Parages 09 : numéro spécial Claudine Galea

Parages 09 : numéro spécial Claudine Galea

La revue du Théâtre National de Strasbourg a consacré un numéro à cette écrivaine, doublement présente dans l’actualité: Je reviens de loin a inspiré Serre-moi fort, un film de Mathieu Amalric en ce moment à l’affiche et sa pièce Un Sentiment de vie vient d’être créée au Théâtre de la Bastille, mise en scène par Jean-Michel Rabeux (voir Le Théâtre du Blog).

© Jean-Louis Fernandez

© Jean-Louis Fernandez

A la Une de la revue, une très belle photo d’elle par Jean-Louis Fernandez (on en retrouvera un portefolio en pages intérieures). Plus précisément, une photo de son regard, très clair, qui nous invite à le suivre hors champ, côté cour . Sa main gauche appuie une écharpe de laine sur sa bouche comme pour la protéger du froid, ou se faire taire. Trop à dire ou difficulté à dire ? Mais c’est vraiment son regard qui conduit à tourner les pages et nous conduit à la seule question qui vaille : qu’est-ce qu’écrire ? Qu’est-ce qu’un texte, sinon celui, né à tout prix, qui se tisse entre l’écrivain et le lecteur ? Qui n’est pas «ciblé»: la littérature jeunesse vaut comme littérature. Faire théâtre de tout : où le corps et la voix vont-ils se nicher quand les mots sont écrits ?

On peut lire ce numéro en continu ou article par article, l’oublier, y revenir. Mais on ne peut qu’en saisir des éclats, la force de tel ou tel article qui vous touche particulièrement. Cette nécessité d’y mettre du sien mais aussi un appétit de «prendre» sont intéressants. À lire Claudine Galea, à écouter ses pièces, on se dit qu’elle-même ne fait que ça : y mettre du sien. On laissera au journaliste, la quête de l’objectivité et l’écrivain -pas écrivaine : «Je me suis tout de suite sentie, dit-elle, dans une égalité fondamentale, antérieure à la masculinisation. » Elle cherche dans son travail : la vérité, «l’exactitude».

Pour ce numéro spécial de Parages, vingt-quatre auteurs et autrices, amis, comédiennes, journalistes, se sont lancés dans les questions de l’écriture et les multiples réponses sont forcément partielles. Parmi les plus fortes, celle de Claudine Galea elle-même, avec un poème: Nul soleil autre que le tien, d’après Les Hauts de Hurlevent d’Emily Brontë et avec des échanges avec Frédéric Vossier, responsable de la revue Parages , Philippe Minyana avec qui elle a entretenu par mails, un beau dialogue serein et sérieux, à l’été 2020. D’auteur à auteur et autrice : le mot est quand même attesté depuis le début du XVII ème siècle !, elle a travaillé avec Philippe Dorin, Sylvain Levey et Nathalie Papin sur ce que la «littérature jeunesse» apporte à l’écriture : entre autres, le puissance empruntée aux enfants de laisser les mots glisser de l’un à l’autre, ou d’ouvrir tout un domaine imaginaire, à inviter et inventer.

Philippe Malone, écrivain et photographe, a préféré ici ne pas remettre une couche d’écriture. Il a choisi la photo, avec des images insolites, voilées, mêlées de reflets et de végétation, à fleur de peau de la femme.  Une façon de dire : on ne vous la révèlera pas, à vous de la chercher dans ses textes. Plusieurs contributeurs parlent de sa « langue». Autrefois, on disait : style. Le terme ayant été galvaudé, promené partout, a été écarté au profit du mot: langue dont l’existence suppose un certain nombre de locuteurs communiquant entre eux, éventuellement sur un ou plusieurs territoires. Et dans ce numéro de la revue, on observe le mouvement, la naissance de la langue française mais chargée, sinon de mots nouveaux, en tout cas de mots réveillés, réactivés et finalement contagieux. L’un des paradoxes de l’écrivain: n’être lui-même que traversé, imbibé par ses lectures et son  compagnonnage avec d‘autres écrivains, dans toutes les langues. Pour Claudine Galea : Ingeborg Bachman, Robert Musil, Rainer-Maria Rilke, Paul Celan, Marina Tsvetaïeva, Virginia Woolf…

