La Faute de François Hien, mise en scène d’Angélique Clairand et Éric Massé
La Faute de François Hien, mise en scène d’Angélique Clairand et Éric Massé
L’auteur a écrit plusieurs pièces dont celle-ci, pour des compagnies à Lyon et dans sa région. Avec L’Harmonie Communale, il a créé le plus souvent dans une mise en scène collective: La Crèche-Mécanique d’un conflit au Théâtre de l’Elysée en 2019, Olivier Masson doit-il mourir? et au Théâtre des Célestins, l’an dernier, La Peur. Et ne 2021, dans ce même lieu: La Honte… Avec le Collectif X, il mène de 2017 à 2019 une résidence artistique dans le quartier de la Duchère dont il tire L’Affaire Correra, recréée au T.N.P. cette année. En collaboration avec l’Opéra de Lyon, le collectif X et l’Harmonie communale, il travaille actuellement sur Echos de la Fabrique, une grande fresque historique autour de la révolte des Canuts, qui sera interprétée par une centaine de comédiens amateurs, encadrés par des professionnels l’an prochain au Théâtre de la Renaissance. Avec Jérôme Cochet, il coécrit Mort d’une montagne, un spectacle qui sera créé au Théâtre du Point du Jour.
La Faute ? Une affaire de moments successifs avec, en amont, le modeste rêve d’une maison «pieds dans l’eau » !, dans cette station balnéaire de Vendée peu connue, mais au nom terriblement ironique: La Faute-sur-mer dotée d’une longue plage de sable blanc. Ensuite, inattendue, monstrueuse: la catastrophe! La tempête Xynthia submerge tout un nouveau quartier, dit «le petit paradis», construit à 1,50 m en-dessous du niveau de la mer!!! Bilan : vingt-neuf morts, prisonniers de leur maison sans étage inondée, de style «vendéen» mais surtout de style: pas cher et vite fait/mal fait. Viendra le temps des deuils, accusations et procès à l’issue insatisfaisante. Et de l’oubli: les dernière bâtiments sinistrés ont été rasées. Aujourd’hui, la municipalité a le projet de faire construire un «skate-park» dans cette cuvette…
À qui la faute? Qui a déclaré ces terrains: constructibles? Accointances maffieuses entre le maire et les promoteurs: pourquoi tant de hâte à faire signer des actes d’achat, avant même la parution d’un texte législatif anti-submersion ? Allait-on se laisser faire par un «Paris» imposant des mesures de précaution, avec à la clé, des tracasseries administratives? Mais on criera moins contre l’État quand il indemnisera, et au prix fort, les sinistrés… Et encore, où est allé exactement cet argent ?
François Hien a été documentariste et a étudié cette histoire tragique pour écrire mais sans pathos cette pièce. Les informations données, terribles, se suffisent à elles-mêmes. Ici, un couple de lanceurs d’alerte crie dans le désert, même s’il a, bien sûr, des arguments scientifiques. Après cette catastrophe, ils ont constitué, avec les survivants, l’A.V.I.F., une association des victimes . «Portrait de groupe », dit l’auteur: autour du couple, un homme refusant de quitter sa maison construite de ses propres mains, une mère qui a sauvé ses filles, un autre homme qui a perdu sa femme et deux de ses enfants… Amertume : vous voulez savoir qui pleure ? Ceux qui ont perdu des biens matériels. Ceux qui ont perdu un ou plusieurs proches, eux, ne pleurent pas. »Ici, les personnages sont incarnés de différente manière : les lanceurs d’alerte, les membres de l’association sont joués par les mêmes acteurs et actrices mais les témoins au procès, l’avocate… échangent leurs rôles d’un geste : mettre une autre veste, serrer ses cheveux en chignon , etc. Et sans nuire une seconde au rythme de la pièce. Ici, un couple de lanceurs d’alerte crie dans le désert, même s’il a, bien sûr, des arguments scientifiques. Après cette catastrophe, ils ont constitué, avec les survivants, l’A.V.I.F., une association des victimes . «Portrait de groupe », dit l’auteur: autour du couple, un homme refusant de quitter sa maison construite de ses propres mains, une mère qui a sauvé ses filles, un autre homme qui a perdu sa femme et deux de ses enfants… Amertume : vous voulez savoir qui pleure ? Ceux qui ont perdu des biens matériels. Ceux qui ont perdu un ou plusieurs proches, eux, ne pleurent pas. »
Mise en scène et comédiens excellents: cela va du théâtre naturaliste, au théâtre-récit, avec adresses au public, discours… Et l’on redécouvre ici que la rhétorique est un art. Le personnages du maire relève encore d’un autre style, presque guignolesque celui-là (on est à Lyon) : garçons et filles jouent tour à tout le rôle de cet élu, munis d’une simple béquille comme signe suffisant d’une gestion municipale boiteuse… Scénographie remarquable signée Jane Joyet, dans l’esprit de l’écriture et de la réalisation: elle dit tout ce qui est nécessaire mais rien de trop. Vers la fin, la projection sur le décor des maisons, elles-mêmes aussi fragiles qu’un décor, sous un ciel redevenu bleu, renvoie de façon impressionnante à ce que nous avions jusque là perçu et imaginé.
François Hiene nous donne ouvertement à réfléchir. Dans quel monde vivons-nous pour choisir le rêve -la mer- malgré un danger réel (réchauffement climatique et donc, montée des océans)? Combien de temps durent l’empathie et la compassion envers les victimes? Nous pensons, bien sûr, aux attentats de 2.015 et aux traumatismes, au sentiment de culpabilité des survivants : « Je n’ai pas su le ou la protéger»… Et la peur du danger? Et l’oubli du danger? L’auteur lui-même le dit clairement : «La Faute essaye de se faire l’écho d’une époque, à la fois désinvolte et angoissée par sa propre fin ; jouisseuse et dévorée d’angoisse, une époque où le confort et la menace coexistent.». Après la première, l’auteur suggéré quelques coupes, traquant dans son texte des passages trop explicatifs pour être dramatiques. Il a raison mais le spectacle est déjà là, riche et clair, avec même des moments d’humour. Et le public, jeune, l’a bien reçu.
Christine Friedel
Théâtre du Point du Jour, 7 rue des Aqueducs, Lyon (V ème), jusqu’au 11 octobre.
Théâtre des Célestins, Lyon, du 17 novembre au 5 décembre.
La Révolte des canuts, échos de la fabrique sera créée les 24 et 25 juin, au Théâtre des Célestins, Lyon.