Je te pardonne (Harvey Weinstein) texte, musique et mise en scène de Pierre Notte

 

Je te pardonne (Harvey Weinstein),  texte, musique et mise en scène de Pierre Notte

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© Giovanni Cittadini Cesi

Sur ce grand plateau, autour d’un pianiste travesti en femme (Clément Walker-Viry), trois interprètes dont l’auteur et metteur en scène : «C’est le propre du cabaret, ce (repaire), refuge à catastrophes humaines. Opportuniste, intempestif et putassier», dit-il un rien provocateur comme le sont le titre et le propos de cette pièce. Marie Notte et Pauline Chagne partagent la scène avec lui, oscillant entre personnages qui ont fait l’actualité de Me#too, commentaires désobligeants à l’égard du texte, adresses au public.

Harwey Weinstein lui-même, en tyran déchu au corps déliquescent sous les traits de Pierre Notte,  s’agite face à des justicières comme Christiane Taubira, Elisabeth Badinter ou une femme de chambre du Sofitel de New York accusant un autre prédateur sexuel… L’auteur en profite pour égratigner le roi incestueux de Peau d’âne et les princes charmants des contes autres chevaliers “fervents“, machos patentés. Revenant du même coup à l’actrice qui fut l’héroïne du film éponyme de Jacques Demy, il revisite à la fin, la chanson de Moi aussi je suis Catherine Deneuve, son premier succès théâtral où il faisait déjà le portrait de femmes révoltées. Ici Pierre Notte souhaite présenter une version «améliorée» de son égérie d’antan: «Peut-on lui pardonner d’avoir estimé que le mariage pour tous était superfétatoire, puis d’avoir revendiqué le droit à être importunée ?»

Et peut-on pardonner aux Harvey Weinstein, Roman Polanski, Gabriel Matzneff et autres objets de la vindicte médiatique? Les acteurs demandent au public de se prononcer. Ce qu’il fera.. timidement. Dans cette pièce au titre ambigu, voire racoleur -mais son auteur l’assume pleinement- on retrouve l’humour particulier de Pierre Notte et ses chansons aux paroles astucieusement explicites où les voix des interprètes s’entrelacent dans un joli tissage lumineux, sous les poursuites et douches des projecteurs…

Qu’il joue Harvey Weinstein se métamorphosant en femme au fil du spectacle ou le Roi de Peau d’âne ou encore seulement lui-même, l’auteur-comédien a affaire à forte partie avec ses partenaires féminines et son travelo de pianiste qui sont à l’affut du moindre dérapage de langage…

Mais il ne faut pas chercher trop de sérieux dans cette joyeuse mise en boîte de notre époque. «Nous voulons nous amuser, chanter encore nos catastrophes et nos ridicules, partir faire des claquettes dans les champs minés aux alentours d’Alep, dit Pierre Notte, le tragique est alors plus tolérable. » Ce spectacle donnera sans doute lieu à des polémiques! Culs serrés s’abstenir…

Mireille Davidovici

Jusqu’au 26 juin, Théâtre du Rond-Point, 2 bis avenue Franklin D. Roosevelt, Paris (VIII ème). T. : 01 44 95 98 21. www.theatredurondpoint.fr

 


Archive pour juin, 2021

Un homme de plus, texte, mise en scène et interprétation de Louis Mallié

Un Homme de plus, texte, mise en scène et interprétation de Louis Mallié

Un soldat a capturé un homme responsable de la mort de ses compagnons de section. Mais seul dans un désert, il en arrive à voir cet ennemi presque comme un frère d’armes, une sorte de double qu’il hésitera finalement à tuer. Louis Mallié parle beaucoup de combat, tortures, service de la nation et se demande ce que signifie: être en guerre et vouloir torturer et/ou tuer quelqu’un d’autre? «Quels sont les mensonges qui font d’un homme « banal », un tortionnaire ? (…)  Après tout, un homme de plus, ou un homme de moins : quelle différence? » (…) « Toute votre civilisation est un plateau en or tenu en l’air par des cadavres! Si vous ne tuiez pas, comment vivriez-vous? Aie au moins la décence, l’humilité, l’honnêteté intellectuelle d’admettre que toute civilisation est une guerre contre le vivant. De fait, tuer cet homme, c’est la civilisation. Tuer cet homme, c’est la grandeur de l’humanité. »