Entre l’écrit qui fixe la parole, et le théâtre qui la rend à la voix et au corps, Au Bord cristallise ce numéro, Mais  est-ce une pièce? Né de la fascination de l’autrice pour une photo devenue icône: celle d’une petite soldate américaine tenant en laisse un prisonnier irakien, ce texte fait éclater la politique et creuse dans la chair même du désir, du trouble. L’image de cette jeune femme avec la laisse, fait ressurgir une mère-ogre, une amante en rupture…

Au bord ne peut se résumer, c’est le noyau d’un vortex. Jean-Michel Rabeux qui en a été saisi et l’a mis en scène, parle ici de cette expérience. Claude Degliame et Cécile Brune mises en scène par Stanislas Nordey, (voir Le Théâtre du blog) l’ont joué et disent comme elles ont été travaillées par ce texte. Jean-Luc Nancy, peu avant sa mort, a donné à Parages ses Notes pour imaginer une mise en scène d’Au Bord. Il avait touché au théâtre avec Michel Deutsch et Philippe Lacoue-Labarthe pour Les Phéniciennes d’Euripide. Un retour et un adieu à la tragédie…

Parages n’omet jamais de parler des conditions d’existence de l’écriture dramatique et du théâtre. Ici, Chantal Boiron, rédactrice en chef de la revue Ubu, demande à Sabine Chevallier, éditrice de la plupart des  pièces de Claudine Galéa aux Editions Espaces 34, Les Matelles à Montpellier ,quel a été son compagnonnage durable avec elle. Un Sentiment de vie ouvre une nouvelle collection : Hors cadre. Est-ce du théâtre ? Oui, si on fait théâtre, de ce texte. Seule importe l’écriture et qu’elle soit entendue : Marguerite Gateau, réalisatrice à Radio-France rend compte «d’une expérience littéraire ».

Pour Claudine Galea, ce n’est pas «l’écriture ou la vie», c’est l’écriture-vie : «Il se trouve que pour moi, il manque quelque chose à la vie, lorsque je n’écris pas. Ou, pour le dire autrement, la vie me manque lorsque je n’écris pas’ dit-elle dans un entretien avec Frédéric Vossier. On laissera à Stanislas Nordey le dernier mot, avec un conseil de lecture: «Ne pas picorer mais s’installer durablement dans son œuvre. Il me semble. Tout acheter, disposer autour de soi les morceaux du puzzle et les laisser s’assembler eux-mêmes. Reconstituer.»

Christine Friedel

Le n° 10 de Parages comprend un focus sur Elfriede Jelinek et sur les Editions théâtrales. À suivre…

 

 


Archive pour 4 octobre, 2021

Le T.N.P a cent un ans: Et d’autres que moi continueront peut-être mes songes, mise en scène de Jean Bellorini

 Le T.N.P a cent un ans:

 Et d’autres que moi continueront peut-être mes songes, mise en scène de Jean Bellorini

Un peu d’histoire, cela ne peut pas faire de mal. A l’origine de cette formidable aventure française: l’initiative de Firmin Gémier, il y a plus d’un siècle qui voulait s’adresser à un très large public… au théâtre Antoine.. Il fut ensuite le premier directeur du T.N.P.  en 1920, et deux ans plus tard aussi celui de l’Odéon. Le T.N.P. était installé dans l’ancien palais du Trocadéro remplacé par le bâtiment actuel en 1937. A Firmin Gémier mort en 33, succédèrent Albert Tortier, Paul Abram, Pierre Aldebert avec des spectacles divers et de façon intermittente: puisque l’occupant allemand puis l’O.N.U. en 48 occupèrent le bâtiment. Notre amie Christine Friedel y commença à trois ans en 1947 sa carrière de critique en y allant voir à une chorégraphie de Janine Solal… Le T.N.P.  ressuscita vraiment en 1951 quand Jeanne Laurent* réussit à faire nommer Jean Vilar à la tête de cet immense bateau le 20 août 1951, quatre jours après la mort subite de Louis Jouvet.  Il jouait alors au Théâtre Antoine Le Diable et le bon dieu de Jean-Paul Sartre, une pièce mise en scène par le grand acteur.  Jean Vilar reprit le projet établi avant la dernière guerre par le metteur en scène Charles Dullin. Mais Chaillot avait quoi effrayer plus d’un futur directeur, pas Jan Vilar qui y voyait de grandes possibilités: une scène de 23 m de jardin à cour mais avec un mauvais rapport avec la salle de 2.800 places! Et coupée en deux par un immense balcon! Le dernier spectateur étant à 56 m du bord du plateau! Et Jean Vilar avait un bureau que nous avons connu:  petit, en sous-sol et mal éclairé…

