K ou le Paradoxe de l’arpenteur, d’après Le Château, de Franz Kafka, adaptation et mise en scène de Régis Hébette

K ou le Paradoxe de l’arpenteur, d’après Le Château de Franz Kafka, adaptation et mise en scène de Régis Hébette

 Une situation justement kafkaïenne: l’enfer administratif que tout le monde connaît et qui détruit les plus faibles. En gros, trouve un logement celui qui en a déjà un, puisqu’il faut donner une adresse et trouve du travail, celui qui en a déjà un… Dans Le Château, son auteur va bien plus loin que les tracasseries d’une bureaucratie obtuse et absurde : est ici en jeu la condition même de l’humanité, sous son aspect socio-politique. Quelque part, au « château », le pouvoir règne sur une hiérarchie infinie, de haut en bas, jusqu’au village  tout proche.

 

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L’arpenteur K s’y rend (humour noir de la langue !) en confiance, avec sa lettre de mission pour travailler à ce château dont il n’atteindra jamais, ne serait-ce qu’un premier fonctionnaire. Il restera cantonné en bas, face au maire du village, à un instituteur faible et arrogant et à un brave messager, plus ou moins autoproclamé. Il sera, de plus, flanqué de deux aides grotesques et inquiétants, qui ressemblent bien aux « guides » ou “traducteurs » des pays totalitaires, préposés à la surveillance des étrangers.

Les filles ont un regard nettement plus favorable sur le nouveau venu : Olga, qui est de la famille du messager, Frieda employée à l’hôtel des messieurs où elle servait à boire au puissant et invisible Klamm, et Pepi, sa remplaçante, qui, elle au moins, de mettre le feu à tout ça… Amalia, dans sa famille réprouvée par sa soi-disant faute : elle a repoussé le avances grossières d’un “Monsieur“ du château, sera la seule à tenter de lui ouvrir les yeux. L’arpenteur K, donc arrivé un jour de neige, refoulé de tout refuge, soumis à la torture de privation de sommeil, reçu dans la seule maison des parias, rabaissé, humilié, effaré, mais toujours sûr de sa mission, finira par perdre sa tranquille assurance de bon professionnel venu faire son métier. Destin inspiré par la devise de Michael Khoohlas chez  Kleist : « Fiat justitia et pereat mundus »  : « Que la justice s’accomplisse, le monde dût-il s’effondrer). Paradoxe de l’arpenteur…

L’adaptation du roman par Régis Hébette est scrupuleuse et précise. Il en extrait des dialogues qui sont presque déjà des scènes. Le tempo ne faiblit pas, grâce aux comédiens qui manipulent avec humour caissons de bois, murs, meubles, boîtes à malices et à double fond… Ils glissent d’une scène à l’autre et métamorphosent les lieux. Pour l’arpenteur K, ce sont autant de pièges, chausse-trappes et surprises y compris celle de trouver un moment de bienveillance ou un court refuge. Ghislain Decléty incarne avec constance à la fois la chute de K et sa résistance -on pourrait dire réluctance- il relance toujours, sinon le combat, du moins le défi. Jusqu’à ce qu’Amalia lui ouvre les yeux….
Nous regardons la machine à jouer et les trouvailles de ce K ou le Paradoxe de l’arpenteur avec un plaisir d’enfant, sans que cela efface l’enjeu politique du texte. Pourtant, au bout d’un moment, le spectacle paraît long, voire interminable. Et c’est juste : «Kafka ne veut pas (c’est une position éthique), dit Jean-Pierre Lefèbvre dans  une préface à ses romans, habiller esthétiquement d’un épilogue artificiel, l’abandon d’une histoire qui, par essence, n’en finit pas. » Mais comment tenir, au théâtre, la logique de l’inachevé ? Il y a bien quand même un moment où le noir se fait sur la scène et la lumière dans la salle. Mais il faudrait sans doute accentuer ou ralentir le rythme pour donner une forme théâtrale à l’inachevé. Facile à dire… Au bout du compte, ce bon et beau spectacle rend justice à Kafka, à son humour et à sa réflexion sans fin sur un monde qui commençait à déjà mal tourner en 1922, avec ses amertumes juste après la Grande guerre…

Christine Friedel

Spectacle vu à l’Échangeur, Bagnolet (Seine-Saint-Denis), jusqu’au 23 octobre. T. : 01 43 62 06 92.

Les œuvres de Franz Kafka sont publiées dans la collection La Pléiade aux éditions Gallimard.

 

 

 

 

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