Bartelby, d’après la nouvelle d’Herman Melville, mise en scène de Katja Hunsinger et Rodolphe Dana, traduction de Jean-Yves Lacroix

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Bartelby, d’après la nouvelle d’Herman Melville, mise en scène de Katja Hunsinger et Rodolphe Dana, traduction de Jean-Yves Lacroix 

 « Je crois qu’aucun matériau n’existe pour établir une biographie complète et satisfaisante de cet homme. C’est une perte irréparable pour la littérature », fait dire Herman Melville au narrateur, en introduction à l’histoire étrange et douloureuse de Bartelby : «Un de ces êtres dont on ne peut rien dire de certains». Ce narrateur qui se définit lui-même comme « un de ces hommes de loi sans ambition  de Wall Street « , honnête et plutôt bonasse, a engagé un copiste, venu de nulle part, apparemment terne et réservé. Il s’applique silencieusement à sa tâche de gratte-papier, jusqu’au jour où il oppose à son employeur son fameux : «Je préférerais ne pas ». Ce « non » déguisé à toute injonction émise par l’homme de loi, réitéré et sans appel, a fait couler beaucoup d’encre.

Pour Maurice Blanchot, avec cette formule ni négative ni positive, Bartleby devient le chantre qui rend inopérante la pensée dialectique. Jacques Derrida, lui, y voit la figure d’un schizophrène, voire d’un comique absurde à la Franz Kafka ou à la Samuel Beckett. Et Gilles Deleuze en fait un être tragique: «Un néant de volonté plutôt qu’une volonté de néant. » Quant à Jean-Luc Nancy, qui vient malheureusement de nous quitter, il avouait sa réticence à proposer une lecture de Bartelby the Scrivener A Story of Wall Street (Bartelby le scribe, une histoire de Wall Street), «tant cette œuvre semble être écrite pour être commentée et interprétée».

 « Les portes d’entrée sont multiples dans cette nouvelle» dit Rodolphe Dana qui joue le patron-narrateur et trois de ses autres commis. Il a essayé, en transposant la fiction d’Herman Melville, «de laisser libre cours à l’imagination du spectateur, pour lui permettre de se raconter son histoire derrière l’histoire.» Cette création manque d’un parti-pris où Katja Hunsinger et Rodolphe Dana imprimeraient une lecture tranchée et personnelle de la fable mais la pièce reste ouverte aux conjectures du public, notamment des nombreux étudiants présents dans la salle qui pourront en faire leur miel en classe de philosophie ou littérature …. 

Le décor, anecdotique et sans caractère: tables de bureau, chaises, plantes vertes et fontaine à eau, peine à traduire l’ambiance pesante d’une étude notariale encombrée de paperasses où, selon Herman Melville, la fenêtre donne sur un mur.  Et l’action s’y dilue. Heureusement, dans la deuxième partie du spectacle, une fois vidé de ces éléments de décor, le plateau devient un espace symbolique et le lieu d’une vraie confrontation entre le patron et son employé fantomatique. Adrien Guiraud (Bartelby) a enfin l’occasion d’opposer la force d’inertie de son personnage à la présence agitée de son patron qui, en bon chrétien paternaliste, obsédé et désarçonné par l’attitude son clerc, essaye sur tous les tons de le faire changer d’avis puis de l’inciter à partir… Rien n’y fera.  Après une entrée en scène burlesque, le jeune comédien reste très en retrait, face à Rodolphe Dana: le metteur en scène et directeur du théâtre de Lorient excelle à passer du registre comique, à des postures plus dramatiques mais paraît moins à l’aise dans la partition des trois autres employés de bureau. 

 Malgré ces réserves, le spectacle dont c’était la première après plusieurs reports à cause du covid, gagnera sans doute en rythme et en équilibre de jeu entre les comédiens. Le texte, fidèle à son modèle invite aux débats: inépuisable et rejoint nos préoccupations du moment. Comme la question du monde de l’après-covid ou celle de la résistance passive (ou non) au pouvoir. Bartelby parut pour la première fois en 1853, après La Désobéissance civile, un essai du philosophe Henry David Thoreau publié trois ans plus tôt

Mireille Davidovici

 
Du 15 au 18 septembre, Théâtre de Lorient (Morbihan). T. : 02 92 02 22 70.

Les 2 et 3 février, Maison de la Culture, Bourges (Cher) ; les 24 et 25 février,  Le Préau, Vire (Calvados).Les  8 et 9 mars, Comédie Poitou-Charentes, Poitiers (Charente).
Du 1er  au 17 avril, Théâtre Gérard Philipe, Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). 

Le texte est paru aux éditions Allia.


Archive pour septembre, 2021

Gloucester Time Matériau Shakespeare Richard III de William Shakespeare,d’après la mise en scène de Matthias Langhoff, nouvelle traduction d’Olivier Cadiot


Gloucester Time Matériau Shakespeare Richard III
 de William Shakespeare, d’après la mise en scène de Matthias Langhoff, nouvelle traduction d’Olivier Cadiot
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©Ch. Raynaud de Lage

Cela se passe dans la nouvelle salle rue des Cordes du Centre Dramatique National de Caen, agrandie et entièrement refaite par Maria Godlewska, architecte et urbaniste polonaise, qui a conçu à Avignon La FabricA. De grands espaces d’accueil lumineux, une scène au même niveau que la salle avec gradins rétractables et une jauge passée de 220 à 270 places. Ce théâtre, après plus de deux ans de travaux, est doté d’un équipement de tout premier ordre et permettra à la Comédie de Caen d’avoir enfin, en centre-ville, un beau plateau capable d’accueillir techniquement de grands spectacles….Pour l’inaugurer, une reprise de ce Richard III, un spectacle devenu culte du festival d’Avignon 95 qui avait été mis en scène à la Chapelle des Pénitents Blancs par le grand Matthias Langhoff, avec, dans le rôle éponyme comme aujourd’hui, un jeune acteur remarquable: Marcial di Fonzo Bo… «C’est en fait,  nous a dit Matthias Langhoff juste avant le spectacle,  une re-création faite par Marcial di Fonzo Bo, l’actrice Frédérique Loliée qui jouait déjà Margaret, avec les mêmes décors et costumes de Catherine Rankl. Ce type de re-mise en scène inconnu en France est souvent pratiqué en Allemagne; mais personnellement, je ne me sens pas capable de refaire un travail que j’ai déjà fait. Je reprends parfois certaines pièces mais pour les travailler de façon différente. Ici, bien sûr, j’ai assisté à un certain nombre de répétitions.» Le grand metteur en scène allemand n’en dira pas plus…Nous n’avions pu voir ce spectacle à sa création mais la dramaturgie comme la scénographie et le jeu en Europe ont beaucoup évolué en presque trente ans, et rien n’est facile quand il faut mettre en scène une pièce aussi célèbre que Richard III avec ses répliques fabuleuses. La plus forte réalisation que nous en avons vue était celle tout à fait remarquable de Thomas Ostermeier au festival d’Avignon 2015 dans une nouvelle traduction de Marius von Mayenburg avec le grand acteur allemand Lars Eldinger qui incarnait de façon magistrale ce tueur cynique n’hésitant pas à faire supprimer ses rivaux potentiels et deux enfants. Pièce de jeunesse, Richard III que William Shakespeare écrivit en 1592, est une sorte de quatrième partie de sa trilogie d’Henri VI.

