Zébrures d’automne 2021 à Limoges (suite)
Zébrures d’automne 2021 à Limoges (Suite)
Une Pierre de patience (A Journey towards a short story) adaptation du roman d’Atiq Rahimi, texte additionnel de Ximo Solano, mise en scène de Clara Bauer
Le titre dit bien la nature de cette pièce. Clara Bauer et Ximo Solano racontent le « voyage » qui les a amenés à adapter ce roman au théâtre et comment ils insèrent ici des passages du texte. Ils ont écrit des scènes à partir de leur propre expérience et de celle des interprètes, construisant une structure où s’enchâsse, par séquences, tel un diamant, Syngué sabour, Pierre de patience, porté avec un grand talent par Kalieaswari Srinivasan.
Cette actrice indienne incarne une femme qui, au chevet de son mari, agonisant après avoir reçu une balle dans la nuque, confie ses secrets les plus intimes au moribond. « Syngué sabour » est la pierre qui libère la parole et à qui la jeune épouse confesse qu’elle a trouvé la tendresse hors d’un mariage sans amour… Elle se délivre ainsi de sa culpabilité et du poids de la religion.
Pour ce roman écrit en français contrairement à ses œuvres précédentes, l’auteur afghan avait reçu le prix Goncourt en 2008 et en a tiré un film, avec, comme coscénariste, Jean-Claude Carrière. L’idée du spectacle est née chez Ximo Solano, après qu’il ait découvert le livre et le film, puis de sa rencontre à Pondichéry, avec Kalieaswari Srinivasan.
En préambule, Ximo Solano se lance dans un récit loufoque, rejoint par ses compères Pako Ioffredo et Gaetano Lucido, tout aussi fantaisistes. La metteuse en scène a tissé leurs textes écrits à partir d’improvisations qui contrastent avec la langue minimaliste d’Atiq Rahimi. Et la chanteuse syrienne Aida Nosrat prête sa voix et sa prestance à cette pièce d’une heure quinze. Les séquences d’Une Pierre de patience sont ciselées et poignantes grâce à l’interprétation concise et retenue de l’actrice mais les saillies des trois autres acteurs sont décousues, anecdotiques… Le mariage entre ces styles d’écriture et de jeu est loin d’être consommé. Dommage… Au moins, avons-nous découvert la voix chaude d’Aida Nosrat et la présence lumineuse de Kalieaswari Srinivasan. Et avons-nous eu aussi l’envie de lire Atiq Rahimi…
Le roman est publié aux éditions Gallimard.
Loin de Damas d’Omar Youssef Souleimane par l’Horizon Recherches et Créations
« Ici sur cette terre étrangère/ Rien d’autre que la nudité de l’existence». Par ces vers se termine la mise en voix et en musique des poèmes d’Omar Youssef Souleimane, choisis parmi la cinquantaine du recueil. La Syrie, une terre massacrée, des balles qui sifflent. La guerre. La mort. Et, malgré tout, l’espoir. Loin de Damas, un chant d’exil, porte sans pathos un regard cru et rebelle, une colère froide sur fond de nostalgie. Le parfum du café partagé avec le père, vient guérir les plaies ouvertes par la guerre, le souvenir d’une hanche effleurée fait oublier la solitude. Et la balle d’un sniper n’entame pas la fureur de vivre au-delà du chaos…. Loin d’un pseudo-style littéraire, d’une souffrance factice, le poète syrien parle, dans un français épuré, de la résistance, de l’exil, de la séparation…
Les vidéos de Johann Fournier en rendent compte et il nous emmène dans un no man’s land où s’allument des feux et fusent des balles traçantes. Les textes sont lus à de nombreux micros et la mise en scène en fragments témoigne d’un monde fracassé. Mais Eric Chaussebourg met dans son interprétation trop de lyrisme et , casse la vigueur et la modernité de ce texte qui perd donc en véracité, malgré les compositions en rupture, tantôt rock, tantôt planantes de Wilfried Hildebrandt, au clavier et à la guitare. Mais ces artistes nous font entendre la poésie de ce recueil qu’il faut lire comme, de ce même auteur, La Mort ne séduit pas les ivrognes lauréat du Prix Amélie Murat 2016.
Loin de Damas est paru aux éditions Le temps des cerises.
La Mer est ma nation d’Hala Moughanie, mise en scène d’Imad Assaf
Le metteur en scène annonce la couleur: «Exil, déracinement et territorialité désastre écologique, vicissitudes du couple, patriarcat, stigmates de la guerre. Cette pièce est une radiographie clairvoyante de nos sociétés qui remue le couteau dans les plaies de notre humanité. » Un homme et sa femme vivent dans une décharge aux confins d’une ville. Arrivent deux étrangères -une mère et sa fille- fuyant un pays en guerre et qui espèrent s’embarquer en mer. Pour défendre son lopin de terre, le couple s’entoure de barbelés… Malgré cette frontière dérisoire, un dialogue s’établit entre ces victimes de sociétés malades et violentes.
« Mon écriture est toujours symbolique, dit Hala Moughanie. La pièce se situe dans un non-lieu symbolisant le surplus du capitalisme mais renvoie aussi à l’ordure en nous.» Ici, l’autrice démonte sans concession les mécanismes de domination à l’œuvre dans le couple, et avec un humour terrifiant, les horreurs infligées aux femmes en temps de guerre… Sur cette terre baignant dans une brume permanente, il y a une cabane et la scénographe Manon Grandmontagne réussit à créer un no man’s land où les limites se brouillent. Mari et femme se chipotent sur la distance et la couleur des pinces à linge sur l’étendage… L’amour a foutu le camp… Les fugitives, hagardes, désorientées, ne comprennent rien à ce territoire mais la mère ne tarde pas à conter leur triste et terrifiante épopée où s’exprime leur propre violence.
La cruauté se déguise en humour macabre sous la plume acérée de l’autrice mais le metteur en scène n’a pas toujours su trouver la bonne distance pour échapper au pathos. Le jeu des comédiens s’allègera sans doute pour que le public puisse goûter pleinement cette fable qui fait la part belle aux femmes et à leur capacité de résistance. «Pourtant, dit Hala Moughanie, mes personnages féminins ne sont pas forcément sympathiques. Je décortique un fonctionnement plus complexe, la duplication matriarcale d’un schéma patriarcal violent. »
Il faut découvrir cette écriture qui se refuse au manichéisme et qui, au-delà des drames individuels, se réfère à un contexte plus large. L’autrice rappelle que cinquante pour cent de la population vivant sur le territoire libanais vient d’ailleurs, où sont récemment arrivés deux millions de Syriens. «On voit la société se déliter mais rester à Beyrouth est un choix assumé, dit-elle, et c’est là que je voudrais inscrire ma parole. »
Mireille Davidovici
La Mer est ma nation spectacle vu au Sirque de Nexon le 2 octobre.
En mai et juin, Hamana Artist House (Liban).
Loin de Damas vu à l’Espace Noriac, Limoges (Haute-Vienne).
Le 5 février, La Rochelle (Charente-Maritime).
Le 30 juillet, festival L’Horizon fait le Mur, La Laigne (Charente-Maritime)
Les Zébrures d’automne ont eu lieu du 22 septembre au 2 octobre.Les Francophonies, des écritures à la scène, 11 avenue du Général de Gaulle, Limoges (Haute-Vienne). T. : 05 55 10 90 10.