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Sur le plateau nu, une chaise, les vêtements civils qu’il enlève au début et qu’il remettra à la fin pour retourner à sa vie de musicien. Après avoir enfilé entre temps, un treillis militaire… Le texte a, par moments, mais par moments seulement, quelques fulgurances mais ce jeune auteur de vingt-neuf ans qui dit avoir lu Hanna Arendt, parle de la guerre sans l’avoir faite: heureusement pour lui. Mais désolé, cela se sent. Il y a déjà une soixantaine d’années, de très jeunes «appelés du contingent» pour faire le service militaire, partaient en fait pour l’Algérie et ne revenaient pas toujours de cette guerre coloniale qui ne disait pas son nom. Les politiques   la nommaient alors hyprocritement:  maintien de l’ordre, c’est à dire élimination sans état d’âme pour garder l’Algérie Française des indépendantistes. Ainsi en témoigne dans un livre qui sera bientôt publié post-mortem, J. C., un jeune officier sorti de Saint-Cyrde vingt-trois ans seulement! que ses supérieurs avaient chargé comme le personnage de ce monologue, de commander une section. Il raconte la réalité d’un terrain qu’il ne connaissait pas du tout quand il lui fallait protéger ses hommes et en même temps, anticiper sur les tirs d’en face. Et ce témoignage, recueilli longtemps après, fait froid dans le dos… Bien entendu, il n’est pas nécessaire d’avoir participé à une guerre pour en parler mais difficile d’entrer dans ce texte un peu sec et qui a un côté universitaire malgré les bonnes intentions de l’auteur à qui on pardonnera le charabia de sa note d’intentions (sic): «Je souhaitais créer une scène immersive, portée par la pluridisciplinarité artistique. » Tous  aux abris! Louis Mallié a heureusement pour lui une très bonne diction. Oui, mais… il n’est ni acteur ni mime! Et cela se voit. Il aurait fallu qu’il soit dirigé par un metteur en scène et non par lui-même. Ce qui nous aurait sans doute épargné un ton souvent monocorde, des criailleries et une gestuelle très approximative… Autrement dit, il y a encore du travail. A suivre…

Philippe du Vignal

Jusqu’au 26 juin, La Manufacture des Abbesses, 7 rue Véron, Paris (XVIII ème).

Adieu Romain Bouteille

Adieu Romain Bouteille

©x Romain Bouteille en 1976

©x R. B. en 1976

Il s’est éteint à 84 ans après une vie bien remplie d’acteur, écrivain et directeur de salle. Il avait cofondé en  1969 avec Michel Colucchi dit Coluche, Miou-Miou et Patrick Dewaere le devenu célèbre Café de la Gare. Il était selon lui le «premier et dernier théâtre en anarchie réelle» qu’ils avaient  installé dans un ancienne fabrique de ventilateurs impasse d’Odessa à Montparnasse. Nous y allions souvent dans ces années-là où Romain Bouteille avait accueilli de sombres inconnus à l’époque armés d’une foi solide pour se lancer dans cette folle équipée: donc Coluche qui y montait des spectacles mais aussi Miou-Miou, Patrick Dewaere et plus tard, Renaud, Anémone, Josiane Balasko, Michel Blanc… Puis  en 1972, ils s’en iront dans un espace plus grand, rue du Temple dans le Marais.

Romain Bouteille était l’auteur de nombreux sketchs et pièces comme; entre autres et dès 1971, Robin des quoi ? Suivront  La Manœuvre dilatoire  deux ans plus tard. Puis Les Semelles de la nuit, Une Pitoyable mascarade, La Dame au slip rouge, Je m’appelle Harry Dave, etc. Le plus souvent des solos qu’il interprétait lui-même au café de la Gare ou dans d’autres petits théâtres parisiens. Jusqu’en 2002 avec Misère intellectuelle. Il avait aussi joué dans les films de Jacques Demy, Louis Malle,  Michel Audiard, Jules Dassin… et dans de nombreuses séries pour la télévision comme Les Raisins verts de Jean-Christophe Averty et Les Saintes chéries de Jean Becker.

