdon-les-Bains (Suisse).

 

 

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