Zébrures d’automne 2021 à Limoges (suite)

Zébrures d’automne 2021 à Limoges (Suite)

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Une Pierre de patience ©Christophe Pean

Une Pierre de patience (A Journey towards a short story) adaptation du roman d’Atiq Rahimi, texte additionnel de Ximo Solano, mise en scène de Clara Bauer

Le titre dit bien la nature de cette pièce. Clara Bauer et Ximo Solano racontent le « voyage » qui les a amenés à adapter ce roman au théâtre et comment ils insèrent ici des passages du texte. Ils ont écrit des scènes à partir de leur propre expérience et de celle des interprètes, construisant une structure où s’enchâsse, par séquences, tel un diamant, Syngué sabour, Pierre de patience, porté avec un grand talent par Kalieaswari Srinivasan.
Cette actrice indienne incarne une femme qui, au chevet de son mari, agonisant après avoir reçu une balle dans la nuque, confie ses secrets les plus intimes au moribond. « Syngué sabour » est la pierre qui libère la parole et à qui la jeune épouse confesse qu’elle a trouvé la tendresse hors d’un mariage sans amour… Elle se délivre ainsi de sa culpabilité et du poids de la religion.
Pour ce roman écrit en français contrairement à ses œuvres précédentes, l’auteur afghan avait reçu le prix Goncourt en 2008 et en a tiré un film, avec, comme coscénariste, Jean-Claude Carrière. L’idée du spectacle est née chez Ximo Solano, après qu’il ait découvert le livre et le film, puis de sa rencontre à Pondichéry, avec Kalieaswari Srinivasan.

 En préambule, Ximo Solano se lance dans un récit loufoque, rejoint par ses compères Pako Ioffredo et Gaetano Lucido, tout aussi fantaisistes. La metteuse en scène a tissé leurs textes écrits à partir d’improvisations qui contrastent avec la langue minimaliste d’Atiq Rahimi. Et la chanteuse syrienne Aida Nosrat prête sa voix et sa prestance à cette pièce d’une heure quinze. Les séquences d’Une Pierre de patience sont ciselées et poignantes grâce à l’interprétation concise et retenue de l’actrice mais les saillies des trois autres acteurs sont décousues, anecdotiques… Le mariage entre ces styles d’écriture et de jeu est loin d’être consommé. Dommage… Au moins, avons-nous découvert la voix chaude d’Aida Nosrat et la présence lumineuse de Kalieaswari Srinivasan. Et avons-nous eu aussi l’envie de lire Atiq Rahimi…

 Le roman est publié aux éditions Gallimard.

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Loin de Damas ©Pascal Thomsen

Loin de Damas d’Omar Youssef Souleimane par l’Horizon Recherches et Créations

 « Ici sur cette terre étrangère/ Rien d’autre que la nudité de l’existence». Par ces vers se termine la mise en voix et en musique des poèmes d’Omar Youssef Souleimane, choisis parmi la cinquantaine du recueil. La Syrie, une terre massacrée, des balles qui sifflent. La guerre. La mort. Et, malgré tout, l’espoir. Loin de Damas, un chant d’exil, porte sans pathos un regard cru et rebelle, une colère froide sur fond de nostalgie. Le parfum du café partagé avec le père, vient guérir les plaies ouvertes par la guerre, le souvenir d’une hanche effleurée fait oublier la solitude. Et la balle d’un sniper n’entame pas la fureur de vivre au-delà du chaos…. Loin d’un pseudo-style littéraire, d’une souffrance factice, le poète syrien parle, dans un français épuré, de la résistance, de l’exil, de la séparation…

Les vidéos de Johann Fournier en rendent compte et il nous emmène dans un no man’s land où s’allument des feux et fusent des balles traçantes. Les textes sont lus à de nombreux micros et la mise en scène en fragments témoigne d’un monde fracassé. Mais Eric Chaussebourg met dans son interprétation trop de lyrisme et , casse la vigueur et la modernité de ce texte qui perd donc en véracité, malgré les compositions en rupture, tantôt rock, tantôt planantes de Wilfried Hildebrandt, au clavier et à la guitare. Mais ces artistes nous font entendre la poésie de ce recueil qu’il faut lire comme, de ce même auteur, La Mort ne séduit pas les ivrognes lauréat du Prix Amélie Murat 2016.

 Loin de Damas est paru aux éditions Le temps des cerises.

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La Mer est ma nation © Christophe Pean

 La Mer est ma nation d’Hala Moughanie, mise en scène d’Imad Assaf

 Le metteur en scène annonce la couleur: «Exil, déracinement et territorialité désastre écologique, vicissitudes du couple, patriarcat, stigmates de la guerre. Cette pièce est une radiographie clairvoyante de nos sociétés qui remue le couteau dans les plaies de notre humanité. » Un homme et sa femme vivent dans une décharge aux confins d’une ville. Arrivent deux étrangères -une mère et sa fille- fuyant un pays en guerre et qui espèrent s’embarquer en mer. Pour défendre son lopin de terre, le couple s’entoure de barbelés… Malgré cette frontière dérisoire, un dialogue s’établit entre ces victimes de sociétés malades et violentes.