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©x Coluche

 

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©x Miou-Miou

Il y a quelque vingt ans, il quitta le Café de la gare pour s’installer à Etampes où il créa, avec Sandra Churchill, son épouse, un petit théâtre Les Grands Solistes. Homme aussi discret que talentueux, il aura marqué avec sa bande de copains devenus acteurs, l’histoire du théâtre comique français dans la seconde partie du XX ème siècle. C’était sans doute une autre époque  dont les élèves actuels des écoles de théâtre parlent souvent avec envie… Et nous serions heureux qu’il y ait maintenant un second Romain Bouteille qui œuvre dans le comique: à part des solos, c’est un produit devenu rare sur les scènes françaises… Allez, en guise d’oraison, offrons à Romain Bouteille ces quelques vers d’Henri V de  Shakespeare dont il avait joué une pièce. « Et la Saint-Crépin ne reviendra jamais d’aujourd’hui jusqu’à la fin du monde, sans qu’on se souvienne de nous, de notre petite bande, de notre heureuse petite bande. »

Philippe du Vignal

Année blanche/avenir noir?

Année blanche/ avenir noir?

Le dispositif  « année blanche » pour aider les quelque 120.000 intermittents du spectacle touchés par la pandémie a été prolongé de quatre mois jusqu’au 1er janvier 2022. Mais ils le voient comme une mesurette. La C.G.T. avait demandé une année supplémentaire mais Jean Castex a tranché.  Et tant pis pour ceux qui aborderont l’année 2.022 dans la brume la plus totale: la reprise se fera sans aucun doute mais très progressivement…

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Le comédien Samuel Churin, connu  pour son action efficace au sein de la Coordination des Intermittents et Précaires, est très clair: « Les conseillers d’Elisabeth Borne, la  Ministre du Travail, ont repris les calculs de ceux qui les ont précédés sous le règne de Muriel Pénicaud et la Ministre a fini par admettre mais difficilement que la réforme de l’indemnisation du chômage avait été mal mise en musique… Et  elle en a repoussé l’application. Nous n’entrerons pas dans les détails assez techniques mais le résultat est du genre catastrophique: plus de 800.000 demandeurs d’emploi devaient « bénéficier » d’une allocation… amputée d’un tiers. Mais la C.G.T. a eu l’excellente idée de faire appel au service juridique de l’U.N.E.D.I.C. dont le rôle est de gérer les indemnités-chômage! Avis sans appel de cette association chargée par délégation de service public de la gestion de l’assurance-chômage en coopération avec Pôle-Emploi.  Dirigée par les partenaires sociaux signataires des accords prévus à l’article L. 5422-20 du code du travail.  L’assurance-chômage est financée par le reversement des employeurs des cotisations sur le salaire; pour l’employeur, c’est l’ancienne partie brute du salaire au début du régime d’assurance U.N.E.D.I.C. en 1958, transformée progressivement depuis des dizaines d’années, par un  artifice comptable, en cotisation employeur dite: « charges patronales et cotisations salariales donc par un impôt via une fraction de la C.S.G. payée par le salarié. Mais, en novembre dernier  le Conseil d’État, a annulé deux dispositions de cette réforme: les modalités de calcul de l’allocation et l’instauration d’un bonus-malus sur la cotisation chômage de certaines entreprises. »

Motif:“différence de traitement manifestement disproportionnée au regard du motif d’intérêt général poursuivi”. Bingo! Le décret préparé par Elisabeth Borne serait donc retoqué s’il ne correspond pas à la réglementation du Code du Travail. Donc la Ministre a encore du pain sur la planche si elle veut que l’application de ce décret soit effective au 1er juillet, sous peine de voir les syndicats saisir à nouveau le Conseil d’Etat. Et, comme le fait remarquer Samuel Churin:  » Pour faire bref, il y a eu, dit-il, une immense arnaque et une erreur de calcul: les services du Ministère du Travail ont confondu  des pourcentages et, comme c’était prévu au 1er juillet, le changement du mode de calcul ferait baisser les droits d’allocations mensuelles jusqu’à 40% pour plus d’un million de personnes et il y aurait durcissement du seuil d’accès passant de quatre à six mois de travail. Ce qui qui concernerait  environ 500.000 personnes, en majorité des jeunes… Chapeau l’artiste!

