En attendant les barbares d’après J. M. Coetzee, adaptation et mise en scène de Camille Bernon et Simon Bourgade
En attendant les barbares d’après J. M. Coetzee, adaptation et mise en scène de Camille Bernon et Simon Bourgade
L’auteur sud-africain (81 ans), auteur d’une œuvre importante, avait publié ce roman où on retrouve ses thèmes essentiels pour lui: engagement anti-apartheid et dénonciation du colonialisme, toute puissance de l’appareil d’Etat où les hauts fonctionnaires aux ordres et/ou humiliés, forcés d’obéir et broyés par la mécanique institutionnelle et où l’intimité des individus n’existe plus.
Ou comment grâce à un système politique très bien construit, l’Etat peut arriver à prendre en étau le destin de milliers de femmes et d’hommes… Pas loin d’un univers kafkaïen où les individus voient leur vie basculer pour les motifs les plus obscurs. Avec au programme, désillusion, torture morale et/ou physique, déchéance mentale… Dans ce roman (1980), J.M. Cotzee dénonce bien entendu la dictature qui sévissait dans son pays (sans jamais le citer) mais aussi le phénomène souvent sournois de la colonisation comme la France l’a pratiquée en Afrique du Nord mais aussi sur tout le continent africain, selon différentes modalités. Avec, en toile de fond, l’impossible fusion entre les cultures de communautés dont l’une veut s’imposer de façon sournoise ou très autoritaire à l’autre… Avec toujours aussi quelques exceptions, comme pour mieux justifier une certaine bonne volonté de l’Etat dominateur. Ici, un magistrat dans sur un zone désertique représente l’ «Empire ». Nous sentons tout de suite qu’il est écartelé entre le Pouvoir dont il est le haut représentant -il doit obéir aux ordres venus d’en haut, et sa vie personnelle! Il est en conflit avec un membre de la police politique venu en inspection sur ce territoire perdu qui fait penser au Désert des Tartares du célèbre roman de Dino Buzzati.
Il a en effet recueilli chez lui une jeune prisonnière d’une tribu nomade (qui mendiait dans la ville ce qui est strictement interdit) dont il est visiblement amoureux. Il va la soigner après les coups qu’elle a subis… Et il tentera de la ramener chez les siens : une très grave faute selon l’Officier et qui va lui coûter cher. Il sera incarcéré et maltraité avant d’être finalement gracié et libéré. On peut comprendre que ce roman vingt ans après sa parution témoigne d’une réalité socio-politique restée très actuelle et qu’il ait pu séduire de jeunes metteurs en scène: il y a là un vrai scénario et les dialogues ciselés sont écrits avec une grande économie de mots mais parfois teinté d’humour.
Mais voilà, ici la dramaturgie est, disons, très laborieuse et l’excellent Didier Sandre, pratiquement tout le temps en scène, doit se livrer à un monologue sans fin. Il y a heureusement aussi quelques scènes avec l’officier de police politique (le non moins excellent Stéphane Varupenne). Et quelques moments avec Suliane Brahim. L’ensemble, à cause d’une médiocre direction d’acteurs et d’une mise en scène cahotante et sans beaucoup de rythme, manque singulièrement de solidité. Ce qui devrait être dur et tragique reste, à part quelques rares moments, d’une sécheresse où ne perce guère d’émotion. La faute aussi à cette mise en scène affligée d’images vidéo en très gros plan des visages des personnages et recouvrant le jeu des acteurs qui tiennent la caméra… Un des pires stéréotypes du théâtre contemporain. Tous aux abris! Et pourtant Camille Bernon et Simon Bourgade sortent du Conservatoire national. Que leur y a-t-on appris? Il y a aussi une scénographie bien réalisée mais un peu encombrante et hyperréaliste avec un escalier menant à la petite chambre de l’Administrateur.
Et comment croire une seconde à cette marche sous la neige qui tombe ? Eric Ruf a raison de faire appel à de de jeunes metteurs en scène comme Camille Bernon et Simon Bourgade, ou Léna Bréban qui prépare pour la rentrée un Sans Famille d’après Hector Malot. Mais encore une fois un dramaturge de la Maison de Molière -ou pas- aurait dû cornaquer cette adaptation qui n’a pas du tout la densité et la force du roman de J.M. Coetzee ! Il y a eu dans cette entreprise, un chaînon manquant! Dommage…
Et ces deux heures et quelque où la mise en scène fait du surplace, sont bien longuettes, même avec d’aussi formidables acteurs dans les rôles principaux. Il faudrait aussi qu’un jour cesse cette course à l’adaptation de romans au théâtre, comme si c’était la panacée…
Philippe du Vignal
Comédie-Française, Théâtre du Vieux-Colombier, rue du Vieux-Colombier, Paris (VI ème), jusqu’au 3 juillet.