Zébrures d’automne 2021 à Limoges: Flying Chariot(s) mise en scène de Koumarane Valavane

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FlyingChariots©ChristophePean

Zébrures d’automne 2021 à Limoges: Flying Chariot(s)

Le festival bat son plein depuis une semaine dans différentes salles à Limoges ou dans les environs…Une cinquantaine de manifestations a eu lieu : théâtre, danse, musique, ateliers, tables rondes, remises de prix littéraires… Cette année, coup de projecteur sur le Moyen-Orient et l’Asie. Dans les salles, un public moins nombreux que d’habitude mais c’est la tendance générale! A la Caserne Marceau, quartier général du festival, débats et rencontres avec les auteurs le matin et, le soir, concerts gratuits… Mais c’est peut-être la dernière année où le festival bénéficie de ce vaste espace au centre ville, avec billetterie, librairie, restaurant et bar et un chapiteau implanté pour les rencontres et les concerts. Rien n’a encore été officiellement acté mais le doute plane et le directeur Hassane Kassi Kouyaté ne cache pas son inquiétude : « Cela pose de grands problèmes pour la suite. Mais on se battra pour avoir ce lieu. »

 En cette fin de festival, il a beaucoup été question de migration et d’exil, comme dans La Mer est ma nation de la Libanaise Hala Moughanie ou Loin de Damas du jeune poète syrien Omar Youssef Souleimane… On a parlé aussi des femmes sous des régimes patriarcaux totalitaires avec Une Pierre de Patience d’Atiq Rahimi, que les auteurs argentins Clara Bauer et Ximo Solano ont tissé avec leur propre cheminement… Parmi toutes ces propositions sur lesquelles nous reviendrons, coup de cœur pour Flying Chariot(s) de Koumarane Valavane.

Flying Chariot(s), texte et mise en scène de Koumarane Valavane, en anglais, tamoul, indi, etc. (surtitré en français)


Cette nouvelle création du Théâtre Indianostrum, sous-titrée L’Epopée tragi-comique de la droiture, tranche avec Chandala, l’Impur, une adaptation de Roméo et Juliette qui nous avait enchantés aux Francophonies 2018. Avec cette histoire d’amour contrarié entre un Intouchable et une jeune Brahmane, l’auteur revisitait les formes traditionnelles du théâtre indien à l’aune de la modernité, pour dénoncer la violence du système de castes. (voir Le Théâtre du blog).

Ici, il mélange les codes des théâtres occidental et indien et se focalise sur le destin d’un homme qui a choisi de dire la vérité et de braver un pouvoir écrasant. Ajay, pilote de l’armée indienne, est condamné pour haute trahison par la Cour martiale à être interné dans un asile psychiatrique. En mission de maintien de l’ordre au Shri Lanka, il avait été amené à bombarder un hôpital et, photos à l’appui, il dénonce cette « bavure». A partir d’un fait réel, Koumarane Valavane invente un lanceur d’alerte sacrifiant sa liberté à la vérité, mais qui, dans cet acte, trouvera une autre forme de liberté…

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©ChristophePean

Pendant le procès et tout au long de son parcours, un chien l’accompagne, celui de son enfance. Une enfance qu’il revisite pour y puiser  sa force de survie auprès de sa mère qui lui racontait l’histoire de Yudhishthira, le héros du Mahabharata qui ne ment jamais. « Dans le Mahabarhata, dit Valavane Koumarane, les héros qui font face à une arme indestructible vont se réfugier mentalement dans le ventre de leur mère. (…) Ils échappent à la mort qui ne peut s’emparer que de la vie. » Grâce à des panneaux mobiles, les temporalités s’interpénètrent et la mère du héros apparaît à différents stades de son enfance ou de sa carrière dans l’armée de l’air… Leur tête-à-tête est interrompu par Arnav et Bagla, surveillants de l’asile et bouffons de théâtre qui viennent l’arrêter pour l’interner. Il partagera la chambre de Shankar qui, lui, a trouvé la sérénité dans un présent perpétuel… Ajay en prendra de la graine.