La pièce raconte la fin de la guerre dite des Deux Roses qui déchira l’Angleterre juste un siècle avant. Une guerre entre les familles Lancastre et York, qui finira par la bataille de Bosworth. Richard tue d’abord son frère Édouard (un York), mari d’ Élisabeth et Henry VI, un Lancastre et son fils Édouard. Restée seule des Lancastre, la reine déchue Marguerite, quand son mari Henri VI était vivant, a participé entre autres, au meurtre de Richard Plantagenet (York), le père d’Édouard IV. Les Lancastre seront battus. Édouard IV est mourant et Richard fait tuer aussi son frère Clarence. À la mort d’Édouard, Richard réussit à épouser Lady Anne et veut avec l’aide de Buckingham,  être couronné roi et va faire assassiner ses deux très jeunes neveux, les fils d’Édouard IV et d’Élisabeth et pour faire bonne mesure Buckingham, parce ce qu’il a refusé de les tuer. Mais les choses tourneront mal pour Richard. Depuis la Bretagne, le comte de Richmond, héritier des Tudor arrive avec son armée vers Bosworth, où Richard sera tué par Henri Tudor qui deviendra le roi Henri VII. Richmond proclamera alors l’union des roses d’York: «Maintenant les blessures de la guerre civile sont refermées. La paix est à nouveau en vie, pour qu’elle puisse vivre longtemps, Dieu dit : Amen. »

 
Dernière réplique de cette fabuleuse tragédie où, comme le dit Matthias Langhoff, que ce soit dans le Londres obscur de Richard III, ou avec les chefs de bande luttant en Afghanistan pour leur liberté, ou derrière les visages de la mafia russe et des requins de la finance à Tokyo, « le pouvoir s’unit à l’asocialité. Bandes criminelles et domination du monde en symbiose toujours renaissante.» Rien donc de plus actuel, comme avec ce curieux Alexandre Benalla, très proche du Président de la République, qui a gravement violenté des manifestants, porté illégalement une arme à feu, alors qu’il suivait la police comme observateur et usé illégalement de passeports diplomatiques !La scénographie est en fait une sorte de grande machine à jouer-sculpture aux remarquables mécanismes, avec un plateau incliné en planches face public mais mouvant et traversé par un escalier et une passerelle en fer. Enfermé par des cloisons à lattes qui peuvent s’ouvrir, ce dispositif complexe est actionné manuellement  par des techniciens qui font tourner quatre guindeaux, des cabestans en bois à axe horizontal. Très bien conçus, ils permettent de le faire basculer d’avant en arrière, et de gauche à dro:te, ou de l’élever d’une cinquantaine de cms. Sur le devant de la scène, des rails de chemin de fer avec un chariot  où peut jouer un acteur.
 
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© Ch. Raynaud de Lage

Côté dramaturgie, Marcial di Fonzo Bo a conservé la presque intégralité du texte shakespearien augmenté de quelques phrases d’un reporter américain envoyé en Irak lors de la première guerre en 91 à la fin de l’acte IV quand a lieu le récit de la bataille de Bosworth suivi de la mort de Richard. Il y a toujours eu dans les mises en scène de Matthias Langhoff à la fois une extrême rigueur et une exigence héritées de Bertolt Brecht avec lequel il avait travaillé mais aussi un côté foutraque un peu provocateur avec plusieurs niveaux scéniques et il adore mélanger les références temporelles, les objets curieux et les costumes déjantés. Ce qui était scandaleux pour un grand critique allemand furieux, quand Langhoff et son complice Manfred Karge récemment disparu avaient présenté en 81 un Woyzeck iconoclaste à Avignon que nous avions beaucoup aimé. Une vision de combat que Marcial di Fonzo Bo n’a pas voulu reprendre et il a eu raison. Les temps théâtraux ont bien changé… 

 
Il interprète de façon tout à fait remarquable ce rôle épuisant puisque le personnage est presque toujours en scène. Il a choisi comme Matthias Langhoff de ne pas mettre en avant la difformité du roi due à une scoliose. Et il a juste comme une sorte de genouillère en métal. C’est tout et il apparaît presque comme un homme «normal», alors qu’il ne cesse de tremper ses mains dans le sang. On le sent fasciné par les actes monstrueux qu’il a programmés sans état d’âme pour conquérir le pouvoir. Et il a une boulimie de sang, une soif de vengeance et de haine mais aussi la jouissance de faire assassiner ses rivaux. Marcial di Fonzo Bo a une façon spéciale -mais très efficace- de dire plutôt qu’interpréter ce texte, presque un non-jeu oral, alors que son visage en sueur et sa gestuelle disent tout de ce personnage torturé par une angoisse permanente, avec, au moins, une partie de lui-même consciente de la fin qui l’attend. Du grand art.
 
La direction d’acteurs des jeunes et moins jeunes acteurs n’est pas malheureusement pas au même niveau et entre autres approximations, les deux enfants ânonnent leur texte de façon pathétique et il n’y a guère d’unité de jeu. On ne voit donc pas vraiment les personnages. Sans doute après cette première, cela s’améliorera-t-il mais cette machine à jouer  impressionnante et fondée sur l’esthétique de l’à peu-près, du cassé rafistolé, ne facilite quand même pas la fluidité des déplacements des acteurs. Et le sol mouvant -à priori, une idée séduisante- semble dire ici de façon assez pléonastique, la fragilité du pouvoir et de la destinée humaine. Le texte, dans la traduction d’Olivier Cadiot, malgré des scènes à la belle oralité, est, à la fin de la première partie assez peu clair et nous lui préférons nettement celui de Jean-Michel Déprats. Bref, cette re-mise en scène tout à fait respectable et qui ne triche en rien, semble quand même trop sage, par rapport à la version initiale et manque sans doute d’un souffle épique, indispensable à cette tragédie du pouvoir. Alors, à voir? Oui, pour le jeu remarquable et la grande présence de Marcial di Fonzo Bo interprétant magnifiquement un Richard qui, malgré sa noirceur, fascine les femmes et se débat comme il peut dans ses mensonges et contradictions, avouant qu’il est un fourbe et un traître. Mais ce spectacle trop long,au  rythme incertain et dont le dernier acte patine, a quelque chose de décevant.
Philippe du Vignal
Comédie de Caen-Centre Dramatique National de Normandie, 32 rue des Cordes, du 13 au 18 septembre puis du 23 au 27 novembre et ensuite en tournée en Normandie, puis à la Villette, Paris (XIX ème), du 12 au 15 mai.


