Théâtralité de la danse : trente-deuxième édition du festival Arte flamenco à Mont-de-Marsan
Théâtralité de la danse : trente-deuxième édition du festival Arte flamenco à Mont-de-Marsan
Le syndrome avignonnais prend des allures pandémiques. La technique du comédien s’est imposée à tout le champ social. Dans la sphère politique, bien entendu elle a remplacé la rhétorique et nos gouvernants exploitent dans leurs discours ou leur comportement, les cours de théâtre pour amateurs qu’ils ont suivis dans leur jeunesse. Dans le champ culturel, toutes disciplines confondues,l’art de Terpsichore a fait la part belle aux adeptes de Thalie, misant depuis belle lurette sur la notion hybride de « danse-théâtre ».
L’art dit conceptuel, l’anti-danse ou la non-danse qui prétendent faire performance de tout bois et action, de tout non-événement, usent aussi des vieux trucs de comédien. En transformant les dites « propositions » et lectures de textes, en rituels et appels à la participation (comme dans les années soixante), redevenus de nos jours, des objets à contempler.
Le flamenco n’échappe pas à ce mouvement dont nous avons perçu les signes à ce festival, avec dans le off, un avant-programme dit de la « bodega ». Une tendance déjà observée par Caballero Bonald dans La Danse andalouse quand la pratique populaire, devenue spectacle au milieu du XIX ème siècle avec les cafés chantants. « L’attrait empoisonné des planches obscurcit la libre expression d’un art qui n’était pas fait pour être divulgué devant un public profane ».
La résidence de Nicolas Saez à Mont-de-Marsan nous a permis de découvrir la danseuse Léa Linares. Elle soigne particulièrement son look, évoluant d’abord en costume cordouan masculin à taille haute, démarqué de celui de Carmen Amaya dans ses films des années quarante, puis en robe longue d’un rose pâle tirant sur le lie de vin, nous ce qui nous change de la bata de cola et des volants à pois… Et elle finir en complet veston d’homme en jean (pimenté, il est vrai d’un justaucorps noir en résille !), prête à expédier les affaires courantes…
Le danseur Farruquito a eu droit, compte tenu de son statut, à la grande scène des arènes du Plumaçon. Il est apparu flamboyant en veste à paillettes mais dont il ne s’est pas contenté pour briller. Ce virtuose du baile n’en est pas moins homme avec des réflexes d’illusionniste, tics de mime et manières de bateleur.
Contrôle corporel total : il joue sur les contrastes d’expression, les mimiques et sourires, comme sur les efforts musculaires et la dépense d’énergie. Il est lui-même et cet autre qu’il incarne totalement et qui varie à tout instant. Le lendemain de cette remarquable prestation, au moment des tapas, les planches de la bodega étaient réservées aux amateurs, aux semi-pros et aux artistes émergents. Mais aussi aux stagiaires jouant les ménines et aux gentes dames d’un certain âge et d’une autre époque, en robe de deuil, à la recherche d’unisson – idéal esthétique de certains chorégraphes. Ces « élèves de baile avancé » nous ont touché, moins par leur acquis technique, que par leur maladresse…
Quant à la bailaora Angeles Gabaldón, qui selon nous, a pris pour modèle la Argentina, c’est une experte en matière de palillos. Elle a dansé avec son sourire, avec esprit également et a remplacé les castagnettes par un éventail dont elle joue à merveille. Face au lunaire Rafael Riqueni, la danseuse Rocío Molina se montre multi-facettes.
Sa danse est plus sage et parait maintenant couler de source; les expressions du visage, trépignements et mudras se sont mis au pas. Elle emprunte du Japon la lenteur, au nô et l’audace, au butô. Elle tire avantage aussi de la scénographie en transformant le tapis de sol en une immense robe de mariée pour une danse serpentine. Et disparaissant derrière un écran, elle laisse parler la lumière….
Nicolas Villodre
Le festival Arte flamenco de Mont-de-Marsan (Landes) a eu lieu du 29 juin au 3 juillet.