Giordano Bruno, le Souper des Cendres, adaptation de textes de Giordano Bruno et mise en scène de Laurent Vacher

Giordano Bruno, Le Souper des Cendres, adaptation de textes de Giordano Bruno et mise en scène de Laurent Vacher

Ce spectacle, d’une grande sensibilité et très bien écrit, a été vu en décembre 2020 par une dizaine de professionnels, admis à une première et unique représentation. Nous avions apprécié toutes les subtilités de la mise en scène, la finesse de jeu de l’acteur et du musicien, comme leur connivence. Manquait alors un public pour que le courant passe vraiment…

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© Christoph Reynaud Delage

 Plateau nu, murs sombres. Le philosophe (Benoît Di Marco) croupissant dans une geôle est mélancolique:  il se revoit enfant studieux, rêvant d’espaces infinis, sous les cieux étoilés. Et vindicatif, il se rebelle contre l’ignardise de ses juges qu’il traite, non sans humour, de tous les noms… En dialogue constant avec la contrebasse de Philippe Thibault (en alternance avec Clément Landais), il fait revivre les amitiés masculines de Giordano Bruno et sa colère contre les tenants du système de Ptolémée et des principes d’Aristote, contraires à la vérité scientifique qu’il pressent. Nous le suivons sur les chemins ardus de l’astrophysique, sur les pas de Copernic, de l’astronome danois Tycho Brahe  et d’autres savants avant eux…

 Dans la pénombre et le dénuement, sa pensée, mise à jour par Laurent Vacher, nous paraît d’autant plus claire. Le metteur en scène s’est limité à construire une dramaturgie et à écrire quelques transitions.  Il a puisé en grande majorité dans les superbes écrits de Giordano Bruno, notamment son prémonitoire Souper des Cendres (1584). Le mercredi des Cendres marquant chez les chrétiens, le premier jour du carême  soit quarante jours de pénitence avant Pâques.

L’ouvrage est le premier des six dialogues philosophiques où son auteur révise la théorie hélio-centriste de Copernic qui prétendait encore que l’univers était fini et composé d’une sphère d’étoiles fixes. Giordano Bruno envisage, lui,  un univers infini et homogène qui n’a pas de centre, avec un nombre illimité de mondes et de  systèmes solaires… Il ne renie pas Dieu mais le place partout et nulle part, à l’image de l’Univers : «Nous le savons : il n’y a qu’un ciel, une immense région éthérée où les magnifiques foyers lumineux conservent les distances qui séparent au profit de la vie perpétuelle et de sa répartition. Ces corps en enflammés sont les ambassadeurs de l’excellence de Dieu, les hérauts de sa gloire et de sa majesté.»

 Du 20 novembre au 15 janvier, Théâtre de la Reine Blanche, 2 passage Ruelle, Paris (XVIII ème). T. : 01 42 05 47 31.

 Le Banquet des Cendres, Montpellier, 1988 Et La Cabale du cheval Pégase, Paris, M. de Maule, 1992.
Œuvres complètes. Les Belles Lettres, Paris 1993–2000 ; De la Magie, Allia, 2000.

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Archive pour octobre, 2021

Huit heures ne font pas un jour de Rainer Werner Fassbinder, traduction de Laurent Muhleisen, mise en scène de Julie Deliquet

Huit heures ne font pas un jour de Rainer Werner Fassbinder, traduction de Laurent Muhleisen, version scénique de Julie André, Julie Deliquet et Florence Seyvos, mise en scène de Julie Deliquet

Excusez le retard dû à une rentrée pléthorique. Revenons sur cette adaptation -dont les droits sont libres depuis deux ans- qui pose de sérieux problèmes. Pour Acht Stunden sind kein Tag, une série en huit épisodes réalisée pour la télévision allemande WDR de 72 à 73, Rainer Werner Fassbinder, avait eu l’idée de changer les paramètres habituels. Cette fois, les personnages ne sont donc plus des bourgeois ou des grands-bourgeois comme souvent dans les séries mais  des ouvriers, membres de la famille Krüger-Epp et leurs camarades de travail à Cologne.

© Pascal Victor-Opale

© Pascal Victor-Opale

Jochen, la trentaine (Mikaël Treguer) continue à se battre pour les droits de la femme, la dignité du troisième âge et surtout pour plus d’équité sociale dans son entreprise où il voudrait instaurer l’auto-gestion et une meilleure organisation du travail. IL voudrait que l’on revoie radicalement la procédure d’achat des machines mais aussi l’hygiène qui laisse à désirer. Puisque ses camarades et lui en ont une expérience incomparable, que les ingénieurs et l’administration de l’entreprise n’ont pas. Mais son père (Eric Charon) sans doute échaudé par trop de luttes sans succès, n’y croit guère… Marion, l’amie de Jochen est une jeune journaliste (Lina Alsayed) dans un quotidien du coin. Ils vont se marier.

Il y a aussi sa grand-mère, à côté de la plaque et assez délirante mais drôle et toujours de bonne humeur: Evelyne Didi, cette immense actrice, forme avec Grégor, son amoureux (remarquable Christian Druillaud), un curieux couple. Et, dès qu’elle entre en scène, seule ou avec lui, elle s’impose aussitôt.  Julie Deliquet a visiblement été séduite par cette peinture chorale d’un univers qui était sans doute aussi celui de la Seine-Saint-Denis il y a encore une cinquantaine d’années avec nombre de petites et moyennes entreprises industrielles… Elle est obsédée par le cinéma avec lequel elle flirte une fois de plus. Elle avait déjà adapté Fanny et Alexandre d’Ingmar Bergman et Un Conte de Noël d’Arnaud Desplechin (voir Le Théâtre du Blog) «Réel», «l’univers propre inspiré du réel», «le réel et la fiction», «la représentation sans filtre de la réalité», «le réalisme » mais aussi «la déréalisation»… Et «une vie de cinéma», «la vie sur scène», «l’amour de la vie», «la vie en direct», des mots qu’elle répète sans arrêt en quelques lignes dans sa note d’intention… Et ce n’est pas la première fois que la metteuse en scène nous fait le coup: nous ne saurons jamais si les acteurs ont reçu comme consigne de jouer mais sans vraiment jouer, tout en jouant et ce parti-pris est agaçant…