Le Temps d’aimer la danse 2021 ( suite)

Le Temps daimer la danse 2021 (suite)

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© Caroline de Otéro

Fossile, chorégraphie de Martin Harriague

 Cet artiste, en résidence au Malandain Ballet Biarritz, est très engagé, en particulier pour l’écologie.  Cette pièce créée en 2019, (voir Le Théâtre du blog) est présenté ici dans une forme courte avec de nouveaux danseurs : Pauline Bonnat et Julien Rodriguez Flores.
Comme à sa création, ce duo impressionne par sa sensualité. Le jeune chorégraphe a imaginé un nouvel Eden, issu du chaos écologique actuel. Un Eden sans doute utopique, vu la situation désastreuse de notre planète aujourd’hui, même à Biarritz avec  une courte pollution de ses plages par l’algue Ostreopsis ovata en août dernier…

Walls de Martin Harriague

Une pièce qui témoigne d’un engagement politique du chorégraphe contre tous les murs qui s’érigent progressivement dans nos sociétés modernes. Il reprend en voix off le discours de Donald Trump sur le mur construit entre les Etats-Unis et le Mexique, sous la forme d’une pantomime burlesque et avec des gestes caricaturant ceux de l’ancien président. On pense aux travaux d’élèves de l’Ecole Jacques Lecoq… Ancien danseur de la Kibbutz Contemporary Dance Company, Martin Harriague a déjà été confronté au thème du mur, à propos du conflit israélo-palestinien. Cette chorégraphie illustrative créée initialement pour le Ballet de Leipzig il y a deux ans, impressionne par l’engagement des jeunes danseurs.

Ballet Mécanique, chorégraphie de Thierry Malandain

Un petit voyage dans l’histoire de la danse comme aime le faire Thierry Malandain. La musique de George Antheil, composée en 1923, puis révisée en 1953 pour percussions et quatre pianos, étonne toujours par sa modernité. Sur le plateau, des barres de salle de danse constituent un ring où les danseurs s’opposent dans une chorégraphie sensuelle et géométrique.

Trois pièces longuement applaudis par le public heureux de retrouver ces moments de danse en plein été indien.

Jean Couturier

Spectacle vu au théâtre du Casino, 1 avenue Edouard VII, le 12 septembre, à Biarritz (Pyrénées-Atlantiques).

 

Et la terre se transmet comme une langue de Mahmoud Darwich, traduction d’Elias Sanbar, projet de Stéphanie Béghain et Olivier Derousseau

Et la terre se transmet comme une langue de Mahmoud Darwich, traduction d’Elias Sanbar, projet de Stéphanie Béghain et Olivier Derousseau

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Nous n’oserons pas dire que tout le monde connaît la poésie de Mahmoud Darwich mais au moins le nom de ce poète militant palestinien qui a séjourné à Beyrouth, Moscou, Le Caire, Paris. Partout chez lui, d’autant plus attaché aux fruits, à la matière de la terre, qu’il a été arraché à la sienne à sept ans et a cheminé d’exil en exil, sans compter la prison. Il se disait « heureux qu’en arabe, on désigne par un même mo: bayt, aussi bien la maison que le vers en poésie ». La sienne est ample, riche, sensuelle. En Orient, on ne la lisait pas, on l’écoutait et nous l’avons pu l’entendre en musique, à la Maison de la Poésie à Paris..

Stéphanie Béghain et Olivier Derousseau lui consacrent un objet artistique singulier. Cela se passe dans la double salle du T2G à Genneviiliers: à un moment, à travers l’ immense espace du plateau, rideau de fer levé, apparaîtra en miroir du public, l’ensemble des sièges inoccupés de l’autre salle où la narratrice déposera son bâton de pèlerin. Mais nous ne pouvons parler sérieusement de spectacle, tant ce travail refuse le spectacle. Dans un décor de chantier (bâches et rares matériaux épars), la séance s’ouvre sur un extrait d’État de siège  du poète, traduction Elias Sanbar, confié à quatre lecteurs du groupe d’Entraide Mutuelle Le Rebond à Épinay-sur-Seine, une association avec laquelle travaillent Stéphanie Béghain et Olivier Derousseau. Un moment de fragilité nécessaire mais aussi d’affirmation de l’importance du poète auprès de personnes marginalisées. Puis on entend des pas au loin et plus près, au loin encore et dehors. Evocation minimaliste de l’exil et du retour ?

Stéphanie Béghain apporte le texte de Mahmoud Darwich, parfois morcelé, déconstruit par de grands silences, modifié par la sonorisation, éloigné, aussi et de temps en temps, accomplit des tâches concrètes, comme déplacer de longues planches pour tracer une sorte de frontière ou de mur, autour de ce qui pourrait être des tombes, partir, revenir…Tous ces gestes ont un sens et renvoient à la longue histoire de la Palestine. Malgré le parcours-exposition Traces (étendues) qui nous a menés -trop vite- jusqu’à cette présentation ou performance, ce travail de correspondances et rencontres plutôt que de métaphores, avec le poème et la vie de Mahmoud Darwich, s’échappe dans l’abstraction. Malgré un beau travail de lumières et de son, nous ne l’avons pas entendu…

Les concepteurs travaillent sur ce poème depuis dix ans, avec une exigence exceptionnelle, sans doute intenable. Selon les lieux où ils l’ont présenté, « Les formes d’apparition ont chaque fois varié. Ces variations ont toujours été guidées par le désir d’ouvrir et de construire un espace de réception situé, dont l’étude systémique a conduit à des recherches sur la longue histoire de la Palestine, afin de considérer le feuilletage, l’épaisseur historique et existentielle du poème. » A partir de ce «feuilletage» qui a engendré l’écriture, le projet prend sens et affûte notre regard sur ce morceau de terre moyen-orientale qu’on n’ose plus nommer territoire et dont le seul nom durable, à travers les millénaires, est Palestine. Les chercheurs ont établi une passionnante exposition/installation, avec cartes, photos, calligraphies, qui fouille les strates des noms qui lui ont été données, les surfaces conquises et perdue–surtout perdues !.

Belle «archéologie du poème » qui donne sa plénitude au titre Et la terre se transmet comme la langue. Le T2G a   aussi édité un beau Document(s), très sobre sur la Palestine, avec photos mises en regard, chronologie et bibliographie. Mais ce que l’on voit sur scène, au bout de cette formidable recherche, ne nous parvient pas et souffre d’un trop-plein d’intentions et mises en garde sous-jacentes comme : ne pas induire le sens et faire que ce soit au public de le construire et tendre l’oreille pour écouter «vraiment». Comme aussi déconstruire ses attentes éventuelles…. Au nom d’une rigueur qui finit par manquer sa cible, nous sommes frustré du poème lui-même et l’archéologie a démantelé son objet. Selon l’organisation classique du théâtre, nous sommes conviés à 18 h pour ce spectacle mais il faudrait venir une heure plus tôt, pour avoir le temps de visiter soigneusement l’exposition, déchiffrer et reconnaître les strates mises au jour par les chercheurs, pour pouvoir entrer dans la genèse du poème. Opération piégée : l’exposition-installation est faite pour rapprocher le spectateur de la Palestine, par une connaissance approfondie de sa géographie et de son histoire… Mais cette performance scénique nous en éloigne !

