La Plus Précieuse des marchandises de Jean-Claude Grumberg, mise en scène de Charles Tordjman

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© Giovanni Cadini Cesi_

La Plus Précieuse des marchandises de Jean-Claude Grumberg, mise en scène de Charles Tordjman

« Il était une fois, dans un grand bois, une pauvre bûcheronne et un pauvre bûcheron… », ainsi commence le conte. « Non, non, rassurez-vous, ce n’est pas Le Petit Poucet; moi-même, comme vous je déteste cette histoire ridicule, où et quand a-t-on vu des parents abandonner leurs enfants? » interrompt Jean-Claude Grumberg l’auteur de ce récit qui prend d’emblée le pouvoir avec humour pour nous raconter la seconde guerre mondiale, les trains de marchandises chargés d’humains à travers la Pologne enneigée… Et nous nous laissons embarquer, une heure durant dans cette histoire à la fois drôle et bouleversante….

La Pauvre Bûcheronne, malgré la famine, se désole d’être sans enfant. Elle recueille une petite fille que, pense-t-elle, les dieux du train lui envoient – en réalité un homme «sans nom » qui, du convoi de la mort, confie à sa garde l’un de ses jumeaux, enveloppé dans un châle de prière. «Etait-ce le moment de mettre au monde deux enfants déjà juifs ? », dit le conte avec humour… Une tragédie que Jean-Claude Grumberg a vécu dans sa chair : il avait quatre ans quand son père fut arrêté sous ses yeux, emmené à Drancy, déporté dans le convoi 49, en mars 1943, et assassiné à Auschwitz . Il l’a raconté dans Mon père. Inventaire (Editions du Seuil, 2003).

Ici, il en tire une fable où le fantastique survient dans la forêt profonde, peuplée de monstres vert-de-gris à tête de mort, de soldats rouges, de chasseurs de “sans-cœur“ et de chaussons magiques en peau de renardeau… Il enveloppe cette indicible catastrophe de merveilleux, sans rien nous en cacher car le Mal absolu est impitoyable, et nombreuses sont les victimes. Après Vers toi terre promise et Daewoo  qui ont reçu les Grands prix de la Critique), Charles Tordjman poursuit son compagnonnage avec l’auteur qui l’a laissé libre d’adapter  ce récit. Eugénie Anselin joue les passages consacrés à Pauvre Bûcheronne, et Philippe Fretun, tous les rôles d’homme: Pauvre Bûcheron et ses camarades de bistrot, Les Chasseurs de « sans cœur », L’Homme des bois à la tête cassée… Et «l’ex-père des jumeaux», dont la femme et le fils, dès leur l’arrivée au «terminus », «s’affranchirent de toute pesanteur en gagnant les limbes du Paradis promis aux innocents», devint un survivant malgré lui… »

 La scénographie : des rails en fer difficiles à arpenter pour les comédiens, s’ouvre sur des images projetées en fond de scène; bougées ou évanescentes, elle évoquent l’univers lointain et trouble de ce conte cruel. La silhouette et la voix de Julie Pilod y font quelques apparitions fantomatiques… La musique: piano d’enfant pour Philippe Fretun, violon pour Eugénie Anselin, devient lancinante. Une machine à coudre fait office de percussion, une allusion à sa pièce L’Atelier et son père qui était tailleur… «  Et comme l’histoire est effrayante, dit Charles Tordjman, nous convoquerons les ombres, les sons aigus, les frayeurs, tout en sachant que nous pouvons nous faire plaisir dans l’exercice, puisque Jean-Claude nous dit que rien n’est vrai de tout cela. »

 A la fin de ce conte, on nous dit que  » Il n’y eut pas de trains de marchandises traversant les continents en guerre… Ni de camps de regroupement, de concentration ou même d’extermination. » Une coda ambiguë qui stigmatise les négationnistes… Pour le public averti du Théâtre du Rond Point, le deuxième degré et l’ironie vont de soi. Mais qu’en est-il pour ceux qui pensent que c’est de la vieille histoire ou qui, victimes d’une certaine propagande, que tout cela, en effet n’a pas eu lieu ? Heureusement, dans le livre, un appendice historique rétablit les faits. « Et les faits sont têtus », disait Lénine…  Merci à Jean-Claude Grumberg de nous les rappeler, car il y aura toujours urgence… 

 Mireille Davidovici

 Jusqu’au 17 octobre, Théâtre du Rond-Point, 2 bis avenue Franklin D. Roosevelt, Paris (VIII ème). T. : 01 44 95 98 21.

 Du 27 au 30 octobre, Théâtre de Liège (Belgique).

Du 17 au 20 novembre, Théâtre National de Nice (Alpes-Maritimes).

Les 3 et 4 décembre, Théâtre de la Colonne, Miramas (Bouches-du-Rhône). Les 15 et 16 décembre, Théâtre de La Criée, Marseille.

 Le conte est publié aux éditions du Seuil.

 

 

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