« Pour l’U.N.E.D.I.C., 2,8 millions de personnes ouvriront un droit à l’allocation chômage entre juillet 2021 et juin 2022. Le nouveau mode de calcul entraînerait une baisse de l’allocation journalière de 17% en moyenne la première année pour plus d’un million d’allocataires qui percevraient alors une indemnisation moins élevée. Et 23% seulement une indemnisation supérieure.  Pour les chômeurs demandeurs d’emploi après plusieurs C.D.D.  ou un intérim, la réforme leur serait moins favorable. Comme dans la restauration, les services ou l’hôtellerie où alternent souvent contrats courts et chômage qui serait pris en compte pour le calcul de l’indemnisation. Les intermittents du spectacle sont en C.D.D. et quand ils ne perçoivent pas de salaire, sont indemnisés.  A côté de cela, il y a aussi une autre catégorie d’intermittents qui ne le sont pas (environ un million) comme les guides-conférenciers ou les maîtres d’hôtel, le personnel de restauration dans le cinéma qui sont de facto intermittents du spectacle, s’il est payé par la production mais pas, s’ils sont rémunérés par une boîte extérieure. Nous ne voulons pas de cette la réforme de l’assurance-chômage qui génère 1,5 milliard d’économie par an sur le dos de ces intermittents. C’est la démolition de tout ce qui avait été institué par le Conseil National de la Résistance. »

« Quant à la fermeture des  théâtres et cinémas, musées, structures culturelles, le Gouvernement, poursuit Samuel Churin, était en pleine contradiction, puisque les lieux de culte, la salle Drouot, etc. -et longtemps les grandes surfaces- sont restés ouverts. Cette décision était donc purement politique! Puisqu’il fallait diminuer la fréquentation, le Gouvernement a choisi de privilégier le marché, et non le domaine artistique. »

A Paris l’Odéon était occupé par roulement de nombreux intermittents, Stéphane Braunschweig a dû annuler la première de la reprise de La Ménagerie de verre de Tennessee Williams dans la mise en scène d’Ivo van Hove avec Isabelle Huppert dont les représentations avaient été arrêtées l’an passé à cause du confinement. Samuel Churin avait pourtant assuré que cette occupation n’était en rien incompatible avec une reprise… Mais ce genre de situation  est difficile à contrôler sur plusieurs mois, même si la C.G.T. , très influente dans le monde du spectacle, reste déterminée à poursuivre les occupations.

 

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Les intermittents ont dû quitter l’ Odéon et émigrer au Cent-Quatre (XIX ème). Et au Théâtre de la Colline, sur ordre de la Direction, la réduction du nombre d’occupants a été drastique. En tout cas, le festival in d’Avignon -comme le off mais dans une moindre mesure- deviendra très vite, comme d’habitude en ce cas, une formidable caisse de résonance pour les syndicats. Avis aux ministres et politiques de tout bord qui viendront comme chaque année, y faire leur petit tour. La Culture, quel que soit le domaine: cinéma, édition, presse papier et numérique (15 %), spectacles (15 %), concerts, musique enregistrée, audio-visuel (25%) , monuments, musées (10%) -cela a été dit et répété depuis une bonne vingtaine d’années- représente une surface économique essentielle d’environ cinquante milliards d’euros. Les musées publics comme privés sont de plus en plus fréquentés, quelle que soit leur orientation et au Louvre,  il y a plus de dix millions de visites par an! Cela veut dire en termes concrets: plus de 2 % du P.I.B. et 2,5 % de la population active: soit quelque 700.000 emplois, permanents ou non dans les lieux culturels et les très nombreux festivals de théâtre, musique, danse, cirque… de l’été et de l’automne en France.

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©x La Cour d’Honneur du Palais des papes

La réouverture de ces lieux, encore timide, est là. A Bordeaux, le festival Trente/Trente aura bien lieu en juin. A Paris, le Théâtre de la Ville à Paris a organisé une réouverture du lever au coucher du soleil et reprend Six personnages en quête d’auteur (voir Le Théâtre du Blog) avec une jauge réduite et pour une durée limitée de représentations.

Doucement mais sûrement on voit donc la grosse machine qu’est la Culture,  se remettre en marche malgré de nombreux à-coups et un futur assez sombre. Et cela tombe mal: mai-juin n’a jamais été vraiment une époque de création sauf  en vue des festivals de l’été.  Et pour ouvrir un lieu dans des conditions correctes, pas besoin de calculette! Les grands théâtres officiels restent largement subventionnés mais dans les petites salles comme pour les compagnies, la situation à terme reste préoccupante. La fausse annonce de réouverture maladroitement annoncée par le gouvernement à la fin de l’an passé a en effet échaudé plus d’un directeur.

