Rotterdam la nuit, texte et mise en scène de Charif Ghattas

Rotterdam la nuit, texte et mise en scène de Charif Ghattas

Charif Ghattas, quarante ans, est un auteur, comédien, metteur en scène et scénariste libanais qui a depuis 2002 écrit douze pièces pour la plupart représentées en France et dans son pays. Rotterdam, la nuit est l’une d’elles mais n’a pas encore été publiée. Il nous invite à un huis-clos entre trois sœurs. Et un secret de famille ? Peut-être s’agit-il encore d’autre chose, beaucoup plus énigmatique et complexe. Mire l’aînée, Diane la cadette (une demi-sœur) et Rita la dernière, se retrouvent le temps d’ une nuit dans un hôtel à Rotterdam. Un triste événement les a réunies : leur mère est en train de mourir à l’hôpital. Une mort assistée.

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L’auteur a subtilement choisi comme espaces: Rotterdam, (une ville européenne où l’euthanasie est légale), les Pays-Bas, un pays étranger pour les protagonistes et une chambre d’ hôtel. Il y a là un jeu de déplacement et d’extériorité, en regard des personnages et du vécu tragique de cette fratrie, tel un décalage qui viendrait se greffer dans les mailles de l’histoire intime et névrosée, terrible entre les trois soeurs. « Un : je t’aime moi non plus», d’où vient cette violence dont on ne connait pas l’origine… Le parti pris d’un lieu unique dans ce récit théâtral-une chambre d’hôtel- nous permet de mieux cerner la vie intérieure, le cheminement existentiel, les rancœurs des personnages et accentue la tension dans cette pièce remarquable d’intelligence dramaturgique. Ici, l’extériorité de l’espace un pays et une ville, et  son intériorité: une chambre s’imbriquent littéralement dans le paysage intime et mental de chacun des personnages et avec la structure du texte et son écriture dominée par la parole-action (cf. Théorie de l’analyse des écritures dramatiques créée par Michel Vinaver). Rita, essuyant ses larmes : «Allo, oui… Bien, ça s’est passé… Bien. Il a dit ce qu’il t’a dit à toi, c’est-à-dire, voilà…Intéressé par votre livre… J’ai dit que j’allais réfléchir et en parler avec toi dès mon retour et que tu le contacterais d’ici peu pour les modalités, etc. Oui, elle est à l’hôpital… Ma sœur s’est occupée de tout. On attend… Bien sûr, je t’appelle. Tu es gentille. Au revoir, Camille. C’était Camille. Elle aussi est inquiète… Enfin, inquiète que tout se passe bien.» Mire:«On parle d’une personne normalement constituée.» Rita :«Complètement.» Mire :« On parle de ta mère aussi. » Rita: «Complètement. »L’écriture est ainsi menée non pas uniquement par des faits dramatiques extérieures, en l’occurence, ici l’agonie de la mère, parole instrumentale (M. Vinaver) mais également par des propos semblables à des particules, des fragments multiples et existentiels parfois incohérents ou bien calculés ou encore imprévisible, paroles-action qui agitent l’âme en souffrance de Mire, Diane et Rita. 

Le dialogue est simple et juste, avec des sous-entendus lourds de sens, et des silences, des non-dits qui créent brutalement une tension et une violence affectives entre ces sœurs à la recherche d’elles-mêmes et de l’amour entre elles. Recherche d’une harmonie sentimentale impossible ? Rejetée ? Non cela serait trop simple. Cette pièce ne s’arrête pas là. C’est une bouleversante « pièce-paysage » (toujours selon les termes de Michel Vinaver) à travers laquelle se profile l’incapacité d’aimer, et non l’absence de désir d’aimer. Temps, patience, écoute de soi et de l’autre sont absents chez Mire et Rita. Seule Diane leur demi-sœur, plus apaisée, apparaît comme une médiatrice dans leurs conflits. Rita:« Qu’est-ce que tu fais là? » Diane : «Je peux repartir.» Rita : Non, ce n’est pas que… Enfin je suis surprise, tu ne devais pas… Diane : « Je ne devais pas, mais finalement j’ai changé d’avis… Je ne sais pas … Envie d’être avec vous… De … D’être là. » Elles se regardent, s’embrassent d’abord comme pour se saluer, puis se rapprochent et s’embrassent de nouveau chaleureusement. Une capacité de réconciliation due sans doute à l’amour que Diane a rencontré avec Paul et dont elle va devenir l’épouse… Un ailleurs s’ouvre enfin à elle, libérée de ce tragique engrenage d’incompréhension, de frustration, et de jalousie.

A travers les dialogues de cette fable, il y a, chez Mire, Diane et Rita, la recherche d’un équilibre pour tenir ou se retenir et éviter ainsi une chute existentielle probablement fatale. Y a-t-il ou non, un amour possible à l’horizon ou, est-ce le temps de la nuit et de la mort, juste le mirage d’une résilience pourtant si souhaitée? Peut-être… Ce texte sensible d’une grande qualité autant sur le fond que sur la forme et son interprétation par ces comédiennes ici superbes que sont Elisabeth Bouchaud, Coralie Émilion-Languille et Pauline Ziadé, la scénographie, les lumières sombres et contrastées, diaphanes et rouges, le choix musical… Tout cet ensemble scénique, si bien vu au regard de cette histoire dense et nerveuse, donne à la pièce toute son ampleur et une cruelle beauté. À la fin du spectacle, riche, théâtral mais aussi cinématographique, et grâce aussi à la qualité du jeu et de la mise en scène, le public s’interroge sur cette manifestation de la violence qui naît si souvent au sein d’une même famille. L’histoire du théâtre, depuis la nuit des temps, est là pour en témoigner.

La mort de leur mère sera-t-elle suffisante à Mire, Diane et Rita pour leur ouvrir un chemin vers une paix intérieure et une harmonie affective entre elles? La question reste ouverte pour les spectateurs, visiblement émus. Un beau spectacle à ne pas manquer…    

 Elisabeth Naud 

Théâtre de la Reine blanche, 2 bis passage Ruelle, Paris (XVIII ème), jusqu’au 17 octobre. T. : 01 40 05 06 96.