Le T.N.P. dut vivre d’abord quelques années hors Chaillot,  notamment sous un chapiteau porte Maillot à Paris, au Théâtre des Champs-Elysées, à Suresnes en banlieue immédiate, en attendant que l’O.N.U.qui l’occupait depuis 48, libère complètement Chaillot en 54. Mais ce ne fut pas toujours facile: et dès 52, Vilar qui était responsable sur ses biens propres, alors qu’il n’avait qu’un appartement, était dans le collimateur de la droite: classé communiste parce qu’il avait monté Brecht! **  Et on l’oublie souvent, il fut violemment attaqué par de sombres politiciens comme le sénateur Jacques Debû-Bridel qui voulait sa peau! Le même, ancien résistant mais décidément très inspiré et alors conseiller de Paris en 1948, avait proposé de fermer les boîtes de nuit homosexuelles… Mais Jean Vilar était critiqué aussi par Sartre et la gauche estimant qu’il ne faisait pas un théâtre assez populaire… Il quitta volontairement ses fonctions en 63, ce qu’il avait hésité à faire plusieurs fois et lui succéda alors Georges Wilson qui était son assistant. Puis, en 72,  Jacques  Duhamel, alors Ministre de la Culture, décida d’implanter le T.N.P.  à Villeurbanne. D’abord sous la houlette de Roger Planchon auquel succédèrent Patrice Chéreau et Roger Gilbert, aujourd’hui disparus, puis Georges Lavaudant et ensuite Christian Schiaretti.
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©x Le T.N.P. à Villeurbanne

Jean Bellorini, lui, arriva en janvier 2020 au T.N.P. et reprit l’expérience qu’il avait lancée au Théâtre Gérard Philipe à Saint-Denis. En créant aussi à Villeurbanne ce qu’il appelle une  «Troupe éphémère » avec une vingtaine de jeunes gens qu’il a choisis et qu’il dirige dans cette création comme des professionnels… dont certains le serons peut-être un jour. En tout cas, une formidable expérience pour eux et Jean Bellorini a eu raison de marquer cette anniversaire par l’idée de transmission. Au programme, des rencontres, notamment avec Michel Bataillon, président de la maison Antoine Vitez, qui fut le bras droit de Roger Planchon, mais aussi bien sûr, des spectacles : le devenue culte ça ira, Fin de Louis de Joël Pommerat, Les Trois Mousquetaires d’Alexandre Clara Hédouin et Jade Jerbulot, et une création de Mathieu Coblentz: Fahrenheit 451 (voir pour ces spectacles, Le Théâtre du Blog).

Sur le grand plateau noir, rien qu’un grand châssis suspendu qui se révèlera être aussi, sur l’autre face, un miroir. Et une formidable idée: faire descendre des cintres, grâce à des fils, par ces vingt jeunes gens -une dizaine côté cour jardin et une autre dizaine côté cour- les costumes d’origine de Léon Guischia (1903-1991). Parfois dans le doute -quelque soixante-dix ans plus tard, on nous pardonnera- ceux de Macbeth, L’Avare, La Tragédie du roi Richard II, Ce Fou de Platonov, Mère Courage, Le Triomphe de l’amour… Tous impeccablement conservés par la maison Jean Vilar à Avignon et ici, tels des fantômes parfois réincarnés… Images d’une grande beauté  : un  jeune homme parcourt le plateau en Arlequin et un autre dans le costume original: une sorte de chasuble sans manches , jaune à gros points noirs- porté par Georges Wilson (Macduf) dans Macbeth.
Le spectacle a été
conçu par Jean Belllorini qui a remarquablement dirigé cette Troupe Ephémère et une fanfare de quelque vingt jeunes gens qui vient aussi ponctuer les différentes séquences. Il y a d’abord une évocation de Firmin Gémier (1869-1933). En 1901 déjà ! -mais on l’a oublié- il fut le précurseur du T.N.P. et  Jean Bellorini a bien fait de le rappeler. D’abordn au Théâtre de la Renaissance à Paris, puis cinq ans plus tard, directeur du Théâtre Antoine, il imagina avec un belle audace de créer un autre rapport scène/salle et monta Guerre sans héros ni intrigue, et avec peu de décors mais avec des lumière très étudiées. Puis en 1911, il parcourut, chaleureusement accueilli, le Nord et l’Est de la France avec des spectacles déjà rodés comme L’Arlésienne, sous un chapiteau de 1.600 places! Une préfiguration des Tréteaux de France que dirige Robin Renucci.