Christine Friedel

T2G de Gennevilliers (Hauts-de-Seine), jusqu’au 16 septembre. T. : 01 41 32 26 26

De Mahmoud Darwich : La Terre nous est étroite et autres poèmes, collection Poésie Gallimard et Au dernier soir sur cette terre chez Actes Sud).

 

 

 

 

 

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LA LIN LI LA LIN conception et mise en scène de François Lanel

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© Thomas Desbonnets

LA LIN LI LA LIN, conception et mise en scène de François Lanel

Nous avons souvent vu des spectacles dans des friches industrielles reconverties mais, dans une usine en activité, c’est assez rare. Celui-ci nous invite à découvrir le lin tel qu’on le cultive et le tisse en Normandie. Le pays de Caux, autrefois gros producteur de cette fibre à usages multiples, a vu cette agriculture décliner au fil des ans, comme toute l’industrie textile de la région, écrasée par la concurrence des pays asiatiques…

Le Tissage du Ronchay, aux environs de Dieppe, a résisté et survécu mais au prix de plans sociaux successifs. Depuis 1845, la famille Lardans tisse de père en fils: jute, coton, lin et autres fibres naturelles. L’activité battait son plein jusqu’aux années 1970, notamment avec le jute destiné aux revêtements de sol, sacs et à l’ameublement où il était à la mode. Mais le relais a été pris par l’Inde et le Bangladesh, grands producteurs. L’usine, avec une quarantaine de métiers à tisser à lance Dornier, tourne aujourd’hui au ralenti avec moins de dix ouvriers contre cinquante dans les années soixante-dix. Le dernier gros client qui achetait quinze millions de m2 de toile de jute pour fabriquer du linoléum se fournit maintenant en Asie, condamnant l’usine à vivoter, sinon à fermer ses portes…

Mais Marion Diarra-Lardans n’entend pas baisser les bras: «Nous avons un patrimoine industriel dont j’ai pris conscience et nous, la sixième génération, essayons de le sauver. » Et elle a décidé de se lancer dans le tissage du lin dont la culture renait dans l’Hexagone sur environ 122. 000 hectares dont 60 % en Normandie. Une surface multipliée par deux, en dix ans… La jeune femme a su convaincre son père et son oncle de la faisabilité de ce projet ambitieux. Elle en a parlé à son ami d’enfance, le metteur en scène François Lanel qui a eu l’envie de l’accompagner dans cette aventure. «Il m’a proposé, dit-elle, de profiter du dispositif régional Patrimoine et création pour monter un spectacle dans l’usine en activité. Y faire entrer du public est un pari fou mais fait partie de la relance de l’entreprise et montre que l’entreprise est encore vivante, avec des tisserands au savoir-faire extraordinaire. »

François Lanel, dont la compagnie est basée à Caen, a trouvé les moyens de production, en partenariat avec la Scène Nationale de Dieppe. Fort de son expérience avec des amateurs dans des lieux non théâtraux, il a recruté quatorze volontaires des environs: habitants de la ville et de la campagne, enfants, adolescents, retraités agriculteurs, ouvriers… : «Ils ont tous des histoires où le lin a pris un grande importance et la pièce s’articule autour de son parcours: de la semence au tissage.»

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© CIE L ACCORD SENSIBLE

Il ne veut pas concevoir un théâtre documentaire mais faire entrer les récits des gens en résonance avec l’esprit du lieu: «J’en ai conçu la dramaturgie, comme une partition qui lie des instruments les uns avec les autres : jeu, espace,son, objets…. Le lieu est le décor etdicte la pièce.» Dans un immense hangar sous la lumière glauque de verrières encrassées, des bâches dissimulent de mystérieuses caisses et pièces de machinerie, trouvées dans l’usine et exhumées au fur et à mesure, comme les témoins d’une époque révolue. Cette archéologie participe à la fois des souvenirs des acteurs, collectés et mis en forme, et la mémoire du lieu exploré puis scénographié. La présence des comédiens reste fantomatique et des sons étranges accompagnent leurs déplacements. Par bribes, ils nous livrent quelques souvenirs: le bruit du vent qui caresse les plants de lin: « ça vous fait des vagues bleus, comme la mer » ; les chargements et déchargements, par trois voyages par jour, de vingt palettes de soixante bobines de fil par voyage avec ponctualité exigée !…

Au lointain, les rumeurs d’une petite fête carnavalesque : une chorale cherche le la et la note qui serait celle du lin… La petite voix d’un gamin laisse la cheffe de chœur.. sans voix. Un travail de son et de lumière très élaboré fait vibrer l’espace et ponctue les mots échappés de cette troupe disparate où se détachent quelques personnalités et surtout, celle du lieu…Nous retrouverons les participants à cette création collective dans un documentaire réalisé par Chantal Richard qui a suivi les répétions et capté des moments de paroles de chacun. «Dans ce film qui s’est écrit sans scénario préalable, au fur et à mesure des répétitions, il est question de transmission, de générations mais aussi de situations sociales diverses d’hommes, femmes et enfants face à un monde en mutation », dit la cinéaste. Comme dans tous ses films souvent primés, la cinéaste va au plus près des gens et de leur environnement, ce qui manque un peu dans ce spectacle.

Le théâtre et le cinéma sauveront-ils l’usine ? Marion Lansard se donne un an pour gagner son pari. Mais LA LIN LI LA LIN  nous alerte sur l’existence d’un patrimoine culturel et industriel lié à la filière du lin qui ne demande qu’à prendre un nouvel essor…

Mireille Davidovici

Spectacle vu le 12 septembre au Tissage du Ronchay, rue aux loups, Luneray (Seine-Maritime)
Représentation publiques les 18 et 19 septembre à 19h15 à l’occasion des Journées européennes du Patrimoine.
Les 8 et 9 juillet à 21h15, Festival du lin et de la fibre Artistique. Entrée libre, sur réservation à la Scène Nationale de Dieppe. T. :02 35 82 04 43. billetterie@dsn.asso.fr

 

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Le Temps d’aimer la danse 2021 Chronic(s) 2 conception, chorégraphie et mise en scène d’Hamid Ben Mahi et Michel Schweizer

Le Temps daimer la danse 2021

Chronic(s) 2 conception, chorégraphie et mise en scène d’Hamid Ben Mahi et Michel Schweizer

© Pierrault

© Pierrault

Un solo autobiographique qui est une belle surprise de ce festival, désormais incontournable qui a lieu à Biarritz du 10 au 19 septembre. Les artistes avaient déjà collaboré il y a vingt ans. Marqué par le 11 septembre 2011, ce solo se terminait par ces mots : « Pour rester ici, il faut que je trouve des solutions. » Hamid Ben Mahi accompagne sa break dance de mots justes sur le temps passé et il évoque, en paroles et en mouvements, la danse égyptienne de son enfance, sa manière de transmettre son art aux jeunes générations ou les questions de ses enfants sur son métier. Avec, projeté en fond de scène, l’inscription: SE VENDRE, il s’interroge sur son statut d’artiste en faisant défiler son C.V. Fondateur de la compagnie Hors-Série en 2000, il parle aussi avec un recul certain, du «travail du corps qui vieillit et qui s’use. »

En 2014, (voir Le Théâtre du blog), nous avions aiméé la chorégraphie de Michel Schweizer-Cartelin interprétée par Romain di Fazio, un jeune danseur du ballet de Thierry Malandain et par Jean Guizerix qui disait : «Le temps n’a pas de prise sur ce que le corps a aimé.» Cette belle phrase reste d’actualité pour Hamid Ben Mahi qui fait renaître des passages marquants de sa break dance. Le mot: ENCORE, est aussi projeté et le spectacle se conclut sur cette phrase: «Pour pouvoir durer, il faut que je continue à croire que je vais laisser une trace durable mais, dit-il, je plaisante.»Un moment, poétique et touchant…

Jean Couturier

Spectacle vu le 12 septembre au Théâtre Le Colisée 11 avenue Sarasate, Biarritz (Pyrénées-Atlantiques).