 


Archive pour septembre, 2021

Festival du Jardin Suspendu à Dijon Miniature/Kiosk Théâtre, mise en scène et interprétation de Maëlle Le Gall

 

Festival du Jardin suspendu à Dijon

Miniature/Kiosk Théâtre, mise en scène et interprétation de Maëlle Le Gall

Formée aux arts de la marionnette d’abord au Théâtre aux mains nues à Paris, puis à l’Académie d’Art de Turku (Finlande), Maëlle Le Gall travaille sur un théâtre visuel qui n’est pas fondé sur un texte. Guidée par l’émotion et la sensation, elle développe un travail d’artiste qui lui permet d’aller toujours plus loin dans son rapport à la matière, aux couleurs et aux volumes. Elle met également en jeu ses marionnettes et celles des autres pour des histoires qui se racontent dans des théâtres, une caravane ou dans la rue. Il y a une proximité entre le corps vivant de cette manipulatrice et actrice, et celui de la marionnette avec un dialogue qui nous permet de voir au dedans, et au-delà de l’être. Le Kiosk Théâtre, basé à Chalon-sur-Saône est né en 2014 sous l’impulsion de Maëlle Le Gall, Marine Roussel et Romain Landat. Maëlle Le Gall en a pris la direction artistique.

 

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Elle poursuit son travail de recherche sur les écritures de la marionnette, la narration et le geste. La rencontre avec des musiciens est déterminante dans les nouvelles créations de la compagnie qui invente un théâtre de marionnettes qui se construit par l’image. La marionnette étant un catalyseur pour nous faire passer dans un autre monde qui nous attire irrésistiblement. Avec cette forme courte de quinze minutes pour treize spectateurs qu’elle a créée en 2015, cette créatrice met en scène des personnages en papier découpé et quelques objets. Cet entre-sort joué dans une caravane avec mini-gradins et coussins,  commence avec une question écrite et posée aux spectateurs : «Que seriez-vous prêt à sacrifier pour séduire les autres? » Il ne s’agit pas ici de séduction amoureuse mais sociale. Le personnage principal, un petit garçon solitaire vit seul avec sa mère dans une maison bourgeoise. Il n’a pas d’amis et passe son temps à observer deux fillettes qui jouent à la balle. Un jour, sa mère lui offre un drôle de cadeau… qui deviendra sa « nouvelle amie « . Mais la jalousie et la manipulation des fillettes auront raison de cette relation atypique…

 Maëlle Le Gall captive aussitôt le public grâce à un ancrage puissant dans la réalité et personne ne peut rester insensible à cette histoire singulière qui touche à l’universel et qui va du rire, aux larmes, de la clownerie, au drame. La dure réalité de la vie et de l’apprentissage peut faire grandir les enfants qui assistent au spectacle. Mais maintenir comme dans cette caravane l’attention pendant quinze minutes est un défi, relevé ici de façon magistrale. Dramaturgie précise, narration allant toujours à l’essentiel avec des séquences répétées comme « le jeu de balle» pour intensifier la tension dramatique. Et la scénographie a été conçue pour l’espace restreint de cette caravane plongée dans le noir où une petite table sert de scène. Avec pour tout éclairage, deux lampes d’architecte équipées d’un variateur de lumière pour des effets de fondu… La metteuse en scène utilise des silhouettes découpées, en noir et blanc de différentes échelles, évoquant des souvenirs abimés par le temps mais encore bien présents dans les mémoires !

Ici, tout est dans la subtilité esthétique des détails, comme ces éléments mobiles qui transforment les silhouettes pour faire la transition entre les scènes. Il y aussi quelques objets comme une petite balle rouge (seul point de couleur qui va cristalliser le drame), des plumes ou une marionnette à doigts.  Et une bande-son discrète mais efficace soutient le travail de Maëlle le Gall qui  manipule ces éléments sans temps mort et fait défiler des tableaux en variant l’éclairage, avec des  moments éteints ou éclairés sur son visage. Femme-orchestre, elle assure bruitages, narration et jeu comme dans cette séquence irrésistible où elle interprète la mère du petit garçon. Avec de belles trouvailles visuelles: à un moment, les fillettes espionnent le jeune garçon par deux fenêtres grossissantes. Un spectacle captivant…

 Sébastien Bazou

Spectacle vu au au Jardin de l’Arquebuse, Dijon (Côte d’Or), le 18 septembre.

 

Sept minutes de Stefano Massini, mise en scène de Maëlle Poésy

Sept minutes de Stefano Massini, mise en scène de Maëlle Poésy

 

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©Vincent Pontet

Onze représentantes du personnel d’une usine textile, doivent prendre une décision avec des conséquences immédiates sur le travail et la vie de six cents autres. Il s’agit de voter pour, ou contre, la réduction de sept minutes de la la pause réglementaire. Une chose apparemment anodine mais qui peut être lourde de conséquences  Stefano Massini a écrit une pièce sur la manière dont réfléchit et fonctionne un groupe quand il s’agit d’élaborer une stratégie. Avec à la clé, des difficultés prévisibles quand il s’agit de faire coïncider élan collectif et pense individuelle… Comment persuader, comment faire confiance, comment choisir, voire renoncer à certains avantages acquis pour espérer gagner et ensuite, comment voter surtout quand ces femmes d’âge -de vingt ans à la soixantaine- et de parcours professionnels différents- se retrouvent face à un collectif d’hommes qui dirigent une entreprise… Elles voteront plusieurs fois dont une à bulletin secret, avec à chaque fois, une retournement de situation. Le dernier résultat dépendant finalement du vote d’une seule.