Dans Huit heures ne font pas un jour, on parle aussi beaucoup : condition ouvrière, rapports de classe, droit au bonheur, préjugés envers les immigrés, loyers trop élevés, manque de crèches. Mais bon, ce n’est pas du grand Fassbinder, celui de Liberté à Brême, entre autres et ces dialogues font souvent penser à des conversations de bistrot mais il faudrait aller voir dans le texte original* qui semble avoir été pas mal « transformé ». Et cela donne quoi sur le plateau ? On sent chez Julie Deliquet une volonté de bien faire et, par moments, il y a comme un léger frémissement, surtout quand la grand-mère et/ou le jeune couple sont là, mais le compte n’est pas là. D’abord, à cause d’une dramaturgie approximative: l’adaptation au théâtre d’une série télévisée ne sera jamais une pièce et ici, cela se sent cruellement.  Les petites scènes se succédent sans véritable fil rouge autre que le milieu ouvrier. Il ne semble pas qu’un metteur en scène allemand ait tenté l’expérience, puisque Julie Deliquet nous dit que c’est une première mondiale au théâtre… Les quatorze acteurs passent avec une grande habileté d’un personnage à un autre -il y a quatre générations différentes- mais le spectacle dure deux heures et demi ! Beaucoup trop long pour ce que Julie Deliquet veut nous dire.

Par ailleurs, la metteuse en scène adore aussi jouer les scénographes, ici avec l’aide technique de Zoé Pautet. Mais le bric-à-brac qu’elle a imaginé, encombre le plateau, sonne faux et gêne la circulation de ses acteurs. Dans cette salle de repos mais aussi atelier de travail -il y a une perceuse sur colonne- et un peu partout une dizaine de tables de tout format et tout genre, dont une à tréteaux, avec une vieille porte et un bureau où poser quelques verres et une bouteille pour fêter un anniversaire! (Julie Deliquet depuis La Noce chez les petits bourgeois de Bertolt Brecht que nous avions vue il y a dix ans semble obsédée par les tables!)
Il y a aussi un vestiaire fait de casiers à clapets pour ranger les dossiers! Comprenne qui pourra… En fond de scène, des toilettes juste fermées par un rideau ( ???) , une douche ouverte où quelques ouvriers vont se laver et en haut, une petite chambre où Marion et Jochen feront l’amour. Cela veut être «une pièce multi-fonctions aux allures de vestiaire, de coulisse et s’inventer au rythme des envies de la fantaisie de ses personnages.»  Mais cela ne peut pas fonctionner! De chaque côté, des châssis en tôle ondulée plastique derrière lesquels on a placé des projecteurs- mais bien visibles, sans doute pour bien montrer que nous sommes au théâtre?- laissent passer une lumière assez sinistre… Cela ira mieux ensuite quand le plateau sera débarrassé de tout ce fatras et où il ne restera qu’une longue table nappée de blanc pour le mariage. Ouf ! On respire enfin.

Côté direction d’acteurs, c’est aussi très limite et un jeune étudiant en dramaturgie à la Sorbonne nouvelle, assis à côté de nous, se plaignait de ne pas bien comprendre le texte à cause d’une diction approximative- sauf bien entendu Evelyne Didi qui se place toujours sur le plateau de façon à ce qu’on l’entende. Mais ses camarades jouent souvent de trois-quarts, voire carrément dos au public. Là il a une erreur évidente dans la direction d’acteurs. Et, comme la scène est nue et que la salle du théâtre Gérard Philipe n’est pas réputée pour son acoustique, les voix se perdent dans les cintres et tant pis pour ceux qui ne sont pas près de la scène… « Un travail d’amateur » résumait durement cet étudiant. Nous n’irons pas jusque là mais cette adaptation qui a des moments assez comiques et où on sent que ce collectif d’acteurs a mis toute son énergie, est beaucoup trop longue et manque singulièrement d’exigence. Peu de gens sont sortis mais le public était partagé: peu ou pas d’applaudissements, ou alors frénétiques. En tout cas, ces Huit heures ne font pas un jour ne feront pas non plus date dans l’histoire du théâtre contemporain! Et nous avons la nette impression que Julie Deliquet aurait pu aller beaucoup plus loin! Le spectacle part pour une longue tournée mais nous ne le recommanderons pas à nos lecteurs de province…

Philippe du Vignal


*Le spectacle a été joué jusqu’au 17 octobre, au Théâtre Gérard Philipe-Centre Dramatique National de Saint-Denis. Et en tournée, notamment à Montpellier, Toulouse, Colmar, Châteauvallon, Toulon, Limoges, Marseille, Caen…

L’intégralité du texte des huit épisodes est publiée par L’Arche Editeur.


Que du bonheur (avec vos capteurs) conception et interprétation de Thierry Collet, mise en scène de Cédric Orain

Que du bonheur (avec vos capteurs) conception et interprétation de Thierry Collet, mise en scène de Cédric Orain

 

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Cela se veut être un « spectacle de magie interactif qui nous plonge dans un monde où l’humain et le numérique commencent à fusionner». Au cours d’une brève conférence, Thierry Collet se rend compte, dit-il qu’aujourd’hui, «les machines font son métier mieux que lui, les algorithmes sont plus rapides que son cerveau pour retrouver les cartes choisies, les logiciels sont plus exacts que son intuition pour lire dans les pensées des spectateurs. »  Il prétend aussi qu’il fait intervenir dans ses tours des capteurs connectés, des applications de smartphone et des nouvelles technologies pour créer des doubles numériques d’objets. Mais, à la fin, le magicien bien connu, précise au public que nenni, il n’y a pas plus de gestion numérique que de beurre en branches et que tout est question de trucages ( bien entendu, en grand professionnel, il ne les dévoilera pas) mais aussi d’influence. «Le mentaliste de spectacle est un menteur, oui. C’est un genre de prestidigitation très particulier et ambigu, car beaucoup de gens croient aux rêves prémonitoires, à la télépathie, à la voyance. Les démonstrations du mentaliste semblent plus « réelles» que celles d’un manipulateur de cartes. Mais tout ce que je fais, est truqué. »

