Exposition Esprits fantômes à la Maison de la Magie Robert Houdin de Blois
En raison de la crise sanitaire, la saison 2020 consacrée au spiritisme et aux fantômes joue les prolongations pendant encore un an. Une chance pour ceux qui avaient raté cette exposition de haute volée. L’équipe pilotée par Céline Noulin, assistée par Antoine Souchet, a encore fait un travail remarquable de recherche et collecte. Et le fidèle Ludovic Meunier a construit une scénographie ludique avec des reconstitutions d’intérieurs bourgeois du XIX ème siècle, un cabinet d’études littéraires et scientifiques, un atelier de photographe spirite à la Préfecture de police, une pièce restituant l’inquiétante maison de Winchester… Jean-Luc Muller a réalisé des reconstitutions historiques d’une grande justesse. Et le docteur Pêche, des Laboratoires C.C.C.P., a créé une forte identité visuelle forte. Enfin, les historiens et universitaires Antoine Leduc, Thibaut Rioult, Frédéric Tabet et Pierre Taillefer ont mettre au point la justesse historique que nous retrouvons aussi dans le beau catalogue.
Les Esprits Fantômes propose de montrer les influences réciproques entre spiritisme et art magique. Des années 1850 à nos jours, sont évoquées, à travers une centaine d’objets et documents, des pratiques situées au croisement de la technologie moderne et de l’occultisme. La croyance au monde surhumain des esprits et des fantômes se retrouve chez tous les peuples et à toutes les époques: Chaldéens, Égyptiens, Perses, Hébreux, Grecs, Romains…). Et ici l’antiquité s’exprime par la voix de ses oracles dans des sanctuaires aux noms immortels. Le Moyen-Âge a scénarisé les grands trucs dans les mystères joués en place publique. Durant la Renaissance, certains religieux peu scrupuleux n’hésitaient pas à mettre en scène des fausses apparitions, au risque de finir sur un bûcher.
Né aux Etats-Unis et importé en Europe vers 1850, le mouvement spirite trouve un terreau favorable dans le «mesmérisme». La société est prête à accepter les phénomènes fantomatiques les plus impressionnants, comme les tables parlantes des sœurs Fox ou les matérialisations d’esprits par de talentueux médiums. Vers 1770, le médecin allemand Franz Anton Mesmer développe la théorie du magnétisme animal, un fluide universel pénétrant tous les corps animés ou inanimés. Ses techniques, fondées sur l’état de transe ou de somnambulisme, seront utilisées plus tard pour la pratique de l’hypnose. Malgré son succès en Autriche et en France, Anton Mesmer, condamné par la plupart des institutions scientifiques européennes, doit quitter Paris. Après la Révolution, le mouvement repart progressivement. Et guérisseurs et artistes mesméristes se multiplient dans les années 1840.
Le 31 mars 1848, à Hydesville (Etat de New York) une banale histoire de maison hantée transforme définitivement la vie de la famille Fox. Kate (douze ans) et Margaret Fox (quatorze ans) répondent aux «esprits frappeurs» et leurs voisins sont invités à assister à ces coups étranges qui répondent à presque toutes leurs questions. Les sœurs Fox mettent au point un code plus précis et leur sœur aînée, Leah (vingt-trois ans), comprend très vite l’intérêt de présenter des séances dans les salons privés, moyennant finances. Le phénomène se répand en 1849 et la famille part pour New York, avant d’entamer une tournée à grand succès aux États-Unis. Malgré les premières accusations de fraude dès 1851, cette hallucination s’empare de presque tout un peuple !
Surnommé le sorcier écossais, Daniel Douglas Home fascine par son mystère et la rareté de ses apparitions. Reçu par le tsar Alexandre II et le pape Pie IX, il défraie la chronique par ses projections de meubles et ses lévitations spectaculaires. Démasqué à Biarritz en 1856, en présence de Napoléon III, il est expulsé du territoire français. On attribue au séduisant Henry Slade le truc de l’ardoise spirite. En 1876, il éblouit son auditoire à Londres, capable d’écrire des messages avec de minuscules morceaux de craie entre les doigts, les orteils ou dans la bouche. Médium révélée à l’âge de quinze ans, Florence Cook, elle, se spécialise dans la matérialisation d’ectoplasmes. En 1873, son esprit-guide, Katie King, fait sensation en sortant de la cabine spirite pour discuter avec les participants.
D’origine américaine, le «spiritualisme» est, avant tout, une croyance en la possibilité de communiquer avec les esprits des défunts pour recueillir des informations sur leur vie. Avant d’être une doctrine, c’est d’abord une pratique: on se préoccupe moins de savoir si c’est vrai que si cela marche. Les termes: spiritisme et spirite, inventés par le français Allan Kardec en 1857, ont permis de lever une ambiguïté lexicale. Le spiritualisme désignait déjà ceux qui, au XVIII ème siècle, en réaction aux «matérialistes», admettaient l’immortalité de l’âme et en étudiaient les facultés.
