Circus next label de cirque européen Ice Skates and other cruelties, création et interprétation de Camille Paycha

Circusnext label de cirque européen

Ice Skates and other cruelties, création et interprétation de Camille Paycha

 Essayons d’y voir plus clair à travers le verre, puisque verre ici, il y a, quant à ce travail cofinancé par le programme Europe Créative de l’Union Européenne. Quand on se réfère à la note d’intention de cette jeune artiste qui a en été…une des lauréates: «Une chorégraphie pour corps humain et verre pose les questions suivantes: comment être un et deux à la fois? En d’autres termes, comment échapper à la pensée binaire? Comment un matériau peut-il étendre la portée que la conscience humaine a de son environnement? Comment survivre sous les monceaux de diktats qui nous recouvrent ? Les révéler nous permet-il de les annihiler ? »

Et la suite de ce petit manifeste est encore plus remarquable:  Dans Ice skates and other cruelties, vous verrez la douceur du mouvement et le tranchant du verre. Vous pourrez peut-être aussi voir le tranchant du mouvement et la douceur du verre. Dans le meilleur des cas, un corps sculpté tranchera le verre. Nous éviterons que le verre sculpté ne tranche le corps. » Ah! Ah! Ah ! C’est pas du beau langage, avec de vagues teintes philosophiques?  Et pas du tout prétentieux…

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Les plaques de verre, cela remonte bien au I er siècle après J.C. et dans la bijouterie et l’art classique ( la Galerie des Glaces à Versailles) ou dans l’art moderne et contemporain, ce n’est pas nouveau… Déjà Marcel Duchamp avait créé son Grand verre il y a déjà plus d’un siècle et malin, n’en avait pas renié les fractures quand il avait été cassé en tombant. Plus récemment, Claudio Parmiggiani avait créé un beau labyrinthe en verre dont visiblement, mais sans le dire, Camille Paycha s’est inspirée… Et côté performance, Gina Pane avait aussi utilisé le verre.

Cettte création a pour cadre une patinoire carrée au sol en matière synthétique, fermée par de hautes parois en verre. La jeune acrobate, munie d’un masque en plastique et de gants spéciaux pour manipuler le verre commence par y évoluer plusieurs minutes dans le noir autour d’un cube de verre cassé d’une cinquantaine de cms… Puis elle va y monter en équilibre instable et, à coups de patins, le défoncera et l’éparpillera sur le sol de cette cage de verre pendant un bon moment. Puis fatiguée par cet admirable exploit, elle s’allongera sur le sol. Une autre jeune femme passera derrière la cloison en silence. Clip de fin.

Et vous n’en croirez pas vos oreilles : «Elle trace les contours d’un paysage en perpétuelle transformation où le cruel rejoint le poétique et le beau révèle toute sa violence. Derrière les épaisseurs de verre, Camille Paycha veut susciter notre imagination en créant l’espace de façon littérale comme figurative. » ( sic) Etonnant, non ? Et pour arriver à ce sommet de la performance, elle est entourée de toute une équipe! Si , si, si puisqu’on vous le dit : une assistante de création, un conseiller pour la recherche en matériau, un regard extérieur, un scénographe et créateur lumière. Mais aussi un conseiller lumières et une conseillère artistique. Cela fait quand même beaucoup de monde pour une chose aussi… insignifiante!

Le public -très silencieux et attentif- a tout de même applaudi, enfin pas tout le monde…. Reste à savoir comment et pourquoi le jury de Circus next  a pu choisir cette «performance». Il y a des mystères impénétrables dans l’art contemporain et Morgan Labar a récemment et avec clairvoyance, soutenu une thèse: La Gloire de la bêtise: régression et superficialité dans les arts depuis la fin des années 1960… Que sauver de ce naufrage? Au moins, la belle silhouette de cette acrobate de vingt-neuf ans patinant en pantalon blanc et qui a un collier en petites plaques de verre… mais c’est tout ! Bref, la proposition de Camille Paycha qui «tente de créer un espace sans hiérarchie ni bi-narité» fait carrément flop. Et on se demande bien quelle Scène Nationale ou musée en France aurait envie de programmer cette chose-là… Ce serait une performance au sens le plus strict du terme.