Sur le plateau, juste une simple table en bois comme on en trouve dans les coulisses de tous les théâtres et derrière quelques accessoires comme des sacs en papier, un carton, une bouteille de bière et un écran modèle agrandi du téléphone portable qu’il a à la main. Aux tours classiques de cartes qu’il va deviner sans aucune difficulté, se succèdent d’abord un numéro soi-disant technologique. A un spectateur, il remet un verre et un décapsuleur qui serait selon ses explications, connecté (mais à quoi on ne saura jamais) et une bouteille de bière qu’il lui demande d’aller boire en coulisse. Armé de son seul smartphone, Thierry Collet va faire s’afficher sur le grand écran, le prénom : Christophe et l’âge : cinquante et un ans, de ce spectateur qu’il fait ensuite revenir sur le plateau. Lequel déclare exacts prénom et âge… Bluffant. Complice dans la salle mais peu probable, manipulation mentale ou réelle connexion informatique mais comment? En tout cas, le public est médusé.

Avec son  assistant magicien Marc Rigaud qui est ailleurs, en tout cas pas dans la salle, Thierry Collet va aussi demander à une spectateur de lui prêter son porte-feuille et grâce à une soi-disant modélisation en 3 D, l’objet se retrouvera entre les mains de son assistant qui en tirera une carte bleue. Mais comme par miracle, le dit porte-feuille reviendra sur la petite table. Thierry Collet demande alors au spectateur de venir vérifier qu’il n’y manque rien. «Si, dit-il, il manque la carte bleue ». «Normal, lui répondra le magicien très simplement, je pense qu’elle est dans la poche de mon pantalon. » Et, bien sûr, il l’en tire aussitôt et la rend au spectateur….

Avec quelques autres tours aussi bien réalisés, l’heure passe très vite. Thierry Collet à la fois très humble et proche du public, est vraiment excellent, même si la mise en scène de Cédric Orain manque de rythme… Il aurait dû mieux diriger celui qui est passé aussi par le Conservatoire National et qui, visiblement, a un grand plaisir à parler avec le public. D’autant plus que, dit-il : «Cela m’intéresse de raconter des histoires, d’emmener les spectateurs dans des récits. J’ai envie que ma magie raconte des histoires. » Mais depuis la première, les choses se sont peut-être resserrées. Mentalisme ou pas, reste une série de numéros de tout premier ordre réalisés avec virtuosité à savourer sans modération.

Philippe du Vignal

Jusqu’au 6 novembre, Théâtre du Rond-Point, 2 bis avenue Franklin D. Roosevelt, Paris (VIII ème).

Puis en tournée en France et Belgique.

 

Hilda, de Marie NDiaye, mise en scène d’Élisabeth Chailloux

Hilda de Marie NDiaye, mise en scène d’Élisabeth Chailloux

 

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Nous ne verrons pas, cette servante, cette femme de service, de compagnie et qui fait tout ce que sa patronne exige. Hilda, immense et en même temps, réduite à un nom, est l’objet du caprice et de la convoitise de Madame Lemarchand -un nom propre (ô ironie!) d‘ une classe sociale qui établit son pouvoir sur l’argent. Et peu importe l’idéologie proclamée: «Je suis de gauche»? Nous oublions presque qu’Hilda est aussi, d’abord, la femme de Frank Meyer, un époux apparemment bienveillant et militant de la domination masculine: il ne faut quand même pas trop en demander…

On dit qu’Hilda est belle, travaille bien et ne dit mot : elle n’a pas en effet… son mot à dire. Au prix de sa propre vie, mari et enfants sacrifiés, elle devra combler toutes les frustrations de Madame qui la vampirise jusqu’à extinction.  Un film d’horreur, dit Élisabeth Chailloux. L’enquête de la sociologue Caroline Ibos* traite de cette nouvelle forme de servitude. «La patronne voudrait que ses enfants comptent plus que ma chair. Mais ça ment, c’est juste le travail.» (…) « Des femmes migrantes, originaires du monde pauvre, laissent leurs propres enfants au pays pour venir prendre soin de ceux de la bourgeoisie occidentale ». C’est donner l’échelle géopolitique de cette exploitation de femmes pauvres et compétentes, qu’il ne faut pas payer trop cher, puisqu’elles aiment ça: s’occuper des enfants des autres.

Ici, nous sommes au-delà de l’enquête. Marie NDiaye prend la question avec une sorte de fureur verbale. Le texte bouillonne, roule, martèle, écrase. Pas de nuances mais un échantillonnage d’excès éclairés plein feu. Cette Madame Lemarchand peut évoquer le ton des Bonnes de Jean Genet, dans une situation inversée et à d’autres moments, la plainte modulée d’une femme abandonnée, le sifflement vipérin du chantage, la brutalité du vainqueur… Aucune place pour le mystère : craquages de la tortionnaire puis revirements… Corrigeons : nous sommes presque tentés de croire, un instant, à ses larmes de crocodile. Elle cherche à s’emparer de Frank, le mari car il représente une partie de Hilda et, dans son caprice totalitaire, Madame veut TOUT.