Dans la foulée des sœurs Fox, les médiums américains se professionnalisent rapidement et rémunèrent leurs services et des conférenciers spécialisés se déplacent de ville en ville. La médiumnité devient l’un des premiers métiers modernes pour les femmes et contribue à leur émancipation dans la société victorienne. En France, le «spiritualisme américain » apparaît dans la presse française en 1852, avant l’arrivée des premiers médiums en Europe. L’impulsion décisive vient d’Allemagne, notamment des grands ports de Brême et de Hambourg au printemps suivant.
Surnommé par ses disciples le guide ou le chef vénéré, Allan Kardec (1804-1869) est le fondateur et théoricien du spiritisme français qui s’exportera avec succès au Brésil. Il réussit à transformer cette philosophie religieuse en mouvement populaire et social. Le spiritisme vise « le progrès individuel et social », avec une transparence dans les relations humaines. Allan Kardec pense que la télépathie sera, à terme, un mode normal de communication. En quête d’identité, la littérature voit fleurir des romans spirites dès les années 1850. Alexandre Dumas, Victorien Sardou, Victor Hugo vivent l’expérience des tables tournantes et d’éminents savants épousent la cause spirite.
Mais les phénomènes spirites les plus extraordinaires ont peu de choses à voir avec la science. Ils s’inspirent de l’art magique, avec effets progressifs et multiples trucs… Emission de bruits, bonimenteur et accompagnement musical créent des surprises et de couvrir les gestes de l’opérateur. Un code simple permet de communiquer avec les esprits : un coup pour oui, deux coups pour non. Les dictées, lettre par lettre, au rythme des coups frappés par le pied du guéridon, deviennent vite fastidieuses. Des planchettes ovales munies d’un crayon (dites planches de OUIJA) prennent le relais vers 1855 mais se révèlent incommodes. Alors le médium s’assied, tenant à la main son crayon et son cahier et se recueille un moment avant d’écrire la réponse de l’esprit : c’est l’écriture médiumnique.
Dès 1849, on rapporte le cas d’instruments de musique qui se mettent à jouer pendant les séances, sans avoir été apparemment touchés. Les médiums Daniel Home et Charles Foster sont célèbres pour leur piano à queue volant, point d’orgue de leur séance… Une nouvelle pratique consiste pour le médium à s’isoler dans un cabinet noir. Protégé par des rideaux, de façon théâtrale, il matérialise des pseudo-esprits par la bouche, le nez, le nombril. Ces ectoplasmes, sortes de morceaux de corps, sont à leur tour photographiés pour apporter la preuve de leur existence.
Et, entre 1870 et 1930, l’interaction entre l’occulte et la photographie est prolifique. Ce « troisième œil» constitue le médium idéal pour tenter de surprendre l’invisible et capter les spectres de vivants. Et, accidentellement, dans son atelier de Boston, William Mumler (1832-1884) voit apparaître le visage flou d’une jeune femme sur l’un de ses autoportraits, créant ainsi un effet étonnant. Publié à son insu dans la presse, ce cliché est considéré par les spirites comme étant la première manifestation d’un esprit. Si l’Anglais Frederick A. Hudson réalise la première photographie spirite en Europe le 4 mars 1872, Edouard Buguet (1840-1890), installé à Montmartre en 1873, produit des portraits spirites de qualité supérieure.
Et l’approche spirite de l’art magique voit naître de nouvelles formes artistiques. Les spectres du théâtre et du jeune cinématographe concurrencent les séances de spiritisme et l’esthétique de Georges Méliès. En 1862, John Henry Pepper simule des apparitions de spectres à la Royal Polytechnic Institution de Londres. Le Théâtre du Châtelet en acquiert les droits mais deux théâtres du boulevard du crime le devancent dont celui du prestidigitateur Henri Robin qui montre des formes évanescentes, perçues par les spirites comme des attaques contre leurs propres croyances.
Les premières projections cinématographiques ont lieu à une époque où les phénomènes spirites défraient la chronique. En 1897, la revue scientifique La Nature suggère aux lecteurs la possibilité de créer des «cinématographies spirites», en usant de la double exposition. Ce nouveau langage fait éclater les confins de la rationalité pour voyager à travers l’impossible. Georges Méliès adapte la technique de la surimpression dans ses spectacles, puis au cinéma, influencé par le «théâtre noir»: c’est la magie noire moderne et ses féeries jouent sur le potentiel fantomatique du médium. Georges Méliès réalise lui la synthèse des techniques photographiques et théâtrales et rivalisent avec les spirites. En 1909, au Théâtre Robert Houdin, il présente Les Phénomènes du spiritisme, un spectacle à succès qui sera aussi présenté à l’étranger et qui est l’aboutissement de son travail sur le théâtre noir.