 Mais, trop en avance sur son temps, en 1912, le Nouveau projet de décentralisation intéressant la province de Firmin Gémier, lui… n’intéressera guère le Ministre de l’Instruction publique. Courageux, il ne mâchait pas ses mots: «Le théâtre en pierre, le théâtre fixe est une hérésie. Il est contraire au principe vital, à l’idée fondamentale du théâtre. Peut-on comparer ce théâtre aux racines de pierre, aux pieds stupides, encastré dans d’autres immeubles, qui se rangent le long du trottoir pour laisser passer la foule, qui a l’air d’une maison, comme une autre maison, le théâtre qui attend le spectateur et que le spectateur sait trouver là, toute l’année, dont les étages et les différentes catégories de places rappellent au public qu’il est divisé, lui aussi, par classes sociales, la salle sévère, qui invité aux cérémonies, à la solennité, peut-on comparer ce théâtre-là à un théâtre qui, tout à coup, traverse la ville au bruit de ses huit locomotives, de ses voitures, camions, ateliers, et qui, sans prévenir, vient se mettre sur une place, un boulevard, barre la route, force le passant à s’arrêter, à regarder sa façade, ses affiches, le passant qui sait que cette construction ne sera plus là le lendemain et ne reviendra plus que dans une, deux ou trois années… »

©x Le sigle imaginé par le grand graphiste Marcel Jacno qui créa aussi le fameux paquet de cigarette Gauloises

©x Le sigle imaginé par le grand graphiste Marcel Jacno qui créa aussi le fameux paquet de cigarette Gauloises

Du T.N.P., Jean Vilar en fut le directeur douze ans mais aussi un des régisseurs -il préférait ce terme à celui de metteur en scène-et le chef de troupe. Entre autres talents, il savait choisir ses acteurs, comme la déjà vedette au cinéma Gérard Philipe mais aussi Daniel Sorano, prématurément disparus au temps du T.N.P., Maria Casarès, Charles Denner, Philippe Noiret, Jeanne Moreau, Christiane Minazzoli, Philippe Avron, Alain Cuny… Tous alors encore peu connus -sauf Gérard Philipe- et qui ont ébloui notre adolescence. Restent quelques survivants comme Michel Bouquet (95 ans) et Monique Chaumette (94 ans).

Tous ces noms ne disent sûrement rien aux jeunes gens de cette troupe Ephémère mais qu’importe, ce sont peut-être avec certains d’entre eux que se fera la transmission. Jean Bellorini les a remarquablement dirigés. Et au moins, comme disait Antoine Vitez , ils se seront trouvés là…Pendant une heure- et il faut tous les féliciter- Cléo Charbonnier, Thibaud Da Silva, Baptiste Darras, Robinson Duchêne, Arthur Duranton, Elsa Fillaudeau, Félix Fouletier, Isidor Germain, Evodie Gonzalez, Tatiana Guille, Elena Guy, Martha Geffrey, Luna Kaced, Adélie Laurent, Ethan Lissilour, Esther Minfray, Rachel Prot, Solène Butin, Floriane Roux, Claudette Rumler, Roxanne Vincent nous racontent avec simplicité une histoire commencée sur la colline de Chaillot à Paris depuis un siècle et qui  se poursuit à Villeurbanne.

