Salem, écriture collective de la compagnie Le Tambour des Limbes, mise en scène de Rémi Prin

Salem, écriture collective de la compagnie Le Tambour des Limbes, mise en scène de Rémi Prin

 

 

© Avril Dunoyer

© Avril Dunoyer

Salem (Ville du Massachusetts aux États-unis) doit sa célébrité au procès des sorcières, en 1692. Un tragique événement qui entraîna la mort de plusieurs de ses habitants accusés de pratiquer la sorcellerie. Arthur Miller en 1953, adapta cette terrible histoire pour le théâtre dans sa pièce Les Sorcières de Salem. Depuis toujours, Rémi Prin est fasciné par «cette chasse aux sorcières » survenue au XVII ème siècle. «Pour moi c’est une matière propice à la mise en chantier d’un spectacle. (…) Que s’est-il vraiment passé à Salem en 1692 ? Cette question m’a toujours fasciné. » L’attrait pour l’irrationnel: le mystère (diabolique parfois), le monde des sorcières et de leur médecine, la cérémonie et le rituel sacré, le théâtre…habitent l’univers de sa dernière création. Le metteur en scène et la compagnie Le Tambour des Limbes ont eu la bonne idée d’inscrire cette fabula hors du temps. Sa dimension dionysiaque et l’aspect trouble et éternel de l’âme humaine s’en trouvent ici renforcés. 

Dans le petit village de Salem, trois jeunes femmes, Emma, l’institutrice, Marthe, la fille du maire et Jeanne, une fille de ferme, décident de se retrouver dans la forêt, pour s’amuser à l’abri des regards des villageois et se libérer de l’autorité patriarcale et de l’animosité des habitants. Quelques instants plus tard, Alia qui vit dans les bois et les observe, sera admise dans le groupe en échange de son silence. Emma a décidé, pour animer cette soirée, d’initier une cérémonie lue dans un livre. Passionnée par la nature et le pouvoir thérapeutique des plantes, elle tient à partager ses connaissances avec les autres femmes du groupe et allier ainsi le sérieux, à l’amusement ! Mais bien vite, cette joyeuse initiative tourne au cauchemar…

La forêt dans l’obscurité, une lampe à huile à la main, Emma appelle en murmurant « Marthe ? Marthe, c’est toi ?» C’est bien elle ! Mais pourquoi est-elle venue à la charbonnière pour rejoindre Emma ? Un coin interdit depuis l’incendie … et si près du village !  Dès le début, une légère tension se fait ressentir et un climat d’intranquillité s’installe lentement. Nuit opaque, lumières froides es et voix chuchotante. Emma: -Marthe, qu’est-ce que tu as? (Marthe se détourne, gênée. Emma semble comprendre.) Il t’a encore enfermée ce soir, c’est ça ? » 

Inspirée des procès de Salem, la pièce a été co-écrite par les quatre actrices, constamment sur scène… Une  belle performance de Flora Bourne-Chastel, Elise d’Hautefeuille, Rose Raulin et Louise Robert ! Une des originalités et la force poétique de cette mise en scène, contrairement aux versions précédentes de ce très violent fait-divers (terme journalistique qui n’existait pas à l’époque, la locution datant des années 1830) :  les femmes, dans cette création, occupent la première place, à la fois bourreaux et victimes de cette effroyable affaire. Le public découvre un autre regard porté sur cette histoire, symbole de l’un des cas d’hystérie collective les plus troublants de notre passé occidental.

Ingéniosité, trouvailles et rythme dense sont au rendez vous, ce spectacle nous offre de belles propositions artistiques. Même si parfois, vu l’espace réduit du plateau, elles sont trop nombreuses pour s’épanouir pleinement et si on s’y perd donc un peu. Réussite particulière dans le traitement du son et de la musique de Léo Grise qui oscille entre électro-psychédélique et musique pop, contrastée, enivrante. Les ombres de Pink Floyd, Portishead ou Alain Bashung… ne sont pas loin et sans oublier les remarquables trucages de Pierre Moussey, les chants merveilleusement interprétés et les lumières expressives et soignées de Rémi Prin et Cynthia Lhopitallier, avec des clairs-obscurs de toute beauté, et d’une fine justesse dramaturgique. Autre point fort, un habile et astucieux travail de bruitage avec, la présence sonore du village et ses habitants, hors-champ: rugissements, voix graves et inquiétantes, cris de fureur, rires sarcastiques…

 Un moment théâtral et poétique fort. Le théâtre de Belleville offre cette occasion rare de découvrir des spectacles en marche, souvent surprenants et empreint d’une universalité.  A présent,  nous avons hâte de revoir dans un espace plus vaste,  la dernière création de la compagnie Le Tambour des Limbes à l’esprit inventif, ouvert sur le contemporain, elle y gagnera encore. Cette écriture collective, politique et éthique, nous fait partager avec émotion, cinq siècles plus tard, une tragédie qui en dit long sur le traitement et la considération des femmes mais aussi sur la rumeur et les risques engagés, entre autres, dans tout comportement hors normes…

 Elisabeth Naud 

 Jusqu’au 28 septembre, les lundi, mardi et dimanche, Théâtre de Belleville, 16 Passage Piver, Paris (XI ème). T. : 01 48 06 72 34.Elisabeth Naud