En 1865, les frères Ira et William Davenport arrivent des Etats-Unis et c’est un événement capital dans l’histoire de la magie en Europe. Niant toute forme de trucage, ils font entrer le spiritisme dans la sphère du spectacle, au grand dam des illusionnistes !
Connus par des tournées aux États-Unis dès 1855, Davenport arrivent à Londres en septembre 1864. Avec un numéro où ils se font enfermer dans une armoire et solidement ficeler, avant que les esprits ne se manifestent par différents phénomènes : cliquetis, martèlements, coups retentissants… Les sons diaboliques d’instruments accrochés à l’intérieur se multiplient: tambourin, guitare, violon, trompette, clochettes… Quand les portes s’ouvrent, les frères sont toujours assis et fermement attachés ! L’Armoire Davenport préfigure le cabinet noir des médiums.
Mais la presse satirique comme les intellectuels se déchaînent et les prestidigitateurs réagissent immédiatement. Henri Robin veut démasquer les frères Davenport et reproduit leurs tours dans son théâtre boulevard du Temple, en exposant à la vue de tous, les secrets employés. Jean-Eugène Robert-Houdin et Alfred de Caston figurent parmi les premiers détracteurs. Les magiciens reprennent les procédés spirites pour s’opposer à leurs pratiques et au succès rencontré auprès du public. En 1873, John Nevil Maskelyne, associé à George Alfred Cooke, présente à l’identique le numéro de l’armoire et dévoile les techniques utilisées à l’Egyptian Hall de Londres. Après le départ des Davenport, le cabinet spirite entre dans le répertoire traditionnel des prestidigitateurs comme Harry Kellar, Howard Thurston, Dicksonn ou Bénévol.
La controverse entre Sir Arthur Conan Doyle, le père du légendaire Sherlock Holmes et Harry Houdini, le plus grand prestidigitateur américain de tous les temps, est une des pages les plus passionnantes de l’histoire du spiritisme. En 1882, alors jeune médecin près de Portsmouth, Conan Doyle (1859-1930) s’initie au spiritisme. Peu à peu, sa distance critique se transforme en conviction personnelle. Jusqu’à sa mort, Conan Doyle, soutenu par sa femme elle aussi médium, mène campagne pour convaincre le grand public de la vérité du spiritisme. Il sillonne l’Europe et le monde, rassemblant près des centaines de milliers de personnes, avec des conférences où il mêle projections de photos et messages philosophiques.
Pendant trente ans, Harry Houdini (1874-1926) part en croisade contre les charlatans et les escrocs du spiritisme. Il accumule témoignages et documents, participe à de nombreuses séances spirites (plus de 100 en 1919 ! ) et livre son enquête en 1924 A Magician among the spirits. Prêt à se laisser convaincre, il avoue n’avoir jamais reçu la preuve qu’il est possible de communiquer avec les esprits. Son point de vue diffère de celui de Conan Doyle avec lequel il échange lettres et articles de journaux mais la sincérité de ce dernier reste l’un des fondements de leur amitié, hors leur admiration réciproque. Lors d’un séjour à Atlantic City, le 17 juin 1922, Conan Doyle propose à Houdini une séance spéciale organisée par son épouse, pour essayer de sentir la présence de sa mère bien-aimée, décédée en 1913. La lettre censée provenir de la mère du magicien est transmise en anglais mais elle n’a jamais maîtrisé cette langue depuis son arrivée aux Etats-Unis! Houdini est profondément déçu.
A la Maison de la Magie de Blois, pour fêter les cent-cinquante ans de la disparition de Jean-Eugène Robert-Houdin, le Temple des Prestiges de la Rotonde a été entièrement repensé et habillé d’une scénographie sons et lumières où est retracée l’histoire de la magie, de l’Antiquité à l’époque moderne, le tout présenté par le maître lui-même. Un beau travail conçu par la société de design sonore Sound to Sight basée au Mans et par le réalisateur Jean-Luc Muller. La salle des illusions d’optique s’est refait une beauté avec des installations inédites comme un dallage qui se dérobe en trompe-l’œil et où les spectateurs peuvent se faire prendre en photo. Philippe Socrate a accroché une série de ses géniaux travaux graphiques issus de son Tous les secrets des illusions d’optiques. Enfin, pour remplacer des installations qui demandaient des manipulations (covid oblige), des reproductions de magnifiques et rares gravures du XIX et XX èmes siècles ont été accrochées à l’endroit et à l’envers, pour en admirer les subtilités optiques….
Au dernier étage, à la place de L’Hallucinoscope de Majax dont l’exploitation commerciale a cessé en 2020, se trouve maitenant la salle Magicus où une animation permanente de magie (close-up et salon) a lieu. L’excellent Sébastien Gayou se charge d’amuser les visiteurs avec des tours interactifs et bien construits, comme un bonneteau avec cartes géantes et une «routine» de prédiction avec une carte révélée à la manière de Boris Wild.
Sébastien Bazou