Nathalie Dessay est l’interprète parfaite de celle qui se fabrique, faute de consistance, une série de postures : suppliante : « Donnez-moi Hilda, je ne peux vivre sans elle. » Dominatrice: «Camarade ». Tyran (le mot n’a pas de féminin). Perverse, manipulatrice, pauvre créature abandonnée: le mot qui touche sans doute au plus près la vérité de cette coquille vide. Dans ces variations empruntées aux personnages féminins des opéras qu’une bourgeoise se doit de fréquenter, Madame maudit comme la Reine de la Nuit, souffre comme Violetta, tue comme Médée… Victimes directes ou indirectes d’une nébuleuse de la tyrannie patriarcale. Nathalie Dessay brille ici de tous ses feux, apportant la rigueur et l’ampleur du chant lyrique à ce rôle. Palette de nuances au millimètre, énergie sans faille, souplesse et énergie d’un corps qui semble d’acier, avec toujours une étincelle d’humour : elle ne déjoue pas son personnage mais a le nécessaire pas de côté pour que cette Madame ne soit pas tout simplement insupportable.

Comment vivre à côté de ce torrent ? Gauthier Baillot, mari ferme mais perdant, renonce peu à peu. Même pas un adversaire : qui peut lutter contre le rouleau compresseur capitaliste? Peut-être une jeunesse insolente et anarchiste : à la fin de la pièce, le personnage joué par Lucile Jégou. On aurait pu imaginer la présence muette de cet homme contraint de «s’écraser“: cela lui aurait-il donné trop de forces ? La pièce serait-elle l’illustration d’une lutte des classes perdue d’avance pour «les plus modestes », entrés même un peu dans le jeu de la classe dominante ? Ce monstre ordinaire, gonflé par ses passions reste toujours désespérément vide.  La pièce de Marie NDiaye a quelque chose de parfois «trop», dans son caractère obsessionnel et répétitif mais est aussi une très fine comédie de l’effroi, quelque chose comme une parole de l’épouvantable…

Christine Friedel

Les Plateaux Sauvages, Paris (XX ème), jusqu’au 30 octobre. T. : 01 83 75 55 70.

Qui gardera nos enfants de Caroline Ibos est publié aux éditions Flammarion.

 

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Le Festival des Arts à Bordeaux: La Coulée douce par l’Opéra Pagaï

 Le Festival des Arts à Bordeaux

 La Coulée douce par l’Opéra Pagaï

 Unknown-3 URGENT : Nous vous en reparlerons plus longuement mais, comme cela finit ce soir, nous faisons vite…   Si vous êtes dans le coin de Saint-Médard en-Jalles, tout près de Bordeaux, filez à la Scène Nationale où la compagnie L’Opéra Pagaï présente une installation hors-normes à la fois dans le bâtiment, sur sa terrasse mais aussi dans un merveilleux et grand jardin tout proche. « Une soirée en douceur, apaisée, un voyage du rêve à la réalité, du jour à la nuit tombée, avec du feu pour se guider. Une soirée décousue mais recousue par le fil que nous n’avons cessé de tirer malgré tout, celui de notre imaginaire, de notre besoin d’émerveillement, de nature, de vivant, de liberté… »

Une installation étonnante et d’une grande poésie… Sylvie Violan, la directrice du F.A.B. et de la Scène Nationale a fait très fort et a eu raison de laisser transformer l’ensemble du bâtiment, en espace «naturel» avec l’aide de nombreux bénévoles. Ne ratez surtout pas la fin du parcours avec la reconversion du grand plateau et de la salle en ? Nous ne vous en en dirons pas plus pour vous laisser le surprise…

C’est trop ou pas assez, du Vignal ! Justement mais faites-nous confiance et sachez que l’opération est orchestrée avec une parfaite maîtrise par toute une équipe aidée par de nombreux bénévoles. Et, il y a, avant, servi sur la place devant la Scène Nationale, un verre de vin blanc avec crevettes et tartine beurrée. Tout cela gratuitement  comme la déambulation! Que demande le peuple ?  

Philippe du Vignal

Installation vue le 21 octobre au Carré-Colonnes, Scène Nationale de Saint-Médard-en-Jalles (Gironde). ATTENTION : jusqu’à ce soir:  à 18 h 30 puis ensuite le temps dont vous disposerez, jusqu’à 21 h 30.

Dansons sur le malheur par la compagnie Jérôme Thomas

Dansons sur le malheur par la compagnie Jérôme Thomas

 

Jérôme Thomas, figure majeure du jonglage, est le créateur des premiers solos de cette discipline exigeante et a fondé en 1992, un Atelier de Recherche en Manipulation d’Objets et sa compagnie. Dans chacune de ses créations, il repousse les frontières de son art en lui faisant subir des métamorphoses surprenantes. Il n’hésite pas à convoquer le théâtre, la danse où le théâtre d’objets pour repousser les limites de la jonglerie et la confronter à d’autres pratiques artistiques. Quand il réussit son coup et que l’alchimie opère, c’est tout à fait sublime comme dans FoResT (2013). Mais le résultat est parfois mitigé, notamment avec i-Solo (2019), voire prétentieux : c’est le cas pour cette création….

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Nous entrons dans le très intimiste chapiteau du cirque Lili, une singulière structure auto-portée créée en 2001 ressemblant à un manège en bois et toile rouge. La scène est pleine remplie d’œufs pour certains suspendus à de grandes tiges métalliques, et pour d’autres, posés sur le sol. Au centre, un autre œuf culbuto d’environ quatre-vingt centimètres, ajouré de lames de xylophone. L’ensemble évoque une constellation planétaire et des fumigènes mettent un peu de mystère dans cette singulière scénographie aux belles promesses…

Deux femmes entrent dans le chapiteau, habillées de costumes trop grands pour elles et une voix off annonce : « Si la terre était un œuf, dans quelles mains le déposerions-nous ? » Puis sont évoqués : l’infiniment grand, l’infiniment petit, les continents, les pays et les villes, des champs, une maison, une poule et un œuf. « Il s’agit ici, comme le dit Jérôme Thomas, de mettre en scène une  métaphore de l’inconscience humaine face à l’urgence écologique. » Comme des cosmonautes en apesanteur, les jongleuses passent entre les œufs puis avancent en gonflant les joues. Elles commencent une petite chorégraphie avec un pied au-dessus de deux œufs posés sur le sol puis découvrent ensuite l’espace entier et l’œuf central, une matrice musicale qui va faire vibrer le duo. Désorientées, elles agissent comme des pantins et ensuite manipulent à quatre mains sur une grande table des balles de jonglage qui apparaissent puis disparaissent derrière leur avant-bras, dans une glissière.