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Très émouvant de voir tous ces costumes du passé, descendre des cintres comme dans un songe. Ils ont habillé tant d’acteurs qui ont joué dans cette immense salle. Jérôme Savary qui resta aussi longtemps que Jean Vilar à la tête de Chaillot, disait un jour non sans émotion aux élèves de l’Ecole, qu’ils avaient joué, lui et ses acteurs du temps du Magic Circus, dans les collants de de Gérard Philipe et Jean Vilar, dont le service couture du T.N.P. qui les avait réalisés, avait fait cadeau à sa jeune compagnie désargentée. Les costumes de Yannis Kokhos pour les mises en scène d’Antoine Vitez furent ensuite très souvent portés par ceux de l’Ecole de Chaillot-Savary, puis donnés à celle du Théâtre National de Strasbourg. C’est aussi cela la transmission… Et on ne dira jamais assez l’importance -plus encore que ses éléments de décor-  que ces quelque deux cent costumes de Léon Guischia ont eu dans les créations du T.N.P.  Impeccablement conservés par la maison Jean Vilar à Avignon et que l’on retrouve ici.

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On peut voir à un moment courir sur le plateau, un de ces jeunes gens en Arlequin ou dans  le costume d’origine porté par Macduf (Georges Wilson) dans Macbeth, mise en scène de Jean Vilar qui jouait le rôle-titre avec Maria Casarès (lady Macbeth). Une sorte de robe-chasuble jaune sans manches avec gros points noirs. D’où vient cette débauche de couleurs chez Léon Guischia? Sans doute d’une envie de rompre avec les tristes beiges ou grisâtres des vêtements de l’après-guerre qui habillaient les Français… Ce peintre proche d’Alexandre Calder et Fernand Léger, comme eux, n’hésitait pas à employer des couleurs vives, souvent primaires, sans aucun doute pour que le public puisse aussi, quand il était assez loin du plateau, identifier facilement les personnages. «Datés» comme on dit, ces costumes? Oui, et heureusement! Ils peuvent inspirer les metteurs en scène d’aujourd’hui, surtout ceux qui montent Hamlet avec des acteurs en jeans et T-shirt. Ce que faisait déjà, il y a cinquante ans, le Living Théâtre qui voulait alors en découdre avec la tradition du costume de scène. Mais, comme le disait encore finement Jérôme Savary: «Si c’est pour voir sur un plateau ce qu’on voit dans la rue, cela ne m’intéresse pas.» et son très bon costumier Michel Dussarat ne l’a jamais oublié.

Les jeunes gens de la Troupe Ephémère lisent de courts textes : des extraits de pièces classiques comme Phèdre, des lettres de Jean Vilar à ses acteurs comme le grand Daniel Sorano. Proche de lui, il s’affirme aussi comme chef de troupe: «Cher Daniel, hier soir, samedi, ta voix était encore fatiguée. Ton interprétation de Figaro s’en ressent, considérablement. D’où vient ce mal? T’es-tu interrogé? Permets-moi de te poser ces questions en aîné. Et je fais abstraction du responsable de la tenue de tous les spectacles du T.N.P., responsable que je suis. Six années d’effort, artistique, culturel, populaire ne peuvent «buter» sur la déficience vocale d’un interprète. Le Mariage de Figaro est en ces mois de janvier et février, le seul témoin du travail de notre compagnie. Pourquoi cette voix ? Tu as joué trois fois en huit jours, cinq fois en neuf jours ? Quel théâtre pourrait offrir à un interprète ce repos que dimanche 10 au jeudi 14, il t’était octroyé? Tu as toujours trop pris le théâtre au sérieux pour ne pas t’étonner que ton ami le considère aussi comme une chose quotidiennement sérieuse. L’amour-propre ne joue pas à ce sujet, sinon de délicatesses en délicatesses à l’égard l’un de l’autre, nous en arriverions à une compagnie de gens courtois mais à des spectacles mal tenus par les principaux interprètes. T’es-tu soigné? Suis-tu un régime strict? Tu m’as dit toi-même, après Le Malade Imaginaire: C’est une question de repos. Franchement, l’as-tu pris ? Je ne te parle pas de mon travail. A quatre jours, mettre en scène Le Mariage est la satisfaction (périlleuse) de vingt-cinq ans de difficultés. Malade et ne prenant pas de repos total, ou des soins médicaux, tu mets en cause le savoir-faire artistique d’un homme que tu estimes, n’est-ce pas ? Te reposes-tu ? Ne fais-tu pas trop de choses ? Figaro ne devrait faire que Figaro.»

