Correspondance avec la Mouette d’Anton Tchekhov et Lika Mizinova. traduction, adaptation et mise en scène de Nicolas Struve

Correspondance avec la Mouette d’Anton Tchekhov et Lika Mizinova. traduction, adaptation et mise en scène de Nicolas Struve

Il faudrait ajouter un sous-titre : «C’est avec plaisir que je vous ébouillanterais », une phrase vigoureuse de cette correspondance et qui donne le ton. Lui, à vingt-neuf ans, est déjà un écrivain reconnu. Et elle, à dix-neuf ans, une beauté célèbre dans les milieux artistiques et la bohème brillante. Elle se prépare à devenir cantatrice. Flirt, agaceries, provocations, amitié : on ne sait pas trop comment ils étaient ensemble, mais à distance, par correspondance, cela flambe, crépite, fait mal et c’est jouissif. Plus chien et chat, que chat et souris (et réciproquement), ils se ressemblent trop pour s’assembler. Ecorchés, prétendant l’un et l’autre être insensibles, alors que leur vulnérabilité éclate dans leurs excès de langage mêmes, dans leur humour caustique, ravageur. Et pourtant il y a du désir, là-dedans, oh ! Combien !

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Pour autant, que faire d’un Anton Tchekhov accablé par son travail de médecin et d’écrivain payé à la ligne, portant sa famille sur ses épaules ? Lika (Lidia) tombe « définitivement amoureuse » d’Ignaty Potapemko, un autre écrivain célèbre à l’époque mais reproche à son correspondant : «Vous vous débrouillez toujours pour vous débarrasser de moi et me jeter dans les bras d’un autre »… Pour la suite, voir La Mouette… Lika attend un enfant de son écrivain célèbre mais il l’abandonne,l’enfant meurt et elle ira chanter dans les opéras de province…

Obsédé comme son personnage d’écrivain Trigorine par l’obligation quotidienne et incessante d’écrire, écrire, écrire, Anton Tchekhov vampirise sa vie et celle de se proches : La Mouette suit de près son aventure ( sur neuf années, quand même !) avec Lika. Mais connaître l’histoire de Lika donne un nouvel éclairage à la pièce tant de fois jouée et confirme la double image que Tchekhov y donne de lui. Il est bien le Trigorine de La Mouette, cet auteur célèbre fatigué qui a besoin de vacances et pourquoi pas, avec sa bonne vielle copine actrice, mais aussi d’excitation et de fraîcheur auprès de Nina, cette jeune débutante naïve. Oui, il est aussi Treplev, peu sûr de son talent, angoissé, mal à l’aise. Mais surtout, bien qu’il soit, pour son époque, un homme mûr, cette correspondance lui rend une incroyable jeunesse, et donne à la pièce et à sa famille de personnages un caractère terriblement concret.

Nicolas Struve et ses interprètes : Stéphanie Schwartzbrod et David Gouhier, ont trouvé des solutions originales pour jouer cet échange de lettres tout feu, tout flamme et tout glace,. Sortant de l’adresse au public « en parallèle », ils ont mis en point avec la chorégraphe Sophie Mayer, la danse de leurs bagarres et de leurs désirs. Il se heurtent, se bousculent, cavalent, et puis de loin, calmés, osent dire leur mélancolie, avant de repartir au combat. La scène est un chantier, où, sur des toiles tendues, ils inscrivent à l’eau les points de repères de leur histoire à épisodes. Et bien sûr, tout s’efface au fur et à mesure : « La vie passe », dirait Anton Tchekhov…

Cela est-il vraiment arrivé ? Dans les biographies de l’écrivrain, Lidia ou Lika existe à peine, alors qu’elle jouit de sa propre célébrité. Mais restent ces lettres si vivantes, si fortes qu’on peut tout inventer à partir de cette correspondance recherchée avec obstination et trouvée par Nicolas Struve. À voir dès que possible mais aussi à lire*.

Christine Friedel

Théâtre de la Reine Blanche, 2 bis passage Ruelle, Paris (XVIII ème), les mardis, jeudis et samedis, à 21 h jusqu’au 9 Octobre. T.01 40 05 06 96 – reseration@scenesblanches;com

*Correspondance  à paraître aux éditions Arléa, le 9 octobre.

 

 

 

 


Archive pour septembre, 2021

Les Merveilles, mise en scène d’Yvan Clédat et Coco Petitpierre

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Les Merveilles, mise en scène d’Yvan Clédat et Coco Petitpierre, d’après Empédocle, Ovide, Pline l’Ancien, Jean de Mandeville…

 Que se passe-t-il quand un Blemmie, rencontre un Sciapode et un Panotii ? Ce week end, où la compagnie Clédat et Petitpierre investissait l’Atelier de Paris, avec six spectacles, notamment avec Les Baigneurs (voir le Théâtre du blog), ces sculpteurs, performeurs et chorégraphes ont ouvert pour nous le Livre de Merveilles de Marco Polo. Parmi les enluminures de l’ouvrage, figurent des créatures imaginaires du bestiaire antique et médiéval, qui font partie de ces monstres aux corps composites, décrits par Pline l’Ancien et dans maints récits de voyages d’autrefois.

Après les yétis hirsutes, les santons suisses, les bonhommes de neige, une sculpture d’Alberto Giacometti, une Vénus stéatopyge, Yvan Clédat et Coco Petitpierre donnent vie à trois personnages surprenants, dans un paysage luxuriant de leur fabrication : « Nous voulons, disent-ils, nous intéresser à cette petite tribu aux corporalités perturbées. Et créer sur scène un espace qui, biotope plastique, sculptural et sonore, sera le cadre rêvé et poétique dans lequel se construira notre imaginaire. »

 Ainsi le Panotii a d’immenses oreilles dans lesquelles il s’enveloppe comme une huître, le Sciapode, lui, a un pied unique qui l’encombre mais lui fait de l’ombre et le Blemmie, acéphale, porte son visage sur son torse. Ces presque humains, évoluent parmi les feuilles et les tiges géantes : une nature bienveillante et protectrice. Nulle animosité entre ces monstres gentils dans ce petit paradis terrestre. Sylvain Prunenec, Erwan Ha Kyoon Larcher et Sylvain Riéjou se déplacent comme ils peuvent, dans leur corps de latex, portant leurs « déformations » avec grâce, et se livrent à des activités ludiques.  Le sol par un dispositif sophistiqué de capteurs, résonne et vibre au moindre de leurs mouvements.

