Festival d’Avignon Perfidia, texte et interprétation de Laëtitia Pitz, collaboration artistique d’Alain Chambon

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Perfidia, texte et interprétation de Laëtitia Pitz, collaboration artistique d’Alain Chambon

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Très simplement, une famille se construit devant nous, se défait et se reconstruit. Mieux vaudrait dire : pousse , comme un arbre, elle fait des rejets et surgeons qui survivent ou non, au tronc principal. C’est l’idée classique de l’arbre généalogique, mais ici avec toute sa sève et sa fragilité. Laëtitia Pitz raconte trois générations de femmes et d’hommes. La Guerre n’a pas un visage de femme est le titre d’un roman de Svetlana Alexievitch. Les conflits font les enfants : un Charles, né pendant la seconde guerre mondiale d’une jeune femme de l’Est de la France et d’un bel uniforme gris, puis un Gabriel, lui né d’un autre père.

Vingt ans plus tard, ils feront cette guerre d’Algérie qui ne dit pas son nom et n’en reviendront pas tels qu’ils étaient partis. Que faire de la douceur de vivre, des voisins sous les orangers quand la guerre n’est plus un jeu et que le verger brûle ? Il y aura une fille-mère qui deviendra mère tout court, et une jeune métisse, née dans la joie de la Libération par les Américains et qui se trouvera plus tard, une famille noire dans le grand Sud.

Rien n’est jamais fini, il n’y a pas d »une fois pour toutes » et nous allons savoir de quoi sera fait le lendemain… Et il y a aussi les enfants qui ne naîtront jamais : pas de place pour eux mais un grand vide creusé dans le ventre des femmes par une aiguille à tricoter. Des tragédies mais pas de drame, c’est la vie de tout le monde comme elle va. Et avec une grande et discrète dignité mais aussi un respect des vivants et des morts.

Laëtitia Pitz qui dirige la compagnie Roland Furieux dans le Grand-Est, a choisi les mots les plus simples et les plus exacts, en un flux continu qui engendre sa propre musique. La parole ne s’arrête pas plus que la vie et les générations. L’autrice-actrice « phrase » son récit, en écoute et réactive le rythme propre, en prenant ses élans sur une répétition, sur l’intonation d’un commencement… Avec une gestuelle tout aussi sobre: dans un carré de lumière, elle élève à peine un bras, esquisse une caresse au micro et de nouvelles images affluent. Cette gestuelle, aussi concise que la phrase, s’accorde avec le texte dans une même rythmique et aiguise encore notre écoute…

La thème musical de Perfidia arrivera à la fin et mieux vaut écouter la chanson par Ibrahim Ferrer que par Luis Mariano… Il apporte, et de loin, ce que procurent les chansons populaires: un presque rien mais aussi les grands moments d’émotion d’une vie. Une façon de dire au revoir au public et à tous ces êtres avec qui nous avons passé le temps de leurs histoires : ce n’était pas si grave et c’était si grave! Perfidia, une dentelle mais… en acier, finement ciselée et résistante. À découvrir absolument.

Christine Friedel

La Caserne, 116 rue de la Carreterie, Avignon. À 16 h 15, jusqu’au 26 juillet. Relâche les 13 et 20 juillet. T. : 04 90 33 88 99.

 


Archive pour 11 juillet, 2021

Festivla d’Avignon: La Cerisaie d’Anton Tchekhov, mise en scène de Tiago Rodrigues

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La Cerisaie d’Anton Tchekhov, mise en scène de Tiago Rodrigues

Le premier spectacle de chaque édition (la soixante-quinzième cette année!) du célèbre festival, est traditionnellement  présenté dans la mythique Cour d’Honneur, si convoitée par les metteurs en scène pour qui c’est une reconnaissance. Avec un rituel immuable, grande et belle façade du Palais des Papes bien éclairée, envols de martinets, solo historique de trompettes de Maurice Jarre indiquant le proche début de la représentation avec cette année un peu de retard sur l’horaire à cause du certificat QR à montrer à l’entrée. Nous avons apprécié les nouveaux sièges relevables en bois avec avec galette confortable (ce qui n’était pas une luxe!) et le beau plateau, lui aussi refait avec une forme légèrement arrondie. Mais ensuite, quelle catastrophe! Pauvre, pauvre Tchekhov ! Cette mise en scène, assez prétentieuse, a été dirigée par le futur directeur du festival qui avait pourtant réalisé de bons spectacles au Théâtre de la Bastille puis à Avignon dont Antoine et Cléopâtre (voir Le Théâtre du Blog).

Première erreur prévisible et due au seul choix d’Olivier Py: programmer la dernière (1904) et célèbre pièce du grand dramaturge russe -mais des plus intimistes- sur l’immense plateau dans cette magnifique Cour d’honneur. Avec bien entendu, un système de sonorisation sophistiqué mais qui uniformise et amplifie trop les voix et la musique, ce qui pour les dialogues d’Anton Tchekhov tout en nuances, est loin d’être l’idéal. Et tant pis pour ceux qui sont dans les rangs les plus élevés, impossible d’identifier clairement quel est le personnage qui parle. Pourtant le festival ne manque pas de lieux. Cela sonnait un peu comme une cérémonie d’adoubement pour Tiago Rodrigues… Mais pas très juste pour le public!