Stefano Massini montre ici le parcours dans un temps et dans un espace réel: une salle de stockage et aussi de réunion pour le personnel. Cela rappelle, dit l’auteur, le huis-clos de Douze hommes en colère, la fameuse pièce de Reginald Rose (1954) où des jurés doivent voter à l’unanimité la peine de mort au procès d’un adolescent noir de seize ans accusé d’avoir poignardé son père. Ici, ces onze personnages féminins (aucun homme sinon en coulisses mais même pas en voix off) pour ce théâtre politique. « Si j’aime, dit Maëlle Poésy les anti-héros et anti-héroïnes au théâtre, c’est justement parce qu’ils déplacent nos repères en se portant garants de ces «pas de côté» qui nous permettent de regarder le monde différemment, hors d’une pensée unique. »

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Bien entendu il y a d’emblée des femmes qui votent aussitôt contre. Comme Blanche, leur représentante qui a dû batailler ferme des heures durant avec la nouvelle direction de l’usine. En vieille routarde des luttes syndicales, elle explique avec une rare intelligence politique qu’il vaudrait mieux ne pas se précipiter et prendre le temps de réfléchir. Autrement dit : vous gagnerez peut-être à court terme mais vous perdrez plus sûrement tout à long terme, alors réfléchissez avant d’emmener vos collègues dans le mur. Cette réduction de sept minutes de la pause, pour, dit le patronat, sauver des emplois, n’est-elle pas un leurre pour sauver des emplois menacés. la discussion est vive et les plus jeunes de ces jeunes ouvrières en viennent parfois aux mains! Est-ce «un luxe ou un droit ? » et le début de concessions, alors que de toute façon -les plus anciennes connaissent le refrain- le nouveau patronat finira par fermer l’usine, à cause de la concurrence asiatique.
Stefano Massini, comme le fait remarquer Chantal Hurault dans un bon texte de présentation, fait référence «aux ouvrières de Lejaby qui ont mené en 2010 une lutte importante après l’annonce d’un plan social et que Maëlle Poésy a rencontrées, comme de nombreuses femmes qui travaillent ou ont travaillé dans des usines, notamment de textile… L’historienne Michelle Perrot dénonce un manque de considération des revendications féminines, souvent réduites à l’anecdotique, qu’elle réhabilite ici en geste politique réfléchi.»Les films des frères Dardenne, de Ken Loach, ou Stéphane Brizet sont sur ce point exemplaires, car ce sont des films-paysages sur des portraits de personnes où les enjeux sociaux et politiques sont toujours incarnés.» On retrouve dans Sept minutes «la violence d’une industrialisation déshumanisante, ces ouvrières qui sont des proies faciles sont dans une contradiction permanente entre une solidarité très forte et une menace de la division. »

Et dans ce spectacle, on sent très bien planer la menace éventuelle d’un licenciement collectif- celles qui ont travaillé ailleurs le savent bien- mais toutes ces femmes ont une conscience très forte d’exister comme groupe et ont la volonté d’arriver à avoir une certaine unité d’action et donc un levier possible de résistance,« quoi qu’il en coûte», comme dirait le Macron de service. Et le coût pourrait être sévère ! Reste à mettre en scène cette partition chorale où seule, Blanche entre et sort, toutes les autres dix femmes étant debout, en permanence sur le plateau. Aucune approximation:  Maëlle Poésy dirige avec une maîtrise tout à fait remarquable ses actrices qui, oralement comme gestuellement sont exceptionnelles de vérité. Mention spéciale à Véronique Vella (Blanche), Françoise Gillard (Arielle), Elise Lhomeau (Sabine) et Séphora Pöndi, (Lorraine), la jeune pensionnaire recrutée ce mois-ci et qui jouera Madelon dans Les Précieuses ridicules mises en scène par Stéphane Varupenne et Sébastien Pouderoux en mars prochain .

Cela se passe dans un local indéterminé à la fois, pour stockage de bobines de fil et salle de pause avec juste une table en stratifié blanc, quelques chaises, une fontaine à eau et une cafetière électrique. Pour ce huis-clos, un dispositif bi-frontal éclairé par des tubes fluo blanc au plafond du plateau et de la salle. «J’ai voulu rompre avec le point de vue objectif induit par un rapport frontal. Une partie des spectateurs sera nécessairement face à celle qui parle, tandis que ceux d’en face verront les réactions sur les visages de celle ou celles à qui elle s’adresse. Et inversement.» Bon, mais ce n’est pas évident et surtout quand on se trouve dans la partie habituelle de la salle, si on n’est pas au premier rang, on ne voit pas le sol de la scène, donc la gestuelle des actrices dans son intégralité. Et c’est dommage : il aurait suffi à Hélène Jourdan d’élever légèrement le niveau du plateau… C’est la seule réserve que nous ferons. Mais Eric Ruf a eu raison de faire confiance à Maëlle Poésy qui a réussi là en une heure et demi, un spectacle remarquable, alors que cette rentrée n’est jusque là pas très enthousiasmante…

Philippe du Vignal

Jusqu’au 17 octobre, Comédie Française-Théâtre du Vieux-Colombier, rue du Vieux-Colombier, Paris (VI ème). T. : 01 44 58 15 15.

 



 

Pour autrui, texte et mise en scène de Pauline Bureau

Pour autrui, texte et mise en scène de Pauline Bureau

Liz Chassagnac et Alexandre Briaud, la trentaine, ne se connaissent pas du tout; ils sont bloqués, à cause d’une tempête de neige,  à l’aéroport de Francfort. Aucun train non plus pour revenir à Paris. Lui, un marionnettiste, doit impérativement y être le lendemain. Il va louer une voiture et propose à Liz de l’emmener. Elle refuse d’abord puis accepte. Coup de foudre et très vite, ce jeune couple va vivre ensemble et aura envie d’avoir un enfant. Liz sera vite enceinte mais fera une fausse couche. Et les médecins lui révèlent qu’elle a un cancer de l’utérus et qu’il va falloir pratiquer une hystérectomie. Elle guérira heureusement de ce cancer mais désormais aucun espoir pour elle d’avoir un enfant.