Le 20 novembre, Théâtre Louis Aragon Tremblay-en- France (Seine-Saint-Denis) . Les 23 et 24 novembre Scène Nationale Carré-Colonnes, Blanquefort (Gironde).

Les 3 et 4 mars, Théâtre La Passerelle, Gap (Var) et le 26 mars, Théâtre Avant-Scène, Cognac (Charente).

 

 

Tebas Land de Sergio Blanco, lecture-mise en espace de l’auteur

 

Tebas Land de Sergio Blanco, lecture-mise en espace de l’auteur

 

Cette pièce (2013) marque pour l’auteur et metteur en scène uruguayen, son entrée dans une écriture théâtrale auto-fictive. Le texte brouille les pistes entre le vrai et le faux.« Qui est ce qui est vrai ? Faux ? Moi j’aime jouer avec ces deux possibilités. Le théâtre ? Etre ou ne pas être… et l’auto-fiction, c’est être et ne pas être. » Avec, pour thème central, la figure du parricide, Tebas Land (Terre de Thèbes), la pièces’inspire du célèbre mythe d’Œdipe, de la vie de Saint-Martin de Tours -martyr du IVème siècle- et d’une affaire judiciaire : Martin Santos un jeune parricide, inventée de toutes pièces par Sergio Blanco. Le dramaturge, un des personnages du texte, veut s’emparer de son histoire pour une prochaine création. Régulièrement, il va lui rendre visite en prison. Les entretiens se déroulent toujours au même endroit, dans l’enceinte grillagée d’un terrain de basket.

© Boris Didym

© Boris Didym

Face à cette première dans l’écriture de l’intime, peu importe la part de vérité : «L’auto-fiction vient faire un croche-pied à la vérité, à la réalité. ce qui est intéressant, c’est la métamorphose que l’on va en faire ». Pour cet écrivain passionné de Kafka, ce n’est pas un hasard! Tout comme le nom S de Sergio -le prénom de l’auteur- d’un des trois personnages de la pièce interprétée par deux comédiens. On pense à celui de K. comme Kafka, le héros du roman Le Château. Mais, pour Sergio Blanco, la métamorphose, geste esthétique par excellence, permet de donner un caractère existentiel et poétique à la fabula et à ses protagonistes : « On a envie de déconstruire ce drame contemporain. Pour moi, il est important de traiter la douleur, la souffrance au sens le plus noble, et non dans celui de la victime. Aller vers la douleur dans sa transformation possible, dans sa transfiguration poétique. » Ce choix, proche des codes esthétiques de la tragédie antique et/ou classique et présent dans cette fine écriture dramatique, non dénuée de force politique et sociale, désigne aussi l’émergence d’une pièce. «Comment peut-on tuer quelqu’un» devient ici : «Comment représenter une personne qui tue une autre personne?»

 Écrite en sept jours et rapidement mise en espace pour cette 27ème édition de la Mousson d’été, cette lecture faite par Houédo Dossa et Stanislas Nordey, remarquable de sensibilité et d’esprit, fait entrer le public dans une sphère autre que celle de la répression et de l’enfermement. Au rythme de la rencontre entre le dramaturge, Martin Santos et Frédérico (le comédien), Sergio Blanco crée un espace plus intime et très humain. Et qui laisse libre cours à notre imagination, tout en offrant avec une langue sobre et lourde de sens, un horizon fragile, douloureux et tendre. Un souffle sur la vie avec soi, avec l’autre, avec les autres…

Une émotion profonde s’est vite emparée des spectateurs…Preuve que la lecture peut être également un aboutissement pour un texte de théâtre, aussi dense et expressif qu’une représentation. En laissant advenir une théâtralité inattendue, digne des plus belles mises en scène. Subtile mise en lumière de l’écriture dramatique et pour Sergio Blanco : « On est tout le temps en train d’écrire, c’est une manière de regarder le monde. » Tebas Land, une vision généreuse partagée avec un public enthousiaste et bouleversé !

 Elisabeth Naud

Mise en espace-lecture vue à la 27ème édition de la Mousson d’Été, abbaye des Prémontrés, Pont-à Mousson (Meurthe-et-Moselle).

 Le texte de la pièce traduit de l’espagnol (Uruguay) par Philippe Koscheleff, est publié chez Actualités Éditions.

 

 

 

 

 

 

Transverse Orientation, chorégraphie de Dimitris Papaioannou

Transverse Orientation, chorégraphie de Dimitris Papaioannou

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©Julian Mommert_

Nous avions découvert ce chorégraphe grec avec The Great Tamer,une des révélations du festival d’Avignon 2017 (voir Le Théâtre du blog). Cette nouvelle pièce tout aussi remarquable s’inscrit dans la même veine et comme une suite… Formé dans une école de Beaux-Arts, Dimitris Papaioannou appréhende la création par l’image et le dessin. Il a d’abord été peintre, sculpteur, réalisateur de bandes dessinées, avant de se tourner vers le spectacle. Et son travail de recherche entre danse expérimentale, théâtre physique, art du mouvement, garde la trace de cette formation en arts plastiques.

Célèbre pour avoir orchestré la cérémonie  d’ouverture des Jeux Olympiques d’Athènes en 2004, il n’est pas inconnu en France où il a été chaleureusement accueilli par la critique, avec Still Life (2014) au Théâtre de la Ville à Paris. Il y traitait du mythe de Sisyphe, héros de l’absurde, un mythe et bien d’autres que nous retrouvons dans Transverse Orientation avec des corps d’hommes et femmes entremêlés, au fil d’actions toujours recommencées… Des corps bouleversés, désorientés, comme le titre de la pièce le suggère.