 En artisans de la scène, ces chorégraphes et leurs danseurs nous plongent dans une fantasmagorie charmante de générosité et douce folie, avec un humour sous-jacent que nous avons aussi trouvé dans la performance suivante : Panique! .

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 Panique!, mise en scène d’Yvan Clédat et Coco Petitpierre

 Dans le manège du centre équestre de la Cartoucherie, trône un être pansu et velu, affublé de cornes et de sabots dorés. Tronc d’homme, arrière-train de bouc, il est juché sur un rocher vêtu de feuilles d’or, une nature artificielle et sophistiquée qui contraste avec la rusticité du personnage. Dans la pénombre enfumée et l’odeur des chevaux, Olivier Martin Salvan incarne le dieu Pan. Mais pas de panique! Il déploie son impressionnante corpulence avec une bonhommie fantasque, entre siestes, colères et pulsions lubriques. Ce demi-dieu, protecteur des bergers et troupeaux, indifférent à la présence du public, manie sans délicatesse son attribut favori, la flûte, indissociable de son iconographie et dont l’origine nous est contée par Ovide dans Les Métamorphoses… Après des bêlements caprins, un ultime clin d’œil musical dans ce solo de trente minutes : quelques notes du Prélude à l’après midi d’un faune de Claude Debussy, qui renvoie au ballet de Vaslav Nijinski.

Autant d’évocations portées avec talent par la présence hors-normes de l’interprète qui instaure avec distance une complicité immédiate avec les spectateurs. Les metteurs en scène opposent savamment nature et culture, en développant l’animalité de la danse et les dorures du décor et du costume, sa trivialité burlesque et une sorte de mélancolie qui renvoie aux vers sophistiqués de Stéphane Mallarmé : « Bien seul je m’offre pour triomphe la faute idéale des roses »… Avec ou sans références, chacun y trouvera son compte.

 Mireille Davidovici

 Spectacle vu le 5 septembre, Atelier de Paris, Cartoucherie de Vincennes. 

 Les Merveilles : du 30 novembre au 2 décembre, La Villette,  Paris (XlX ème ); du 21 au 23 janvier, La Halle aux Grains,  Blois (Loir-et-Cher) ; le 24 mars L’Echangeur CDCN + La Faïencerie,  Creil (Oise) ; du 7 au 9 avril, Les Subsistances, Lyon (Rhône) ; du 12 au 14 mai , Théâtre Louis Aragon, Tremblay-en-France (Seine-Saint-Denis).

 Panique! Le 22 janvier Le CentQuatre , Paris (XlX ème).

 

 

Entretien avec Damien Jalet

Entretien avec Damien Jalet

-Vous expérimentez dans votre nouvelle création Planet Wanderer, plusieurs types de matériaux, en interaction avec les danseurs…

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-Oui, le carbure de silicium, un sable noir qui couvre le plateau et le katakurico, une gélatine qui offre une deuxième peau au danseur. Cette fécule de pomme de terre japonaise occupe des cavités sur le plateau où les danseurs se positionnent. Le slime est utilisé à la fin du spectacle et la carbo-glace.

-Avez-vous conçu des tableaux ou l’improvisation prime-t-elle ?

-Avec le scénographe Kohei Nawa, nous sommes partis de la confrontation du danseur avec les matériaux et la gravité. Je ne fonctionne pas de façon rationnelle et tout est venu progressivement. Après l’expérience de Vessel , nous voulions pousser plus loin l’interaction des corps avec les différents matériaux. J’étais au Japon en 2011 pendant le tremblement de terre et cela a changé mon lien au monde. La capacité des habitants à s’adapter m’a fasciné, alors que la nature est tellement vivante et parfois hostile là-bas. Et le thème « enraciner, qui plie mais ne rompt pas »s’est imposé. Dans Planet Wanderer,  nous développons « la grande plaine de roseaux », une métaphore de notre monde.

-Quelles ont été les étapes de cette création ?

-Nous avons dirigé deux ateliers à Kyoto avec différents matériaux. Parmi les images crées, nous avons gardé celles qui nous surprennent. Je ne cherche pas à faire une pièce dansée mais plutôt une succession d’états des corps qui incarnent une idée. Pour la séquence du roseau, le danseur a les pieds enfoncés dans le sol, entouré de ce katakurico, matière à la fois solide et liquide, sorte de sable mouvant qui change le rapport à la force gravitationnelle.
La flexibilité du danseur permet de développer un autre langage modifiant le rapport à l’espace et au temps. La chorégraphie dépend de cette balance chimique du matériau. Aujourd’hui, premier septembre, nous sommes dans notre sixième semaine de travail et encore en expérimentation. L’ensemble n’a pas été simple à coordonner avec le Japon, vu l’actualité sanitaire. Nous sommes constamment soumis à des lois que nous n’avons pas choisies…

-Les danseurs ont-ils une figure plus humaine que dans votre précédent spectacle, Vessel ?

-Oui, ils ont un visage et marchent ; ce sont des nomades, en mouvement constant, comme la Terre. Il existe une balance entre cet enracinement et le fait que nous sommes en constant exil. Tous ces éléments sont explorés pendant le spectacle et j’utilise le langage de l’abstraction et la poésie physique, ce qui interroge notre rapport à la terre. Le corps lui-même est constitué de matériaux et en le confrontant à d’autres, nous essayons de révéler quelque chose de notre condition humaine…

Jean Couturier

Du 15 au 30 septembre,Théâtre national de la danse de Chaillot, 1 place du Trocadéro, Paris XVI ème. T. : 01 53 65 30 00..

 

 

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Esprits fantômes à la Maison de la Magie Robert-Houdin de Blois

Exposition Esprits fantômes à la Maison de la Magie Robert Houdin de Blois

Esprits Fantomes - Credit Ma ison de la Magie R-H 2021En raison de la crise sanitaire, la saison 2020 consacrée au spiritisme et aux fantômes joue les prolongations pendant encore un an. Une chance pour ceux qui avaient raté cette exposition de haute volée. L’équipe pilotée par Céline Noulin, assistée par Antoine Souchet, a encore fait un travail remarquable de recherche et collecte. Et le fidèle Ludovic Meunier a construit une scénographie ludique avec des reconstitutions d’intérieurs bourgeois du XIX ème siècle, un cabinet d’études littéraires et scientifiques, un atelier de photographe spirite à la Préfecture de police, une pièce restituant l’inquiétante maison de Winchester… Jean-Luc Muller a réalisé des reconstitutions historiques d’une grande justesse. Et le docteur Pêche, des Laboratoires C.C.C.P., a créé une forte identité visuelle forte. Enfin, les historiens et universitaires Antoine Leduc, Thibaut Rioult, Frédéric Tabet et Pierre Taillefer ont mettre au point la justesse historique que nous retrouvons aussi dans le beau catalogue.