Et tous les professionnels le savent bien: réouvrir une salle sans garantie de public coûte plus cher que de la laisse fermée.  Et pour le moment  jusqu’au 9 juin, le compte n’y est pas: couvre-feu fixé à 21 h, donc pas de spectacle long, jauge limitée au tiers: soit deux places vides entre chaque couple ou petit groupe. Et, quel que soit le nombre de billets vendus, le déficit restera lui garanti. Nombre de grands théâtres comme entre autres Chaillot, la Comédie-Française dont miss Bachelot a exigé, vite fait, la réouverture, financent leurs salaires avec environ 30 % de recettes propres, ce qui n’est pas rien.

Quant aux nombreuses petites salles comme La Manufacture des Abbesses (XVIIIème), elles ont été aidées, comme le reconnait sa directrice Sophie Vonlanthen, par le Fonds de solidarité pour les entreprises et le Fond d’urgence pour le spectacle vivant. Mais sur le plan économique, comment gérer des créations avec une jauge à 35 %? « Nous tenons bon, dit-elle, et nous créons à 19 h Un Homme de plus dont Louis Mallié est l’auteur et l’interprète, jusqu’au 26 juin. Puis nous irons à Avignon off avec Les Témoins de Yann Reuzeau créée en 2019, une pièce qui a pour thème, la vie d’une rédaction d’un journal  confrontée à l’arrivée au pouvoir de l’extrême-droite. Le spectacle sera  repris à Paris en septembre. Comme il y a deux coproducteurs, les risques sont partagés. »

Signe révélateur de ce retour encore assez bancal: on annonce quelque six cent spectacles de moins dans le off à Avignon… Mais une question reste tabou: le public de théâtre, en général pas très jeune, sauf aux festivals d’Aurillac et Chalon, montrera-t-il la même envie, que ce soit à Paris ou à Avignon, de se retrouver dans des salles « mitées » et aura-t-il la garantie d’une désinfection radicale entre deux représentations? Manifestement, les cartes ont été rebattues et le seront de nouveau à la rentrée de septembre: il y a eu un avant-covid et il y aura un après-covid dans toutes les disciplines du spectacle, avec d’autres règles et d’autres paramètres de représentation. Et faudra bien faire avec… Mais, comme l’a dit Jean-Marc Dumontet, directeur entre autres du Théâtre Antoine et de Bobino: «L’absence de perspective est très anesthésiante. »
Mais bon, la retraite par points ne sera sûrement pas appliquée en l’état si elle l’est un jour. Et on entend peu Elisabeth Borne… Le petit Macron sait bien qu’il ne faut pas jouer avec le feu à un an des élections présidentielles, et feu, il y aurait vite fait. Au moins la révolte de Gilets Jaunes n’aura pas été sans suite. « Souviens-toi de te méfier  » disait déjà le philosophe grec Epicharme…

Philippe du Vignal

Entropie, chorégraphie de Léo Lerus, musique de Gilbert Nouno et Léo Lérus

Entropie, chorégraphie de Léo Lerus, musique de Gilbert Nouno et Léo Lérus

© J. Couturier

© J. Couturier

Une création de cinquante-cinq minutes avec une parfaite communion de la danse de la musique et de la lumière. Sur le plateau nu de la salle Gémier, Léo Lérus est entouré de trois danseurs, Ndoho Ange, Maeva Berthelot et Shamel Pitts. Il a dansé pour Wayne McGregor, la Batsheva Dance company et la LEV Dance company, des troupes à la «physicalité» réputée.

La musique vient peu à peu envahir le corps des artistes, d’abord à un rythme très lent puis associée à des fulgurants mouvements asynchrones. Le gwoka est un genre musical né en Guadeloupe dont la base rythmique est le tambour. Lors des «léwoz», des rassemblements populaires nocturnes, le public forme un cercle avec, en son centre, des danseurs qui font irruption et donnent vie à cette musique.

