Et la terre se transmet comme une langue de Mahmoud Darwich, traduction d’Elias Sanbar, projet de Stéphanie Béghain et Olivier Derousseau

Et la terre se transmet comme une langue de Mahmoud Darwich, traduction d’Elias Sanbar, projet de Stéphanie Béghain et Olivier Derousseau

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Nous n’oserons pas dire que tout le monde connaît la poésie de Mahmoud Darwich mais au moins le nom de ce poète militant palestinien qui a séjourné à Beyrouth, Moscou, Le Caire, Paris. Partout chez lui, d’autant plus attaché aux fruits, à la matière de la terre, qu’il a été arraché à la sienne à sept ans et a cheminé d’exil en exil, sans compter la prison. Il se disait « heureux qu’en arabe, on désigne par un même mo: bayt, aussi bien la maison que le vers en poésie ». La sienne est ample, riche, sensuelle. En Orient, on ne la lisait pas, on l’écoutait et nous l’avons pu l’entendre en musique, à la Maison de la Poésie à Paris..

Stéphanie Béghain et Olivier Derousseau lui consacrent un objet artistique singulier. Cela se passe dans la double salle du T2G à Genneviiliers: à un moment, à travers l’ immense espace du plateau, rideau de fer levé, apparaîtra en miroir du public, l’ensemble des sièges inoccupés de l’autre salle où la narratrice déposera son bâton de pèlerin. Mais nous ne pouvons parler sérieusement de spectacle, tant ce travail refuse le spectacle. Dans un décor de chantier (bâches et rares matériaux épars), la séance s’ouvre sur un extrait d’État de siège  du poète, traduction Elias Sanbar, confié à quatre lecteurs du groupe d’Entraide Mutuelle Le Rebond à Épinay-sur-Seine, une association avec laquelle travaillent Stéphanie Béghain et Olivier Derousseau. Un moment de fragilité nécessaire mais aussi d’affirmation de l’importance du poète auprès de personnes marginalisées. Puis on entend des pas au loin et plus près, au loin encore et dehors. Evocation minimaliste de l’exil et du retour ?

Stéphanie Béghain apporte le texte de Mahmoud Darwich, parfois morcelé, déconstruit par de grands silences, modifié par la sonorisation, éloigné, aussi et de temps en temps, accomplit des tâches concrètes, comme déplacer de longues planches pour tracer une sorte de frontière ou de mur, autour de ce qui pourrait être des tombes, partir, revenir…Tous ces gestes ont un sens et renvoient à la longue histoire de la Palestine. Malgré le parcours-exposition Traces (étendues) qui nous a menés -trop vite- jusqu’à cette présentation ou performance, ce travail de correspondances et rencontres plutôt que de métaphores, avec le poème et la vie de Mahmoud Darwich, s’échappe dans l’abstraction. Malgré un beau travail de lumières et de son, nous ne l’avons pas entendu…

Les concepteurs travaillent sur ce poème depuis dix ans, avec une exigence exceptionnelle, sans doute intenable. Selon les lieux où ils l’ont présenté, « Les formes d’apparition ont chaque fois varié. Ces variations ont toujours été guidées par le désir d’ouvrir et de construire un espace de réception situé, dont l’étude systémique a conduit à des recherches sur la longue histoire de la Palestine, afin de considérer le feuilletage, l’épaisseur historique et existentielle du poème. » A partir de ce «feuilletage» qui a engendré l’écriture, le projet prend sens et affûte notre regard sur ce morceau de terre moyen-orientale qu’on n’ose plus nommer territoire et dont le seul nom durable, à travers les millénaires, est Palestine. Les chercheurs ont établi une passionnante exposition/installation, avec cartes, photos, calligraphies, qui fouille les strates des noms qui lui ont été données, les surfaces conquises et perdue–surtout perdues !.

Belle «archéologie du poème » qui donne sa plénitude au titre Et la terre se transmet comme la langue. Le T2G a   aussi édité un beau Document(s), très sobre sur la Palestine, avec photos mises en regard, chronologie et bibliographie. Mais ce que l’on voit sur scène, au bout de cette formidable recherche, ne nous parvient pas et souffre d’un trop-plein d’intentions et mises en garde sous-jacentes comme : ne pas induire le sens et faire que ce soit au public de le construire et tendre l’oreille pour écouter «vraiment». Comme aussi déconstruire ses attentes éventuelles…. Au nom d’une rigueur qui finit par manquer sa cible, nous sommes frustré du poème lui-même et l’archéologie a démantelé son objet. Selon l’organisation classique du théâtre, nous sommes conviés à 18 h pour ce spectacle mais il faudrait venir une heure plus tôt, pour avoir le temps de visiter soigneusement l’exposition, déchiffrer et reconnaître les strates mises au jour par les chercheurs, pour pouvoir entrer dans la genèse du poème. Opération piégée : l’exposition-installation est faite pour rapprocher le spectateur de la Palestine, par une connaissance approfondie de sa géographie et de son histoire… Mais cette performance scénique nous en éloigne !

Christine Friedel

T2G de Gennevilliers (Hauts-de-Seine), jusqu’au 16 septembre. T. : 01 41 32 26 26

De Mahmoud Darwich : La Terre nous est étroite et autres poèmes, collection Poésie Gallimard et Au dernier soir sur cette terre chez Actes Sud).