Les lumières se focalisent alors sur un groupe d’œufs, avec, en fond sonore, les voix off des deux femmes : « Qu’est-ce que c’est ? » répètent-elles en boucle. S’en suit un jonglage avec des œufs, sortis des poches de leur veste, qui font le tour de la scène comme des vaisseaux spatiaux. Les interprètes aussi tournent sur elles-mêmes et l’une tombe plusieurs fois de suite dans des contorsions nerveuses. Un œuf prend vie, se déplace tout seul et entre alors en résonance avec le corps de la danseuse, prise de spasmes…

Plusieurs autres tableaux se succèdent mais aucun espoir de trouver un intérêt quelconque à ce spectacle malgré un réelle virtuosité dans l’utilisation de gants en latex et de bâches plastiques… Et on touche le fond, quand les interprètes imitent des poules, dans un déguisement ridicule avec lunettes pailletées. Sur une musique dissonante, la séquence finale, tout de bruit et de fureur, est mal maîtrisée : elles déversent des déchets de plastique puis des feuilles tombent du chapiteau sur un plateau tournant comme une planète, clôturant ainsi ce cycle par un retour à la nature…

 Mais rien ici ne fonctionne vraiment: le metteur en scène, à vouloir trop mixer genres et disciplines, s’est perdu dans un fourre-tout poussif où il y a un manque apparent de technique mais aussi de travail et synchronisation. Ses interprètes dansottent, jonglottent, grimacent grossièrement et jouent la comédie à l’emporte-pièce… Bref, tout sonne faux et nous avons de la peine pour Gaëlle Cathelineau et Elena Carretero qui semblent perdues. Comment ce bloubi-boulga a-t-il pu être ici présenté? Manque de discernement de son auteur, erreurs de distribution? A moins que toute cette mascarade artistique ne soit à prendre au deuxième degré ? En tout cas, impossible d’entrer dans ce planétarium imaginé par Jérôme Thomas.

Sébastien Bazou

Spectacle vu le 15 octobre, au cirque Lili, La Chartreuse, Dijon (Côte d’Or).

 

 

 

K ou le Paradoxe de l’arpenteur, d’après Le Château, de Franz Kafka, adaptation et mise en scène de Régis Hébette

K ou le Paradoxe de l’arpenteur, d’après Le Château de Franz Kafka, adaptation et mise en scène de Régis Hébette

 Une situation justement kafkaïenne: l’enfer administratif que tout le monde connaît et qui détruit les plus faibles. En gros, trouve un logement celui qui en a déjà un, puisqu’il faut donner une adresse et trouve du travail, celui qui en a déjà un… Dans Le Château, son auteur va bien plus loin que les tracasseries d’une bureaucratie obtuse et absurde : est ici en jeu la condition même de l’humanité, sous son aspect socio-politique. Quelque part, au « château », le pouvoir règne sur une hiérarchie infinie, de haut en bas, jusqu’au village  tout proche.

 

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L’arpenteur K s’y rend (humour noir de la langue !) en confiance, avec sa lettre de mission pour travailler à ce château dont il n’atteindra jamais, ne serait-ce qu’un premier fonctionnaire. Il restera cantonné en bas, face au maire du village, à un instituteur faible et arrogant et à un brave messager, plus ou moins autoproclamé. Il sera, de plus, flanqué de deux aides grotesques et inquiétants, qui ressemblent bien aux « guides » ou “traducteurs » des pays totalitaires, préposés à la surveillance des étrangers.

Les filles ont un regard nettement plus favorable sur le nouveau venu : Olga, qui est de la famille du messager, Frieda employée à l’hôtel des messieurs où elle servait à boire au puissant et invisible Klamm, et Pepi, sa remplaçante, qui, elle au moins, de mettre le feu à tout ça… Amalia, dans sa famille réprouvée par sa soi-disant faute : elle a repoussé le avances grossières d’un “Monsieur“ du château, sera la seule à tenter de lui ouvrir les yeux. L’arpenteur K, donc arrivé un jour de neige, refoulé de tout refuge, soumis à la torture de privation de sommeil, reçu dans la seule maison des parias, rabaissé, humilié, effaré, mais toujours sûr de sa mission, finira par perdre sa tranquille assurance de bon professionnel venu faire son métier. Destin inspiré par la devise de Michael Khoohlas chez  Kleist : « Fiat justitia et pereat mundus »  : « Que la justice s’accomplisse, le monde dût-il s’effondrer). Paradoxe de l’arpenteur…

L’adaptation du roman par Régis Hébette est scrupuleuse et précise. Il en extrait des dialogues qui sont presque déjà des scènes. Le tempo ne faiblit pas, grâce aux comédiens qui manipulent avec humour caissons de bois, murs, meubles, boîtes à malices et à double fond… Ils glissent d’une scène à l’autre et métamorphosent les lieux. Pour l’arpenteur K, ce sont autant de pièges, chausse-trappes et surprises y compris celle de trouver un moment de bienveillance ou un court refuge. Ghislain Decléty incarne avec constance à la fois la chute de K et sa résistance -on pourrait dire réluctance- il relance toujours, sinon le combat, du moins le défi. Jusqu’à ce qu’Amalia lui ouvre les yeux….
Nous regardons la machine à jouer et les trouvailles de ce K ou le Paradoxe de l’arpenteur avec un plaisir d’enfant, sans que cela efface l’enjeu politique du texte. Pourtant, au bout d’un moment, le spectacle paraît long, voire interminable. Et c’est juste : «Kafka ne veut pas (c’est une position éthique), dit Jean-Pierre Lefèbvre dans  une préface à ses romans, habiller esthétiquement d’un épilogue artificiel, l’abandon d’une histoire qui, par essence, n’en finit pas. » Mais comment tenir, au théâtre, la logique de l’inachevé ? Il y a bien quand même un moment où le noir se fait sur la scène et la lumière dans la salle. Mais il faudrait sans doute accentuer ou ralentir le rythme pour donner une forme théâtrale à l’inachevé. Facile à dire… Au bout du compte, ce bon et beau spectacle rend justice à Kafka, à son humour et à sa réflexion sans fin sur un monde qui commençait à déjà mal tourner en 1922, avec ses amertumes juste après la Grande guerre…

Christine Friedel

Spectacle vu à l’Échangeur, Bagnolet (Seine-Saint-Denis), jusqu’au 23 octobre. T. : 01 43 62 06 92.