Les Esprits Fantômes propose de montrer les influences réciproques entre spiritisme et art magique. Des années 1850 à nos jours, sont évoquées, à travers une centaine d’objets et documents, des pratiques situées au croisement de la technologie moderne et de l’occultisme. La croyance au monde surhumain des esprits et des fantômes se retrouve chez tous les peuples et à toutes les époques: Chaldéens, Égyptiens, Perses, Hébreux, Grecs, Romains…). Et ici l’antiquité s’exprime par la voix de ses oracles dans des sanctuaires aux noms immortels. Le Moyen-Âge a scénarisé les grands trucs dans les mystères joués en place publique. Durant la Renaissance, certains religieux peu scrupuleux n’hésitaient pas à mettre en scène des fausses apparitions, au risque de finir sur un bûcher.

Né aux Etats-Unis et importé en Europe vers 1850, le mouvement spirite trouve un terreau favorable dans le «mesmérisme». La société est prête à accepter les phénomènes fantomatiques les plus impressionnants, comme les tables parlantes des sœurs Fox ou les matérialisations d’esprits par de talentueux médiums. Vers 1770, le médecin allemand Franz Anton Mesmer développe la théorie du magnétisme animal, un fluide universel pénétrant tous les corps animés ou inanimés. Ses techniques, fondées sur l’état de transe ou de somnambulisme, seront utilisées plus tard pour la pratique de l’hypnose. Malgré son succès en Autriche et en France, Anton Mesmer, condamné par la plupart des institutions scientifiques européennes, doit quitter Paris. Après la Révolution, le mouvement repart progressivement. Et guérisseurs et artistes mesméristes se multiplient dans les années 1840.

Le 31 mars 1848, à Hydesville (Etat de New York) une banale histoire de maison hantée transforme définitivement la vie de la famille Fox. Kate (douze ans) et Margaret Fox (quatorze ans) répondent aux «esprits frappeurs» et leurs voisins sont invités à assister à ces coups étranges qui répondent à presque toutes leurs questions. Les sœurs Fox mettent au point un code plus précis et leur sœur aînée, Leah (vingt-trois ans), comprend très vite l’intérêt de  présenter des séances dans les salons privés, moyennant finances. Le phénomène se répand en 1849 et la famille part pour New York, avant d’entamer une tournée à grand succès aux États-Unis. Malgré les premières accusations de fraude dès 1851, cette hallucination s’empare de presque tout un peuple !

Surnommé le sorcier écossais, Daniel Douglas Home fascine par son mystère et la rareté de ses apparitions. Reçu par le tsar Alexandre II et le pape Pie IX, il défraie la chronique par ses projections de meubles et ses lévitations spectaculaires. Démasqué à Biarritz en 1856, en présence de Napoléon III, il est expulsé du territoire français. On attribue au séduisant Henry Slade le truc de l’ardoise spirite. En 1876, il éblouit son auditoire à Londres, capable d’écrire des messages avec de minuscules morceaux de craie entre les doigts, les orteils ou dans la bouche. Médium révélée à l’âge de quinze ans, Florence Cook, elle, se spécialise dans la matérialisation d’ectoplasmes. En 1873, son esprit-guide, Katie King, fait sensation en sortant de la cabine spirite pour discuter avec les participants.

 D’origine américaine, le «spiritualisme» est, avant tout, une croyance en la possibilité de communiquer avec les esprits des défunts pour recueillir des informations sur leur vie. Avant d’être une doctrine, c’est d’abord une pratique: on se préoccupe moins de savoir si c’est vrai que si cela marche. Les termes: spiritisme et spirite, inventés par le français Allan Kardec en 1857, ont permis de lever une ambiguïté lexicale. Le spiritualisme désignait déjà ceux qui, au XVIII ème siècle, en réaction aux «matérialistes», admettaient l’immortalité de l’âme et en étudiaient les facultés.

 Dans la foulée des sœurs Fox, les médiums américains se professionnalisent rapidement et rémunèrent leurs services et des conférenciers spécialisés se déplacent de ville en ville. La médiumnité devient l’un des premiers métiers modernes pour les femmes et contribue à leur émancipation dans la société victorienne. En France, le «spiritualisme américain » apparaît dans la presse française en 1852, avant l’arrivée des premiers médiums en Europe. L’impulsion décisive vient d’Allemagne, notamment des grands ports de Brême et de Hambourg au printemps suivant.

Surnommé par ses disciples le guide ou le chef vénéré, Allan Kardec (1804-1869) est le fondateur et théoricien du spiritisme français qui s’exportera avec succès au Brésil. Il réussit à transformer cette philosophie religieuse en mouvement populaire et social. Le spiritisme vise « le progrès individuel et social », avec une transparence dans les relations humaines. Allan Kardec pense que la télépathie sera, à terme, un mode normal de communication. En quête d’identité, la littérature voit fleurir des romans spirites dès les années 1850. Alexandre Dumas, Victorien Sardou, Victor Hugo vivent l’expérience des tables tournantes et d’éminents savants épousent la cause spirite.

 Mais les phénomènes spirites les plus extraordinaires ont peu de choses à voir avec la science. Ils s’inspirent de l’art magique, avec effets progressifs et multiples trucs… Emission de bruits, bonimenteur et accompagnement musical créent des surprises et de couvrir les gestes de l’opérateur. Un code simple permet de communiquer avec les esprits : un coup pour oui, deux coups pour non. Les dictées, lettre par lettre, au rythme des coups frappés par le pied du guéridon, deviennent vite fastidieuses. Des planchettes ovales munies d’un crayon (dites planches de OUIJA) prennent le relais vers 1855 mais se révèlent incommodes. Alors le médium s’assied, tenant à la main son crayon et son cahier et se recueille un moment avant d’écrire la réponse de l’esprit : c’est l’écriture médiumnique.

 Dès 1849, on rapporte le cas d’instruments de musique qui se mettent à jouer pendant les séances, sans avoir été apparemment touchés. Les médiums Daniel Home et Charles Foster sont célèbres pour leur piano à queue volant, point d’orgue de leur séance… Une nouvelle pratique consiste pour le médium à s’isoler dans un cabinet noir. Protégé par des rideaux, de façon théâtrale, il matérialise des pseudo-esprits par la bouche, le nez, le nombril. Ces ectoplasmes, sortes de morceaux de corps, sont à leur tour photographiés pour apporter la preuve de leur existence.

