Festival de Marseille 2021
Jan Goossens, à propos du festival
« A mon arrivée, en 2016, j’ai défini de nouvelles orientations, dit le directeur : mettre en valeur Marseille à l’image de la Ville, comme territoire de création avec ses artistes, en lien avec le monde méditerranéen.» Il quittera ses fonctions cette année après y avoir imprimé sa marque : «Un changement d’ADN : d’un festival de danse et de diffusion, à une manifestation multidisciplinaire et de création en phase avec le continent africain. »
Pour cette édition, à cause du covid, plus d’un tiers des trente-cinq propositions artistiques sont celles de compagnies implantées ici comme celle du chorégraphe et vidéaste Eric Minh Cuong Castaing, le trio artistique (LA)HORDE, à la tête du Ballet national de Marseille, la jeune Nach qui développe le style krump (voir Le Théâtre du Blog) ou, pour le théâtre, le groupe Crisis… Sont accueillis aussi des artistes bien connus comme Olivier Dubois avec des danseurs et musiciens du Caire, ou Alain Platel… Et, dans le cadre de la Saison Africa 2020, le chorégraphe mozambicain Panaibra Gabriel Canda, les Égyptiens Nasa4Nasa, Selma et Sofiane Ouissi, Malek Sebaï… Pour la première fois, le festival de Marseille, après une première salve du 17 juin au 11 juillet, reprendra fin août…
«Venant du Théâtre Royal Flamand de Bruxelles, j’avais l’habitude des territoires compliqués, dit Jan Goossens. Et comme nous n’avons pas de lieu propre, il a fallu nouer des partenariats.» 15 structures accueillent les 35 propositions artistiques de cette édition : dont le MUCEM, La Vieille Charité, le Théâtre de la Criée, La Friche de la Belle de Mai, le Théâtre de la Joliette ou le KLAP-Maison de la danse… Jan Goossens laisse à son successeur dont la nomination est imminente, le soin de continuer sur la voie de la diversité. Il va rejoindre sa Belgique natale pour préparer la candidature de Bruxelles-Capitale européenne de la Culture 2030. Mission qu’il mènera en parallèle avec le festival Dream City, une biennale de création urbaine dans la Medina de Tunis, initiée par l’association Art Rue qui, depuis 2007, investit l’espace public pour proposer des interactions entre les différentes populations, y compris les gens de passage.. «
Ils savaient pas qu’ils étaient dans le monde par le groupe Crisis
© Pierre-Gondard
Sur scène, quelques plots et briquettes de bois épars… Maxime Lévèque et Nolwenn Peterschmitt les assemblent en petits monticules et pans de mur, à mesure qu’ils plongent leur regard sur diverses architectures du monde. A commencer par la gare monumentale d’Anvers aux volumes démesurés, édifiée à l’époque où Léopold ll s’appropriait le Congo. « Il avait besoin d’une architecture à la mesure de sa colonie ! »
Leur exploration s’appuie sur la démarche de la philosophe Marie-Josée Mondzain : elle se demande, dans Le Commerce des regards, Qu’est-ce que voir ? Que nous disent les images, comment apprendre à voir les messages qu’elles délivrent ? . Il s’agit pour les acteurs de déchiffrer le monde sous la surface des choses et des lieux, et d’en dégager les signifiants.
Après plusieurs voyages à Jéricho, Bruxelles, Tel Aviv, Hébron, le duo s’est focalisé sur Wadi Fukin, un village palestinien coincé au fond d’une vallée, entre deux colonies israéliennes en Cisjordanie. Sur des superficies identiques, le village compte 1.168 habitants contre 56.750 chez les colons. Rapport de force inégal souligné par des immeubles dressés, telles des fortifications, à flanc de montagne et dominés par un mirador.
L’architecte israélien Sharon Rotbard a étudié cette «architecture d’occupation», caractéristique de son pays et similaire à celle du Goulag. Nolwenn Peterschmitt et Maxime Lévèque décryptent, à travers l’habitat, photos et données à l’appui, les mécanismes de colonisation des territoires. Deux parcours croisés, à la fois personnels et documentaires, tout en finesse et humour.