Les œuvres de Franz Kafka sont publiées dans la collection La Pléiade aux éditions Gallimard.

 

 

 

La Première fois, texte et mise en scène d’Hervé de Lafond et Jacques Livchine

 

 La Première fois, texte et mise en scène d’Hervée de Lafond et Jacques Livchine

Scènes-Vosges a pour mission le développement du spectacle en Lorraine Sud. Née de la volonté de regrouper au sein d’une même ensemble le petit théâtre municipal et l’auditorium de la Louvière à Epinal et le Théâtre de la Rotonde à Thaon-les Vosges. Avec une trentaine de spectacles par saison dont certains créés par des artistes associés des coproductions en théâtre, danse, cirque, chanson française et spectacle jeune public. Scènes Vosges dirigée par Jacky Castang a été labellisée Scène Conventionnée pour le théâtre et la voix il y a onze ans.

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Début 1900, un groupe d’industriels alsaciens avait décidé de transférer à Thaon-les-Vosges une usine de blanchiment, teinturerie et impression. Armand Lederlin créa la première usine européenne de traitement des textiles, avec jusqu’à 4.000 employés… Et il demanda à l’architecte Desclères en 1913, puis après la guerre, à Hébrard dix ans plus tard, de construire pour son personnel un grand bâtiment susceptible de recevoir à la fois des activités sociales, sportives et culturelles dans de nombreuses salles de réception, restaurants, salles de sport et balnéothérapie. La salle ronde de réception est couverte par une coupole à dix-sept mètres de hauteur qui accueillait aussi des matchs de basket et de catch. Cette Maison de la Culture avant la lettre -Athénée de son nom d’origine- avait été conçue en forme de croix de Lorraine par ses concepteurs alsaciens pour prouver leur attachement à la France. Inscrit en totalité à l’Inventaire supplémentaire des monuments historiques en 1986, le bâtiment comprenait, aussi et surtout, une belle salle de 1.200 places avec une scène aux dimensions proches de celles du Châtelet ou de Chaillot à Paris. Soit 12 m de profondeur et 17, d’ouverture!  Après sa rénovation il y a onze ans, cette belle salle compte actuellement 854 places.

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Le Théâtre de l’Unité avait proposé il y a deux ans aux institutions de prséneter tout son répertoire. « J’avais parié, dit Jacques Livchine, que, sur soixante-dix lettres envoyées, il  n’y aurait aucune réponse… Mais il y en a eu quatre: négatives et une positive, celle d’Epinal. Je leur disais avec l’Unité: vous avez une saison complète: 2500 à l’heure, Macbeth, Oncle Vania, Le Parlement de rue, La Fête d’ouverture,  Chambres d’amour. Jacky Castang qui connaissait déjà notre travail, nous a proposé d’être artistes associés et nous avons donc pu jouer à Epinal : 2500 à l’heure, Les Chambres d’amour, Le Transsibérien et une performance pour faire connaissance avec l’Unité avec films débats, musique, etc. »

 

Hervée de Lafond et Jacques Livchine ont pu recruter une vingtaine de candidats à cette expérience hors-normes et le travail sur cette Première fois a pu commencer mais là-dessus comme ailleurs, le covid est arrivé et  tout s’est arrêté. Mais les deux complices, ne doutant de rien, ont reconstitué avec une belle énergie, une nouvelle équipe de dix-huit personnes, de soixante-douze à seize ans. Tous comédiens amateurs, enfin pas tout à fait, même si ce n’est pas leur métier- puisque plusieurs d’entre eux ont participé à des stages de théâtre à la Rotonde et/ou ont joué avec des pros au Théâtre du Peuple l’été au festival de Bussang (Vosges). Des « actifs » et des « retraités » -un ancien employé à l’E.D. F. , une prof de lettres classiques, trois lycéens, etc. Il faut tous les citer: Gérard Albouze, Jeanne Baron, Virginie Bazar, Nicole Bernier, Anne Boye, Christiane Collino, Gérard Cuny, Kévin Degaffet, Nathalie Diné, Monique Ferry, Nadine Guichard, Sabrina Jacquot, Medhy  Kettab, Caroline Michel-Leroy, Marie Montemont, Vincenzo Palmas, Christine Papelier, Christine Pauly, Nadine Petitjean. Bref, un quartier de la société dans l’Est de la France en 2021.

© Jacques Livchine

© J.Livchine

Cette joyeuse petite bande, comme dirait le grand Will, a vite vite compris que travailler avec deux bourreaux de travail, demandait ténacité et générosité. Discipline de fer acceptée et répétitions intenses sur deux week-ends seulement! Pour le jeu individuel et collectif comme pour la chorégraphie sous la houlette d’Hervée de Lafond qui ne mâche pas ses mots et sait comment faire fonctionner un groupe à la baguette mais toujours avec une grande générosité. Elle et Jacques Livchine ne sont pas arrivés les mains vides mais avec une riche culture théâtrale, une formidable expérience des plateaux quels qu’ils soient et une parfaite maîtrise du travail d’improvisation. Avec l’aide très efficace de l’équipe technique de la Rotonde pour les régies son: Chloé Costet-Poirot,  et lumière : François Schneider et coordination : Quentin Bonnell.