 « Mon écriture est toujours symbolique, dit Hala Moughanie. La pièce se situe dans un non-lieu symbolisant le surplus du capitalisme mais renvoie aussi à l’ordure en nous.» Ici, l’autrice démonte sans concession les mécanismes de domination à l’œuvre dans le couple, et avec un humour terrifiant, les horreurs infligées aux femmes en temps de guerre… Sur cette terre baignant dans une brume permanente, il y a une cabane et la scénographe Manon Grandmontagne réussit à créer un no man’s land où les limites se brouillent. Mari et femme se chipotent sur la distance et la couleur des pinces à linge sur l’étendage… L’amour a foutu le camp… Les fugitives, hagardes, désorientées, ne comprennent rien à ce territoire mais la mère ne tarde pas à conter leur triste et terrifiante épopée où s’exprime leur propre violence.

 La cruauté se déguise en humour macabre sous la plume acérée de l’autrice mais le metteur en scène n’a pas toujours su trouver la bonne distance pour échapper au pathos. Le jeu des comédiens s’allègera sans doute pour que le public puisse goûter pleinement cette fable qui fait la part belle aux femmes et à leur capacité de résistance. «Pourtant, dit Hala Moughanie, mes personnages féminins ne sont pas forcément sympathiques. Je décortique un fonctionnement plus complexe, la duplication matriarcale d’un schéma patriarcal violent. »

 Il faut découvrir cette écriture qui se refuse au manichéisme et qui, au-delà des drames individuels, se réfère à un contexte plus large. L’autrice rappelle que cinquante pour cent de la population vivant sur le territoire libanais vient d’ailleurs, où sont récemment arrivés deux millions de Syriens. «On voit la société se déliter mais rester à Beyrouth est un choix assumé, dit-elle, et c’est là que je voudrais inscrire ma parole. »

 Mireille Davidovici

 La Mer est ma nation spectacle vu au Sirque de Nexon le 2 octobre.

En mai et juin, Hamana Artist House (Liban).

Loin de Damas vu à l’Espace Noriac, Limoges (Haute-Vienne).

Le 5 février, La Rochelle (Charente-Maritime).

Le 30 juillet, festival L’Horizon fait le Mur, La Laigne (Charente-Maritime)

Les Zébrures d’automne ont eu lieu du 22 septembre au 2 octobre.Les Francophonies, des écritures à la scène, 11 avenue du Général de Gaulle, Limoges (Haute-Vienne). T. : 05 55 10 90 10.


Archive pour 6 octobre, 2021

La Faute de François Hien, mise en scène d’Angélique Clairand et Éric Massé

La Faute de François Hien, mise en scène d’Angélique Clairand et Éric Massé

L’auteur a écrit plusieurs pièces dont celle-ci, pour des compagnies à Lyon et dans sa région. Avec L’Harmonie Communale, il a créé le plus souvent dans une mise en scène collective: La Crèche-Mécanique d’un conflit au Théâtre de l’Elysée en 2019, Olivier Masson doit-il mourir?  et au Théâtre des Célestins, l’an dernier, La Peur.   Et  ne 2021, dans ce même lieu:  La Honte… ​Avec le Collectif X, il mène de 2017 à 2019 une résidence artistique dans le quartier de la Duchère dont il tire L’Affaire Correra, recréée au T.N.P. cette année. En collaboration avec l’Opéra de Lyon, le collectif X et l’Harmonie communale, il travaille actuellement sur Echos de la Fabrique, une grande fresque historique autour de la révolte des Canuts, qui sera interprétée par une centaine de comédiens amateurs, encadrés par des professionnels l’an prochain au Théâtre de la Renaissance. Avec Jérôme Cochet, il coécrit Mort d’une montagne, un spectacle qui sera créé au Théâtre du Point du Jour.