Et, entre 1870 et 1930, l’interaction entre l’occulte et la photographie est prolifique. Ce « troisième œil» constitue le médium idéal pour tenter de surprendre l’invisible et capter les spectres de vivants. Et, accidentellement, dans son atelier de Boston, William Mumler (1832-1884) voit apparaître le visage flou d’une jeune femme sur l’un de ses autoportraits, créant ainsi un effet étonnant. Publié à son insu dans la presse, ce cliché est considéré par les spirites comme étant la première manifestation d’un esprit. Si l’Anglais Frederick A. Hudson réalise la première photographie spirite en Europe le 4 mars 1872, Edouard Buguet (1840-1890), installé à Montmartre en 1873, produit des portraits spirites de qualité supérieure.

 Et l’approche spirite de l’art magique voit naître de nouvelles formes artistiques. Les spectres du théâtre et du jeune cinématographe concurrencent les séances de spiritisme et l’esthétique de Georges Méliès. En 1862, John Henry Pepper simule des apparitions de spectres à la Royal Polytechnic Institution de Londres. Le Théâtre du Châtelet en acquiert les droits mais deux théâtres du boulevard du crime le devancent dont celui du prestidigitateur Henri Robin qui montre des formes évanescentes, perçues par les spirites comme des attaques contre leurs propres croyances.

 Les premières projections cinématographiques ont lieu à une époque où les phénomènes spirites défraient la chronique. En 1897, la revue scientifique La Nature suggère aux lecteurs la possibilité de créer des «cinématographies spirites», en usant de la double exposition. Ce nouveau langage fait éclater les confins de la rationalité pour voyager à travers l’impossible. Georges Méliès adapte la technique de la surimpression dans ses spectacles, puis au cinéma, influencé par le «théâtre noir»: c’est la magie noire moderne et ses féeries jouent sur le potentiel fantomatique du médium. Georges Méliès réalise lui la synthèse des techniques photographiques et théâtrales et rivalisent avec les spirites. En 1909, au Théâtre Robert Houdin, il présente Les Phénomènes du spiritisme, un spectacle à succès qui sera aussi présenté à l’étranger et qui est l’aboutissement de son travail sur le théâtre noir.

En 1865, les frères Ira et William Davenport arrivent des Etats-Unis et c’est un événement capital dans l’histoire de la magie en Europe. Niant toute forme de trucage, ils font entrer le spiritisme dans la sphère du spectacle, au grand dam des illusionnistes !
Connus par des tournées aux États-Unis dès 1855,  Davenport arrivent à Londres en septembre 1864. Avec un numéro où ils se font enfermer dans une armoire et solidement ficeler, avant que les esprits ne se manifestent par différents phénomènes : cliquetis, martèlements, coups retentissants… Les sons diaboliques d’instruments accrochés à l’intérieur se multiplient: tambourin, guitare, violon, trompette, clochettes… Quand les portes s’ouvrent, les frères sont toujours assis et fermement attachés ! L’Armoire Davenport préfigure le cabinet noir des médiums.

Mais la presse satirique comme les intellectuels se déchaînent et les prestidigitateurs réagissent immédiatement. Henri Robin veut démasquer les frères Davenport et reproduit leurs tours dans son théâtre boulevard du Temple, en exposant à la vue de tous, les secrets employés. Jean-Eugène Robert-Houdin et Alfred de Caston figurent parmi les premiers détracteurs. Les magiciens reprennent les procédés spirites pour s’opposer à leurs pratiques et au succès rencontré auprès du public. En 1873, John Nevil Maskelyne, associé à George Alfred Cooke, présente à l’identique le numéro de l’armoire et dévoile les techniques utilisées à l’Egyptian Hall de Londres. Après le départ des Davenport, le cabinet spirite entre dans le répertoire traditionnel des prestidigitateurs comme Harry Kellar, Howard Thurston, Dicksonn ou Bénévol.

 La controverse entre Sir Arthur Conan Doyle, le père du légendaire Sherlock Holmes et Harry Houdini, le plus grand prestidigitateur américain de tous les temps, est une des pages les plus passionnantes de l’histoire du spiritisme. En 1882, alors jeune médecin près de Portsmouth, Conan Doyle (1859-1930) s’initie au spiritisme. Peu à peu, sa distance critique se transforme en conviction personnelle. Jusqu’à sa mort, Conan Doyle, soutenu par sa femme elle aussi médium, mène campagne pour convaincre le grand public de la vérité du spiritisme. Il sillonne l’Europe et le monde, rassemblant près des centaines de milliers de personnes, avec des conférences où il mêle projections de photos et messages philosophiques.

Pendant trente ans, Harry Houdini (1874-1926) part en croisade contre les charlatans et les escrocs du spiritisme. Il accumule témoignages et documents, participe à de nombreuses séances spirites (plus de 100 en 1919 ! ) et livre son enquête en 1924 A Magician among the spirits. Prêt à se laisser convaincre, il avoue n’avoir jamais reçu la preuve qu’il est possible de communiquer avec les esprits. Son point de vue diffère de celui de Conan Doyle avec lequel il échange lettres et articles de journaux mais la sincérité de ce dernier reste l’un des fondements de leur amitié, hors leur admiration réciproque. Lors d’un séjour à Atlantic City, le 17 juin 1922, Conan Doyle propose à Houdini une séance spéciale organisée par son épouse, pour essayer de sentir la présence de sa mère bien-aimée, décédée en 1913. La lettre censée provenir de la mère du magicien est transmise en anglais mais elle n’a jamais maîtrisé cette langue depuis son arrivée aux Etats-Unis! Houdini est profondément déçu.

A la Maison de la Magie de Blois, pour fêter les cent-cinquante ans de la disparition de Jean-Eugène Robert-Houdin, le Temple des Prestiges de la Rotonde a été entièrement repensé et habillé d’une scénographie sons et lumières où est retracée l’histoire de la magie, de l’Antiquité à l’époque moderne, le tout présenté par le maître lui-même. Un beau travail conçu par la société de design sonore Sound to Sight basée au Mans et par le réalisateur Jean-Luc Muller. La salle des illusions d’optique s’est refait une beauté avec des installations inédites comme un dallage qui se dérobe en trompe-l’œil et où les spectateurs peuvent se faire prendre en photo. Philippe Socrate a accroché une série de ses géniaux travaux graphiques issus de son Tous les secrets des illusions d’optiques. Enfin, pour remplacer des installations qui demandaient des manipulations (covid oblige), des reproductions de magnifiques et rares gravures du XIX et XX èmes siècles ont été accrochées à l’endroit et à l’envers, pour en admirer les subtilités optiques….