Miracle, sa sœur Kate est sage-femme dans une clinique privée en  Californie et pense que l’une de ses collègues, Rose Hutchinson qui a déjà deux enfants, pourrait être éventuellement une mère porteuse, puisque la gestation pour autrui est admise là-bas. Cela tombe bien: Rose voudrait être enceinte mais pas avoir un enfant de plus à sa charge. Et puis, un peu beaucoup d’argent à l’intermédiaire mais aussi à Rose pour ce service rendu ne nuirait pas à l’affaire, même si cela reste ici discrètement évoqué. Liz et Alexandre iront donc prendre contact avec Rose et Jim, son mari. Il y aura quelques tiraillements dans le couple mais bon, tout s’arrangera et le bébé grandira avec ses parents, grâce à cette mère porteuse.
Bref, le malheur s’est enfui de la vie de Liz et Alexandre. Ils vivent toujours ensemble et avec leurs  familles, baignent dans la joie. Alléluia…Alléluia. Cinq ans plus tard, le couple américain viendra chez eux à Paris pour fêter l’anniversaire de la petite fille.  A la fin du spectacle, nous la verrons même ensuite un court moment quand elle aura quinze ans.

 

 

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Pauline Bureau a donc imaginé pour ce merveilleux conte de fées, une suite de personnages comme une médecin, un interne, les parents du couple d’abord opposés à cette G.P.A et qui, bien entendu, grâce à ce moderne coup de baguette magique, craqueront devant ce nouveau-né  que son père et sa mère sont allés chercher à l’autre bout du monde.

Pour servir son texte, Pauline Bureau a demandé à Emmanuelle Roy de lui construire une scénographie-machine à jouer avec, au centre, un plateau tournant! Mission impeccablement accomplie et tous les lieux sont donc mis en évidence avec réalisme: grand couloir vitré d’aéroport avec, au-dessus, un écran pour qu’on puisse voir un avion s’envoler (un pléonasme visuel!), cuisine et salle à manger du jeune couple, maternité avec une chambre où on voit le nouveau-né, bureau du médecin, etc.

Après tout, pourquoi pas, même si cela a des allures de bande dessinée? Oui, mais voilà, le texte ne dépasse pas le niveau zéro de l’écriture! Et ces personnages inconsistants ne vivent que grâce au jeu de Yann Burlot, Martine Chevallier, Nicolas Chupin, Rébecca Finet, Sonia Floire, Camille Garcia, Maria Mc Clurg, Marie Nicolle, Anthony Roullier et Maximilien Seweryn (qui a hérité du grand talent de son papa Andrzej Seweryn).
Tous impeccables et bien dirigés par la metteuse en scène, bien costumés par Alice Touvet et bien perruqués par Catherine Saint-Sever. Rien à dire, ce spectacle est soigné mais cette bluette aux dialogues insignifiants et aussi plats que ceux de Plus belle la vie, frise parfois avec le théâtre de boulevard et dure deux heures et demi…  

Pauline Bureau s’est documentée et parle de la G.P.A avec intelligence dans sa note d’intention. Actuellement, les choses ne bougeront pas de sitôt et son interdiction en France est fondée sur des raisons à la fois juridiques, éthiques mais aussi médicales. L’Etat -mais c’est qui, l’Etat? -refuse la commerce du corps. Mais si on assez d’argent, on file ailleurs en Europe… Comme autrefois pour l’avortement. Cherchez l’erreur! Sans doute la loi évoluera-t-elle, même s’il reste encore une quinzaine d’Etats, comme entre autres le Texas, qui restent intransigeants.
Bref, le droit des femmes sur leur corps n’est jamais acquis. Mais il y aura sûrement un jour une possibilité très encadrée d’aider une femme qui ne peut avoir d’enfant comme Liz, de faire appel à une mère porteuse, si elle est bien consciente de son acte. Mais, avec, à la clé, toutes les dérives de commercialisation… comme dans d’autres domaines de la santé, y compris l’avortement.  Pauline Bureau en avait remarquablement parlé dans Hors la loi en recréant le trop fameux et inadmissible procès, dit de Bobigny, intenté il y a quelque cinquante ans à la très jeune Marie-Claire Chevalier…

Mais sur le plateau, désolé, il n’y a pas grand chose sur ces interrogations. Autant l’écriture du précédent spectacle de Pauline Bureau sur une équipe de foot féminine était mieux maîtrisée (voir Le Théâtre du Blog), autant ici cette logorrhée ne fait pas sens. Comme il y a toujours quelque chose à regarder et que la tournette fonctionne pour un oui ou pour un non, on regarde et cela fait toujours passer un moment…
Mais les spectateurs ont applaudi avec politesse… Reste un mystère: comment un texte aussi faible a-t-il pu retenir l’attention de l’équipe du Théâtre de la Colline?

Philippe du Vignal

A l’occasion de la création de Pour autrui, Pauline Bureau est l’invitée de mk2 Curiosity avec  des captations de ses précédents spectacles à retrouver gratuitement sur cette plateforme Mon Cœur et Féminines, un entretien vidéo, une interview sur sur Trois Couleurs et un portfolio  à propos de cette nouvelle pièce.

La Colline-Théâtre national, 10 rue Malte-Brun, Paris (XX ème), jusqu’ au 17 octobre.

Le Bateau Feu-Scène nationale de Dunkerque (Nord), les 25 et 26 novembre.

L’Espal-Scène Nationale du Mans (Sarthe), les 5 et 6 janvier. Le Volcan-Scène Nationale du Havre (Seine-Maritime), les 20 et 21 janvier. L’Espace des Arts-Scène Nationale de Chalons-sur-Saône (Saône-et-Loire), les 28 et 29 janvier.

L’Avant-Seine-Théâtre de Colombes (Hauts-de-Seine), le 4 février. L’Azimut Firmin Gémier, Châtenay-Malabry (Hauts-de Seine), les 9 et 10 février. Scènes du Golfe-Vannes (Morbihan), le 22 février.