Nous en découvrons ici un équivalent et l’énergie comme l’engagement des quatre  interprètes est impressionnante, qu’ils soient en solo, en duo, en groupe. Ils sont aussi parfois spectateurs les uns des autres. Le rythme accompagné de constantes variations lumineuses jusqu’à l’obscurité renforce l’aspect rituel et intime de cette chorégraphie. A découvrir…

Jean Couturier

Spectacle joué à Chaillot-Théâtre national de la Danse, 1 place du Trocadéro, Paris ( XVI ème) les 27 et 28 mai. T. : 01 53 65 31 00, les 27 et 28 mai. theatre-chaillot.fr/fr/saison-2020-2021/entropie
Reprise au Carreau du Temple, Paris au festival June Events. www.atelierdeparis.org/junevents/

 

 

Didę, chorégraphie de Marcel Gbeffa, mise en scène de Sarah Trouche

Didę, chorégraphie de Marcel Gbeffa, mise en scène de Sarah Trouche

«Didę» : Debout, lève-toi en fon et yoruba, les langues parlées au Bénin et au Nigéria. Interprétée par cinq artistes béninois issus de la danse traditionnelle, urbaine ou contemporaine, la pièce s’inspire du gèlèdé, une cérémonie réservée aux hommes qui, masqués, se fondent avec une divinité féminine. Mais Didę s’éloigne de son modèle originel pour devenir une performance où l’univers de l’artiste Sarah Trouche se confronte à la culture africaine.

DIDE (Sarah Trouche, Marcel Gbeffa 2020)

© Patrick Berger

« On ne peut pas travailler au Bénin sans prendre en compte la pratique du vaudou, dit-elle. Je me suis rapprochée de la divinité Aido waido qui m’a amenée jusqu’aux cérémonies gèlèdé où les hommes rendent hommage à cette déesse mère. »

Marcel Gbeffa, directeur artistique du Centre chorégraphique Multicorps à Cotonou s’est joint à elle pour construire un parcours initiatique où chaque danseur compose un personnage face à d’immenses masques d’acajou: des têtes surmontées de tentacules serpentines. Peu à peu, les figures mystérieuses de Sarah Trouche, portées solennellement par les danseurs, vont envahir le plateau. «Les interprètes esquissent une statuaire en marche, dit la sculptrice. J’ai eu la sensation d’un musée en déplacement, pèlerinage ou exode… » 

En ouverture, elle invite quelques spectateurs à une déambulation silencieuse autour du plateau, avant qu’Orphée Georgah Ahéhéhinnou, Didier Djéléhoundé, Arouna Soundjata Guindo, André Atangana, Bonaventure Sossou et Marcel Gbeffa ne leur emboîtent le pas. Au fur et à mesure de la danse, leur gestuelle évolue : d’abord virils et conquérants, ils vont adoucir leurs mouvements, traversés par l’énergie d’une trentaine de masques tutélaires féminins qui finiront par les apprivoiser.

 La musique de Viktor Benev alterne nappes sonores monochromes et percussions, accompagnant la mutation des corps masculins vers un état plus serein. L’alliance des pratiques contemporaines et traditionnelles, la rencontre entre artistes européens et africains trouve ici une juste expression.

Mireille Davidovici

Spectacle vu le 29 mai à l’Atelier de Paris dans le cadre de June Events, à la Cartoucherie de Vincennes, route du Champ de manœuvre. Métro: Château de Vincennes et navette gratuite. T. :  01 41 7417 07.
info@atelierdeparis.org
June Events 2021 continue jusqu’au 5 juin au Carreau du Temple.

 

 

Jaana Felicitas : portrait d’une magicienne

Jaana Felicitas : portrait d’une magicienne

Cette interprète de danse contemporaine a été longtemps l’assistante de Topas, le célèbre illusionniste allemand. En voyageant à travers le monde et en voyant des spectacles de magie, elle est tombée de plus en plus amoureuse de cet art et a commencé à faire des tours de close-up. Par la suite, elle a créé un numéro : La Chaise volante… qui flotte dans les airs. Cette artiste travaille contre les lois de la physique et cette simple chaise en la suivant dans chacun de ses mouvements prend alors vie. Jaana Felicitas peut aussi produire de la glace à mains nues… Aujourd’hui, elle se consacre entièrement à la magie. «Quand j’ai dit à Topas que je voulais maintenant en faire en solo, il m’a tout de suite soutenu et je lui serai toujours très reconnaissante de m’avoir aidé à devenir une artiste à part entière. J’ai ensuite gagné ma première compétition aux Pays-Bas en 2019 où j’étais allée avec Nikolai Striebel, un ami manipulateur de Stuttgart. Depuis, nous travaillons ensemble et nous nous entraidons pour réaliser de nouveaux numéros. La communauté magique de Stuttgart est ouverte et créative. J’ai donc beaucoup de chance d’en faire partie et il y a de nombreux collègues formidables à qui je peux demander de l’aide. »