 Au dernier étage, à la place de L’Hallucinoscope de Majax dont l’exploitation commerciale a cessé en 2020, se trouve maitenant la salle Magicus où une animation permanente de magie (close-up et salon) a lieu. L’excellent Sébastien Gayou se charge d’amuser les visiteurs avec des tours interactifs et bien construits, comme un bonneteau avec cartes géantes et une «routine» de prédiction avec une carte révélée à la manière de Boris Wild.

Sébastien Bazou

 

27ème Édition de La Mousson d’Été. Festival international des écritures dramatiques contemporaines

27ème Édition de La Mousson d’Été. Festival international des écritures dramatiques contemporaines
 

Pour la clôture du festival ce 29 août et en tournée, dans le bassin mussipontain, Raoul est venu accompagné de son portrait : théâtral à souhait dans la mise en scène de Marcial Di Fonzo Bo, tout en humour, grâce et émotion. Un choix poétique pertinent… 

Cette année, la figure de la femme s’est manifestée dans plusieurs textes et loin des poncifs habituels. La lecture de Pour un temps soit peu par et de l’autrice trans non-binaire, Laurène Marx, en est un exemple convaincant. De sa voix, son corps et de ses silences impressionnants de justesse ont jailli de ce monologue, un témoignage et des interrogations peu communes sur la féminité et ses injonctions. Une découverte fascinante : « Déjà… tout est vachement très, très différent de ce que moi-même, je pense. Alors que… je veux dire… je SUIS « moi même », tu vois ? Donc, te fais pas d’idées, c’est tout. C’est mieux. C’est tout. Et ça commence comme ça. Pour moi, pour « elle » ça se passe comme ça.Tu rentres un soir, tu t’assois, tu prends une grande inspiration et puis tu commences à projeter des diapos de ta vie avec ta rétine sur le mur blanc d’en face. Ça dure un quart de seconde, hein. C’est pas l’ouverture de Cannes, t’emballe pas. Puis tu dis…Y a un tas de variantes mais l’idée c’est un truc du genre : ah… o.k., merde…Je suis une meuf, je crois… je suis une trans, je crois…Ou « j’arrête » Ou« Mais qu’est-ce que j’ai foutu…» Evidemment y’a des nuances, c’est tout un tas d’intuitions au fil du temps, d’envies de velours et de douceur, de te faire culbuter par le garagiste, alors que t’as même pas de voiture… mais en substance…C’est ça… »

 Autre forme et mise en voix du caché et du soi : la rencontre en compagnie de Sergio Blanco et de Laurène Marx. Écrivains et artistes, ils nous ont offert un dialogue plein d’écoute, d’esprit et d’humour sur le thème des écritures de l’intime. Le débat, très vite, est devenu théâtral tel une forme courte. Un moment mémorable ! Leurs visions, leurs pensées singulières et critiques ont ouvert un horizon esthétique et éthique hors du commun, sur la question de l’auto-fiction, de l’intime, du genre, de l’identité. Pour Sergio Blanco ce sont: »des formes complexes, diaboliques où il y a une dose d’humanité énorme. Tebas Land marque mon entrée dans cette écriture auto-fictive et de l’intime (…)  Et la proposition de La Mousson d’été, m’a tout de suite plu. Cet endroit où, pendant une semaine on habite avec plusieurs textes, on cohabite avec des gens, des textes, c’est une expérience unique au monde… Et j’ai été tout de suite habité par ce texte de Laurène, je relis la notion de l’intime, qui, là, n’est pas nombriliste, car ce texte parlait de moi, de nous tous. (…) C’est un acte d’ouverture : c’est celui qui vit et qui va vers l’autre. Montaigne, père de l’écriture de l’intime, ne parle pas d’être soi, mais être à soi. On retrouve cela dans le texte de Laurène Marx: c’est quoi être à soi?  C’est appartenir à personne d’autre, ce qui finit par appartenir à tous ».

A cela, Laurène Marx répond que son texte doit être un témoignage. Elle le considère comme un manifeste  : «Tout est vrai, tout existe, je dois un peu répondre à ça, à cette réalité. (…) Dans mes textes, je vous balance des trucs car j’ai décidé, face et avec l’écriture, d’avoir honte de rien. Alors que je suis trans, c’est une honte… On est né dans un mauvais corps, non, c’est vous qui êtes nés dans un mauvais fruit ! Si tu as honte de tout, tu peux plus rien raconter. Or il ne s’agit pas de corps, il s’agit d’aller plus loin, on doit avancer, mais on reste avec notre honte… L’art pour lutter contre la honte ! Extrait de Pour un temps soit peu : -« 26 degrés, t’auras l’air fière. Fière, c’est bien. Pas arrogante, pas trop sûre de toi non plus, tu es une femme. Fière, c’est bien. Balance du cul mais pas trop, on pensera que tu fais semblant ou que t’es bourrée et puis les mecs, ça les rend dingues, ça fait disponible. Ils se mettent à aboyer, ils sentent la viande qui bouge dans la dentelle. Le frottement doux. Ils entendent. Tout ce qui te plaît n’a plus d’importance, il ne s’agit pas de ça, tu joues pour les autres et ton public t’attend et ce public-là, tu peux pas le décevoir, il veut ta vie, il la voudra. Il n’a pas payé pour te voir, tu n’es pas payée pour lui plaire mais c’est toi qui impose ta présence au monde. » 

Laurène Marx déclare, non sans panache et émotion: « On est tous trans, c’est plus large comme spectre, il y a une ré-appropriation permanente, vous vous êtes posés des questions sur l’image que vous voulez rendre et pourquoi ? Là, vous êtes trans. » Le public resta quelque peu perplexe tout en étant très attentif. Et à la sortie de la rencontre, les discussions allèrent bon train ! Cet échange avait ouvert un champ de réflexions et d’interrogations inhabituel, sur l’identité, le genre mais aussi l’amour, la représentation, l’image, la création poétique…

L’amour, dans tous ses états, a parcouru un bon nombre de pièces comme Les Subtilités du désamour de l’Argentine Anahi Ribeiro. Un couple d’auteurs vient de se séparer mais décide pourtant de se retrouver pour écrire ensemble leur dernière pièce, et choisit comme sujet : L’ amour. A mesure que leur lien sentimental se décompose dans la réalité, il se construit dans la fiction. Ces mondes vont se mélanger et lutter chacun pour prendre le dessus. Une  lecture de ce texte traduit par Adeline Isabel-Mignot est dirigée par Laurent Vacher.