Le groupe Crisis, fondé par Hayet Darwich, Laurène Fardeau et Nolwenn Peterschmitt, est basé à Marseille et rassemble des comédiens et danseurs autour de projets documentaires où ils interrogent le monde. Nolwenn Peterschmitt s’embarque pour un spectacle de danse qu’elle construira à partir de la danse de Saint-Guy, une épidémie qui se développa notamment à Strasbourg au XlV ème siècle. Cette maladie infectieuse du système nerveux central se traduit par des gestes incontrôlés.
Un groupe à suivre…
Laboratoire Poison 3 d’Adeline Rosenstein
© Pierre-Gondard_
Après la série Décris-ravage, sur la question de la Palestine (prix de la Critique 2014 et prix SACD 2016), la metteuse en scène-comédienne et auteure genevoise, installée en Belgique depuis 2008, s’est lancée dans un nouveau projet documentaire Poison 1,2,3. Un triptyque issu de plusieurs résidences dans la cité phocéenne. «Un spectacle né du constat qu’on ne parvient plus à produire, en tout cas depuis les lieux de production artistique. C’est une opposition ferme et collective contre le système mais avec une résistance minée par notre habitude de la débrouille, de la négociation, chacun de son coté. » Selon elle, aujourd’hui, les puissants sont plus forts et on a beau ruser pour saper le système, bien souvent le système nous dévore. Des compromis, à la trahison, il n’y a qu’un pas : le Pouvoir a ses stratégies comme l’arme psychologique, la propagande, la corruption…
Le poison, c’est la traîtrise distillée à petites doses au sein des groupes rebelles. Un chemin où l’on fait un pas, puis un autre et où finalement, on se retrouve de l’autre bord. Adeline Rosenstein se livre à une brillante analyse des rapports de force, en évoquant des luttes de libération emblématiques : la Résistance française, la Guerre d’Algérie et la décolonisation du Congo… A partir de témoignages, enquêtes historiques, documents d’archives, elle met en scène des situations concrètes où elle décortique les différentes postures qu’on adopte face à l’ennemi et comment il réplique. On voit ainsi d’anciens héros de la Résistance française, devenus tortionnaires en Algérie. Ou comment Patrice Lumumba est arrivé au pouvoir et comment ses compagnons de lutte, soudoyés par les Belges, l’ont fait assassiner…
Avec une formation de clown avec Pierre Dubey à Genève, l’artiste a appris la puissance du langage corporel. A la complexité de l’Histoire, elle répond par la simplicité d’une dialectique implacable et invente un théâtre de petits gestes où les acteurs entrent avec légèreté dans la peau de ces héros, traîtres ou demi-sel, en adoptant des attitudes plus parlantes que les mots. Ils composent des sortes de clichés instantanés, pris sur le vif de l’Histoire. Des photomontages amusants et instructifs. Nous nous délectons de cette intelligence pétillante qu’ils mettent à la gloire des combattants de la liberté et où l’érudition côtoie humour et émotion. Une vraie découverte.
Mireille Davidovici
Spectacles vus le 3 juillet à la Friche de la Belle de mai ( Marseille).
Festival de Marseille du 17 juin au 11 juillet, et du 24 au 28 août 17, rue de la République Marseille (IIème) T. : +33 (0)4 91 99 00 20 ; info@festivaldemarseille.com
Ils savaient pas qu’ils étaient dans le monde du 10 au 13 novembre,Le Colombier, Bagnolet (Seine-Saint-Denis)
Laboratoire Poison, les 13, 14 et 15 octobre, Halles de Schaerbeek, Bruxelles. Les 18, et 19 octobre, Théâtre Dijon-Bourgogne Dijon (Côte-d’Or) et les 21 et 22 octobre, Festival Sens Interdit, Lyon (Rhône).