Dansons sur le malheur par la compagnie Jérôme Thomas
Dansons sur le malheur par la compagnie Jérôme Thomas
Jérôme Thomas, figure majeure du jonglage, est le créateur des premiers solos de cette discipline exigeante et a fondé en 1992, un Atelier de Recherche en Manipulation d’Objets et sa compagnie. Dans chacune de ses créations, il repousse les frontières de son art en lui faisant subir des métamorphoses surprenantes. Il n’hésite pas à convoquer le théâtre, la danse où le théâtre d’objets pour repousser les limites de la jonglerie et la confronter à d’autres pratiques artistiques. Quand il réussit son coup et que l’alchimie opère, c’est tout à fait sublime comme dans FoResT (2013). Mais le résultat est parfois mitigé, notamment avec i-Solo (2019), voire prétentieux : c’est le cas pour cette création….
Nous entrons dans le très intimiste chapiteau du cirque Lili, une singulière structure auto-portée créée en 2001 ressemblant à un manège en bois et toile rouge. La scène est pleine remplie d’œufs pour certains suspendus à de grandes tiges métalliques, et pour d’autres, posés sur le sol. Au centre, un autre œuf culbuto d’environ quatre-vingt centimètres, ajouré de lames de xylophone. L’ensemble évoque une constellation planétaire et des fumigènes mettent un peu de mystère dans cette singulière scénographie aux belles promesses…
Deux femmes entrent dans le chapiteau, habillées de costumes trop grands pour elles et une voix off annonce : « Si la terre était un œuf, dans quelles mains le déposerions-nous ? » Puis sont évoqués : l’infiniment grand, l’infiniment petit, les continents, les pays et les villes, des champs, une maison, une poule et un œuf. « Il s’agit ici, comme le dit Jérôme Thomas, de mettre en scène une métaphore de l’inconscience humaine face à l’urgence écologique. » Comme des cosmonautes en apesanteur, les jongleuses passent entre les œufs puis avancent en gonflant les joues. Elles commencent une petite chorégraphie avec un pied au-dessus de deux œufs posés sur le sol puis découvrent ensuite l’espace entier et l’œuf central, une matrice musicale qui va faire vibrer le duo. Désorientées, elles agissent comme des pantins et ensuite manipulent à quatre mains sur une grande table des balles de jonglage qui apparaissent puis disparaissent derrière leur avant-bras, dans une glissière.
Les lumières se focalisent alors sur un groupe d’œufs, avec, en fond sonore, les voix off des deux femmes : « Qu’est-ce que c’est ? » répètent-elles en boucle. S’en suit un jonglage avec des œufs, sortis des poches de leur veste, qui font le tour de la scène comme des vaisseaux spatiaux. Les interprètes aussi tournent sur elles-mêmes et l’une tombe plusieurs fois de suite dans des contorsions nerveuses. Un œuf prend vie, se déplace tout seul et entre alors en résonance avec le corps de la danseuse, prise de spasmes…
Plusieurs autres tableaux se succèdent mais aucun espoir de trouver un intérêt quelconque à ce spectacle malgré un réelle virtuosité dans l’utilisation de gants en latex et de bâches plastiques… Et on touche le fond, quand les interprètes imitent des poules, dans un déguisement ridicule avec lunettes pailletées. Sur une musique dissonante, la séquence finale, tout de bruit et de fureur, est mal maîtrisée : elles déversent des déchets de plastique puis des feuilles tombent du chapiteau sur un plateau tournant comme une planète, clôturant ainsi ce cycle par un retour à la nature…
Mais rien ici ne fonctionne vraiment: le metteur en scène, à vouloir trop mixer genres et disciplines, s’est perdu dans un fourre-tout poussif où il y a un manque apparent de technique mais aussi de travail et synchronisation. Ses interprètes dansottent, jonglottent, grimacent grossièrement et jouent la comédie à l’emporte-pièce… Bref, tout sonne faux et nous avons de la peine pour Gaëlle Cathelineau et Elena Carretero qui semblent perdues. Comment ce bloubi-boulga a-t-il pu être ici présenté? Manque de discernement de son auteur, erreurs de distribution? A moins que toute cette mascarade artistique ne soit à prendre au deuxième degré ? En tout cas, impossible d’entrer dans ce planétarium imaginé par Jérôme Thomas.
Sébastien Bazou
Spectacle vu le 15 octobre, au cirque Lili, La Chartreuse, Dijon (Côte d’Or).