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Deuxième erreur: une scénographie branchouille et tape-à-l’œil qui fait le plus grand tort à la pièce. Ici, plus de belle maison familiale ouvrant sur une cerisaie. Après tout, pourquoi pas? Des Cerisaies, nous en avons vu de toutes les couleurs et non des moindres comme celles, merveilleuse et mythique, de Peter Brook avec quelques meubles et tapis  ou  celle tout aussi mythique de Giorgio Strehler… avec son petit train d’enfant. Autres temps, autres mœurs… Tt nous ne vous ferons pas le coup d »autrefois c’était quand même mieux. » Mais ici, que vient faire cette bonne centaine de chaises grises et rouges en treillis plastique sagement alignées et que les acteurs vont envoyer en l’air de façon à former un gros tas et que, dans un deuxième temps, ils transporteront et empileront côté jardin ! Une idée vraiment géniale!

Cette scénographie médiocre parasite visuellement tout le plateau et a pour effet attendu, une mauvaise relation entre les personnages que les pauvres acteurs sont obligés d’interpréter le plus souvent face public. Et quand ils ne jouent pas la prochaine scène, ils vont s’asseoir à vue sur des chaises en fond de scène, un procédé hérité de Brecht et devenu un stéréotype du théâtre contemporain, comme les entrées par la salle, ce qui ne semble pas déranger le metteur en scène. Et  Lioubov (Isabelle Huppert) s’adresse à Lopakhine (Adama Diop) chacun assis sur une chaise face public! Quand, à la fin, ce beau plateau retrouvera sa virginité: ils pourront enfin se parler  et logiquement, tout va alors mieux et fait enfin sens mais il aura fallu attendre ce court moment plus de deux heures!

Il y a aussi trois praticables montés sur rail et munis de lampadaires avec lustres à cristaux type 1900 et gros globe lumineux des années soixante, d’une laideur incontestable. Sans doute pour traduire le présent et le passé mais aussi l’inexorable puissance du changement? Ce dont Tiago Rodrigues semble obsédé, puisqu’il répète le mot à quatre reprises dans une courte note d’intention, elle aussi assez prétentieuse. Le metteur en scène a fait installer un autre praticable à roulettes où joue le petit orchestre de Manuela Azevedo (chant et clavier) Helder Gonçalves (batterie) dont la musique -très amplifiée mais pas vraiment intéressante- prend quelque fois la place du texte… Ce qui casse le rythme et ne facilite pas la circulation des acteurs…

«Avec les mots de Tchekhov, le metteur en scène a trouvé un incroyable carburant dramaturgique pour nourrir sa machine théâtrale, briser le quatrième mur et rassembler le public autour des grand défis qui attendant l’aujourd’hui » (sic). Allons-y pour le carburant!  Tiago Rodrigues a le droit de puiser son inspiration dans cette Cerisaie mais … intituler ce spectacle La Cerisaie d’Anton Tchekhov relève de la tromperie sur marchandise et plusieurs dizaines de spectateurs ont abandonné la partie. Cette représentation, très mollement applaudie, a aussi été sifflée, ce qui est très rare dans ce festival. Nous avons connu Tiago Rodrigues mieux inspiré et cette absence de réalisme revendiqué, malgré la bonne traduction d’André Markowicz, ne sert pas du tout la dernière pièce (1904) d’Anton Tchekhov et sans doute sa plus réussie.. Signe qui ne trompe pas: à l’entrée de la Cour d’Honneur, aucun écriteau de gens voulant acheter une place… Le bouche à oreille s’est vite fait!

 On connait l’histoire : une veuve d’une cinquantaine d’années Lioubov vit à Paris. Généreuse mais dépensière et surtout incapable de gérer ses terres.  Son frère, un propriétaire terrien est, lui aussi en faillite. Elle a une fille adoptive de vingt-quatre ans, Varia et une fille « naturelle» de dix-sept ans, Ania. Il y a aussi Trofimov; l’éternel étudiant de vingt-sept ans qui rêve d’une société plus juste
Lioubov est revenue dans la maison de son enfance qui jouxte une cerisaie dans la campagne russe mais lourdement endettée, elle sait au fond d’elle-même qu’il n’y a aucune issue. Lopakhine, un homme d’affaires, fils de moujik, lui recommande plusieurs fois de réaliser une opération immobilière consistant à répartir le terrain de la cerisaie en datchas pour éponger ces dettes. Mais au nom d’une morale personnelle, elle ne peut se résoudre à ce sacrifice et refuse cette solution. Le destin va frapper et la cerisaie sera bien vendue aux enchères. Et ce Lopakhine l’achètera, couronnant son ascension sociale.. Et les cerisiers chers au cœur de Lioubov seront ainsi abattus sans état d’âme. Lioubov a perdu et une veille société disparaît pour faire place à une nouvelle, celle du capitalisme foncier dont Lopakhine est le représentant… Une histoire qui, sous une forme ou sous une autre, a aussi touché nombre de gens marquées par le manque de prévoyance de leurs parents et qui sont obligés de vendre une maison où ils auront passé toute leur enfance, ou leurs vacances. Toute la famille partira ainsi pour Moscou… en oubliant Firs, le vieux serviteur -remarquablement interprété par Marcel Bozonnet- condamné à la solitude et à une mort prochaine.