Comédie de Colmar-Centre Dramatique National (Haut-Rhin) les 9 et 10 mars. La Comédie de Saint-Étienne-Centre dramatique National (Loire) du 15 au 18 mars. La Filature-Scène Nationale de Mulhouse (Bas-Rhin), les 22 et 23 mars et Théâtre Dijon-Bourgogne-Centre Dramatique National (Côte d’Or), du 29 mars au 1 er avril.

 

 

Comme tu me veux de Luigi Pirandello, traduction et mise en scène de Stéphane Braunschweig

Comme tu me veux de Luigi Pirandello, traduction et mise en scène  de Stéphane Braunschweig 

C’est la quatrième pièce du célèbre dramaturge sicilien que monte le directeur de l’Odéon après Vêtir ceux qui sont nus et Six personnages en quête d’auteur et Les Géants de la montagne. Nous sommes en 1928 après la fin de la première guerre mondiale à Berlin où Luigi Pirandello, en froid avec Mussolini qui semble plus attiré par le cinéma que par le créations théâtrales du dramaturge. Il y vécut cinq ans -ce que l’on oublie souvent- et il écrivit cette pièce en 1930 donc peu de temps après y être arrivé.

Au premier acte, à Berlin où Hitler prend le pouvoir, Elma, une danseuse de cabaret est la maîtresse de l’écrivain Carl Salter, plus âgé qu’elle. Cette séductrice, dont ne sait pas grand-chose et qui aimante les hommes, est reconnue par Boffi, un photographe italien, ami de Bruno Pieri, un officier. Il pense qu’elle est en fait Lucia, une jeune femme mariée à son ami. Elle a été portée disparue en 1917 après la guerre, au nord de l’Italie qu’ont dévasté et pillé les troupes autrichiennes. Avec, à la clé, des milliers de morts et des femmes violées par les soldats, y compris par leurs chefs. Comme elles, sans doute violée et traumatisée, Lucia serait vite tombée dans une vie de fête alcoolisée, comme pour s’étourdir et oublier son passé. Bruno lui a essayé de la retrouver mais en vain…

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Au second acte, nous sommes en Vénétie, dans une maison luxueuse avec un grand et beau salon où Elma est revenue  mais dont elle semble avoir perdu jusqu’au souvenir si, du moins, elle est bien cette Lucia que son mari a fait rechercher. Et où vivent maintenant un oncle et une tante, Salesio et Lena. Cette Inconnue veut sans doute clore un passé douloureux et dit à Bruno qu’elle sera « comme tu me veux ». mais elle voit vite que son cher mari a intérêt pour conserver la maison, à la retrouver en vie, sinon elle lui échappera. Lucia s’aperçoit que cette Italie actuelle n’est donc guère mieux que le Berlin qu’elle a quitté et elle refuse qu’on la reconnaisse.

Au troisième acte, Carl Salter arrive de Berlin avec une femme visiblement atteinte de démence. Un médecin veut prouver qu’elle est bien Lucia, puisqu’elle répète Lena, le nom de la tante qui vit dans cette maison. Le dramaturge sicilien introduit un personnage de jeune femme folle, mal habillée et incapable ou presque, de s’exprimer. Symbolisant les désastres du passé et un impossible retour à une vie normale.. Pirandello, un moment ébloui par Mussolini, semble vouliur régler ses comptes avec lui. Il a nettement peur de cette Italie très conformiste, sous la coupe de l’Eglise toute puissante, et  qui lui répugne profondément. Et Elma/Lucia, dans un coup de théâtre un peu factice,  décidera de repartir pour Berlin avec Salter… Sans doute la seule issue pour cette femme sans passé ni futur.

« Pour Pirandello, dit très bien Stéphane Braunschweig, la folie et l’art sont les seules voies de sortie possibles, et c’est pourquoi, dans Comme tu me veux, Lucia a deux visages, réversibles : celui de la Folle, à jamais hors de la réalité et sans identité, et celui de l’Inconnue, véritable figure de l’actrice, capable de se réinventer dans une nouvelle identité, de donner vie aux fantômes et de repousser les limites de la réalité. Peu importe que l’Inconnue soit réellement Lucia, semble nous dire Pirandello, du moment que l’on y «croit» et que la vie retrouve du sens dans cette illusion. C’est tout le théâtre qui est au cœur de ce paradoxe.»

Dans le texte écrit par Pirandello il y a presque un siècle, Stéphane Braunschweig trouve un écho avec la situation actuelle où nous vivons dans une totale certitude/incertitude, un état qui semble l’obséder puisqu’il le répète cinq fois en quelques lignes. La seule issue étant selon lui «comme Pirandello le suggère, de nous servir aussi du pouvoir de l’imagination pour retrouver un rapport au monde. Reste au-delà de cette fine analyse, à savoir comment on peut mettre en scène cette pièce intéressante mais un peu datée.
Mais Stéphane Braunschweig semble avoir eu quelque mal avec faire coïncider un texte difficile avec la scénographie trop imposante qu’il a conçue. C’est sur le plan esthétique assez réussi, que ce soit dans ce cabaret berlinois entouré d’un rideau vert, ou ensuite dans le grand et beau salon. Mais  pourquoi faire jouer ses acteurs sur une plaque rectangulaire en verre quadrillé où ils ne semblent pas à l’aise (les répétitions sur cet espace bizarre n’ont pas dû être faciles!). Et pourquoi cette plaque se soulève-t-elle pour laisser s’envoler de la fumée. Pourquoi aussi surligner cette sombre période l’Histoire avec des vidéos de ruines de villes bombardées? Cette mise en scène honnête a quelque chose de glacé et reste assez peu convaincante. Et il y a de sacrées longueurs.

Mais heureusement, il y a Chloé Réjon; à peu près tout le temps sur le plateau, elle en a une maîtrise absolue et est remarquable quand elle se met, en vraie et fausse Lucia, à manipuler les autres. Elle réussit à donner vie à cette jeune femme aussi fascinante qu’insaisissable et mystérieuse, qui peut changer de sentiment en quelques secondes... Du grand art et tous les autres acteurs sont tout à fait justes et crédibles. En particulier, Sharif Andoura (Boffi), Claude Duparfait (l’écrivain Carl Salter) et Cécile Coustillac, très impressionnante dans ce personnage de folle, ou encore Lamya Regragi Muzio (Inès Maspéri).
A voir surtout pour le jeu de Chloé Réjon et si vous voulez découvrir cette pièce qui n’est pas souvent jouée de Luigi Pirandello ( il y a une douzaine de personnages!). Elle n’a pas non plus la valeur de Chacun sa vérité ou des Géants de la montagne. 