 Ici, rien de psychanalytique ou psychologique, le metteur en scène s’amuse à nous raconter cette histoire en convoquant tous les ressorts et styles dramatiques avec des scènes intimistes ou des séquences burlesques. Il évoque la méthode de Stanislavski, parodie celle de l’Actors Studio et convoque l’« espace vide » cher à Peter Brook. Et quand, à l’asile, Ajay se cogne la tête contre les murs de sa prison, l’acteur n’hésite pas, lui, à franchir le quatrième mur, et même à s’envoler, en invitant le public à le suivre dans son char volant… A l’instar des héros de son enfance. S’insinuent, en parallèle de cette épopée moderne, des allusions au Mahabharata où le vertueux Yudhishthira, l’un des frères Pandava, triomphe des Kaurava… « J’ai fait appel au mythe, dit Koumarane Valavane, pour construire mon personnage.» Habile à manier tous ces codes, il a écrit une fable qui est aussi celle d’un résistant d’aujourd’hui, ancré dans une société violente à laquelle il se heurte. Mais quand Ajay, enfermé dans son asile, pose au public la question : « Qu’est-ce qui est inévitable ? » et qu’on lui dit : « La mort », il propose une autre réponse : « Le bonheur ! » Sagesse qui n’a rien d’occidental.

Pleine de poésie et de spiritualité, à la fois tragique et burlesque, la pièce doit aussi sa réussite au talent de la troupe et à l’ampleur de son registre linguistique. Les acteurs viennent de différentes régions de l’Inde et jouent dans leur propre langue (tamoul, indi, etc.) et surtout en anglais ou en pidgin-english pour les scènes grotesques. L’actrice qui interprète Shankar, puise dans le registre du cinéma muet, et  Arnav et Bagla les gardiens de l’asile, empruntent à la commedia dell’arte. Ils n’hésitent pas à interrompre leur prestation pour rappeler au public qu’ils ne sont que des bouffons… Par contraste, les personnages d’Agay et de sa mère sont joués avec sobriété.

 Le Théâtre Indianostrum, créé à Pondichéry en 2007, veut promouvoir un théâtre moderne dans une continuité culturelle. Il possède aujourd’hui une petite scène, la salle Jeanne-d’Arc, un ancien cinéma français. D’où son nom complet: Indianostrum Pathé-Ciné Familial. Koumarane Valavane, franco-indien et ancien membre du Théâtre du Soleil, est régulièrement invité avec sa troupe par Ariane Mnouchkine et nous vous incitons à les retrouver dans Flying Chariots.

Mireille Davidovici

Spectacle vu au Théâtre de l’Union, le 1 er octobre.

Les 9 et 10 octobre, Théâtre 140, Bruxelles (Belgique).

Du 13 octobre au 7 novembre, Théâtre du Soleil, Cartoucherie de Vincennes. Métro : Château de Vincennes et ensuite navette gratuite.

 Les Zébrures d’automne ont eu lieu du 22 septembre au 2 octobre. Les Francophonies, des écritures à la scène 11 avenue du Général de Gaulle, Limoges (Haute-Vienne). T.: 05 55 10 90 10.

 


Archive pour 3 octobre, 2021

Nous entrerons dans la carrière, adaptation du Siècle des lumières d’Alejo Carpentier et mise en scène de Blandine Savetier

Nous entrerons dans la carrière, adaptation du Siècle des lumières d’Alejo Carpentier et mise en scène de Blandine Savetier

© J.L. Fernandez

© J.L. Fernandez

Nous entrerons dans la carrière quand nos aînés n’y seront plus, ( La Marseillaise, couplet des enfants) ce fragment de La Marseillaise sonne comme une marche en avant, un avenir à imaginer et à construire pour une humanité plus juste et plus fraternelle. Un dessein de la Révolution française de 1789… Ce spectacle, né à la suite d’ateliers avec les comédiens des sections jeu des Groupes 44 et 45, TNS / 1er Acte et classe préparatoire égalité des chances, est d’une vitalité sidérante et reflète avec sensibilité cette soif de changement radical porté par la Révolution. Blandine Savetier avait remarqué chez ces jeunes acteurs: «un divorce avec la République française et la question du politique». pour elle, c’était une urgence à la fois politique et intellectuelle, de prolonger avec cette création, un travail sur La Mort de Danton. Une belle aventure collective pour voir ou revoir avec un œil critique cette période de 1792 à 1794. Blandine Savetier met ici en scène ce temps de la Révolution française, non d’un point de vue hexagonal mais, en majeure partie, de celui des populations ultra-marines…

L’adaptation de la metteure en scène et de Waddah Saab( dramaturge et collaborateur de la création) du roman-fleuve Le Siècle des lumières d’Alejo Carpentier, mêlant fiction et réalité historique, constitue la colonne vertébrale de la dramaturgie. «Le mélange fiction/histoire m’a attiré, précise la metteuse en scène, comme la collision entre personnages fictifs et personnages historiques.» Se sont ajoutées des recherches historiques -entre autres sur Jean-Baptiste Belley, le premier député noir ayant siégé à la Convention- notamment aux Archives nationales, créées par l’Assemblée constituante en 1790. Mais aussi des documents autobiographiques ou économiques, des écrits, certains rédigés par les acteurs eux-mêmes et retravaillés par la metteure en scène ou improvisations.  