06 74 61 00 48
 Docteur en Sciences Esthétique et Technologie des arts 

Enseignante en Théâtre – Université Paris8  
Conseillère artistique - Critique


Archive pour 17 septembre, 2021

Bartelby, d’après la nouvelle d’Herman Melville, mise en scène de Katja Hunsinger et Rodolphe Dana, traduction de Jean-Yves Lacroix

photos-bartleby©Agathe-poupeney1

©Agathe-poupeney

Bartelby, d’après la nouvelle d’Herman Melville, mise en scène de Katja Hunsinger et Rodolphe Dana, traduction de Jean-Yves Lacroix 

 « Je crois qu’aucun matériau n’existe pour établir une biographie complète et satisfaisante de cet homme. C’est une perte irréparable pour la littérature », fait dire Herman Melville au narrateur, en introduction à l’histoire étrange et douloureuse de Bartelby : «Un de ces êtres dont on ne peut rien dire de certains». Ce narrateur qui se définit lui-même comme « un de ces hommes de loi sans ambition  de Wall Street « , honnête et plutôt bonasse, a engagé un copiste, venu de nulle part, apparemment terne et réservé. Il s’applique silencieusement à sa tâche de gratte-papier, jusqu’au jour où il oppose à son employeur son fameux : «Je préférerais ne pas ». Ce « non » déguisé à toute injonction émise par l’homme de loi, réitéré et sans appel, a fait couler beaucoup d’encre.

Pour Maurice Blanchot, avec cette formule ni négative ni positive, Bartleby devient le chantre qui rend inopérante la pensée dialectique. Jacques Derrida, lui, y voit la figure d’un schizophrène, voire d’un comique absurde à la Franz Kafka ou à la Samuel Beckett. Et Gilles Deleuze en fait un être tragique: «Un néant de volonté plutôt qu’une volonté de néant. » Quant à Jean-Luc Nancy, qui vient malheureusement de nous quitter, il avouait sa réticence à proposer une lecture de Bartelby the Scrivener A Story of Wall Street (Bartelby le scribe, une histoire de Wall Street), «tant cette œuvre semble être écrite pour être commentée et interprétée».

 « Les portes d’entrée sont multiples dans cette nouvelle» dit Rodolphe Dana qui joue le patron-narrateur et trois de ses autres commis. Il a essayé, en transposant la fiction d’Herman Melville, «de laisser libre cours à l’imagination du spectateur, pour lui permettre de se raconter son histoire derrière l’histoire.» Cette création manque d’un parti-pris où Katja Hunsinger et Rodolphe Dana imprimeraient une lecture tranchée et personnelle de la fable mais la pièce reste ouverte aux conjectures du public, notamment des nombreux étudiants présents dans la salle qui pourront en faire leur miel en classe de philosophie ou littérature …. 

Le décor, anecdotique et sans caractère: tables de bureau, chaises, plantes vertes et fontaine à eau, peine à traduire l’ambiance pesante d’une étude notariale encombrée de paperasses où, selon Herman Melville, la fenêtre donne sur un mur.  Et l’action s’y dilue. Heureusement, dans la deuxième partie du spectacle, une fois vidé de ces éléments de décor, le plateau devient un espace symbolique et le lieu d’une vraie confrontation entre le patron et son employé fantomatique. Adrien Guiraud (Bartelby) a enfin l’occasion d’opposer la force d’inertie de son personnage à la présence agitée de son patron qui, en bon chrétien paternaliste, obsédé et désarçonné par l’attitude son clerc, essaye sur tous les tons de le faire changer d’avis puis de l’inciter à partir… Rien n’y fera.  Après une entrée en scène burlesque, le jeune comédien reste très en retrait, face à Rodolphe Dana: le metteur en scène et directeur du théâtre de Lorient excelle à passer du registre comique, à des postures plus dramatiques mais paraît moins à l’aise dans la partition des trois autres employés de bureau. 

 Malgré ces réserves, le spectacle dont c’était la première après plusieurs reports à cause du covid, gagnera sans doute en rythme et en équilibre de jeu entre les comédiens. Le texte, fidèle à son modèle invite aux débats: inépuisable et rejoint nos préoccupations du moment. Comme la question du monde de l’après-covid ou celle de la résistance passive (ou non) au pouvoir. Bartelby parut pour la première fois en 1853, après La Désobéissance civile, un essai du philosophe Henry David Thoreau publié trois ans plus tôt

Mireille Davidovici

 
Du 15 au 18 septembre, Théâtre de Lorient (Morbihan). T. : 02 92 02 22 70.

Les 2 et 3 février, Maison de la Culture, Bourges (Cher) ; les 24 et 25 février,  Le Préau, Vire (Calvados).Les  8 et 9 mars, Comédie Poitou-Charentes, Poitiers (Charente).
Du 1er  au 17 avril, Théâtre Gérard Philipe, Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). 

Le texte est paru aux éditions Allia.

DAROU L ISLAM |
ENSEMBLE ET DROIT |
Faut-il considérer internet... |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | Le blogue a Voliere
| Cévennes : Chantiers 2013
| Centenaire de l'Ecole Privé...