   
 

Pli, conception et interprétation d’Inbal Ben Haim

Là, avec ces deux extraits d’un spectacle ponctués d’une courte pause, le public voit tout de suite qu’il entre dans la cour des grands avec, cette fois, une vraie pensée et une impeccable réalisation. Cela flirte avec la danse, l’acrobatie mais aussi la sculpture. Avec un trio de créateurs qui réussit à organiser un matériau pas inconnu de l’art (les origami japonais remontent aux premiers siècle de notre ère) mais aussi contemporain: déjà le grand Joseph Albers enseigna l’origami et le pliage du papier, il y a un siècle… Il y eut aussi l’utilisation du papier et du carton chez de nombreux artistes dans les années soixante-dix avec, le Mouvement français des plieurs de papier. Bernard Lagneau lui, utilisa le papier kraft mais surtout le carton ondulé pour ses constructions en mouvement. Stephen Stum et Jason Hallman, eux, créent des motifs en roulant et collant de longues bandes de papier. Le sculpteur yorkais Nick Georgiou imagine des personnages à partir de papiers, journaux ramassés dans la rue et cousus ensemble. Et Calvin Nicholls réalise des sculptures d’animaux, lui aussi avec de vieux papiers blancs, découpés en fins morceaux ou lamelles

Ici Alexis Mérats et la scénographe Domitille Martin ont recours eux aussi à un papier tout neuf ; essentiellement du kraft: de gros rouleaux sont posés sur le plateau ou suspendus aux cintres. Tout commence par l’installation lente et précise de bandes de papier déroulées sur le grand plateau. Puis débutera la confection avec ce matériau inédit, d’un gros fil torsadé qui deviendra l’instrument et le support d’acrobaties aériennes. Et sans appréhension, Inbal Ben Haim monte sur ce fil fait d’un matériau si fragile devenu comme par miracle d’une remarquable solidité. Arrivée en haut sous les cintres, elle déchire toutes les bandes flottant autour d’elle. Il y a quand même par prudence, un gros matelas en dessous où elle chutera volontairement pour se retrouver enfouie sous une montagne de bandes de papier froissé Impressionnant de grâce et de virtuosité…  » Chaque action, dit-elle, laisse une marque, une pliure, une inclinaison nouvelle dans la matière. Le pli devient une écriture, qui construit l’histoire de ce dialogue entre corps et papier. »

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Ici, aucun trucage bien entendu mais une remarquable maîtrise de la conception de l’œuvre elle-même  et de l’acrobatie. Et autres dimensions artistiques: la musique de ce papier froissé mais aussi les étonnantes sculpture finales: la première,  avec Inbal Ben Haim suspendue au-dessus de trois grandes bandes de papier tenues horizontalement par Alexis Mérat et Domitille Martin. L’acrobate  descendra au sol en les trouant. Une image de toute beauté. Avec des gestes sûrs, ils ramassent calmement sur le plateau le grand tapis, lui aussi en papier épais et y emballent toutes les bandes restantes pour en faire une sorte d’énorme sac posé en fond de scène. Remarquable sculpture et plus étonnante que l’officiel et assez convenu emballage de l’Arc de Triomphe par Christo.
Et ces extraits, présentés en une heure et à un très bon rythme, sont déjà un spectacle en lui-même. Ils possèdent une unité, une  force et une beauté exceptionnelles. Donc, prière instante à leurs auteurs de ne rien toucher, de ne surtout pas l’allonger mais juste de supprimer la courte pause. Et s’il passe près de chez vous, n’hésitez pas Seul bémol d’ordre écologique: aucune indication dans le programme d’un recyclage de tous ces kilos de papier utilisés à chaque fois…

Philippe du Vignal

Les six spectacles sélectionnés par le Next Circus ont été présentés au Théâtre de la Cité Internationale,11 Boulevard Jourdan, Paris (XIV ème) le 30 septembre, les 1 er et 2 octobre.

