Presque égal à de Jonas Hassen Khemiri, traduction de Marianne Ségol-Samoy, mise en scène de Laurent Vacher

Presque égal à de Jonas Hassen Khemiri, traduction de Marianne Ségol-Samoy, mise en scène de Laurent Vacher

 

© Ch. Raynaud de Lage

© Ch. Raynaud de Lage

L’économie, ce n’est pas compliqué : il s‘agit tout simplement de produire de la valeur, d’augmenter son coefficient personnel de satisfaction. Cela s’applique surtout à l’argent mais aussi au chocolat –demandez au fantaisiste monsieur Van Houten-, mais parfois à d’autres « valeurs » dont le théâtre, comme le fait plaisamment remarquer le professeur d’économie dans ce spectacle. Vous avez risqué l’achat d’un billet. 1) en avez-vous pour votre argent ? 2) En avez-vous plus que pour votre argent?  Puisque vous avez été «déçu en bien » comme disent les Suisses soit : heureusement surpris…

Mais si l’on en restait là, l’économie serait un agréable divertissement. Tout le spectacle va consister à nous montrer à quel point elle n’est pas une science mais une piège mental destructeur pour les êtres humains qui tentent de le rester. Andrej, l’étudiant diplômé en économie fera très vite ses travaux pratiques : Pôle Emploi n’a pour lui que le conseil n°1, Débrouille-toi. Obstiné mais plein de bon sens, il finira par se présenter comme vendeur au bureau de tabac où il s’est ruiné en timbres pour envoyer ces C.V. dont personne ou presque n’accuse réception. Si ça ne ressemble pas à la vraie vie… Et ainsi de suite pour les autres personnages, Martina, Freya, qui aurait poussé sous une voiture sa rivale pour récupérer son poste, jusqu’au professeur d’Université en emploi précaire qui a été  remercié. On dirait que seul Pieter le SDF s’en sort, mais de façon ambiguë : quel rôle joue-t-il vraiment ?

La scénographie de Baptiste Billon, toute en châssis montables et démontables est une belle métaphore de l’étranglement des pauvres: ils manipulent eux-mêmes les mécanismes économiques qui les épuisent et les vident de leur âme. Les vertus moyennes ne résistent pas : meulées, broyées par le besoin, la concurrence, la guerre de tous contre tous, et avalées par la « machine capitaliste ». C’est la tragédie des pauvres : quoique les plus faibles, forcés de prêter la main aux plus puissants, ils n’ont même plus droit à leur innocence…

La force de Khemiri est de faire de cette tragédie une comédie. Ce que le public avait découvert avec Invasion, mise en scène par Michel Didym en 2010 et J’appelle mes frères , mise en scène de Noémie Rosenblatt deux ans avant. Nous ressentons un soulagement paradoxal à écouter en direct, à voir fonctionner à nu la machine dont nous sommes bien obligé de reconnaître qu’elle nous opprime et s’empare carrément de ce que nous avons cru être « nous ».

Quentin Baillot, Pierre Hiessler, Odja Llorca, Frédérique Loliée, Alexandre Palu, Marie-Aude Weiss, appuient le dessin du jeu avec juste ce qu’il faut d’insistance pour que cela tourne, non à la caricature, mais à la clarté et à l’efficacité du dessin de presse. De fait, il s’agit d’actualité…Pari tenu : la mécanique du théâtre fonctionne, au moins aussi bien que celle qu’elle décrit. Mais en plu,s elle n’est pas que mécanique. Les comédiens ne sont pas réduits à fonctionner : leurs personnages nous parlent, s’engagent et vivent. Le public est avec eux, non pas consolé mais ragaillardi.

Christine Friedel

Pour une fois, nous ne sommes pas d’accord avec notre amie Christine et moins indulgent; certes le texte avec une vingtaine de personnages, nous offre une critique virulente de l’économie capitaliste. Il est  intéressant et servi par une bonne distribution. Mais la mise en scène du genre laborieux, peine à convaincre: pourquoi ces noirs incessants cassant le rythme, pourquoi ce déménagement permanent de ces pauvres châssis métalliques, sans que cela soit en rien justifié de cette entreprise de déménagement permanente.

Nous n’y avons vu aucune métaphore mais plutôt une erreur de scénographie et de mise en scène et dans cette patinoire transformée en étuve, ces deux heures dix nous ont paru bien longuettes, même si, encore une fois, les acteurs font un travail des plus remarquables. Mais nous ne sommes pas sorti ragaillardi de ce spectacle. Bref, le texte de Jonas Hassen Khemiri aurait mérité un meilleur traitement… Dommage!

Philippe du Vignal

La Manufacture, rue des Ecoles (navette pour la patinoire à 15 h 50 jusqu’au 25 juillet. 

Les pièces de Jonas Hassen Khemiri sont publiées aux Éditions Théâtrales.

 

 

 

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