Un Vivant qui passe, d’après Claude Lanzmann, adaptation de Nicolas Bouchaud, Éric Didry et Véronique Timsit, mise en scène d’Eric Didry

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© Jean-Louis Fernandez

Un Vivant qui passe, d’après Claude Lanzmann, adaptation de Nicolas Bouchaud, Éric Didry et Véronique Timsit, mise en scène d’Eric Didry

Nicolas Bouchaud aime se confronter avec des textes non théâtraux : « Cela m’oblige à imaginer la scène comme l’endroit idéal pour les faire entendre. (…) La seule chose dont nous sommes absolument sûrs, à chaque fois : il nous faudra interroger les moyens spécifiques du théâtre et ceux de l’acteur pour arriver à transmettre ces œuvres aux spectateurs. » Après Maîtres anciens, un roman de Thomas Bernhard ou Le Méridien, un discours de Paul Celan (voir Le Théâtre du blog), il s’attaque à un documentaire de Claude Lanzmann : Un vivant qui passe (1997 réalisé à partir d’une interview qu’il n’avait pas utilisée pour Shoah et où déportés et soldats nazis restent hors-champ : le docteur Maurice Rossel, délégué du Comité international de la Croix-Rouge  est allé par deux fois au cœur du système d’extermination nazie, à Auschwitz puis à Theresienstadt. Des quinze bobines de rushes non montés et préalables au film -soit centre trente pages de texte- est sortie, cette adaptation d’une heure et demi.

Pour tout décor, un fauteuil Voltaire, devant une peinture en trompe-l’œil, réplique exacte du bureau du vieux médecin de campagne suisse qui reçoit la visite-surprise du réalisateur. Les bruits alentour: jeux d’enfants, travaux, chants d’oiseaux tirés de la bande-son, font entendre la vie d’un village, au-delà du huis-clos où Claude Lanzmann cherche à entendre des éclats de vérité chez cet homme à la mémoire réticente. Les questions se font précises, poliment insistantes pour faire surgir une parole plus authentique et pour qu’il sorte enfin de sa réserve et de ses gonds. Ce combat pied-à-pied entre les deux hommes est en soi théâtral, finement joué par un Frédéric Noaille pugnace (Claude Lanzmann) et un Nicolas Bouchaud embarrassé et faussement naïf (le docteur ). Le cinéaste ménage lui-même un coup de théâtre en exhumant le rapport d’inspection peu accablant sur Theresienstadt produit par son interlocuteur à l’époque.

Dans la mise en scène, des ajouts décalés comme l’écoute de bandes sonores authentiques enregistrées à Theresienstadt et une chanson composée là-bas, La  Ville comme si, interprétée comme un numéro de cabaret triste, nous arrachent une grande émotion. En phase avec les moments où le témoin craque et reconnait avoir été victime d’une farce à Theresienstadt, le 23 juin 1944. Terezin, rebaptisé Theresienstadt par les occupants allemands en Tchécoslovaquie, ce «ghetto modèle» où, selon Eichmann, les juifs «vivent d’après leur goût», était en réalité, un camp de transit, dernière étape avant les camps d’extermination d’Auschwitz, Treblinka et Sobibor. Claude Lanzmann rappelle à son interlocuteur que, pour la propagande nazie, quelques mois avant la visite de la Croix-Rouge, une campagne d’ «embellissement» avait été entreprise.

Maurice Rossel se retrouvait donc au cœur d’une ville entièrement factice où les détenus étaient obligés de jouer la comédie sous peine de mort. Il dit, dans un premier temps, n’avoir rien vu de la supercherie. I prend des photos, voit des enfants jouer et s’étonne de l’attitude un peu «passive» des juifs autour de lui… Qu’a-t-il vu à Auschwitz, et surtout à Theresienstadt ? A force d’être cuisiné, il livre des indices, des détails sur les « fantômes» vivants d’Auschwitz en pyjama rayé où il s’est senti comme «un vivant qui passe ». Et, dans “La Ville comme si“  de la chanson des déportés, il a eu l’impression d’un faux : «J’ai visité cette visite (sic) organisée, avoue-t-il enfin. Une visite arrangée. Une pièce de théâtre. Là, on avait l’impression d’une atmosphère faussée. »