La création de Pli aura lieu le 10 novembre aux SUBS, Lyon ( Rhône) jusqu’au 20 novembre. Les 25 et 26 novembre,  Cirque-Théâtre d’Elbeuf.
Le 11 décembre, exposition et présentation de Pli, Festival de danse à Cannes  (Alpes-Martimes)
Les 7 et 8 janvier, C.D.N. d’Orléans ( Loiret). Les 28 et 29 janvier, Théâtre Municipal de Grenoble (Isère), en partenariat avec la MC2 et le CCN2
Les 3, 4, 6 février, Académie Fratellini, Saint-Denis ( Seine-Saint-Denis).
Le 4 mars, Les Quinconces -Théâtre de Vals-les-Bains (Ardèche). Le 8 mars, Le Sablier, Ifs (Calvados) , dans le cadre de Spring Festival. Les 11 et 12 mars, Théâtre de la Cité Internationale, Paris (XIV ème). Le 15 mars, Le Trident, Scène Nationale de Cherbourg (Manche), dans le cadre de Spring Festival. Le 25 mars, Théâtre de Rungis (Val-de-Marne).
Et le 5 avril, Le Tangram,-Scène Nationale d’Evreux ( Eure).

 

 

 


Archive pour 5 octobre, 2021

Salut à Jean-Pierre Vincent, au Théâtre National de Strasbourg

Salut à Jean-Pierre Vincent, au Théâtre National de Strasbourg

© France Culture

© France Culture

Ils ont bien dit :  salut et non hommage, tous ceux qui ont contribué à bâtir cette soirée : son fils Thomas Vincent, cinéaste, Stanislas Nordey, son fils de théâtre, que J. P.V. avait associé à la direction des Amandiers à Nanterre, et plus tard son successeur à la tête du T.N.S. Ce sigle, cette abréviation pressée, il l’avait voulue, ce qui est paradoxal pour un homme qui s’engageait dans toute la globalité du Théâtre et qui envisageait le concept de Nation (voir le diptyque Vichy-Fictions, de Bernard Chartreux et Michel Deutsch) en républicain critique. Et le lieu -Strasbourg et son histoire- et le territoire lui importaient comme ancrage et source de sa pensée, de son travail.

Il y eut des remerciements, de Jack Lang, avec qui il avait travaillé à leurs tout débuts, de ceux qu’il a aidés, de Catherine Anne, autrice, actrice et metteuse en scène, de certains comédiens du Français (les autres n’avaient pas avalé la fonction de la dramaturgie qu’ils préconisait). J.P.V. n’y a sans doute pas passé les meilleurs moments de sa vie,… Il y eut aussi les remerciements de ses élèves et on projeta des extraits d’entretiens avec Dominique Darzacq, Olivier Neveu, etc. Hélène Bensoussan et Frédéric Vossier se sont plongés dans ces archives filmées où éclate la vivacité inimitable de J.P.V. à prendre la question comme tremplin et, parfois, à retourner la flèche.

On évoqua des compagnonnages : Michèle Foucher présente (comme Hélène Vincent) dès le théâtre universitaire avec Patrice Chéreau et les piliers de ce qui deviendra le Théâtre de l’Espérance (la compagnie Vincent-Jourdheuil). Comédienne, elle fut la Maheude dans Germinal, projet sur un roman, spectacle inaugural qui fit date et scandale, au temps de cette révolution active entreprise sous la direction de J.P.V. L’actrice sut revendiquer sa place créatrice (La Table, En souffrance ) dans une équipe quand même très masculine à l’époque…

C’était le temps du collectif, de l’ensemble » où chaque membre devait assumer une égale responsabilité, y compris en participant à des réunions à 10h du matin les lendemains de représentation. Cela n’a rien d’anecdotique mais est le sens même de notre présence à ce « salut ». Pourquoi J.P.V. au T.N.S. où les neuf années de 1975 à 1983 qu’il y passa , ont-elles tant marqué ? Il y a inventé un rapport unique à l’institution . .. Mettre l’artistique au centre ? Tout le monde le fait, on l’espère. Mais c’était pour lui une réalité pensée. Jouer, c’est prendre en compte la fabrication du théâtre, les autres métiers que celui du jeu, les conditions de production et représentations, le public, la situation politique de la ville… Du réel. Avoir conscience de tout cela n’est pas un frein, au contraire, mais un enrichissement comme on parle d’uranium enrichi, une puissance. ..Avec sa bande de philosophes, peintres, dramaturges tous ces mots pourraient être épicènes mais le masculin l’emportait quand même, en ce temps-là…), J.P.V. a contaminé le théâtre en France, malgré les résistances et l’oubli. Mais ses élèves sont là, pour continuer.