 

 

 

 

 

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Archive pour 15 septembre, 2021

LA LIN LI LA LIN conception et mise en scène de François Lanel

RONCHAY-crédit 07343

© Thomas Desbonnets

LA LIN LI LA LIN, conception et mise en scène de François Lanel

Nous avons souvent vu des spectacles dans des friches industrielles reconverties mais, dans une usine en activité, c’est assez rare. Celui-ci nous invite à découvrir le lin tel qu’on le cultive et le tisse en Normandie. Le pays de Caux, autrefois gros producteur de cette fibre à usages multiples, a vu cette agriculture décliner au fil des ans, comme toute l’industrie textile de la région, écrasée par la concurrence des pays asiatiques…

Le Tissage du Ronchay, aux environs de Dieppe, a résisté et survécu mais au prix de plans sociaux successifs. Depuis 1845, la famille Lardans tisse de père en fils: jute, coton, lin et autres fibres naturelles. L’activité battait son plein jusqu’aux années 1970, notamment avec le jute destiné aux revêtements de sol, sacs et à l’ameublement où il était à la mode. Mais le relais a été pris par l’Inde et le Bangladesh, grands producteurs. L’usine, avec une quarantaine de métiers à tisser à lance Dornier, tourne aujourd’hui au ralenti avec moins de dix ouvriers contre cinquante dans les années soixante-dix. Le dernier gros client qui achetait quinze millions de m2 de toile de jute pour fabriquer du linoléum se fournit maintenant en Asie, condamnant l’usine à vivoter, sinon à fermer ses portes…

Mais Marion Diarra-Lardans n’entend pas baisser les bras: «Nous avons un patrimoine industriel dont j’ai pris conscience et nous, la sixième génération, essayons de le sauver. » Et elle a décidé de se lancer dans le tissage du lin dont la culture renait dans l’Hexagone sur environ 122. 000 hectares dont 60 % en Normandie. Une surface multipliée par deux, en dix ans… La jeune femme a su convaincre son père et son oncle de la faisabilité de ce projet ambitieux. Elle en a parlé à son ami d’enfance, le metteur en scène François Lanel qui a eu l’envie de l’accompagner dans cette aventure. «Il m’a proposé, dit-elle, de profiter du dispositif régional Patrimoine et création pour monter un spectacle dans l’usine en activité. Y faire entrer du public est un pari fou mais fait partie de la relance de l’entreprise et montre que l’entreprise est encore vivante, avec des tisserands au savoir-faire extraordinaire. »

François Lanel, dont la compagnie est basée à Caen, a trouvé les moyens de production, en partenariat avec la Scène Nationale de Dieppe. Fort de son expérience avec des amateurs dans des lieux non théâtraux, il a recruté quatorze volontaires des environs: habitants de la ville et de la campagne, enfants, adolescents, retraités agriculteurs, ouvriers… : «Ils ont tous des histoires où le lin a pris un grande importance et la pièce s’articule autour de son parcours: de la semence au tissage.»

LA LIN LI LA LIN crédit 1

© CIE L ACCORD SENSIBLE

Il ne veut pas concevoir un théâtre documentaire mais faire entrer les récits des gens en résonance avec l’esprit du lieu: «J’en ai conçu la dramaturgie, comme une partition qui lie des instruments les uns avec les autres : jeu, espace,son, objets…. Le lieu est le décor etdicte la pièce.» Dans un immense hangar sous la lumière glauque de verrières encrassées, des bâches dissimulent de mystérieuses caisses et pièces de machinerie, trouvées dans l’usine et exhumées au fur et à mesure, comme les témoins d’une époque révolue. Cette archéologie participe à la fois des souvenirs des acteurs, collectés et mis en forme, et la mémoire du lieu exploré puis scénographié. La présence des comédiens reste fantomatique et des sons étranges accompagnent leurs déplacements. Par bribes, ils nous livrent quelques souvenirs: le bruit du vent qui caresse les plants de lin: « ça vous fait des vagues bleus, comme la mer » ; les chargements et déchargements, par trois voyages par jour, de vingt palettes de soixante bobines de fil par voyage avec ponctualité exigée !…

Au lointain, les rumeurs d’une petite fête carnavalesque : une chorale cherche le la et la note qui serait celle du lin… La petite voix d’un gamin laisse la cheffe de chœur.. sans voix. Un travail de son et de lumière très élaboré fait vibrer l’espace et ponctue les mots échappés de cette troupe disparate où se détachent quelques personnalités et surtout, celle du lieu…Nous retrouverons les participants à cette création collective dans un documentaire réalisé par Chantal Richard qui a suivi les répétions et capté des moments de paroles de chacun. «Dans ce film qui s’est écrit sans scénario préalable, au fur et à mesure des répétitions, il est question de transmission, de générations mais aussi de situations sociales diverses d’hommes, femmes et enfants face à un monde en mutation », dit la cinéaste. Comme dans tous ses films souvent primés, la cinéaste va au plus près des gens et de leur environnement, ce qui manque un peu dans ce spectacle.

Le théâtre et le cinéma sauveront-ils l’usine ? Marion Lansard se donne un an pour gagner son pari. Mais LA LIN LI LA LIN  nous alerte sur l’existence d’un patrimoine culturel et industriel lié à la filière du lin qui ne demande qu’à prendre un nouvel essor…

Mireille Davidovici

Spectacle vu le 12 septembre au Tissage du Ronchay, rue aux loups, Luneray (Seine-Maritime)
Représentation publiques les 18 et 19 septembre à 19h15 à l’occasion des Journées européennes du Patrimoine.
Les 8 et 9 juillet à 21h15, Festival du lin et de la fibre Artistique. Entrée libre, sur réservation à la Scène Nationale de Dieppe. T. :02 35 82 04 43. billetterie@dsn.asso.fr

 

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