Le spectacle pose plusieurs questions : d’abord celle de la mémoire que Maurice Rossel a essayé d’effacer et dont Claude Lanzmann lui arrache des bribes. La confusion d’un témoin qui s’empêtre entre souvenirs et informations a posteriori. Pourquoi, comme bien d’autres, Maurice Rossel a-t-il dissimulé la vérité, alors qu’il aurait dû la déceler ? Il l‘avoue lui-même : «Tout le monde a rampé devant la puissance allemande. (…) Et nos grands-bourgeois avaient plus peur du communisme, que de monsieur Hitler. Les Helvètes étaient presque tous germanophiles et ça se sentait aussi au C.I.C.R.» Plus généralement, qu’est-ce que regarder et ne pas voir ? Comment ce témoin se laissa-t-il aveugler, alors que sa mission de délégué de la Croix rouge consistait à «voir au-delà» ? Et nous, ne sommes-nous pas confrontés chaque jour à ce genre de choses?  «Cet homme, ni bourreau, ni victime, est d’une certaine façon, celui que nous pourrions tous être ou que nous avons peut-être déjà été, dit Nicolas Bouchaud. (…)  Claude Lanzmann, nous convoque en tant que spectateurs et témoins et nous invite à porter notre attention sur une histoire qui fait intégralement partie de la nôtre.»

 Il faut aller voir ce spectacle qui pose avec finesse toutes ces questions et nous replonge dans le débat du comment et du pourquoi cette barbarie a pu encore exister devant de si nombreux témoins ? Sans compter toutes les autres questions qui continuent à se poser sous nos yeux. Le théâtre fait ici avec talent son devoir de mémoire…

 Mireille Davidovici

 Du 17 au 22 septembre, Bonlieu-Scène Nationale d’Annecy, 1 rue Jean Jaurès, Annecy (Haute-Savoie) T. : 04 50 33 44 11.

 Du 5 au 15 octobre, Les Célestins-Lyon (Rhône).

Du 2 décembre au 7 janvier, Théâtre de la Bastille Paris (XI ème) en partenariat avec le festival d’automne à Paris.

Les 3 et 4 février, Points Communs-Scène Nationale de Cergy-Pontoise (Val-d’Oise). Du 9 au 12 février, Comédie de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme). Du 22 au 24 février, Comédie de Caen (Calvados).

 Le texte du film est publié aux éditions Mille et une Nuits


Archive pour 21 septembre, 2021

Une performance artistique à 160 km/heure

Une performance artistique à 160 km/heure…

Au sein du Pôle régional Cirque Le Mans, la Cité du Cirque est une école de cirque loisirs et un lieu de réside Pour l’ouverture de la saison du Pôle régional Cirque Le Mans inauguré en 2008 et qui comprend une école et un lieu de résidence pour les artistes avec prochainement l’inauguration d’un chapiteau permanent. Un projet en cours de labellisation Pôle national Cirque qui deviendra le quatorzième en France et le premier en région Pays de la Loire. Cette performance originale a lieu en partenariat avec la ville du Mans, la Région Pays de la Loire et bien entendu, en collaboration avec la S.N.C.F. qui, pour une fois, fait preuve de création… Tiens, une devinette: pourquoi n’y a-t-il pas de distributeur de billets (sauf pour les T.E.R.) dans la nouvelle gare d’Aurillac refaite à neuf ? Merveilleuse réponse: cela coûterait trop cher ! «Nous vivons une époque moderne. » La fameuse petite phrase de Philippe Meyer, ancien chroniqueur matinal à  France-Inter, reste toujours d’actualité…

Le collectif Protocole et Johan Swartvagher, Yann Frisch, Samantha Lopez, Aude Martos ont imaginé une performance-spectacle de cinquante minutes environ aller avec quelques suites au retour, à bord d’un TER Le Mans-Angers. L’embarquement se fait trente minutes avant le départ avec contrôle du billet à 8 € et bien sûr, du passe sanitaire pour quelque 220 passagers au lieu des 270 voyageurs prévus, de façon à laisser un peu d’espace aux aux quatre artistes/ »contrôleurs et contrôleuses au costume approximatif qui rappelle celui des vrais. Ils font monter en rang les passagers dans les wagons du TER qui n’ont subi aucune modification autre que des rideaux en fil noir pour séparer les différentes aires de jeu.