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Depuis, Jaana Felicitas fait de la magie de scène combinée à la danse et se produit en Allemagne et en Europe dans des festivals, concours mais aussi des théâtres. «J’aime surtout le travail de Miguel Munoz et celui d’Etienne Saglio et Raphaël Navarro: bien sûr, cela me parle, parce qu’il y a beaucoup de danse dans leurs créations. J’aime par-dessus tout le mouvement dans la magie mais pour être honnête, je l’aime surtout comme forme d’art et me sens donc attirée par les numéros musicaux. Je peux donc profiter aussi bien d’une routine de close-up, que d’un effet de mentalisme bluffant.

Elle reconnaît venir d’un monde différent, celui de la danse contemporaine et a été fortement influencée par Pina Bausch, la célèbre chorégraphe allemande de Wuppertal disparue il y déjà onze ans. Mais aussi, et entre autres, par des icônes de la danse pop comme Michael Jackson. Quel conseil donerait-elle à un débutant? «Je pense qu’il est très utile de fréquenter la communauté de la magie et les réseaux sociaux. Et de travailler avec des personnes qui peuvent vous conseiller sur la façon de vous développer dans le monde du spectacle. »

Jaana Felicitas a l’impression qu’il y a quelque chose de nouveau à explorer chaque jour et adore les différents styles et idées qui émergent. «Internet  a été  de plus en plus important ces dernières années et il semble que cela a presque créé un nouveau genre de magie. Et que, parfois les idées sur de nouveaux numéros viennent d’autres domaines de ma vie. La culture qui m’entoure est celle qui m’inspire le plus. L’art est aussi souvent une réflexion sur une réalité très subjective et personnelle. A part cela, j’aime l’escalade et la randonnée: elles se marient parfaitement…


Sébastien Bazou

Interview réalisée le 20 mai.

 https://jaanafelicitas-magic.com/

 

 

 

L’Acteur du Nord, de Mohamed el Khatib et Jacques Bonnaffé

L’Acteur du Nord, de Mohamed el Khatib et Jacques Bonnaffé

On prenait son billet au théâtre pour aller voir Phèdre de Racine avec la Berma. Mais cet avec ne saurait faire de l’acteur un ornement, un «plus», l’exécutant d’un théâtre mental qui existerait avant lui et auquel il est prié de prêter son corps. L’image dont le spectateur se souviendra est faite de ce corps-là, de toute sa vie. Soyons simples : nous n’allons pas voir L’Acteur du Nord  « avec » Jacques Bonnaffé, mais créant devant nous L’Acteur du Nord. Et ce serait vrai, même s’il l’avait joué trois cent fois.

Mohamed el Khatib travaille sur la limite du théâtre, sur le la zone de contact intime entre la personne de l’acteur et ce qu’il fait sur scène. Il cherche le court-circuit qui, nécessairement, lâche une puissante étincelle: comment la vérité de l’acteur, son vécu fait « théâtre“ pour un public, paradoxalement d’autant plus qu’il travaille sur ce qui lui est personnel et unique.

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Pour ces Portraits, il a choisi un dispositif simple et ludique. Il expose d’abord au public le fonctionnement et les consignes du jeu: l’acteur recevra en temps réel une enveloppe contenant le texte qu’il va donc découvrir et qu’il lira directement au public, à cru, à chaud, comme on voudra. Il a droit à trois digressions, pas une de plus. Alors l’acteur-l’actrice peut entrer en scène et jouer le jeu, ou pas.