Philippe du Vignal

Jusqu’au 8 octobre, Odéon-Théâtre de l’Europe, Place de l’Odéon, Paris (VI ème).

Le texte dans la nouvelle traduction de Stéphane Braunschweig est publié aux Solitaires Intempestifs.

 

 

 

La Plus Précieuse des marchandises de Jean-Claude Grumberg, mise en scène de Charles Tordjman

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© Giovanni Cadini Cesi_

La Plus Précieuse des marchandises de Jean-Claude Grumberg, mise en scène de Charles Tordjman

« Il était une fois, dans un grand bois, une pauvre bûcheronne et un pauvre bûcheron… », ainsi commence le conte. « Non, non, rassurez-vous, ce n’est pas Le Petit Poucet; moi-même, comme vous je déteste cette histoire ridicule, où et quand a-t-on vu des parents abandonner leurs enfants? » interrompt Jean-Claude Grumberg l’auteur de ce récit qui prend d’emblée le pouvoir avec humour pour nous raconter la seconde guerre mondiale, les trains de marchandises chargés d’humains à travers la Pologne enneigée… Et nous nous laissons embarquer, une heure durant dans cette histoire à la fois drôle et bouleversante….

La Pauvre Bûcheronne, malgré la famine, se désole d’être sans enfant. Elle recueille une petite fille que, pense-t-elle, les dieux du train lui envoient – en réalité un homme «sans nom » qui, du convoi de la mort, confie à sa garde l’un de ses jumeaux, enveloppé dans un châle de prière. «Etait-ce le moment de mettre au monde deux enfants déjà juifs ? », dit le conte avec humour… Une tragédie que Jean-Claude Grumberg a vécu dans sa chair : il avait quatre ans quand son père fut arrêté sous ses yeux, emmené à Drancy, déporté dans le convoi 49, en mars 1943, et assassiné à Auschwitz . Il l’a raconté dans Mon père. Inventaire (Editions du Seuil, 2003).

Ici, il en tire une fable où le fantastique survient dans la forêt profonde, peuplée de monstres vert-de-gris à tête de mort, de soldats rouges, de chasseurs de “sans-cœur“ et de chaussons magiques en peau de renardeau… Il enveloppe cette indicible catastrophe de merveilleux, sans rien nous en cacher car le Mal absolu est impitoyable, et nombreuses sont les victimes. Après Vers toi terre promise et Daewoo  qui ont reçu les Grands prix de la Critique), Charles Tordjman poursuit son compagnonnage avec l’auteur qui l’a laissé libre d’adapter  ce récit. Eugénie Anselin joue les passages consacrés à Pauvre Bûcheronne, et Philippe Fretun, tous les rôles d’homme: Pauvre Bûcheron et ses camarades de bistrot, Les Chasseurs de « sans cœur », L’Homme des bois à la tête cassée… Et «l’ex-père des jumeaux», dont la femme et le fils, dès leur l’arrivée au «terminus », «s’affranchirent de toute pesanteur en gagnant les limbes du Paradis promis aux innocents», devint un survivant malgré lui… »

 La scénographie : des rails en fer difficiles à arpenter pour les comédiens, s’ouvre sur des images projetées en fond de scène; bougées ou évanescentes, elle évoquent l’univers lointain et trouble de ce conte cruel. La silhouette et la voix de Julie Pilod y font quelques apparitions fantomatiques… La musique: piano d’enfant pour Philippe Fretun, violon pour Eugénie Anselin, devient lancinante. Une machine à coudre fait office de percussion, une allusion à sa pièce L’Atelier et son père qui était tailleur… «  Et comme l’histoire est effrayante, dit Charles Tordjman, nous convoquerons les ombres, les sons aigus, les frayeurs, tout en sachant que nous pouvons nous faire plaisir dans l’exercice, puisque Jean-Claude nous dit que rien n’est vrai de tout cela. »

 A la fin de ce conte, on nous dit que  » Il n’y eut pas de trains de marchandises traversant les continents en guerre… Ni de camps de regroupement, de concentration ou même d’extermination. » Une coda ambiguë qui stigmatise les négationnistes… Pour le public averti du Théâtre du Rond Point, le deuxième degré et l’ironie vont de soi. Mais qu’en est-il pour ceux qui pensent que c’est de la vieille histoire ou qui, victimes d’une certaine propagande, que tout cela, en effet n’a pas eu lieu ? Heureusement, dans le livre, un appendice historique rétablit les faits. « Et les faits sont têtus », disait Lénine…  Merci à Jean-Claude Grumberg de nous les rappeler, car il y aura toujours urgence… 

 Mireille Davidovici

 Jusqu’au 17 octobre, Théâtre du Rond-Point, 2 bis avenue Franklin D. Roosevelt, Paris (VIII ème). T. : 01 44 95 98 21.

 Du 27 au 30 octobre, Théâtre de Liège (Belgique).

Du 17 au 20 novembre, Théâtre National de Nice (Alpes-Maritimes).

Les 3 et 4 décembre, Théâtre de la Colonne, Miramas (Bouches-du-Rhône). Les 15 et 16 décembre, Théâtre de La Criée, Marseille.

 Le conte est publié aux éditions du Seuil.