Il y a aussi une lettre de Jean Vilar à Maria Casarès où le patron et chef de troupe, ne mâche pas non plus ses mots: «Je souhaite que mes réserves en ce qui concerne ton interprétation d’hier ou d’avant-hier, que mes critiques, ici ou là, te servent le soir. Ce que je sais -et cela pour finir te fera-t-il aussi quelque plaisir ? (…) cet après-midi, cette Chimène était là, sur le plateau. Et cela, quoi que tu fasses ce soir ou demain, tu le seras toujours. Ton distingué partenaire, J. V.

Mais Maria Casarès dit aussi fermement  aussi ses exigences: «Je ne peux pas jouer Phèdre sans, au préalable, avoir eu droit à un long travail de préparation -personnel et commun. Or, voilà ce que je vous demande : Premièrement: Une distribution arrêtée avant la signature de mon contrat. Deuxièmement: Une semaine au moins de travail collectif sur le texte vers début mai où vous serez présent, en personne et en esprit.Troisièmement: pendant les semaines du mois de mai qui vous éloigneront peut-être de Paris, la possibilité pour moi de poursuivre le travail avec les principaux interprètes.Quatrièmement : Les deux semaines qui précéderont la première représentation, doivent enfin être consacrée uniquement aux répétitions de Phèdre

Et il y aussi une belle lettre de Gérard Philipe qui sentait une certaine fragilité chez cet homme boulimique qui était son ami: «Il est temps de te ressaisir Jean. Joue moins. Fais-toi doubler en dehors de Chaillot, ne joue pas à Avignon non plus. Ne fais qu’une grande création par an comme acteur. Et demande à d’autres acteurs que tu aimes de venir jouer chez toi. Du coup, tu auras le temps de lire et tu sauras quoi proposer bien à l’avance. Fais, je t’en supplie, 1) une liste d’acteurs à contacter, 2) une liste de pièces qui te plaisent puis 3) une de décorateurs et musiciens nouveaux.»

 Sylvia Monfort, dont le nom est celui de ce lieu: le Monfort,  devenu en quelques années, populaire et qui attire les jeunes: «Cher Jean, vous vous demandez si votre lettre est dure, je vous réponds qu’elle m’a fait beaucoup de peine. Vous m’y prêtez l’intention de vouloir «faire un numéro» avec Chimène, -rôle où je souhaiterais, vu mon peu d’aisance, passer inaperçue. Du moins jusqu’au jour où je saurai traduire la tendresse, la fragilité, Chimène enfin. » On sent à travers les lettres de ses acteurs, un Jean Vilar épuisé par sa fonction de comédien-metteur en scène-directeur du T.N.P. à Chaillot et du festival d’Avignon, parfois rongé par le doute et par un ulcère à l’estomac. Attaqué à gauche comme à droite, il lui a fallu une sacrée résistance à cet homme, même soutenu par une équipe administrative et une armée de techniciens qui ne comptaient pas leurs heures et dormaient parfois au théâtre, quand les répétitions n’en finissaient pas et qu’il n’y avait plus de métro…

Jean Vilar continua envers et contre tout jusqu’au jour où il quitta le T.N.P. en 63 avec derrière lui, douze ans de créations, de tournées un peu partout et dix-sept ans de festival d’Avignon. Et  nous le revoyons encore comme si c’était hier, maigre, très fatigué, en parler simplement à l’amphi Descartes, invité par des profs de la Sorbonne et nous, étudiants un peu naïfs, au bord des larmes, le suppliant de n’en rien faire… 

Cette célébration du Centenaire a été très vivante et réussie. Ici,  a bien été mise en valeur et rappelée l’idée d’un indispensable théâtre au service de tous les publics. Et, comme le dit Jean Bellorini : «Il faut continuer, toujours, sans cesse et jusqu’à passer le relais aux suivants. C’est ainsi que le théâtre public prend sa place dans la cité. (…) Ces spectacles, lectures rencontres, expositions seront autant de ponts dressés entre hier, aujourd’hui et demain, comme une manière de se souvenir du passé, pour commencer à construire la mémoire, elle aussi, des cent prochaines années.»