 

Femme disparaît de Julia Haenni sous le direction de Véronique Bellegarde, traduction de Julie Tirard.

Cette autrice interroge notamment les carcans sociaux et théâtraux. 

Ana contre la mort de Gabriel Calderon, une lecture dirigée par Laurent Vacher, traduction de Laurent Gallardo. Une tragédie contemporaine avec l’inexorable lutte d’une mère pour sauver la vie de son fils gravement malade et dont le traitement médical est très onéreux. Ne pouvant pas payer, Ana prend contact avec un dealer pour travailler comme « mule »: -Le Dealer : On ne peut pas tuer un fantôme, on peut juste l’exorciser et ma mère ne veut pas m’exorciser, ou plutôt elle ne veut pas s’exorciser de moi. » -Ana: Aucune mère ne veut s’exorciser de ses enfants.-Le Dealer:- C’est vrai, ce sont les enfants qui ne veulent plus avoir leur mère sur le dos, mais elles sont comme des sangsues. -Ana. Ne sois pas idiot, range ça. -Le Dealer: « Je suis pas aussi idiot que j’en ai l’air » voilà ce que disait Platon à ses disciples …(il range le petit sacSi tu ne viens pas pour ça, alors qu’est-ce que tu fous là ? -Ana:  » J’ai besoin d’argent ». 

Citons aussi : Furieuse Scandinavie, une pièce très bien traduite par Victoria Mariani, de l’auteur espagnol  Antonio Rojano où s’entrechoquent les thèmes de la mémoire, de l’amour et de la perte, dans une belle mise en espace dirigée par Blandine Savetier. Un texte riche en paysages intérieurs et situations surréalistes, comiques et décalées : « S’ils sont ici et maintenant c’est parce que tous deux cherchent ce qu’ils ont perdu, même s’ils n’ont pas la moindre idée, ou c’est ce qu’ils nous laissent entendre, de ce qu’ils cherchent, de ce qu’ils désirent ou de ce qu’ils ont bien pu perdre à la fin ». Le texte est découpé en chapitres. Chacun d’eux est annoncé par Léa Sery, belle présence, qui interprète aussi à merveille un des personnages féminins:

 Comment Erika M dissout la réalité dans une carte routière.

Le rôle d’Érika est joué tambour battant, avec émotion ou humour par Julie Pilot.  Érika: «Mais dis-moi, toi qui a connu le monde et qui a voyagé parmi ses émotions, est-ce qu’à tout hasard, la réalité se montre toujours clairement ? N’est-elle pas complexe et non simple ? Tu penses que la réalité se présente comme les pages d’un livre ou bien se déplie comme une carte – une carte routière-  difficile à ouvrir, difficile à interpréter et impossible à replier ? Ce récit commence ici, dans un lieu connu, mais il finira dans une ville au nom étranger, au bout de l’une de ces cartes impossibles. Une ville dont j’ai aussi oublié le nom. Je me souviens seulement de ce qu’au début, bien avant qu’arrivent les ténèbres, je t’aimais et tu m’as abandonnée. » Vu le temps imparti pour chaque lecture, le texte a dû être coupé. Ce qui implique forcément un angle de vue, ici davantage axé sur l’aspect comique, absurde. Cette contrainte peut parfois modifier l’esprit et la profondeur de la pièce.

 

© B. Didym

© B. Didym

Dans un autre registre, sur le thème du parricide et de la vengeance, L’Arbre à sang d’Angus Cerini, auteur et performeur australien. Une lecture habilement mise en espace par Anne Théron, cette pièce, en effet pourrait tomber dans la caricature langagière. Texte pour la première fois traduit en français, finement et avec authenticité par Dominique Hollier, et en vue de cette 27ème saison. Une mère et ses deux filles viennent de tuer leur mari et père. De cet événement tragique s’ensuit toute une série de situations cocasses, terribles et absurdes dans une région rurale d’Australie où « tout le monde savait, personne n’a rien dit, rien fait!». 

La mère et ses deux filles Ada et Ida, (Catherine Matisse, Léa Sery et Alexiane Torrès) jouent avec jubilation et drôlerie  la situation grave et critique où elles se sont  placées et pour cause ! Elles se saisissent avec enthousiasme de cette langue rustique, organique et théâtrale. L’auteur ne mâche pas ses mots pour nous raconter l’histoire macabre à souhait et déjantée qui évolue de coup de théâtre, en coup de théâtre. : «M’man.- Bonjour Monsieur Jones. Ada.- Bonjour qu’il dit. Ida.- Il est bien rentré votre bonhomme qu’il dit ? M’man.- Je l’ai pas encore vu. L’avez dans votre camion ? Ada.- Il partait en zigzaguant par ici, pis j’entends un coup de feu. Sûr que tout va bien ?M’man.- J’entends pas de coup de feu. Ada.- Je me dis peut-être y a un problème. M’man.- On l’a pas vu, encore bu comme un trou. À tous les coups. Ida.- Ça c’est sûr. Ada.- Et donc tout va bien ? Jones renifle l’air. M’man.- Ben il est pas encore rentré, donc oui, jusqu’ici ça va. Ada- Peut-être là-bas dans le pré, le vieux Smithy l’a pris pour un renard. Ida.- Peut-être il s’est pris une balle dans le lard. Ada.- Le connard. Ida.- Faut dire c’est pas une lumière votre gars – sacré bougre de bon à rien, le pauvre con d’ivrogne. M’man.- Cramoisi qu’il est le Jones. Ada- Désolé M’dame, pas poli de dire ça. Ida.- Jones tout honteux, dire des gros mots devant les dames. »

 