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La Faute ? Une affaire de moments successifs avec, en amont, le modeste rêve d’une maison «pieds dans l’eau » !, dans cette station balnéaire de Vendée peu connue, mais au nom terriblement ironique: La Faute-sur-mer dotée d’une longue plage de sable blanc. Ensuite, inattendue, monstrueuse: la catastrophe! La tempête Xynthia submerge tout un nouveau quartier, dit «le petit paradis», construit à 1,50 m en-dessous du niveau de la mer!!! Bilan : vingt-neuf morts, prisonniers de leur maison sans étage inondée, de style «vendéen» mais surtout de style: pas cher et vite fait/mal fait. Viendra le temps des deuils, accusations et procès à l’issue insatisfaisante. Et de l’oubli: les dernière bâtiments sinistrés ont été rasées. Aujourd’hui, la municipalité a le projet de faire construire un «skate-park» dans cette cuvette…

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© Jean-Louis  Fernadez

 

À qui la faute? Qui a déclaré ces terrains: constructibles? Accointances maffieuses entre le maire et les promoteurs: pourquoi tant de hâte à faire signer des actes d’achat, avant même la parution d’un texte législatif anti-submersion ? Allait-on se laisser faire par un «Paris» imposant des mesures de précaution, avec à la clé, des tracasseries administratives?  Mais on criera moins contre l’État quand il indemnisera, et au prix fort, les sinistrés… Et encore, où est allé exactement cet argent ?

François Hien a été documentariste et a étudié cette histoire tragique pour écrire mais sans pathos cette pièce. Les informations données, terribles, se suffisent à elles-mêmes. Ici, un couple de lanceurs d’alerte crie dans le désert, même s’il a, bien sûr, des arguments scientifiques. Après cette catastrophe, ils ont constitué, avec les survivants, l’A.V.I.F., une association des victimes . «Portrait de groupe », dit l’auteur: autour du couple, un homme refusant de quitter sa maison construite de ses propres mains, une mère qui a sauvé ses filles, un autre homme qui a perdu sa femme et deux de ses enfants… Amertume : vous voulez savoir qui pleure ? Ceux qui ont perdu des biens matériels. Ceux qui ont perdu un ou plusieurs proches, eux, ne pleurent pas. »Ici, les personnages sont incarnés de différente manière : les lanceurs d’alerte, les membres de l’association sont joués par les mêmes acteurs et actrices mais les témoins au procès, l’avocate… échangent leurs rôles d’un geste : mettre une autre veste, serrer ses cheveux en chignon , etc. Et sans nuire une seconde au rythme de la pièce. Ici, un couple de lanceurs d’alerte crie dans le désert, même s’il a, bien sûr, des arguments scientifiques. Après cette catastrophe, ils ont constitué, avec les survivants, l’A.V.I.F., une association des victimes . «Portrait de groupe », dit l’auteur: autour du couple, un homme refusant de quitter sa maison construite de ses propres mains, une mère qui a sauvé ses filles, un autre homme qui a perdu sa femme et deux de ses enfants… Amertume : vous voulez savoir qui pleure ? Ceux qui ont perdu des biens matériels. Ceux qui ont perdu un ou plusieurs proches, eux, ne pleurent pas. »

Mise en scène et comédiens excellents: cela va du théâtre naturaliste, au théâtre-récit, avec adresses au public, discours… Et l’on redécouvre ici que la rhétorique est un art. Le personnages du maire relève encore d’un autre style, presque guignolesque celui-là (on est à Lyon) : garçons et filles jouent tour à tout le rôle de cet élu, munis d’une simple béquille comme signe suffisant d’une gestion municipale boiteuse… Scénographie remarquable signée Jane Joyet, dans l’esprit de l’écriture et de la réalisation: elle dit tout ce qui est nécessaire mais rien de trop. Vers la fin, la projection sur le décor des maisons, elles-mêmes aussi fragiles qu’un décor, sous un ciel redevenu bleu, renvoie de façon impressionnante à ce que nous avions jusque là perçu et imaginé.

François Hiene nous donne ouvertement à réfléchir. Dans quel monde vivons-nous pour choisir le rêve -la mer- malgré un danger réel (réchauffement climatique et donc, montée des océans)? Combien de temps  durent l’empathie et la compassion envers les victimes? Nous pensons, bien sûr, aux attentats de 2.015 et aux traumatismes, au sentiment de culpabilité des survivants : « Je n’ai pas su le ou la protéger»… Et la peur du danger? Et l’oubli du danger? L’auteur lui-même le dit clairement : «La Faute essaye de se faire l’écho d’une époque, à la fois désinvolte et angoissée par sa propre fin ; jouisseuse et dévorée d’angoisse, une époque où le confort et la menace coexistent.». Après la première, l’auteur suggéré quelques coupes, traquant dans son texte des passages trop explicatifs pour être dramatiques. Il a raison mais le spectacle est déjà là, riche et clair, avec même des moments d’humour. Et le public, jeune, l’a bien reçu.

Christine Friedel

Théâtre du Point du Jour, 7 rue des Aqueducs, Lyon (V ème), jusqu’au 11 octobre.

Théâtre des Célestins, Lyon, du 17 novembre au 5 décembre.

La Révolte des canuts, échos de la fabrique sera créée les 24 et 25 juin, au Théâtre des Célestins, Lyon.

 

 

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