Viennent des confidences soutenues par des musiques de films : «Je m’appelle Salvatore, je m’appelle Nadine, etc. Dans la pénombre- discrétion oblige- un homme déjà âgé raconte cette «première fois» avec une jeune personne qu’il trouve séduisante sur les boulevards à Paris mais qui lui indiquera son tarif et qui l’initiera à l’amour. Et il y a aussi des moments d’intimité dits par deux jeunes filles et un jeune garçon du même âge: tous très justes -et impeccables du côté diction et gestualité- dont on voit filmés les visages en gros plan…  Ces quatorze femmes et ces quatre hommes disent tous leurs premières fois: règles, soutien-gorge, vacances en stop, être traité de « rital, » et tout ce qui concerne, comme on dit, le « faire l’amour »: orgasmes, rencontre avec une pute, amour avec une vieille de dix-sept ans ! (sic), choix de le faire avec un type qui ne me plaisait pas ; je me suis levée, j’avais du sang;  première fois, deuxième fois, troisième fois, alors là ! Mon homme est très bien sur le sexe, malheureusement, ce n’est pas le mien, etc. Et aussi ces remarquables souvenirs d’enfance comme les beignets de sa grand-mère somptueusement évoqués par une jeune femme. Ou cet humble et poignant récit de la lente dégénérescence neuronale d’une vieille mère. Mention spéciale à Nadine Guichard et au très jeune Medhy  Kettab.

Il y a ici une solide motivation: travailler ensemble à un projet commun bien préparé et remarquablement réalisé par deux excellents professionnels. Un vrai spectacle- pas une sortie de stage ou d’atelier- joué une seule fois, généreux comme on en voit rarement et d’une rare qualité… ce qui n’est pas incompatible. Reproductible ? Oui, tout est prêt. Cela serait dommage que cette Première fois ne soit pas jouée ailleurs… Avis aux directeurs des lieux du coin ou d’ailleurs. Tiens, Stanislas Nordey, pourquoi n’invitez-vous pas ce spectacle au Théâtre National de Strasbourg? Hervée de Lafond et Jacques Livchine nous diront qu’il y a encore des choses à solidifier mais encore une fois, rares sont les spectacles aussi justes et aussi bien joués par des non-professionnels. Cela change de certains montés à Paris ou en proche banlieue, trop longs, prétentieux mais dotés de moyens importants et cela nous fait le plus grand bien. Bref, il semblerait aussi qu’il y ait un léger frémissement et que les frontières entre professionnels et amateurs soient en train de bouger…

 Philippe du Vignal

 Unique représentation vue le 13 octobre à la Rotonde, Thaon-les-Vosges (Vosges).

 

 

 

  

 

 

 

 


Danse «Delhi » pièce en sept pièces d’Ivan Viripaev, traduction de Tania Moguilevskaia et Gilles Morel, création musicale de Viviane Hélary,mise en scène de de Gaëlle Hermant

 

 

Danse «Delhi » pièce en sept pièces d’Ivan Viripaev, traduction de Tania Moguilevskaia et Gilles Morel, création musicale de Viviane Hélary, mise en scène de de Gaëlle Hermant

© simon gosselin

© Simon Gosselin (Catherine et la vieille dame)

La pièce, qui avait été mise en scène par Galin Stoev au Théâtre de la Colline il y a dix ans, est toujours aussi forte. Cela se passe- (chapeau à Margot Clavières, la scénographe) dans une  sinistre petite salle d’attente d’un hôpital avec quelques sièges en série séparés d’un couloir par une cloison en plastique ondulé orange…  Que nous avons tous connu à un moment ou un autre de notre vie… Le minimum pour attendre, encore attendre et en général du pas gai du tout. Ici, vont se rencontrer une infirmière, Andreï, un homme encore jeune avec un peu de ventre, sa femme Olga, la belle et jeune Catherine, amoureuse folle de lui qui a de curieux rapports avec sa mère,  et une femme déjà âgée d’une rare élégance. Un microcosme où il n’y a qu’un seul homme… Et on devine aussi derrière une cloison une violoniste et musicienne qui reliera les sept moments-variations où ces personnages vont tour à tour se haïr mais aussi parfois se rejoindre, voire se rapprocher.


Ces variations sont comme autant de petites pièces juxtaposées où ils vont revivre une même histoire mais avec, à chaque fois, de nouveaux indices sur leur souffrance intérieure, leur sentiment d’être coupable ou leur cynisme, et l’angoisse de la mort d’un proche qui plane inexorablement. Et à chaque nouvel épisode,  le  décès, de l’un d’entre eux. La belle et jeune infirmière- -ordonnatrice de la Mort en blouse blanche immaculée-  apparait à chaque fois, pour consoler et surtout faire signer par un proche, les papiers administratifs après décès .

Il y a parfois des situations de boulevard mais l’auteur sait très bien imposer une distance et même parfois un certain humour. Très bien dirigés par Gaëlle Hermant, Christine Brücher, Jules Garreau, Marie Kauffmann, Kyra Krasniansky et Laurence Roy sont là, tous avec un jeu impeccable, bouleversants de vérité pour dire cette litanie de la mort imaginée avec élégance par Ivan Viripaev. Mention spéciale à Manon Clavel: comment résister à l’émotion quand elle incarne cette jeune Catherine, ancienne danseuse racontant comment sur un marché en Inde, elle a découvert la misère. Et comment elle s’est brûlé la poitrine avec un morceau de fer chauffé pour être au plus près de ces gens. Comment elle a imaginé une chorégraphie, Danse Delhi admirée par tout le monde. A deux mètres de nous, elle est aussi là, à pleurer un amour qui, au début, n’est pas réciproque…

La pièce pourrait avoir quelque chose de répétitif mais non, le dramaturge russe a un incomparable savoir-faire pour entrelacer à chaque fois de nouveaux éléments dans un texte apparemment identique ou presque… Avec une écriture brillantissime. Et comme la mise en scène de Gaëlle Hermant est impeccable, malgré un contexte douloureux, le public ne s’y est pas trompé et a longuement applaudi. Si vous le pouvez, allez à Saint-Denis, vous ne le regretterez pas… C’est sans doute un des meilleurs spectacles d’une rentrée pas très enthousiasmante…

 Philippe du Vignal

 Jusqu’au 22 octobre, Théâtre Gérard Philipe, boulevard Jules Guesde, Saint-Denis (Seine-Saint-Denis).

