Sept minutes de Stefano Massini, mise en scène de Maëlle Poésy

Sept minutes de Stefano Massini, mise en scène de Maëlle Poésy

 

©x

©Vincent Pontet

Onze représentantes du personnel d’une usine textile, doivent prendre une décision avec des conséquences immédiates sur le travail et la vie de six cents autres. Il s’agit de voter pour, ou contre, la réduction de sept minutes de la la pause réglementaire. Une chose apparemment anodine mais qui peut être lourde de conséquences  Stefano Massini a écrit une pièce sur la manière dont réfléchit et fonctionne un groupe quand il s’agit d’élaborer une stratégie. Avec à la clé, des difficultés prévisibles quand il s’agit de faire coïncider élan collectif et pense individuelle… Comment persuader, comment faire confiance, comment choisir, voire renoncer à certains avantages acquis pour espérer gagner et ensuite, comment voter surtout quand ces femmes d’âge -de vingt ans à la soixantaine- et de parcours professionnels différents- se retrouvent face à un collectif d’hommes qui dirigent une entreprise… Elles voteront plusieurs fois dont une à bulletin secret, avec à chaque fois, une retournement de situation. Le dernier résultat dépendant finalement du vote d’une seule.

Stefano Massini montre ici le parcours dans un temps et dans un espace réel: une salle de stockage et aussi de réunion pour le personnel. Cela rappelle, dit l’auteur, le huis-clos de Douze hommes en colère, la fameuse pièce de Reginald Rose (1954) où des jurés doivent voter à l’unanimité la peine de mort au procès d’un adolescent noir de seize ans accusé d’avoir poignardé son père. Ici, ces onze personnages féminins (aucun homme sinon en coulisses mais même pas en voix off) pour ce théâtre politique. « Si j’aime, dit Maëlle Poésy les anti-héros et anti-héroïnes au théâtre, c’est justement parce qu’ils déplacent nos repères en se portant garants de ces «pas de côté» qui nous permettent de regarder le monde différemment, hors d’une pensée unique. »

©x

©x

Bien entendu il y a d’emblée des femmes qui votent aussitôt contre. Comme Blanche, leur représentante qui a dû batailler ferme des heures durant avec la nouvelle direction de l’usine. En vieille routarde des luttes syndicales, elle explique avec une rare intelligence politique qu’il vaudrait mieux ne pas se précipiter et prendre le temps de réfléchir. Autrement dit : vous gagnerez peut-être à court terme mais vous perdrez plus sûrement tout à long terme, alors réfléchissez avant d’emmener vos collègues dans le mur. Cette réduction de sept minutes de la pause, pour, dit le patronat, sauver des emplois, n’est-elle pas un leurre pour sauver des emplois menacés. la discussion est vive et les plus jeunes de ces jeunes ouvrières en viennent parfois aux mains! Est-ce «un luxe ou un droit ? » et le début de concessions, alors que de toute façon -les plus anciennes connaissent le refrain- le nouveau patronat finira par fermer l’usine, à cause de la concurrence asiatique.
Stefano Massini, comme le fait remarquer Chantal Hurault dans un bon texte de présentation, fait référence «aux ouvrières de Lejaby qui ont mené en 2010 une lutte importante après l’annonce d’un plan social et que Maëlle Poésy a rencontrées, comme de nombreuses femmes qui travaillent ou ont travaillé dans des usines, notamment de textile… L’historienne Michelle Perrot dénonce un manque de considération des revendications féminines, souvent réduites à l’anecdotique, qu’elle réhabilite ici en geste politique réfléchi.»Les films des frères Dardenne, de Ken Loach, ou Stéphane Brizet sont sur ce point exemplaires, car ce sont des films-paysages sur des portraits de personnes où les enjeux sociaux et politiques sont toujours incarnés.» On retrouve dans Sept minutes «la violence d’une industrialisation déshumanisante, ces ouvrières qui sont des proies faciles sont dans une contradiction permanente entre une solidarité très forte et une menace de la division. »

Et dans ce spectacle, on sent très bien planer la menace éventuelle d’un licenciement collectif- celles qui ont travaillé ailleurs le savent bien- mais toutes ces femmes ont une conscience très forte d’exister comme groupe et ont la volonté d’arriver à avoir une certaine unité d’action et donc un levier possible de résistance,« quoi qu’il en coûte», comme dirait le Macron de service. Et le coût pourrait être sévère ! Reste à mettre en scène cette partition chorale où seule, Blanche entre et sort, toutes les autres dix femmes étant debout, en permanence sur le plateau. Aucune approximation:  Maëlle Poésy dirige avec une maîtrise tout à fait remarquable ses actrices qui, oralement comme gestuellement sont exceptionnelles de vérité. Mention spéciale à Véronique Vella (Blanche), Françoise Gillard (Arielle), Elise Lhomeau (Sabine) et Séphora Pöndi, (Lorraine), la jeune pensionnaire recrutée ce mois-ci et qui jouera Madelon dans Les Précieuses ridicules mises en scène par Stéphane Varupenne et Sébastien Pouderoux en mars prochain .

Cela se passe dans un local indéterminé à la fois, pour stockage de bobines de fil et salle de pause avec juste une table en stratifié blanc, quelques chaises, une fontaine à eau et une cafetière électrique. Pour ce huis-clos, un dispositif bi-frontal éclairé par des tubes fluo blanc au plafond du plateau et de la salle. «J’ai voulu rompre avec le point de vue objectif induit par un rapport frontal. Une partie des spectateurs sera nécessairement face à celle qui parle, tandis que ceux d’en face verront les réactions sur les visages de celle ou celles à qui elle s’adresse. Et inversement.» Bon, mais ce n’est pas évident et surtout quand on se trouve dans la partie habituelle de la salle, si on n’est pas au premier rang, on ne voit pas le sol de la scène, donc la gestuelle des actrices dans son intégralité. Et c’est dommage : il aurait suffi à Hélène Jourdan d’élever légèrement le niveau du plateau… C’est la seule réserve que nous ferons. Mais Eric Ruf a eu raison de faire confiance à Maëlle Poésy qui a réussi là en une heure et demi, un spectacle remarquable, alors que cette rentrée n’est jusque là pas très enthousiasmante…

Philippe du Vignal

Jusqu’au 17 octobre, Comédie Française-Théâtre du Vieux-Colombier, rue du Vieux-Colombier, Paris (VI ème). T. : 01 44 58 15 15.

 



 

 

DAROU L ISLAM |
ENSEMBLE ET DROIT |
Faut-il considérer internet... |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | Le blogue a Voliere
| Cévennes : Chantiers 2013
| Centenaire de l'Ecole Privé...