 

 

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Skylight de David Hare, traduction de Dominique Hollier, mise en scène de Claudia Stavisky

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Sacha Ribeiro et Marie Vialle © Simon Gosselin

Skylight de David Hare, traduction de Dominique Hollier, mise en scène de Claudia Stavisky

Un loft sommairement meublé en hiver: buée sur les vitres, neige… Edward fait irruption chez Kyra, une jeune femme qui mène une existence austère au nord de Londres et qui enseigne à des enfants de quartiers défavorisés. Ce jeune garçon vient demander son aide à cette amie de la famille car il ne supporte plus son père Tom, déprimé après le décès de sa femme. La cinquantaine glorieuse, ce restaurateur fortuné, self made man, débarque à son tour et essaye de reconquérir Kyra avec qui il a eu une liaison secrète… 

Après avoir monté Skylight en chinois au Shanghai Dramatic Arts Center, Claudia Stavisky récidive avec cette fois, une version en français. « La pièce raconte comment des différences idéologiques empêcheront les ex-amants de se retrouver et comment leur expérience respective de la vie, exclura toute possibilité de voir renaître la relation qui les a unis. David Hare s’inscrit dans la tradition d’un théâtre anglo-saxon «réaliste » et, en « commentateur des maux du capitalisme moderne » comme il se qualifie lui-même, il porte un regard critique sur la société. Dans cette pièce de facture classique écrite en 1990, il évoque, le temps d’une nuit, les retrouvailles de ces anciens amants et le fossé qui sépare deux conceptions du monde, dans une Angleterre thatchérienne où la financiarisation économique a amplifié la fracture sociale…

Tom et Kyra ressassent leurs contradictions idéologiques et l’action peine à avancer, en se perdant dans les méandres de la psychologie et des arguments répétitifs. Malgré la cruauté intrinsèque de la situation, règne un certain pathos dans cette pièce, moins puissante que d’autres de David Hare… Et les mots d’auteur/clins d’œil ironiques, sont un brin complaisants. Dans le décor dépouillé de Barbara Kraft, se joue un mélo plus qu’une tragédie. La mise en scène, rigoureuse et maîtrisée, tire parfois le spectacle vers l’anecdotique et le naturalisme : on allume un radiateur électrique, on fait cuire des pâtes, ou couler un bain…

Patrick Catalifo joue Tom, homme d’affaires conquérant mais fragile et Marie Vialle, Kyra cette militante naïve et sincère. Ils donnent épaisseur et nuances à cette pièce linéaire et sans relief. Sacha Ribeiro (Edward) apporte la fraîcheur et la fougue de sa jeunesse.  

Le public, lui, ne boude pas son plaisir grâce à ces bons interprètes et les thèmes abordés sont ceux de nos débats actuels. « On pourrait penser que j’ai commandé cette pièce la semaine dernière! dit Claudia Stavisky. Skylight parle du démantèlement du service public, un thème déjà présent en Angleterre, il y a vint ans »

 Mireille Davidovici

Jusqu’au 5 octobre, Théâtre des Célestins, 4 rue Charles Dullin, Lyon (II ème). T. : 04 72 77 40 00.

Les 26 et 27 mars, Théâtre de l’Archipel, Perpignan (Pyrénées-Orientales).

Du 11 au 29 mai, Théâtre du Rond Point, Paris (VIII ème)

 

Ineffable, chorégraphie de Jann Gallois

Ineffable, chorégraphie de Jann Gallois

 

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©Gaëlle Astier-Perret

 

Il y a eu une belle ovation à la fin de cette première à Paris. «L’ineffable se dit de ce qui ne peut s’exprimer par des paroles», dit l’artiste, associée au Théâtre National de la Danse de Chaillot. Pourtant, elle a trouvé grâce à la danse et la musique, un moyen de transmettre toutes les émotions qui la traversent.Musicienne de formation, elle surprend par sa maîtrise des instruments installés en fond de scène comme sur un autel avec, au centre, un magnifique taïko, un tambour japonais. La danseuse a composé la musique de cette première partie, puis nous entendrons celles d’Arvo Pärt, Ludwig van Beethoven, Philippe Hersant qui l’accompagneront…

 Et nous ressentons la quête profonde de sens de cette chorégraphe au corps transpercé par la musique: «Celui que j’ai donné à ma vie et que je souhaite partager ici, est fondé sur l’apprentissage du contrôle de mon corps et de mon esprit, qui sont les instruments de notre réalisation.»Quand elle manipule les instruments, sa délicatesse gestuelle nous étonne, alors que sa danse se révèle pleine d’énergie et de fureur. Entre rituel religieux et cérémonie japonaise, nous sommes emportés par ce solo d’une heure vingt. Ne le ratez pas.

 Jean Couturier.

Du 22 septembre au 1er octobre, Théâtre National de la Danse de Chaillot, 1 place du Trocadéro, Paris (XVI ème). T.: 01 53 65 30 00.

 

Adieu Philippe Adrien

 

Adieu Philippe Adrien

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Atteint depuis cinq ans d’une grave maladie neurologique, il vient de mourir à quatre-vint un ans. C’était l’un de nos meilleurs metteurs en scène  et hommes de théâtre qui s’était d’abord fait connaître avec une première pièce La Baye à Avignon en 1967, mise en scène par Antoine Bourseiller, quand  Jean Vilar dirigeait encore le festival et ce spectacle avait été salué comme très prometteur.
Mais il devint vite metteur en scène et prit la suite d’Antoine Vitez au Théâtre d’Ivry puis fut l’assistant de Jean-Marie Serreau, figure emblématique du théâtre d’avant-garde des années cinquante qui créa le Théâtre de la Tempête à la Cartoucherie de Vincennes (Val-de-Marne). Il lui succèdera de 85 à 2016 et enseigna aussi au Conservatoire National de 89 à 2006.

Très vite, cet homme infatigable et curieux de tout, fut reconnu comme un figure majeure du théâtre d’avant-garde et monta des auteurs célèbres: Tennessee Williams (Doux oiseau de jeunesse ou Un Tramway nommé désir). Ou alors peu connus en France comme Witold Gombrowicz, Stanislas Witkiewicz, Werner Schwab, Hugo von Hofmannsthal ou Tom Stoppard.

