Correspondance avec la Mouette d’Anton Tchekhov et Lika Mizinova. traduction, adaptation et mise en scène de Nicolas Struve
Correspondance avec la Mouette d’Anton Tchekhov et Lika Mizinova. traduction, adaptation et mise en scène de Nicolas Struve
Il faudrait ajouter un sous-titre : «C’est avec plaisir que je vous ébouillanterais », une phrase vigoureuse de cette correspondance et qui donne le ton. Lui, à vingt-neuf ans, est déjà un écrivain reconnu. Et elle, à dix-neuf ans, une beauté célèbre dans les milieux artistiques et la bohème brillante. Elle se prépare à devenir cantatrice. Flirt, agaceries, provocations, amitié : on ne sait pas trop comment ils étaient ensemble, mais à distance, par correspondance, cela flambe, crépite, fait mal et c’est jouissif. Plus chien et chat, que chat et souris (et réciproquement), ils se ressemblent trop pour s’assembler. Ecorchés, prétendant l’un et l’autre être insensibles, alors que leur vulnérabilité éclate dans leurs excès de langage mêmes, dans leur humour caustique, ravageur. Et pourtant il y a du désir, là-dedans, oh ! Combien !
Pour autant, que faire d’un Anton Tchekhov accablé par son travail de médecin et d’écrivain payé à la ligne, portant sa famille sur ses épaules ? Lika (Lidia) tombe « définitivement amoureuse » d’Ignaty Potapemko, un autre écrivain célèbre à l’époque mais reproche à son correspondant : «Vous vous débrouillez toujours pour vous débarrasser de moi et me jeter dans les bras d’un autre »… Pour la suite, voir La Mouette… Lika attend un enfant de son écrivain célèbre mais il l’abandonne,l’enfant meurt et elle ira chanter dans les opéras de province…
Obsédé comme son personnage d’écrivain Trigorine par l’obligation quotidienne et incessante d’écrire, écrire, écrire, Anton Tchekhov vampirise sa vie et celle de se proches : La Mouette suit de près son aventure ( sur neuf années, quand même !) avec Lika. Mais connaître l’histoire de Lika donne un nouvel éclairage à la pièce tant de fois jouée et confirme la double image que Tchekhov y donne de lui. Il est bien le Trigorine de La Mouette, cet auteur célèbre fatigué qui a besoin de vacances et pourquoi pas, avec sa bonne vielle copine actrice, mais aussi d’excitation et de fraîcheur auprès de Nina, cette jeune débutante naïve. Oui, il est aussi Treplev, peu sûr de son talent, angoissé, mal à l’aise. Mais surtout, bien qu’il soit, pour son époque, un homme mûr, cette correspondance lui rend une incroyable jeunesse, et donne à la pièce et à sa famille de personnages un caractère terriblement concret.
Nicolas Struve et ses interprètes : Stéphanie Schwartzbrod et David Gouhier, ont trouvé des solutions originales pour jouer cet échange de lettres tout feu, tout flamme et tout glace,. Sortant de l’adresse au public « en parallèle », ils ont mis en point avec la chorégraphe Sophie Mayer, la danse de leurs bagarres et de leurs désirs. Il se heurtent, se bousculent, cavalent, et puis de loin, calmés, osent dire leur mélancolie, avant de repartir au combat. La scène est un chantier, où, sur des toiles tendues, ils inscrivent à l’eau les points de repères de leur histoire à épisodes. Et bien sûr, tout s’efface au fur et à mesure : « La vie passe », dirait Anton Tchekhov…
Cela est-il vraiment arrivé ? Dans les biographies de l’écrivrain, Lidia ou Lika existe à peine, alors qu’elle jouit de sa propre célébrité. Mais restent ces lettres si vivantes, si fortes qu’on peut tout inventer à partir de cette correspondance recherchée avec obstination et trouvée par Nicolas Struve. À voir dès que possible mais aussi à lire*.
Christine Friedel
Théâtre de la Reine Blanche, 2 bis passage Ruelle, Paris (XVIII ème), les mardis, jeudis et samedis, à 21 h jusqu’au 9 Octobre. T.01 40 05 06 96 – reseration@scenesblanches;com
*Correspondance à paraître aux éditions Arléa, le 9 octobre.