Le spectacle sera en tournée à partir de janvier, à Marseille, Plaisir et Saint-Quentin-en-Yvelines.

 Les textes d’Ivan Viripaev sont publiés aux Solitaires Intempestifs.

 

 

 

Condor de Frédéric Vossier, mise en scène d’Anne Théron

Condor de Frédéric Vossier, mise en scène d’Anne Théron

© J.L. Fernandez

© J.L. Fernandez

Difficile de se retrouver pour un frère et une sœur, après plusieurs décennies sans s’être vus. Pourquoi vient-elle le rencontrer ? Pourquoi entrer dans son bunker vide et nu ? Lui, l’homme au fusil, qui tue les oiseaux -à l’exception des condors à tête rouge de sang-, bourreau, homme de main des bourreaux, fier de son corps sportif, à soixante-douze ans, de soldat du néant. Elle, elle veut entendre à nouveau les oiseaux, le matin. Ne rien oublier, ne rien laisser passer. Pour cette liberté, elle a été du côté des insurgés, des « subversifs » d’autrefois. Paul (nom propre et impropre de n’importe qui, Pierre, Paul, Jacques) n’a, lui, rien allégé et est toujours prêt à en découdre. Anna, elle, a tout gardé : mémoire, cauchemars et terreurs, hélicoptères de la mort lâchant dans l’océan de jeunes corps torturés… En état de veille, elle tient ferme, lucide et directe dans ses questions et réponses. Mais les ombres reviennent, avec un frisson d’inceste et son dégoût des ricanements de son frère. Quand elle croit le rouer de coups, elle ne se bat, de tout son corps, que contre un fantôme. …

Le titre Condor renvoie à l’Operación Cóndor, au milieu des années 1970 : une alliance secrète entre six dictateurs  d’Amérique Latine:  Chili, Argentine, Bolivie, Brésil, Paraguay et Uruguay, avec le soutien tacite des États-Unis. Chacun s’engageant à éliminer les  subversifs des cinq autres, en échange des siens ! Combien ont disparu ? Plusieurs centaines de milliers de femmes et d’hommes ? Sans compter les enfants volés, donnés aux tortionnaires et que réclament toujours leurs mères sur la Place de mai à Buenos-Aires. C’est cette mémoire-là, cette conflagration : se jeter à l’eau dans la joie de la plage, être jeté à l’eau pour y mourir qui donne à Anna sa densité : le poids du manque. Que vient-elle chercher auprès de celui qui dit :« on » ou « nous », en parlant des bourreaux ? Lui, esquive, danse autour de son vide, provoque, joue à être inquiétant et essaye d’être dangereux… Finalement, ce ne sera pas une danse de mort mais un affrontement pour le pire entre frère et sœur. Entre un faible qui croit à la force mais ne sait que se dérober, et une résistante, terrifiée et lucide. À la fin, elle, au moins, s’en sortira…

Condor a presque la forme d’une tragédie classique jouée dans un seul décor : un bunker souterrain et une dune de sable, le jardin public qui le recouvre, imaginé par Barbara Kraft. Cette nuit pourrait durer vingt-quatre heures, entre deux « extérieurs jour ». Plus que jamais, ce théâtre se situe à la rencontre entre l’intime et le politique. Avec comme enjeu, le traumatisme de toute une génération… Ce duo frère/sœur concentre des milliers d’autres histoires tragiques de survivants des deux côtés, sans réconciliation possible mais avec quand même, une ultime respiration.

La mise en scène d’Anne Théron, metteuse en scène associée au Théâtre National de Strasbourg, est d’une grande perfection. «J’ai voulu, dit-elle montrer ce que je ressens profondément de cette pièce.» Mireille Herbstmeyer et Frédéric Leidgens jouent tout ce qu’ils ont à jouer, avec une précision absolue. Cela ne vient pas d’un désir formel mais de l’aboutissement de leur travail. Ils donnent corps à leurs personnages avec chacun, sa singularité. Elle, plus retenue, plus tenace, quoique tremblante, secouée soudain d’un spasme-chorégraphie de Thierry Thieû-Niang. Lui, avec une légèreté de danseur, ses pas de biais, apparitions et disparitions subites et le visage de folie qu’il se donne parfois. Nous ne dirons pas «monstre sacrés» : leur humanité sans complaisance et sans ornement nous touche, et rares sont les spectacles où chaque moment de jeu parvient à une telle plénitude.
Ce frère et cette sœur nous emmènent exactement là où il faut dans leurs peurs et leurs troubles, soutenus par de brèves vidéos de terreur signés Mickaël Varaniac-Quard et le travail sur le son de Sophie Berger, d’une parfaite précision de matière et de rythme, et d’une violence sans concessions ni excès gratuits.  Anne Théron, avec cette mise en scène où tout est très coordonné et qu’on dira classique -ce n’est pas un un reproche- nous emmène vers l’effroi et la catharsis. On l’aura compris : Condor va loin au large, sans craindre de nous renvoyer à une histoire et à une géographie hantées par le spectre des dictatures. Nous en sommes sortis impressionnés et avec un sentiment rare de gratitude. A ne pas manquer, cela va de soi…

Christine Friedel

Spectacle créé le 26 septembre à la Scène Nationale du Sud-Aquitaine à Bayonne et joué au Théâtre National de Strasbourg, jusqu’au 23 octobre. T. : 03 88 24 88 00.

MC 93 de Bobigny (Seine-Saint-Denis) du 18 au 28 novembre. T. : 01 41 60 72 72.

La pièce est publié aux éditions Les Solitaires intempestifs, Besançon.

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