Commence un rêve en noir et blanc, peuplé de longues silhouettes microcéphales, attirées comme des papillons par la lumière d’un tube fluo tremblotant. «Au départ, dit le chorégraphe, il y a la notion de succession. L’idée que le meurtre du Minotaure par Thésée est une métaphore du meurtre du vieux par le jeune. (…) Ceci m’a conduit ailleurs, vers le rapport à la lumière: comme les insectes qui s’orientent par rapport à la lune, je sens que les garçons sur scène naviguent sous l’influence de l’apparition de la femme… »

 Bientôt de multiples actions vont s’articuler autour d’un taureau noir grandeur nature animé par les danseurs et qui déverse, tel un cheval de Troie, son lot de corps… A califourchon sur le monstre, dans une sublime nudité, Breanna O’Mara que Dimitris Papaioannou a rencontrée au Tanztheater Wuppertal de Pina Bausch. On entre de plain pied dans la légende du Minotaure, avec cette longiligne Pasiphaé au corps laiteux, la mère de Phèdre et d’Ariane, Reine de Crète qui engendra un être mi-taureau, mi-homme, à la suite de ses noces avec un taureau blanc. Bientôt une multitude d’êtres hybrides vont envahir le plateau, avec des danseurs accolés : têtes cornues, corps et têtes humains, arrière-trains velus
Des m
étamorphoses issues de la mythologie ou inspirées de Hans Bellmer ou de Chirico. Bêtes à deux dos. Cadavres exquis…. Jan Mölner sera le Thésée vainqueur du Minotaure, terrassé. Et là encore, Dimitris Papaioannou convoque l’iconographie des vases grecs, projetée en ombres chinoises sur le mur blanc mais aussi  Olympia de Manet étendue nue sur le dos du taureau ou une Vénus, façon Botticelli, qui perd lentement son placenta pour devenir une Vierge à l’enfant de la Renaissance … Et aussi la statuaire grecque quand la danseuse se fige en déesse de plâtre d’où jaillissent les flots d’une fontaine lumineuse…

Dans une logique de rêve, des images bibliques comme l’échelle de Jacob, des gags du cinéma muet ou un numéro de claquettes entrent en collision avec le panthéon hellénique, sans ambages. Il faut saluer la virtuosité des six danseurs et de la première danseuse, rejoints pour une unique apparition par une femme au corps lourd, sur lequel le temps a passé, et qui traverse lentement le plateau… Des tableaux mouvants et foisonnants, hiératiques ou comiques, où les danseurs se dévêtent partiellement ou jusqu’à la nudité, avant de remettre d’austères costumes de ville. «J’utilise abondamment la nudité comme moyen d’expression, dit le chorégraphe. Une partie de mon héritage est la statuaire grecque et je considère que la sensualité et la spiritualité passent par le corps absolument nu.» Une nudité ici sans provocation, belle et naturelle…

 Cette création est aussi une véritable prouesse technique. Tina Tzoka et Louka Bakas ont conçu une scénographie avec un plateau nu barré d’un mur blanc, mais qui, démonté à la fin, fera place à la mer et à ses îles que contemple, nu, un Ulysse pensif… Les lumières de Stephanos Droussiotis rythment l’espace et permettent de rapides escamotages des interprètes et de subreptices recompositions d’images, en aveuglant le public d’un puissant projecteur. La précision gestuelle des huit danseurs force l’admiration : engagés dans des actions multiples et simultanées : apparitions, transformations, disparitions, ils passent de tempos effrénés, à des mouvements répétitifs, de poses lyriques, à des numéros gagesques. Une heure quarante cinq pour le plaisir des yeux et l’exploration de nos mythologies. Certains reprocheront quelques lenteurs ou trop de sophistication mais ce spectacle est exceptionnel, drôle, émouvant et virtuose. Voire hypnotique.

 Mireille Davidovici

 Le spectacle a été présenté du 7 au 11 septembre, au Théâtre du Châtelet, Paris (I er). Dans le cadre des saisons du Théâtre du Châtelet et du Théâtre de la ville hors-les-murs.

 Les 13 et 14 novembre, Théâtre des Salins Martigues (Bouches-du-Rhône)

 Les 16 et 17 septembre Campania Teatro Festival, Teatro Politeama, Naples (Italie) ; 23, 24, 25, 26 septembre , Torinodanza Festival, Fonderie Limone Moncalieri, Turin (Italie) ;
Du 1  au 3 octobre, Festival Aperto, Teatro Municipale Valli ( Italie) ; du 9 au 12 octobre / ONE DANCE WEEK / House of Culture Boris Hristov, Plovdiv (Bulgarie).
Du ; 26 au 28 novembre, 39º Festival de Otoñ/Teatros del Canal, Sala Roja  Madrid (Espagne)…

 

 

 

 

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Jeunes Pousses 2021 à la Maison Maria Casarès

Jeunes Pousses 2021 à la Maison Maria Casarès

 

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© M.D.

«C’est la dernière fois que nous visitons le “Logis“ tel que l’a laissé Maria Casarès, quand elle a légué le domaine de la Vergne à la commune d’Alloue, un bourg de cinq cents habitants, pour “remercier la France d’avoir été une terre d’asile“ « , dit Johanna Silberstein, codirectrice avec Mathieu Roy, de ce lieu devenu centre culturel de rencontres. »

De nécessaires travaux sont envisagés et une installation de l’artiste Joël Andrianomearisoa vient, avant les transformations, mettre en perspective, avec sensibilité et poésie les traces de vie qu’a laissées la grande artiste. Pour ne jamais rencontrer la dernière heure. Sur un mur de l’entrée, est exposée une infinité de clefs, à l’image de celle de la porte principale :  » Des clefs vers l’infini, qui, sans clore le passé ouvrent sur l’avenir, commente Johanna Silberstein ».

Dans le salon, par un jeu d’ombre et de lumière, Luce i Sombre de la luce fait valoir la double personnalité de cette femme qu’Albert Camus surnommait «mon Soleil». On lit, dans l’ameublement, ses aspirations solaires et son attirance pour l’ombre, comme en témoigne le crâne humain qui trône aux côtés de son Molière en cuivre doré, obtenu en 1989 pour son interprétation d’Hécube dans la pièce éponyme d’Euripide… Plus loin, cent-vingt roses noires célèbrent les cent-vingt rôles qu’elle joua… Et dans le bureau, une série de livres identiques, intitulés Alberto le monde et moi, renferme, entre leurs pages blanches, deux fragments de la correspondance amoureuse de l’écrivain et de la comédienne: Albert Camus signait ses lettres Alberto… Dernière étape de la visite : la bibliothèque rouge et noire, au seuil de laquelle on peut lire : « Let me find you in my dreams, you are the dead tree of my new life» (Laisse-moi te retrouver dans mes rêves, tu es l’arbre mort de ma vie nouvelle). Signe qu’auprès du fantôme de Maria Casarès, plane celui de l’écrivain… Cette œuvre sobre et inspirée de Joël Andrianomearisoa fait apparaître ces ombres errantes.

