Incendios de Wajdi Mouawad, mise en scène de Victor de Oliveira

Incendios de Wajdi Mouawad, mise en scène de Victor de Oliveira (en portugais surtitré en français)

incendios crédit Mauro Vombe

© Mauro Vombe

 Du 22 juin au 2 juillet, Les Récréâtrales-Ouagadougou se sont invitées au Grand T et au TU- Nantes, dans le cadre de la saison Africa 2020. Dans cette ville qui consacre une part de son château-musée à l’histoire de l’esclavage,  la présence de ce festival Burkinabé axé sur̀ la création en Afrique contribue à affirmer la qualité des productions théâtrales sur ce continent, loin d’une vison folkloriste que beaucoup ont encore.

« Comment éviter de tomber dans la condescendance, le sensationnalisme, la folklorisation ? Comment être à l’endroit où l’Afrique se voit et se vit Comment, surtout, être à la hauteur des potentialités de ce continent immense où se joue aujourd’hui « le basculement du monde  ? »,  s’interroge Catherine Blondeau directrice du Grand-T. Pour y répondre, elle présente non seulement des spectacles mais a programmé une série de lectures visant à faire connaître le nouvelles écritures dramatiques africaines, bien souvent ignorées des éditeurs et des metteurs en scène.

 Après ce focus lié à la saison Africa 2020, elle poursuit une collaboration avec des compagnies africaines : «  Pour Le Grand T, dit-elle, l’édition nantaise des Récréâtrales marque le point de départ d’une coopération sur trois ans. Une formation aux métiers de la régie technique à l’attention de jeunes techniciens burkinabè, mozambicains et maliens, commencera en juin 2021 à Nantes pour se poursuivre en novembre 2021 à Maputo et en octobre 2022 à Ouagadougou, à l’occasion des prochaines éditions des festivals burkinabè et mozambicain.  » La directrice ne s’est pas contentée du répertoire francophone. Elle a élargi son exploration au Mozambique et présente trois spectacle lusophones , avec la promesse d’inviter la prochaine mise en scène de Victor de Oliveira une adaptation des Sables de l’Empereur, du grand romancier mozambicain Mia Couto (Éditons Métailié).

 «Incendies, pourtant traduit en portugais par Manuela Torres, n’a jamais été joué au Portugal, pas plus que les autres pièces de Wajdi Mouawad », dit Victor de Oliveira. L’acteur et metteur en scène franco-mozambicain est un familier de l’œuvre de l’ auteur québéco-libanais. Il a joué dans ses pièces dont récemment, Tous des oiseaux (2017-2020), créée au Théâtre National de la Colline (voir le Théâtre du Blog) et dans Incendies repris par Stanislas Nordey en 2012.

 La pièce, connue du grand public grâce au film de Denis Villeneuve (2010), prend, dans cette version théâtrale, la stature d’une tragédie universelle et intemporelle, vécue par tous les peuples ravagés par la guerre. «Dès la première lecture à Maputo, les comédiens y ont reconnu leur histoire, dit le metteur en scène. Dans un pays où un conflit de quinze ans a tué 900.000 personnes, la guerre est un sujet tabou, et personne ne veut en parler.» La création d’Incendios dans la capitale du Mozambique a donc été un électrochoc pour les artistes comme pour les spectateurs.

 Victor de Oliveira a adapté Incendios au contexte de son pays natal, en changeant simplement le nom des lieux et des personnages et il a introduit des chants en changane, l’une des langues du Sud. Mais la fable reste intacte. A la mort de leur mère, des jumeaux Joana et Simao quittent l’Europe pour le Mozambique, à la recherche de leur père et de leur frère. Sur les traces de cette histoire familiale, ils plongent dans le passé tragique d’un pays ravagé par la guerre et découvrent le terrible secret qui a réduit leur mère au silence. 

 Scénographie dépouillée : un sol de sable orangé et quelques projections sur un tulle semi-transparent. Mise en scène d’une grande sobriété, focalisée sur le texte qui en révèle l’essence poétique et épique. Aucun pathos dans le jeu des acteurs qui sont droits dans leurs rôles : une pointe d’humour pour le Notaire, détenteur du testament, un terrifiant numéro de cabaret sanguinaire pour le Sniper. La grande actrice mozambicaine Ana Magaia interprète magistralement la grand-mère et incarne aussi avec véhémence et passion, la mère âgée, partageant ce rôle avec Josefina Massango (devenue La Femme qui chante) et Sofaida Moyane (la plus jeune).

Victor de Oliveira, né à Maputo en 1971, a fui la guerre civile avec sa famille pour le Portugal puis la France. Il retrouve lui aussi ses racines et se rappelle le changane, que sa grand-mère lui parlait en secret – cette langue était alors interdite…. Il nous fait partager avec beaucoup de pudeur l’histoire mouvementée de son pays, en projetant notamment des paysages et des photos d’enfants-soldats. Au Mozambique, dit-il, ils furent les plus nombreux. Avec ce traitement sans faute, t il réussit nous fait entendre une œuvre d’une ampleur universelle. Courez la voir à Bobigny et à Rennes …

 Mireille Davidovici

 Spectacle vu le 30 juin au Grand-T, 84 rue du Général Buat, Nantes (Loire-Atlantique) T. : 02 5188 25 25

MC 93 de Bobigny (Seine-Saint-Denis) du 3 au 6 juillet.

Théâtre national de Bretagne, Rennes (Ille-et-Vilaine) les 12 et 13 juillet.

La pièce est éditée chez Actes Sud-Babel.

 

 

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