Philippe Adrien, boulimique de mise en scène et curieux de toutes les écritures, proche de l’Afrique, avait aussi une passion pour Molière dont il monta L’Ecole des femmes, Monsieur de Pourceaugnac, Le Médecin volant et Amphitryon mais cette fois à la Comédie-Française… Mais il admirait aussi beaucoup Tchekhov dont il mit en scène La Mouette et Ivanov. Et Le Partage de midi et Protée de Paul Claudel.
Bref, il s’intéressait aussi bien aux auteurs classiques ou
contemporains, qu’ils soient français: Jean-Claude Grumberg, Véronique Olmi… et aussi plus curieusement à Georges Feydeau. Son Dindon connut un grand succès il y a dix ans. Mais surtout étrangers comme Juan Mayorga (La Tortue de Darwin) ou Werner Schwab (Excédent de poids, insignifiant amorphe). Puis récemment en 2014, Boesman et Lena de l’écrivain sud-africain Athol Fugard. Et une remarquable adaptation du roman d’Amos Tutuola, L’Ivrogne dans la brousse
Il y a quelque vingt ans il travailla avec Bruno Netter, un comédien aveugle pour créer des spectacles avec des acteurs voyants et non-voyants Le Malade imaginaire de Molière, Le Procès de Franz Kafka, Oedipe de Sophocle, Don Quichotte de Cervantès ou Les Chaises d’Eugène Ionesco. Il écrivit aussi plusieurs scénarios pour le cinéma.

Merci Philippe Adrien pour tout ce que vous aurez apporté au théâtre contemporain, à la Tempête et comme enseignant.

Philippe du Vignal

Fahrenheit 451, d’après Ray Bradbury, mise en scène de Mathieu Coblentz

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©RODOLPHE HAUSTRAËTE

Fahrenheit 451, d’après Ray Bradbury, mise en scène de Mathieu Coblentz

 L’ouverture de la saison au T.N.P. est placée sous le signe du centenaire du Théâtre National Populaire avec plusieurs manifestations (voir Le Théâtre du Blog). Jean Bellorini, son nouveau directeur a aussi  une programmation de spectacles pour la jeunesse et invite la première création d’un metteur en scène. Mathieu Coblenz  a,  depuis 2005, a participé à ses créations comme régisseur ou comédien.  Il présente ici une adaptation originale et maîtrisée du roman, qui, dans un va-et-vient permanent entre récit et séquences dialoguées, laisse toute sa place à l’imagination. Et il parvient à créer des images fortes, sans succomber à la tentation des écrans, pourtant omniprésents chez Ray Bradbury…

Montag est pompier, mais, dans cette dystopie, les soldats du feu n’éteignent plus les incendies et brûlent les livres, désormais interdits par les censeurs de la liberté. … Au fil du récit, le héros prend conscience des trésors que renferment ces ouvrages et rejoindra ceux qui ne veulent pas laisser mourir la pensée…. Cette fiction de 1953 a marqué des générations et reste d’une actualité sidérante. Mais comment faire théâtre avec un livre si connu et si commenté, et après le film de François Truffaut ?

Matthieu Coblentz a pris un parti radical et imagine une petite faction d’insoumis qui enregistreraient le roman clandestinement. La pièce commence et finit par un choeur des résistants qui, pour sauver les livres, les mémorisent : «Nous sommes la petite minorité de ceux qui crient dans le désert. Les livres, nous les lisons et les brûlons. Nous les transmettrons oralement à nos enfants. 

Comme les hommes-livres du roman, les acteurs vont enregistrer Fahrenheit 451 sur un vieux magnétophone à bande et les musiciens s’apprêtent à fournir les ambiances sonores dans un décor d’époque. Côté jardin, une petite cuisine au papier peint fané avec motifs orange. A cour, un orchestre de cuivres, piano et claviers électroniques vintage. La musique rythme le spectacle :  du Tomaso Albinoni, John Dowland, Henry Purcell, Daniel Balavoine et de nombreux arrangements musicaux inventés par Jo Zeugma, présent sur le plateau. « Nous entreprenons de dire le roman. Dire avec les mots, chanter, jouer l’histoire d’un être révolté contre l’oppression. »

Les sept chanteurs, musiciens et comédiens vont, une heure et quart durant, nous transmettre l’œuvre de Ray Bradbury, dans une traduction aux belles échappées littéraires. Tantôt sous forme de récit devant un micro, tantôt jouant librement les situations… Le texte, tout simplement. Et cela fonctionne jusqu’au bout, avec un tempo précis et une réalisation toute en nuances.

L’enregistrement commence sur un solo de trompette, pour créer l’atmosphère crépusculaire de cette sombre fable. Montag, le valeureux pompier pyromane, brûle avec ardeur les livres dont les feuilles noircies «comme des pigeons, battent des ailes». Pourtant, un jour, l’homme rencontre une jeune fille qui lui parle de ses lectures, de la beauté de la nature…. Elle sème le doute dans son esprit et il en vient à sauver des flammes un ouvrage. Il se met alors à lire et commence à rêver d’un monde différent du sien, où les gens, à l’image de sa femme, s’enivrent d’un bonheur factice et sont contrôlés par des écrans géants.

 Fahrenheit 451 fut écrit juste après le temps des goulags et des camps nazis, où des hommes apprenaient et se transmettaient des poèmes appris par cœur. Dans le roman, on entrevoit aussi une critique prémonitoire de ces images et écrans qui envahissent nos vies et qui pourraient bientôt contrôler nos esprits…

A Kaboul, brûler des livres pour échapper au joug taliban, titrait Le Monde du 17 septembre dernier. La peur des fondamentalistes incite un libraire de la capitale afghane à purger son stock des ouvrages qui pourraient susciter l’ire des nouveaux maîtres du pays… » La réalité dépasse la science-fiction !

 Mireille Davidovici

Du 21 au 25 septembre, Théâtre National Populaire, 8, place Lazare-Goujon, Villeurbanne (Rhône). Puis en tournée.

Fahrenheit 451, traduction de Jacques Chambon et Henri Robillot, est publié aux éditions Gallimard.

 

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