© B. Didym

© B. Didym

Destin, amour, parricide, exil, tyrannie, monde de l’entreprise: des thèmes dramatiques par excellence et de presque tous les temps, ont habité, en présence d’actrices et d’acteurs virtuoses, formidables,  La Mousson d’Été. Cette 27ème édition nous a adressé une parole théâtrale à forte dimension politique et sociale où vibre l’humanité  la plus enjouée ou/et la plus grave… A retenir (le choix est complexe, vue la qualité de cette année), entre autres deux lectures d’une densité émotionnelle, d’une qualité littéraire et d’une interprétation rares : Tebas Land de Sergio Blanco, traduction de Philippe Koescheleff, dirigée par Sergio Blanco avec la collaboration de Philippe Koscheleff et remarquablement interprétée par Houédo Dossa et Stanislas Nordey. Et la dernière, le 28 août au soir, Mare Nostrum d’Aïko Solovkine, journaliste indépendante et autrice belge, sous la direction de Michel Didym dans une belle mise en espace sobre mais évocatrice. Et avec une simplicité recherchée. En effet, la lecture de cet avant dernier soir du festival, se joignait à la musique, admirable, composée et interprétée par Philippe Thibault. Le rythme était présent dans toute sa théâtralité. Une lecture accompagnée d’un tempo vocal, dramatique et musical complice de ce texte subtil. Les mots d’Aïko Solovkine et le dire de Jean-Pierre Darroussin se fondaient dans un rapport mimétique avec l’espace du récit: la Méditérranée et ses profondeurs et le cheminement intérieur des pêcheurs. Ici incarné par Jean-Pierre Darroussin, bouleversant !  
Dans ces deux pièces, la poésie, l’ intelligence et leurs thèmes tragiques pérennes et si actuels, s’adressent à tous et en toute urgence ! Comme le spectacle Part-Dieu, chant de gare, inventif, ludique et cruel, politique et profondément humain. Réalisé avec des moyens simples, judicieux, artisanaux, une prouesse dramaturgique et artistique, très loin des nouvelles technologies… 

Une Mousson d’Été qui restera dans les mémoires ! Les musiciens et chanteurs, tous les soirs comme chaque année, après une journée bien remplie nous invitait à danser masqués avant de tomber dans les bras de Morphée…

Elisabeth Naud

Cette  édition de la Mousson d’été a eu lieu du 23 au 29 août à l’Abbaye des Prémontrés,  Pont-à-Mousson (Meurthe-et-Moselle).

Pour un temps soit peu de Laurène Marx, est publié aux Editions Théâtrales.

L’Arbre à sang d’Angus Cerini est éditée par la Maison Antoine Vitez.

 

 

 

 

Adieu Míkis Theodorákis

Adieu Míkis Theodorákis

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La musique grecque est à nouveau en deuil après le décès d’Angélique Ionatos qui avait été l’interprète du célèbre  compositeur né le 29 juillet 1925 à Chios, en Egée, dans une famille d’origine crétoise. Il est l’auteur d’une œuvre immense dont plusieurs chansons devenues des classiques comme Une Hirondelle, Sto Perigiali, Kaïmos. Le gouvernement grec a décrété trois jours de deuil national.

Familiarisé dès l’enfance avec la musique sacrée byzantine, il s’intéressa ensuite aux formes et thèmes populaires traditionnels. En 1942, il est arrêté et torturé par les Allemands et sa Chanson du capitaine Zacharias (1939) devient le chant de la résistance grecque. Après la guerre, il reprend des études de composition au Conservatoire d’Athènes, puis à celui de Paris avec Olivier Messiaen de 53 à 54. Il exaltera la culture et le nationalisme grecs à travers son œuvre et son activité politique. Et il sera à nouveau emprisonné de 67 à 70 pendant la dictature des colonels mais cela ne l’empêchera pas d’écrire pour le cinéma.
La popularité de ses musiques pour Zorba le Grec  de Michael Cacoyannis (1964) ou de Z de Costa Gavras (1968) ne doivent pas masquer un réel travail de musicien aux ressources très souples et nombreuses, notamment pour Lune de miel  de Michael Powell et Emeric Pressburger (1955), Electra et Les Troyennes de Michael Cacoyannis (1963 et 1969) Le Couteau dans la plaie  d’Anatole Litvak (1963), Etat de siège de Costa Gavras (1973), Serpico de Sidney Lumet (1974), Iphigénie de Michael Cacoyannis (1977).

Oratorios, symphonies, hymnes, opéras… Il avait foi en la culture populaire et a su ouvrir au grand public la tradition classique et la poésie, par exemple en mettant en musique Axion Esti du prix Nobel Odysseus Elytis ou le Canto General de Pablo Neruda. Il a aussi sorti du ghetto, le rebetiko (le blues grec) et ses instruments traditionnels dont le bouzouki, un héritage de la culture gréco-orientale d’Asie mineure, l’actuelle Turquie.

Malgré ses foucades politiques, coups de gueule et accès de susceptibilité, ce géant chaleureux à la tignasse en bataille s’était hissé au rang de monument national. En revendiquant toujours une farouche indépendance : «Du fait de ma taille, je n’ai jamais pu m’incliner », plaisantait-il. Quand la crise financière frappa la Grèce en 2010, il manifesta contre les mesures d’austérité qu’imposèrent les créanciers du pays : B.C.E, U.E., F.M.I. A la fin de sa vie, il a été plusieurs fois au centre de polémiques à la suite de propos jugés antisémites…

Nektarios-Georgios Konstantinidis

Saccage, texte et mise en scène de Judith Bernard

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Saccage, texte et mise en scène de Judith Bernard

Nous avions apprécié ce spectacle original et percutant, interrompu en plein vol par le deuxième confinement. Judith Bernard se penche sur les luttes alternatives, et leur historique résonne encore dans notre actualité. La Manufacture des Abbesses lui accorde une nouvelle chance…

Quel point commun entre la faculté de Vincennes des années soixante-dix, la Z.A.D. (Zone A Défendre) de Notre-Dame-des-Landes, le lointain Rojava au Kurdistan syrien ou les «cabanes du peuple» des Gilets Jaunes? Au moins un : ces enclaves de résistance et d’invention de nouvelles formes de démocratie, ont résisté face au Pouvoir.

Judith Bernard, universitaire et directrice de la compagnie ADA, poursuit son exploration des problématiques liées à la philosophie politique. Bienvenue dans l’angle Alpha interrogeait notre aliénation au salariat. Avec Saccage, elle parle des expérimentations alternatives, tôt ou tard confrontées à l’État de droit. Faut-il s’opposer, se soumettre ou composer avec un Pouvoir qui n’a de cesse de saboter ces initiatives? Les débats qui agitent de toute communauté rebelle, quand elle doit faire face à une politique de saccage, se prête bien à un traitement théâtral.