 

Mais loin de la nostalgie, le projet artistique des directeurs, en fonction depuis 2017, se tourne vers l’avenir avec l’opération Jeunes Pousses (voir Le Théâtre du Blog). Outre le festival d’été qui allie créations théâtrales, patrimoine et gastronomie et a reçu cette année plus de 4.000 visiteurs, dont la moitié venus des alentours, ils veulent mettre  créer de nouvelles générations de créateurs. Dans la verdure, et au chant discret de la Charente, a lieu, avec un an de retard, la quatrième édition de Jeunes Pousses qui aurait dû se tenir en 2020. Les projets ont donc été choisis en 2019 par un jury de professionnels, avec l’aide de l’Office artistique de la Région Nouvelle  Aquitaine et des institutions publiques qui soutiennent cette pépinière de talents.
Des metteurs en scène, sortis des écoles de théâtre il y a moins de cinq ans présentent, après un mois de résidence à la Maison Maria Casarès, un extrait de quarante minutes d’un spectacle. Cela permet aux équipes de tester leur travail en public et de susciter l’intérêt de nombreux programmateurs et professionnels régionaux comme nationaux venus pour une journée-marathon, avec débats. Cette année, avec quatre propositions, chacune à un stade de réalisation plus ou moins avancé…

Dans la grange aménagée en théâtre et ouverte sur la nature, à la salle des fêtes de Confolens et à La Canopée de Ruffec, ces jeunes équipes, dont deux menées par des femmes, ont pu mettre à l’épreuve leurs projets, avec des moyens techniques simples mais suffisants. Mais il s’agit d’ébauches où une ligne se dessinera ou pas. Avec le risque de mesurer qu’elles sont prêtes ou pas, et qu’il leur faut peut-être laisser reposer les matériaux accumulés au fil des séances de travail. Mais les échanges avec un public attentif à ces propositions leur seront bénéfiques.

Vert territoire Bleu de Gwendoline Soublain mise en scène par Marion Lévêque,

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© Joseph Banderet

Une dystopie inspirée à l’auteur par le désastre de Fukushima. Deux adolescents fuient une société totalitaire et se réfugient dans une zone interdite irradiée . Au sein d’une nature corrompue mais luxuriante, ils essayent de faire couple et société, dans la maison délabrée d’un vieillard immobile, « sans mots mais pas crevé ».

Avec une langue lapidaire et rêche et des phrases à l’emporte-pièce souvent sans verbes ou coordinations, Lauriane Mitchell et Yoann Juneau incarnent N.  et K. avec talent, devant le mannequin momifié du vieil homme.

Marion Lévêque a rencontré l’autrice à l’E.N.S.A.T.T. de Lyon et construit son projet -déjà bien avancé- avec la perspective de le créer au Théâtre des Clochards Célestes à Lyon, du 22 au 26 juin prochain, après une résidence au Globe Théâtre de Bordeaux.

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© Joseph Banderet

 Eugen est une pièce de jeunesse de Tankred Dorst (1925-2017), écrite pour marionnettes à l’instar de cinq autres, également oubliées et inédites. Youn Leguern-Herry l’a découverte lors de ses études à l’Ecole Nationale Supérieure de Lyon et l’a traduite puis a rencontré le vieil auteur munichois peu avant sa mort. Il se souvenait à peine de ces saynètes…

Dans ce drame à stations, un jeune homme, en quête d’un Humain, va rencontrer des personnages incongrus dont le cynisme n’aura pas raison de sa naïveté…  La mise en scène est  fondée sur le dédoublement du héros qui apparait parfois comme une silhouette de théâtre d’ombres derrière l’écran parfois à l’avant-scène, comme une grande marionnette habitée.  L’esthétique trop fruste de cette grande poupée portée tranche avec les figurines stylisées conçues par Antoine Rigaud qui s’animent devant des crayonnés naïfs. Devant ou derrière le castelet, la pièce doit encore trouver sa cohérence entre réalisme, burlesque et fantasmagorie. Pour l’heure, la metteuse en scène et ses comédiennes, Elise Rale et Rose Guillon, sont en recherche de résidence.

Hervé Guibert d’après le roman A l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie mise en scène d’Arnaud Vrech

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© Joseph Banderet

L’autofiction où Hervé Guibert raconte la mort de son ami philosophe, sa propre maladie et ses espoirs de traitement promis par un ami américain, a inspiré à Arnaud Vrech et ses comédiens, des partis-pris radicaux. Pour entrer dans le texte, Clément Durand, Cécile Steiner et Johann Weber ont inventé un jeu de rôles où chacun décline un : «J’ai un don», avant d’endosser un personnage du roman, marquant ainsi la lisière entre la fiction et sa fabrication.  » Ce qui nous attire, c’est la façon de l’auteur d’avoir joué sur les limites de la fiction sur sa propre vie.»

Dans un non-décor,  quatre chaises banales évoquent une salle d’attente d’hôpital ou autres lieux neutres… Le montage respecte la chronologie de l’histoire, mêlant des scènes-flashs et de longs récits dont le centre est la figure d’Hervé Guibert. Trois moments clefs: la mort de Musil (Michel Foucault), l’intervention d’Isabelle Adjani démentant les rumeurs selon lesquelles elle aurait le sida et, enfin, les mensonges de Bill, personnage fictif : cet ami qui ne lui a pas sauvé la vie… Le parti-pris consiste ici à approcher le réel : quelques accessoires et des costumes endossés à vue soulignent la fabrication des personnages, tels qu’inventés par l’auteur à partir de sa propre réalité. Ce travail prometteur opère une distance ironique par rapport à cette histoire et la raccorde à notre actualité épidémiologique, tout en respectant l’esprit des années sida et l’écriture d’Hervé Guibert, aux longues phrases souvent tortueuses et complexes, sur un ton à la Thomas Bernhard…

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© Joseph Banderet

Les Nuits blanches de Fiodor Dostoïevski, mise en scène de Mathias Zakhar

Nous avions rencontré ce jeune metteur en scène lors des Croquis de voyage proposés par l’Ecole du Nord en 2017 (voir Le Théâtre du blog): en un mois il avait descendu le Danube jusqu’au kilomètre zéro, son embouchure, et était revenu avec un remarquable solo.

Une passion d’adolescent pour Dostoïevski et son envie de travailler avec Charlie Fabert et Anne Duverneuil, qu’il côtoie dans Le Nid de cendres de Simon Falguières (voir Le Théâtre du Blog), ont motivé son choix pour ce texte de jeunesse du romancier russe, traduit par André Markowicz. Une histoire d’amour et de désillusion à l’aune d’un imaginaire sombre et fantastique. Lui est un rêveur, Elle, une solitaire emprisonnée qui attend depuis un an le retour de celui qui la rendra libre. Ils se rencontrent au bord d’un canal et vont se donner rendez-vous chaque nuit, sur un banc, à la même heure….

Dans cette nouvelle, écrite en 1848, vingt ans avant Crime et Châtiment, Dostoïevski ne veut pas encore céder à la douleur terrestre, même si nous reconnaissons son sourire froid dans ce narrateur qui se souvient de cette «nuit de conte» et rit de ses tourments sentimentaux. Ici, une douce mélancolie, teintée d’humour tendre, enveloppe un univers glauque de ponts, rues étroites et brumeuses. La réalité reprendra ses droits à l’aube du dernier songe. Mais, conclut le rêveur désillusionné: «Une pleine minute de béatitude ! N’est-ce pas assez pour toute une vie d’homme ? ».