 Philippe du Vignal

 *Le théâtre contemporain doit beaucoup à Jeanne Laurent (1903-1989) fit l’Ecole des Chartes puis fut une résistante auprès de Germaine Tillion. Elle fut nommée en 1946 sous-directrice des spectacles et de la musique à la Direction générale des Arts et Lettres au ministère de l’Education Nationale par Jacques Jaujard. En six ans, avant d’être foréce à démissionner par Anrdé Cornu secrétaire d’Etat à la Culture força à cette femme visionnaire -qui sans doute gênait trop- à démissionner . Entre temps, elle avait  réussi à mettre en place la «décentralisation théâtrale» et créa les premiers Centres Dramatiques Nationaux: en 1946, à Colmar avec Roland Piétri et à Saint-Etienne avec Jean Dasté, le gendre de Jacques Copeau. Elle soutint en 1947, la création du festival d’Avignon et trois ans plus tard, proposa à Jean Vilar la direction du T.N.P. Elle créa aussi le concours des jeunes compagnies où plus tard, sera révélé Patrice Chéreau…
Souvenirs, souvenirs… En mai 68, à l’Odéon à Paris occupé par des manifestants, au cours d’une des assemblées-forums sur les réformes à faire, une dame d’une soixantaine d’années et sans doute à la retraite, se leva et contesta avec une grande intelligence, la proposition d’un des intervenants. Et, quand on lui demanda qui elle était, pour avoir une telle connaissance du dossier, elle dit simplement: «Je suis Jeanne Laurent.» Alors, toute la salle, remplie de nombreux professionnels du spectacle, se leva et l’applaudit.

** Même encore en 68, Brecht sentait encore assez mauvais et un inspecteur des enseignements artistiques au Ministère de la Culture donc sous André Malraux, nous avait dit à propose d’une jeune troupe en banlieue: vous vous rendez compte, ce n’est pas possible de tolérer cela! Ils montent du Brecht! (sans commentaires).

Et d’autres que moi continueront peut-être mes songes a été joué au T.N.P. à Villeurbanne (Rhône), les 25 et 26 septembre.

Théâtre Firmin Gémier, Anthony (Hauts-de-Seine) les  9 et  10 octobre.

WET°, festival de la jeune création contemporaine à Tours

WET°, festival de la jeune création contemporaine à Tours

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D’ordinaire, on lit : wet sur un panneau de mise en garde dans un endroit en plein nettoyage : sol mouillé, attention, ça glisse. Ici, au théâtre Olympia, cela signifie tout simplement un week-end théâtral… Ou, si on veut : attention, théâtre glissant! Les jeunes compagnies invitées se sont en effet « mouillées ». Cinq spectacles en un jour et quatre autres le lendemain! Le ciel est bleu mais l’effervescence d’un festival agit et nous n’avons pas hésité à courir d’une salle obscure à l’autre, avec une belle étape dans le cloître de la cathédrale.

Avant tout, ce WET° est un festival jeune avec un programme, validé par l’équipe artistique du Centre Dramatique National et choisi par le Jeune Théâtre en Région Centre-Val de Loire et cinq comédiens issus des écoles françaises : Bordeaux, E.N.S.A.T.T., E.S.A.D. , deux techniciens et une chargée de  communication. Hôtes du C.D.N. pendant deux ans, les jeunes acteurs travaillent avec des professionnels aguerris et  les jeunes compagnies venues se frotter au festival. Au Wet°, on invite des lycéens à prendre un bain de théâtre pour le plaisir, nous l’espérons, mais aussi pour essayer d’analyser les spectacles vus et se former à la dramaturgie.