Sous la plume de la metteuse en scène, les personnages apparaissent face à leurs contradictions, aux moments-clefs où leur enclave est menacée par l’arsenal juridique et répressif des Politiques. Judith Bernard montre la fragilité de «cette brèche infime dans les ténèbres de la propagande », selon l’expression de Virginie Despentes à propos de  Notre-Dame-des Landes. Ici, quatre comédiens pour  de nombreux personnages : professeurs et étudiants de Vincennes mettant en place une Université populaire ouverte à tous ;  Zadistes de Loire-Atlantique défendant une zone naturelle et une agriculture biologique contre le béton d’un futur aéroport ; Kurdes du Rojava luttant contre Daesh et organisés en confédération démocratique selon les thèses d’Abdullah Öcalan. Le fondateur du P.K.K. (Parti de Travailleurs Kurdes) apparaît brièvement pour expliquer son Manifeste, peu connu, pour un Kurdistan unifié et une démocratie directe, écologique et féministe. «Cela passe par la création d’un « homme nouveau », purgé des vices capitalistes et de la mentalité du colonisateur turc. Le vrai Kurde doit s’inspirer de la pureté d’une paysannerie réinventée… »

D’une séquence à l’autre, les acteurs représentent des figures plus que des individus :  Le Cadet, le plus radical du collectif, s’oppose souvent à L’Aîné ayant tendance à composer avec le Pouvoir. La Brune oscille entre deux positions et la Rousse (Judith Bernard ou Pauline Christophe en alternance ) se détache parfois du groupe pour situer ou commenter l’action.  Quelques  accessoires suffisent à figurer les lieux et les époques :  kalachnikov et photos de martyrs nous transportent dans un Kurdistan en guerre ; une paire de lunettes rondes évoque un Jacques Lacan mis en boîte par les gauchistes ; un  tipi en filet de camouflage et une banderole :«Nous ne défendons pas la Nature, nous sommes la Nature qui se défend !» et nous voilà dans le bocage. D’une scène à l’autre, on débat, on argumente, on se dispute…

Mais le joyeux désordre à Vincennes ou à Notre-Dame-des-Landes prendra bientôt fin et, dans l’obscurité des intermèdes, on entend les bulldozers à l’œuvre… Judith Bernard analyse les trois phases du saccage: intimidation, destruction puis normalisation : «Le pouvoir a aussitôt regretté la liberté accordée aux Vincennois. Il n’a pas cessé de tenter d’en restreindre la portée. C’était un bras de fer permanent. Et dès l’été  69, le gouvernement a essayé de rétro-pédaler en faisant adopter des décrets scélérats: entre autres celui par lequel le Ministère de l’Education Nationale voulait en empêcher l’accès aux non-bacheliers. »

Ce théâtre politique n’a rien de didactique et, pendant une heure vingt, on a le plaisir de partager les recherches et les propositions de Judith Bernard. Soigneusement écrit et mis et scène, Saccage, malgré un titre un rien défaitiste, est un hommage à celles et à ceux qui, encore et toujours, s’écartent de la norme pour inventer des voies nouvelles. Il faut les suivre…

 Mireille Davidovici

 jusqu’au 3O novembre, tous les  dimanches à  20 h 30 

Manufacture des Abbesses, 7 rue Véron,  Paris  (XVIII ème) T. : 01 42 33 42 03.

La pièce est publiée aux éditions Libertalia

La Chienne de ma vie de Claude Duneton, adaptation d’Aladin Reibel

 

La Chienne de ma vie, de Claude Duneton, adaptation d’Aladin Reibel

 

 

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Ne pas confondre : il s’agit bel et bien de Rita, la chienne d’enfance du narrateur. Rita, c’est la liberté de l’animal inapte à tout dressage et aussi celle du petit garçon,  indocile et joyeux comme elle. «Mais qu’est-ce qu’on va faire de toi ! », «Mais qu’est-ce que j’ai fait au Bon Dieu ! ». Entre un père qui garde dans les yeux les morts de la « grande guerre » et une mère exaspérée, dans la France paysanne du milieu du vingtième siècle, « tout à bras et huile de coude », c’est quand même une « chienne de vie ».

Claude Duneton se souvient des merveilles de l’eau courante, quand on a connu au mieux la pompe à bras et au pire, les seaux à tirer du puits et la glace qu’il faut casser dans sa cuvette le matin. Par la grâce d’un tournage qu’ils ont partagé, Aladin Reibel avait rencontré l’auteur. Une vraie rencontre, d’écriture et d’amitié, presque de filiation. Claude Duneton est mort en 2012, à soixante-seize ans. Aurait-il pu faire mieux avec la vie dure où il a grandi ? En tout cas, l’«alchimiste de la mélancolie» aura toujours su « transformer le plomb de sa tristesse, en or de la rigolade, muer sa détresse et sa neurasthénie, en occasions de se boyauter, métamorphoser la dèche en traits d’esprits » comme l’a écrit Jean-Claude Raspiengas, dans La Croix, en mars 2012. Produit -imprévisible- de la «méritocratie républicaine», il a saisi un destin hors du commun et une œuvre d’amoureux de la langue qu’il ne faut pas oublier.

Mise en scène très simple d’Élodie Chanut avec table à toile cirée à carreaux, rares meubles dépareillés, photos de famille, Aladin Reibel lui donne sa voix, pleine, précise et avec une allure qui commence à prendre des airs à la Jean Gabin.  Michel Glasko à l’accordéon lui répond, avec une mélancolie plus contemporaine. Un moment, profond et drôle, une belle occasion de ne pas oublier ce pays rural et pauvre, qu’on ne reconnaît plus derrière la P.A.C., les emprunts au Crédit Agricole et une terre aussi menteuse sous le poids des engrais chimiques de toute sorte, que celle au temps du Maréchal Pétain qui prétendait qu’elle ne mentait pas.
Rassurez-vous, la leçon d’histoire est vive, rapide, sensible, pleine d’un humour qui touche juste quand Claude Duneton la donne et qu’Aladin Reibel la dit. Pour ces soirées-là, le petit théâtre-cabaret qui les accueille, mérite bien son nom : Les Rendez-vous d’ailleurs…

Christine Friedel

Les Rendez-vous d’ailleurs, 109 rue des Haies, Paris (XX ème), les jeudis, vendredis et samedis jusqu’au 27 novembre.

Claude Duneton, La Chienne de ma vie, éditions Buchet-Chastel ( 2007).

Et la deuxième nouvelle édition revue et augmentée (après celle de 1984) de La Puce à l’oreille : anthologie des expressions populaires avec leur origine, Paris, Balland (2001).

 

 

 

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