Dans un dispositif bifrontal: un banc mobile sur roulettes pour donner la sensation de mouvement et un écran où se projettent les rêves, lambeaux de vieux films en noir et blanc… Avec cette maquette, le metteur en scène nous présente la deuxième nuit : «J’ai décidé de vous connaître dans les moindres détails », dit la jeune fille mais l’homme n’a rien à raconter. Il ne sait que rêver… Il va s’éprendre d’elle comme d’une illusion… Ce projet, peu avancé, nous a laissé dans l’expectative, même si l’on ne doute pas de la qualité des comédiens et du metteur en scène… Il nous promet une plongée dans le cinéma, pour la dernière nuit que l’on pourra découvrir à la prochaine étape de travail, en résidence au Théâtre du Nord, à Lille, en novembre…

Après quatre ans de ces Jeunes Pousses, Johanna Silberstein et Matthieu Roy ont réussi un pari: «A la Maison Maria Casarès, disaient-ils, nous ne voulons pas de créations collectives mais des metteurs en scène. » Face à la disparition de textes d’auteur au profit d’ «écritures de plateau», ils souhaitent remettre au centre le texte littéraire ou dramatique, comme ici avec des auteurs de théâtre : Tankred Dorst et Gwendoline Soublin et les adaptations des romans  d’Hervé Guibert et Fiodor Dostoïevski.
Autre constat : selon les directeurs, un an ne suffit pas pour faire vivre un spectacle. Les jeunes pousses ont besoin d’une diffusion pour s’implanter dans la durée. Tous les brouillons présentés à la Maison Maria Casarès ont pourtant été finalisés et sept des compagnies reçues en 2017 et 2018, continuent leur route avec leur création et même, pour certaines, avec une nouvelle mise en scène… Quant aux spectacles de l’édition 2019, il faudra les suivre dans le contexte actuel …On a pu voir cependant, au festival d’été
C.r.a.s. h. de Sophie Lewisch, dont avait été créée une ébauche aux Jeunes Pousses 2019. 
Pour donner une meilleure visibilité à ces projets, il a été décidé, en accord avec l’O.A.R.A. qui soutient ce dispositif, que Jeunes Pousses deviendrait biennal avec un année consacrée à des maquettes et l’autre, à la présentation des spectacles finis…

L’ O.A.R.A. a proposé dans le cadre de cette journée une performance, mise en scène par Laurent Hatat avec de jeunes artistes issus de plusieurs disciplines et en compagnie pour l’occasion. Ils ont ainsi interprété un texte tiré d’une étude sociologique intitulée REACT (Remettre l’Art au Cœur du Travail) sur les rapports entre les artistes et leurs interlocuteurs: personnels des théâtres, directeurs, programmateurs, producteurs, tutelles…

Cette enquête s’appuie sur l’étude ergonomique des relations entre l’humain et son travail :conditions matérielles, charge de travail, rôle de la hiérarchie, rapports de pouvoir… L’autrice Louise Emö s’est emparée des paroles recueillies auprès des différents corps de métier pour faire ressortir la complexité des relations entre artistes et décideurs. Ce premier «rapport performé» reste à l’état de brouillon mais le public a pu reconnaître les postures évoquées avec humour par les interprètes. On constate ce que l’on sait déjà : la fragilité et les attentes des artistes. Jeunes Pousses, y répond à sa façon. A suivre…

 Mireille Davidovici

 Le 9 septembre, Maison Maria Casarès, Domaine de la Vergne, Alloue (Charente). T. : 05 45 31 81 22 et à la Canopée, Place du Jumelage, Ruffec, et à la Ferme Saint-Michel de Confolens, 7 place de la Chapelle de Foire, Saint-Michel de Confolens (Charente).

 

 

La Chienne de ma vie, de Claude Duneton, adaptation d’Aladin Reibel

La Chienne de ma vie de Claude Duneton, adaptation d’Aladin Reibel

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 Ne pas confondre : il s’agit bel et bien de Rita, la chienne d’enfance du narrateur. Rita, c’est la liberté de l’animal inapte à tout dressage comme ce petit garçon, indocile et joyeux, «Mais qu’est-ce qu’on va faire de toi ! Mais qu’est-ce que j’ai fait au Bon Dieu ! ». Entre un père qui garde dans les yeux les morts de la «grande guerre» et une mère exaspérée dans la France paysanne au milieu du vingtième siècle où «tout est à bras et huile de coude » et où c’est quand même une «chienne de vie». Claude Duneton s’en souvient, comme la merveille qu’était l’eau courante, quand on a connu, au mieux, la pompe à bras ou au pire, les seaux à tirer du puits et la glace qu’il faut casser dans sa cuvette le matin pour se laver.

Par la grâce d’un tournage qu’ils ont partagé, Aladin Reibel a rencontré l’auteur. Une vraie rencontre, d’écriture et d’amitié, presque de filiation. Calude Duneton est mort en 2012, à soixante-seize ans. Aurait-il pu faire mieux avec la vie dure où il a grandi ? En tout cas, l’ «alchimiste de la mélancolie» aura toujours su «transformer le plomb de sa tristesse, en or de la rigolade, muer sa détresse et sa neurasthénie en occasions de se boyauter, métamorphoser la dèche en traits d’esprits» écrivait Jean-Claude Raspiengas, dans La Croix, mars 2012). Produit – imprévisible- de la «méritocratie républicaine», Claude Duneton a saisi un destin hors du commun et une œuvre d’amoureux de la langue. Il ne faut pas oublier.

Mise en scène très simple d’Élodie Chanut: table en bois avec toile cirée, rares meubles dépareillés, photos de famille. Aladin Reibel lui donne sa voix, pleine, précise et son allure qui commence à prendre des airs à la Jean Gabin. L’accordéon de Michel Glasko lui répond, d’une mélancolie plus contemporaine. Un beau moment, profond et drôle et une occasion de ne pas oublier ce pays rural et pauvre, qu’on ne reconnaît plus aujourd’hui derrière la P.A.C., les emprunts au Crédit Agricole et une terre aussi menteuse sous le poids des engrais chimiques, que celle du Maréchal Pétain qui prétendait lui, qu’elle ne mentait pas.

Ici, la leçon d’histoire est vive, rapide, sensible, pleine d’un humour qui touche juste, puisque c’est Claude Duneton qui la donne et Aladin Reibel qui la dit. Pour ces soirées-là, le petit théâtre-cabaret qui les accueille, mérite bien son nom : Les Rendez-vous d’ailleurs.

Christine Friedel

Les Rendez-vous d’ailleurs, 109 rue des Haies, Paris (XX ème) les jeudis, vendredis et samedis jusqu’au 27 novembre.

Claude Duneton: La Chienne de ma vie, éditions Buchet-Chastel, 2007. Et deuxième édition, revue et augmentée, de La Puce à l’oreille : anthologie des expressions populaires avec leur origine , Paris, Balland, 2001.

 

 

 

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