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Aucun élément de décor non plus, mais aucune lumière de projecteurs, juste celle du soleil qui, à dix-sept heures en ce dimanche de septembre brille encore sur la belle campagne entre Le Mans et Angers. Une musique électronique discrète ne nuit en rien à la vue imprenable et gratuite sur les troupeaux de vaches et les prés tout verts… Bref, tout le charme de la célèbre douceur angevine ou sarthoise…

© Thomas

© Thomas Brousmiche

Les jeunes «contrôleurs» font avancer le public pour libérer le couloir central qui servira de scène aux jongleurs qui vont faire valser leurs deux, puis trois, puis quatre, voire cinq massues blanches dans ce train en marche donc sur un sol en mouvement… Chapeau! Le cerise finale sur le gâteau : une massue affublée d’une savate qui pivote sur le doigt d’un jongleur…
Et puis, un autre jeune contrôleur aussi barbu que les autres s’assied dans l’étroit couloir et demande aux voyageurs de s’approcher. Il doit y avoir ainsi une vingtaine de personnes très proches de lui, parfois à moins d’un mètre. Rien dans les mains rien dans les poches sinon un ou deux jeux de cartes. Divination, disparitions diverses mais toutes remarquablement réalisées mais le tour le plus fort et vite mené : le jeune contrôleur barbu bat un jeu de cartes, en fait choisir une à une voyageuse, la lui fait montrer au public : c’est le 9 de pique, puis la remet dans le tas qu’il a toujours dans la main gauche -son poignet étant solidement tenu à sa demande par un voyageur- Et nous allons voir le tas diminuer à vue d’œil…

 

© Thomas Broismiche

© Thomas Brousmiche

Il n’en restera à la fin qu’une seule carte qu’il va retourner : le 9 de pique! Yann Frisch, originaire du Mans et artiste associé au Pôle Cirque, a prouvé une fois de plus qu’il était un des meilleurs magiciens d’Europe. Et le public l’a chaleureusement applaudi. Enquête auprès de notre ami et collaborateur Sébastien Bazou, grand spécialiste de magie et d’illusionnisme, et qui connaît bien le travail de Yann Frisch (voir Le Théâtre du Blog) il y a plusieurs méthodes pour réaliser ce tour mais il souligne sa virtuosité à le pratiquer.


On oubliera le récit d’une jeune actrice parlant du paysage ; malgré une bonne diction, elle avait le plus grand mal avec un texte faible à intéresser le public. Le train après cinquante minutes arrivera en gare d’Angers et en repartira presque aussitôt. Les artistes passant d’un wagon à l’autre, il n’y pas de jaloux et tous les passagers ont droit aux mêmes prestations. Au retour, nous sommes conduits dans un wagon climatisé de 1 ère classe aux vitres obscurcies où une comédienne-acrobate nous livre un autre conte cette fois avec beaucoup de virtuosité, passant d’un casier à bagages à un autre, tout en continuant à parler. Et revenus à nos places, nous aurons encore droit à quelques numéros de jonglage.
Un petit voyage sympathique et assez délicieux où tout le monde redevient un peu un enfant mais qui mériterait sans aucun doute d’avoir une véritable dramaturgie et une mise en scène plus élaborée. Petit hommage en passant, à l’ancienne compagnie bordelaise Fartov et Belcher (ce nom merveilleux étant issu d’
En attendant Godot) dirigée entre autres par le metteur en scène Guy Lenoir, seul survivant de ces créateurs hors-normes. Ils avaient inventé ce concept de voyage-spectacle avec trois acteurs il y a une quarantaine d’années dans un autobus de la ville puis sur une plage de la Garonne autour d’un grand feu de bois… Souvenirs, souvenirs, d’un bus à un train.

 Philippe du Vignal

Le spectacle a été joué les vendredi 10 , samedi 11 et dimanche 12 septembre, dans un TER , du  Mans à Angers et d’Angers au Mans.

 

 

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