Parmi les saluts qui nous ont le plus touché : celui de Bernard Chartreux, « associé-de-longue date », « poil à gratter » discret et constant de Jean-Pierre Vincent, jusqu’au bout, à Nanterre, dans la cour d’honneur d’Avignon, pour cette Antigone qui n’aura pu avoir lieu… Michel Deustch, lui aussi, un de ceux qui peuvent parler au présent de sa méthode de travail et du jeu constructif des contradictions, sans se priver de l’émotion du moment. « Je veux travailler avec des gens que je ne comprends pas », disait J.PV. Pour que ça bouge, que ça s’ouvre. Ça : sa propre pensée de directeur, montrant une direction mais aussi les bifurcations et chemins de traverse qu’apportent les autres. Il attendait des personnalités, comme il le demandait aux élèves de l’ÉCOLE, en majuscules : ce soir là, pour le public, il n’en existait qu’une, bien que J.P.V. ait enseigné dans plusieurs autrs grandes écoles de théâtre. Ceux qui ont joué la trilogie d’Eschyle au festival d’Avignon 2019 nous le rappellent. Salut à ceux qu’il avait déjà choisis pour son Antigone.

Stanislas Nordey, directeur et successeur après d’autres directions (mais le sujet n’est pas l’histoire du Théâtre National de Strasbourg mais J.P.V. ici), a endossé la fonction modeste de porte-parole, pour ceux qui n’avaient pas pu venir, pour le public. Une des remarques les plus touchantes d’un spectateur : « Les spectacles de Jean-Pierre Vincent qui m’ont le plus marqué : Baal, Week-End à Yaïk, Kafka Hôtel moderne… » Mais tous mis en scène par André Engel. Pourtant bien aussi de J.P.V., directeur ouvert au travail d’autres metteurs en scène et dont son propre travail avait besoin. Il lui fallait cette contradiction dialectique, esthétique et politique: le théâtre est en effet allé voir ailleurs, dans les haras de Strasbourg, dans les entrepôts devenus le Yaïk de Pougatchev. Et il a travaillé avec des peintres comme Nicky Rieti, Jean-Paul Chambas… Cela change quoi, un peintre par rapport à un scénographe? Cela creuse une nouvelle contradiction, dans la mesure où le peintre pense en artiste, en faisant se heurter un art à un autre.

 Nous fêtons ce soir une rencontre unique entre un directeur et son théâtre, une analyse politique en action. À pas mal d’entre nous, cette soirée a donné un coup de « temps retrouvé » sur la tête : nous sommes là, peu changés mais les cheveux poudrés de blanc, avec un masque de rides, mais bien nous, quelques décennies plus tard. « Nous nous sommes tant aimés », bagarrés aussi, et mal compris. C’est vrai aussi pour les générations d’élèves que J.P.V. a formées. Et nous ne savons plus, si nous parlons de nos souvenirs, ou bien de cette soirée amicale, drôle parfois, sous le rire puissant et l’intelligence rayonnante de Jean-Pierre.

Au T.N.S., la grande salle porte le nom du dramaturge Bernard-Marie Koltès, la petite celui d’Hubert Gignoux, directeur de 1857 à 1971 et qui fut un des piliers de la décentralisation théâtrale. À côté de la salle Klaus-Michael Grüber dans le bâtiment annexe, le Studio porte maintenant le nom de Jean-Pierre Vincent. Le voilà en bonne compagnie dans un lieu modeste ; aussi consacré au travail. C’est bien.

Christine Friedel

Ce Salut à Jean-Pierre Vincent, a eu lieu le 25 septembre au Théâtre National de Strasbourg (Bas-Rhin).

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