Suzette Project de Laurane Pardoen

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En toute logique, le festival présentait un spectacle pour le jeune public. Celui-ci est joué par trois jeunes actrices bruxelloises. Suzanne et Alice, sa BFF (best friend forever) portent le même T-shirt, jouent avec leur téléphone, mais… Suzanne, qui a deux mamans, a choisi Al Pacino comme père imaginaire mais Alice n’a qu’un papa. Cela se complique encore avec Maxence: Alice en est folle mais lui n’a d’yeux que pour Suzette. Laquelle voit grand et va arranger tout ça. En fait, on découvre ici qu’aucune famille n’est «normale».
Prouesses physiques des jeunes femmes dans un jeu très chorégraphié, jolie ébauche de rap pour dessiner le garçon : bien vu, discrètement pédagogique, avec toute l’imagerie kitsch parfois chère aux préadolescentes…

Maryvonne de Camille Berthelot

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Une autre affaire de famille… Fascinée par sa grand mère, un peu froide et grognon, elle est allée la voir pour l’interviewer. Réservée, elle accepte quand même.

Pour nous, c’est la rencontre sur écran avec une personnalité en effet très attachante, sobre, capable de taper juste et vrai,. Mais elle se met volontiers à l’abri derrière la littérature quand il s’agit des sentiments.

Sur le plateau, la partition de la jeune comédienne reste mince. Timidité devant cette personnalité aussi si forte? Nous avons envie que sa petite-fille vole un peu la vedette à sa grand-mère.

Monuments hystériques

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Grand moment de respiration au cloître de la Psalette. Le titre dit bien de quoi il retourne… On inaugure un socle rose indien au centre d’un cloître où fourmille toute la fantaisie du gothique tardif: il n’y a qu’à aller plus loin, si possible, dans cette fantaisie. Dans un dialogue absurde entre deux, puis trois soi-disant spectateurs  dont un savant latiniste, cette pièce vire déjà à la satire avec une fonctionnaire qui excuse l’adjointe à la Culture qui, elle-même, excuse le maire absent… Elle plante ses talons-aiguilles dans le gazon et disparaît. Un fantôme enfantin (un drap troué pour les yeux) commence à errer dans les parages.
La troupe (les permanents du théâtre) est inventive et surprenante mais le spectacle s’effiloche, les effets sonores se perdent dans les échos très réels de la cathédrale voisine… Nous avons l’impression que Vanasay Khamphommala, artiste associé au C.D.N. a déposé sa boîte à outils de dramaturge et s’est permis toutes les déconstructions possibles avec un joyeux retour aux jeux d’enfants.

Vie et mort d’un chien, traduit du danois par Niels Nielsen de Jean Bechetoille,

Ce spectacle a déjà été joué: (voir Le Théâtre du Blog). Sur le plateau surélevé de l’Olympia, la pièce n’est pas très pas à l’aise et nous croyons peu à cette histoire de famille, encore moins aux allusions à Hamlet et à un épisode gourou-développement personnel, malgré une distribution sans reproches.

Opa de Melina Martin

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Palme d’or à cette actrice gréco-suisse qui avait joué ce spectacle au dernier festival d’Avignon (voir Le Théâtre du Blog). Opa, en grec ancien, c’est la vue… Regardez-moi, Hélène, la plus belle femme du cosmos, et cela de toute éternité. La femme-objet, la femme souveraine, la femme-déesse, la femme puissante, la femme brisée. Melina Martin est tout simplement parfaite : elle danse, chante, joue, intègre d’un regard les petits accidents qui peuvent se produire dans l’immense hall, fait s’allumer les éclairages fluo d’un battement de cil. Elle court, crie, se tait, sourit… Tout est maîtrisé : précision suisse mais feu méditerranéen. Un immense plaisir avec cette  Opa :Offre Publique d’Amour ! Melina Martin est une diva.

On retrouvera la troupe de Monuments hystériques dans la prochaine création de Jacques Vincey, le directeur du C.D.N. :Grammaire des mammifères de William Pellier, du 3 au 13 novembre.

Christine Friedel

Spectacles vus au Théâtre Olympia-Centre Dramatique National de Tours.

Et à partir d’octobre, en Belgique :Bruxelles, Soignies, Verviers, Ath, Lièges, Namur, Arlon…) et dans le Val-de-Marne : Chevilly-Larue, Lésigny, Fresnes.
Et à Brest, Nîmes, Évreux…

OPA : en janvier et du 4 au 7 mai, Théâtre du Pommier, Bayeux, (Eure).

 

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