L’auteur veille au grain, comme en tout cas il l’a fait l’autre soir, remettant Jacques Bonnaffé sur les rails d’une consigne qu’il avait largement outrepassée. Mohamed el Khatib a choisi des acteurs connus du public : Eric Elmosnino, l’Acteur fragile, Nathalie Baye, avec qui il a déjà mené des lectures et Benoît Poelvoorde. Cette notoriété ajoute une nouvelle dimension à la réception du « portrait ». Le comédien n’arrivera donc pas sur un terrain vierge mais s’inscrira sur la représentation que, déjà, le spectateur se fait de l’acteur ou de l’actrice.

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Dispositif compliqué? Avec Jacques Bonnaffé, parler de l’acteur du Nord est de l’ordre du pléonasme, tant on le reconnaît dans Paris-Nord, Cafougnette ou les poèmes de Jean-Pierre Verheggen, repères dans son immense carrière. L’improvisateur virtuose, doté d’un solide humour et d’un inextinguible amour des mots, pilier poétique de France-Culture, n’a pas peur de l’exercice et nous ravit.

Attendons les prochains portraits en direct et les délices de l’acteur en péril. C’est à dire en pleine création, que le public reçoit, ressent, incorpore. Et l’on comprend -un peu- comment, pourquoi, le théâtre stimule la pensée. Plus qu’une affaire de contenus à transmettre, c’est organique.

Paradis,texte et mise en scène de Sonia Chiambretto, en collaboration avec Yoann Thommerel

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Cette pièce a plusieurs points de rencontre, avec l’Acteur du Nord. D’abord, la poésie, avec sa puissance politique, y occupe une place centrale et Sonia Chiambretto, comme Mohamed el Khatib, travaille sur un théâtre du réel, documentaire et politique où elle se met directement en jeu. Le tout encadré par un dispositif rigoureux. Pour autant, ces spectacles ne vont pas sur la même voie et n’engagent pas de la même façon les acteurs et le public. Présente sur scène au pupitre, côté jardin, l’auteure est la narratrice d’un fait réel dont elle a été témoin et qui a donné naissance à l’écriture de Paradis.

Au festival des Correspondances à Manosque, la ville est pleine d’estrades et micros, d’autrices et auteurs, de pots, d’échanges. Et pourtant, pas un micro ne s’ouvre à un jeune Syrien venu transmettre le message de son frère poète, message relayé au Moyen-Orient par des milliers d’internautes mais ignoré poliment dans notre pays. Voilà un fait réel, politique et qui renvoie d’un coup la «littérature» à ses fantômes évanescents. Et pourtant, de cette rencontre, que peut faire une autrice, sinon écrire? Transmettre, faire passer la poésie du «Che Guevara de l’Orient» devenu le «Che Guevara de l’Internet.» Traduire, d’une langue qu’elle ne connaît pas avec Google pour seul outil et avec ce que cela donne de râpeux et d’étrange. Ada Harb et Rami Rkab, arabophones, viennent au secours de ce dialogue impossible avec leur propre histoire d’exilés mais la langue traduite reste comme étrangère.

Il y a beaucoup de récits adressés au public et Sonia Chiambretto matrice de ce qui se passe sur le plateau, occupe la position «innocente» de la narratrice. Le jeu est ici réduit au minimum : même Marcial Di Fonzo Bo et Pierre Maillet en témoins de Jéhovah -métonymie de l’Europe chrétienne ?- s’en tiennent à des figures à deux dimensions. Modestie voulue face à l’ampleur des faits et des questions posées? Toute la vie du spectacle se concentre sur l’écran où apparaît un enfant, dialoguant avec ces fantoches mais plus présent qu’eux et où surtout s’impose finalement la figure et le chant du poète. Ainsi, d’écho en écho, nous revenons à la source qu’il a fait résonner chez Sonia Chiambretto.

La boucle est bouclée, selon un cheminement juste et logique. Il ne manque aucun élément d’information ni aucune étape du processus. L’émotion même a sa place dans les récits de ces déboutés du droit d’asile qui finissent tous par:«Excusez-moi». Et pourtant, nous sommes en manque de théâtre, là, ici et maintenant. Dommage, même si c’est fait exprès. Mais on n’invente pas facilement un geste théâtral aussi fort que celui du poète s’emparant du prêche du vendredi, pour appeler au soulèvement.

Christine Friedel

Spectacles vus à Théâtre Ouvert, 159 avenue Gambetta Paris (XX ème). T. : 01 42 55 74 40. Réservations: 01 42 55 55 50.
Prochainement à la Comédie de Caen (Calvados).

 

 

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