Zébrures d’automne 2021 à Limoges: Flying Chariot(s) mise en scène de Koumarane Valavane
Zébrures d’automne 2021 à Limoges: Flying Chariot(s)
Le festival bat son plein depuis une semaine dans différentes salles à Limoges ou dans les environs…Une cinquantaine de manifestations a eu lieu : théâtre, danse, musique, ateliers, tables rondes, remises de prix littéraires… Cette année, coup de projecteur sur le Moyen-Orient et l’Asie. Dans les salles, un public moins nombreux que d’habitude mais c’est la tendance générale! A la Caserne Marceau, quartier général du festival, débats et rencontres avec les auteurs le matin et, le soir, concerts gratuits… Mais c’est peut-être la dernière année où le festival bénéficie de ce vaste espace au centre ville, avec billetterie, librairie, restaurant et bar et un chapiteau implanté pour les rencontres et les concerts. Rien n’a encore été officiellement acté mais le doute plane et le directeur Hassane Kassi Kouyaté ne cache pas son inquiétude : « Cela pose de grands problèmes pour la suite. Mais on se battra pour avoir ce lieu. »
En cette fin de festival, il a beaucoup été question de migration et d’exil, comme dans La Mer est ma nation de la Libanaise Hala Moughanie ou Loin de Damas du jeune poète syrien Omar Youssef Souleimane… On a parlé aussi des femmes sous des régimes patriarcaux totalitaires avec Une Pierre de Patience d’Atiq Rahimi, que les auteurs argentins Clara Bauer et Ximo Solano ont tissé avec leur propre cheminement… Parmi toutes ces propositions sur lesquelles nous reviendrons, coup de cœur pour Flying Chariot(s) de Koumarane Valavane.
Flying Chariot(s), texte et mise en scène de Koumarane Valavane, en anglais, tamoul, indi, etc. (surtitré en français)
Cette nouvelle création du Théâtre Indianostrum, sous-titrée L’Epopée tragi-comique de la droiture, tranche avec Chandala, l’Impur, une adaptation de Roméo et Juliette qui nous avait enchantés aux Francophonies 2018. Avec cette histoire d’amour contrarié entre un Intouchable et une jeune Brahmane, l’auteur revisitait les formes traditionnelles du théâtre indien à l’aune de la modernité, pour dénoncer la violence du système de castes. (voir Le Théâtre du blog).
Ici, il mélange les codes des théâtres occidental et indien et se focalise sur le destin d’un homme qui a choisi de dire la vérité et de braver un pouvoir écrasant. Ajay, pilote de l’armée indienne, est condamné pour haute trahison par la Cour martiale à être interné dans un asile psychiatrique. En mission de maintien de l’ordre au Shri Lanka, il avait été amené à bombarder un hôpital et, photos à l’appui, il dénonce cette « bavure». A partir d’un fait réel, Koumarane Valavane invente un lanceur d’alerte sacrifiant sa liberté à la vérité, mais qui, dans cet acte, trouvera une autre forme de liberté…
Pendant le procès et tout au long de son parcours, un chien l’accompagne, celui de son enfance. Une enfance qu’il revisite pour y puiser sa force de survie auprès de sa mère qui lui racontait l’histoire de Yudhishthira, le héros du Mahabharata qui ne ment jamais. « Dans le Mahabarhata, dit Valavane Koumarane, les héros qui font face à une arme indestructible vont se réfugier mentalement dans le ventre de leur mère. (…) Ils échappent à la mort qui ne peut s’emparer que de la vie. » Grâce à des panneaux mobiles, les temporalités s’interpénètrent et la mère du héros apparaît à différents stades de son enfance ou de sa carrière dans l’armée de l’air… Leur tête-à-tête est interrompu par Arnav et Bagla, surveillants de l’asile et bouffons de théâtre qui viennent l’arrêter pour l’interner. Il partagera la chambre de Shankar qui, lui, a trouvé la sérénité dans un présent perpétuel… Ajay en prendra de la graine.
Ici, rien de psychanalytique ou psychologique, le metteur en scène s’amuse à nous raconter cette histoire en convoquant tous les ressorts et styles dramatiques avec des scènes intimistes ou des séquences burlesques. Il évoque la méthode de Stanislavski, parodie celle de l’Actors Studio et convoque l’« espace vide » cher à Peter Brook. Et quand, à l’asile, Ajay se cogne la tête contre les murs de sa prison, l’acteur n’hésite pas, lui, à franchir le quatrième mur, et même à s’envoler, en invitant le public à le suivre dans son char volant… A l’instar des héros de son enfance. S’insinuent, en parallèle de cette épopée moderne, des allusions au Mahabharata où le vertueux Yudhishthira, l’un des frères Pandava, triomphe des Kaurava… « J’ai fait appel au mythe, dit Koumarane Valavane, pour construire mon personnage.» Habile à manier tous ces codes, il a écrit une fable qui est aussi celle d’un résistant d’aujourd’hui, ancré dans une société violente à laquelle il se heurte. Mais quand Ajay, enfermé dans son asile, pose au public la question : « Qu’est-ce qui est inévitable ? » et qu’on lui dit : « La mort », il propose une autre réponse : « Le bonheur ! » Sagesse qui n’a rien d’occidental.
Pleine de poésie et de spiritualité, à la fois tragique et burlesque, la pièce doit aussi sa réussite au talent de la troupe et à l’ampleur de son registre linguistique. Les acteurs viennent de différentes régions de l’Inde et jouent dans leur propre langue (tamoul, indi, etc.) et surtout en anglais ou en pidgin-english pour les scènes grotesques. L’actrice qui interprète Shankar, puise dans le registre du cinéma muet, et Arnav et Bagla les gardiens de l’asile, empruntent à la commedia dell’arte. Ils n’hésitent pas à interrompre leur prestation pour rappeler au public qu’ils ne sont que des bouffons… Par contraste, les personnages d’Agay et de sa mère sont joués avec sobriété.
Le Théâtre Indianostrum, créé à Pondichéry en 2007, veut promouvoir un théâtre moderne dans une continuité culturelle. Il possède aujourd’hui une petite scène, la salle Jeanne-d’Arc, un ancien cinéma français. D’où son nom complet: Indianostrum Pathé-Ciné Familial. Koumarane Valavane, franco-indien et ancien membre du Théâtre du Soleil, est régulièrement invité avec sa troupe par Ariane Mnouchkine et nous vous incitons à les retrouver dans Flying Chariots.
Mireille Davidovici
Spectacle vu au Théâtre de l’Union, le 1 er octobre.
Les 9 et 10 octobre, Théâtre 140, Bruxelles (Belgique).
Du 13 octobre au 7 novembre, Théâtre du Soleil, Cartoucherie de Vincennes. Métro : Château de Vincennes et ensuite navette gratuite.
Les Zébrures d’automne ont eu lieu du 22 septembre au 2 octobre. Les Francophonies, des écritures à la scène 11 avenue du Général de Gaulle, Limoges (Haute-Vienne). T.: 05 55 10 90 10.