À table, chez nous, on ne parlait pas, texte et mise en scène d’Hédi Tillette de Clermont-Tonnerre

 

À table, chez nous, on ne parlait pas, texte et mise en scène d’Hédi Tillette de Clermont-Tonnerre

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Un bon fils, un adolescent qui se tient bien à table, grandit et devient étudiant, pourquoi pas en droit ? « Tout ça, c’est une destinée normale», aurait dit Karl Valentin, le Charlie Chaplin allemand  de la République de Weimar (1918-1933). Oui. Mais pour de jeunes Français nés en 1920, 21 ou 22, non. Ils vont devoir sauver la France contre elle-même, comme l’a fait le maréchal Pétain, en  collaborant mais de force. Réquisitionnés pour le S.T.O. service du travail obligatoire, ils partiront le cœur, non pas léger mais lourd de leur devoir.

En compensation de leur sacrifice, le sort des prisonniers français pourrait être amélioré (on ne parle pas des camps d’extermination), les frais d’occupation : autrement dit, la rançon de la défaite, serainet réduits et le ravitaillement de la population mieux assuré. Deux ans à maintenir à flot une Allemagne de plus en plus exsangue, en particulier sur le front de l’Est. Logés dans un «lager», moins dur que celui décrit par Primo Levi dans Si c’est un homme, exploités, et nourris au prorata de leur force de travail. Mais « faire son devoir de patriote » se change en « travailler pour l’ennemi ». Obéir et trahir.

Hédi Tilette de Clermont-Tonnerre fait le récit du départ et du retour d’un réquisitionné du S.T.O. entre deux repas de famille. Les gendarmes avaient beau être venus prévenir qu’ils fermeraient les yeux et laisseraient partir le « réfractaire »: c’est non. Fidèle à son Maréchal, fidèle à l’honneur et à la discipline militaire, le père, héros de la Grande Guerre, obtempère à la réquisition. Il sacrifie à sa propre loi son fils qui sera maudit à son retour, insulté même par les derniers résistants en papier mâché. Et là, pas de miracle : une génération de silence….

L’auteur-acteur entre en scène avec un sourire à la Charlie Chaplin, enjôleur, comme si le personnage s’excusait tout en voulant séduire. Scénographie minimale : une table avec nappe suffit à évoquer le noyau familial. Et fait alors irruption  (leur compagnie s’appelle le Théâtre irruptionnel ) le sacrifice d’Abraham, Lisa Pajon amenant au moment opportun, bonnet à bouclettes sur la tête, un très surprenant agneau. Pour Abraham: miracle, Dieu a sauvé Isaac. Mais, pour l’honorable capitaine et son fils, pas de miracle, décidément. La scène biblique casse dans sa forme naïve l’histoire de cette famille ordinaire. Elle creuse ainsi une absence, un manque dont le public comprendra plus tard le sens.

Ce spectacle, qu’on classerait dans les petites formes, au vu de ses moyens modestes se révèle être grand. Pas seulement par ses références historiques sur ce sujet dont on ne parle pas : combien de Français sont allés travailler en Allemagne, plus ou moins contraints ? La question n’est pas celle du nombre mais des vies abimée, honteuses, amères, avec leur noyau tragique. Peut-on encore dire le cœur tranquille : je n’ai fait qu’obéir ? Les réquisitionnés du S.T.O. ont obtenu en 2018 -soixante dix ans après les faits! – le titre de victimes du travail forcé en Allemagne nazie. Mais celui de « déportés du travail » leur a été refusé. Rien n’est réparé et ce n’est pas le thème de ce texte qui parle plutôt de l’irréparable, transmis en silence d’une génération à l’autre. Sans jamais expliquer : l’explication est l’ennemie du théâtre ! Et ce spectacle nous émeut aux larmes.

Christine Friedel

Les 20 et 21 août, festival Théâtre au jardin à Brioux-sur-Boutonne (Deux-Sèvres).

Les 18 et 19 septembre , Journées Européennes du patrimoine, Villa Bloch, Grand-Poitiers (Vienne).

Les 26 et 27 mars, Festival Mars en Braconne, Grand-Angoulême (Charente).

Été 2022 , en gare de l’Est à Paris.

 

 

 

 

 

 

 

 

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