Construit à l’aide de divers matériaux, il y a dans ce spectacle, un aspect ludique et artisanal (au sens noble du terme), la scénographie et costumes de Simon Restino :    poétiques, carnavalesques pour certains, sont imaginés et réalisés avec subtilité. Ce montage théâtral,  apprécié du public attentif et surpris,  est  pertinent même si le public est assez sollicité devant autant d’informations et de mouvements dramatiques, il reste fasciné. On ne peut que saluer l’immense travail de recherche de Blandine Savetier, et son esprit inventif : Tableaux scéniques humoristiques ou plus graves, certains proches de l’art plastique ou pictural. Une riche et vibrante fresque de ce temps de la Révolution entre 1792 – année de la proclamation de La République, le 22 septembre, même si la République n’ait jamais été officiellement proclamée-, et 1794 : « Période qui a été dénigrée, souligne Blandine Savetier, dans notre imaginaire en raison de la Terreur mais il y a eu un formidable élan égalitaire qui a culminé avec l’abolition de l’esclavage (…)  Quand on traite de l’abolition de l’esclavage, on évoque toujours celle de 1848, et on oublie toujours d’aborder ce moment fondamental de 1794 » Autre atout de la pièce « J’ai souhaité faire apparaître, en effet tout un pan mal connu, voire ignoré de la naissance chez nous de la République. »

 Nous entrerons dans la carrière, donne l’occasion de découvrir ou redécouvrir des actions, peuples ou personnages trop souvent oubliés. Comme Jean-Baptiste Belley ou Victor Hugues, un aventurier franc-maçon et révolutionnaire qui, partisan de l’abolition de l’esclavage en Guadeloupe en 1794, le rétablit en Guyane en 1802 sous le consulat de Bonaparte ! 

Folie, fantaisie, et gravité, cruauté ne cessent d’aller et venir au fil des récits. La metteure en scène nous offre un spectacle coloré, vif traversé par l’énergie de ses jeunes comédiens, si justes qu’ils soient seuls ou en groupe : Habile et sensible direction d’acteurs. Chants, danses ou complaintes tout est mené avec grâce. La présence et le jeu des comédiennes et du comédien : Pauline Haudepin, Mélody Pini et Sefa Yeboah nous enchantent ! Tous, s’approprient le plateau avec ingéniosité, déplacent eux-mêmes les éléments scéniques, jouent avec.  Tout comme l’utilisation de la vidéo, parfaitement complice et en dialogue avec les situations et les personnages.

D’intenses moments théâtraux prennent corps, comme ces bribes de monologue intérieur dans le vent, le fracas du tonnerre ou la musique, et cela dans une obscurité presque totale :  Gros plans sur le visage de chacun, à tour de rôle, ils évoquent leur vision de la révolution. Émotion, sincérité, utopie, esprit traversent leurs paroles et nous bouleversent. Comme la fin, elle aussi réussie, où sur l’écran, se substitue au portrait de Jean-Baptiste Belley, une image de la mer à Gorée (Sénégal). Une île connue par son rôle actif dans la traite négrière. Et ici, vue à travers la porte du voyage sans retour… Porte franchie par Jean-Baptiste Belley à deux ans ! Une image bouleversante, accompagnée par The Meeting-Black Panthers anthem, un chant superbement interprété par Mélody Pini. Le public ébloui reste perplexe: que reste-t-il de la République instaurée par la Révolution française en 1792 ?  

Malgré le manque de répétitions, et divers embûches parfois douloureuses, la blessure d’un des comédiens et son transport aux urgences la veille de la première, le spectacle a su trouver son juste rythme. L’accueil enthousiaste du public, toutes générations confondues en témoigne. 

Nous entrerons dans la carrière nous fait vivre un moment crucial et historique de notre société française aux idéaux politiques très forts et qu’il faut rappeler à tous les citoyens jeunes ou moins jeunes. Comment aujourd’hui penser notre société et son rapport au monde, sans cette Révolution française, depuis l’avènement de la République, jusqu’à nos jours ? Une des précieuses questions que nous pose ce spectacle. 

 Elisabeth Naud

Jusqu’au 9 octobre, Théâtre National de Strasbourg, 1 avenue de la Marseillaise, Strasbourg (Bas-Rhin). T. : 03 88 24 88 00.

 

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