Mais l’ensemble de la distribution manque d’unité et chaque acteur joue isolément. Ce qui est plutôt gênant! Ici tout est sec sauf à de rares moments. Dans cette Cerisaie, puisqu’elle nous est vendue comme telle, nous ne retrouvons pas ce groupe social russe très soudé de gens obligés de vivre ensemble malgré les querelles,  pendant le long hiver russe,  entre les jeunes et les plus âgés, entre les maîtres et leurs domestiques…
Côté distribution, Isabelle Huppert n’est pas ici la grande Isabelle Huppert et nous avons du mal à croire à son personnage: elle fait à un moment de petits sauts en pantalon large d’un  bleu-vert cru, remet souvent en place ses cheveux balayés par le mistral (Tiago Rodrigues connait pourtant, donc c’était à lui de gérer cela !) Elle semble surtout ne pas être vraiment là, sauf à la fin, quand la cerisaie a été vendue. Là enfin, il se passe quelque chose. Le bel acteur sénégalais Adama Diop que l’on a vu entre autres chez Cyril Teste et Stéphane Braunschweig est, lui, beaucoup plus convaincant. Il incarne bien cette espèce de volonté qu’a Lopakhine de réussir à tout prix, son ascension sociale.

Mais encore une fois cette «mise en scène» participe d’une lecture personnelle, proche du happening ou de la performance mais qui n’aurait jamais du dépasser le travail de laboratoire et jamais non plus être jouée dans la Cour d’honneur.  Bref, Tiago Rodrigues a raté son coup et le spectacle a été très mollement applaudi, voire même sifflé -ce qui est rare au festival d’Avignon- et on aimerait bien savoir ce qu’il aurait pu dire au public très mécontent qui sortait de ces deux heures et demi éprouvantes… Il faut toujours savoir l’écouter et ce soir-là, les commentaires étaient loin d’être tendres: « spectacle vraiment ennuyeux » « pas de rythme »« on n’accroche pas du tout», « Isabelle Huppert très moyenne » «que veut nous dire le metteur en scène? », etc. Et un jeune homme sans doute un apprenti-comédien, trouvait que « c’était du vieux théâtre »… Dur mais assez bien vu: quand on donne des bâtons pour se faire battre, il ne faut pas s’étonner des réactions! Et le public, même s’il ne sait pas toujours exactement pourquoi un spectacle ne fonctionne pas, ressent bien qu’il y a quelque chose qui ne va pas…

Allez, une petite note d’espoir: jouée à l’Odéon à Paris la saison prochaine donc dans un cadre moins vaste, et peut-être revue et corrigée, cette mise en scène de  La Cerisaie -qui  ne sera jamais un chef-d’œuvre- aura quand même sans doute mûri. Déjà, si Tiago Rodrigues pouvait offrir le cadeau à ses acteurs de les faire jouer sur un plateau nu et sans lampadaires hideux, le spectacle y gagnerait beaucoup.  En tout cas, maintenant qu’il est aux manettes de ce festival mondial, il n’a pas intérêt à poursuivre dans cette voie, s’il veut conserver un public déjà bien vieillissant…  Et il y avait comme d’habitude, très peu de jeunes dans la salle! Olivier Py n’a jamais réussi à les attirer malgré quelques réductions insuffisantes. Employons les gros mots qui fâchent: il est urgent de redonner un souffle plus « populaire » à ce festival. Et le prix des places pour La Cerisaie est dissuasif: 40 € et 30 €, ou plus haut, dans les gradins: 30 et 25 €… Et pour Pinocchio live dont nous parlerons bientôt, prix unique:  30 €. Les affaires sont les affaires, mais quel jeune, même à un tarif réduit, peut se permettre cela? Cela ne semble  déranger ni madame Bachelot ni l’Elysée: comme nous le savons tous maintenant, il suffit, a dit le triste Macron, de traverser la rue pour trouver un boulot et donc d’aller passer quelques jours au festival d’Avignon… Elémentaire, mon cher Lopakhine. Cette catastrophique Cerisaie que vous pouvez vous épargner, est un cas d’école (nous n’avons pas encore vu la version télévisée enregistrée avec une dizaine de caméras le soir où nous l’avons vue  mais elle ne doit pas être plus fameuse) et elle restera comme l’exemple à ne surtout pas suivre…

Philippe du Vignal

Cour d’Honneur du Palais des papes, jusqu’au 17 juillet.

 

 

 

 

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