Huit heures ne font pas un jour de Rainer Werner Fassbinder, traduction de Laurent Muhleisen, mise en scène de Julie Deliquet
Huit heures ne font pas un jour de Rainer Werner Fassbinder, traduction de Laurent Muhleisen, version scénique de Julie André, Julie Deliquet et Florence Seyvos, mise en scène de Julie Deliquet
Excusez le retard dû à une rentrée pléthorique. Revenons sur cette adaptation -dont les droits sont libres depuis deux ans- qui pose de sérieux problèmes. Pour Acht Stunden sind kein Tag, une série en huit épisodes réalisée pour la télévision allemande WDR de 72 à 73, Rainer Werner Fassbinder, avait eu l’idée de changer les paramètres habituels. Cette fois, les personnages ne sont donc plus des bourgeois ou des grands-bourgeois comme souvent dans les séries mais des ouvriers, membres de la famille Krüger-Epp et leurs camarades de travail à Cologne.
Jochen, la trentaine (Mikaël Treguer) continue à se battre pour les droits de la femme, la dignité du troisième âge et surtout pour plus d’équité sociale dans son entreprise où il voudrait instaurer l’auto-gestion et une meilleure organisation du travail. IL voudrait que l’on revoie radicalement la procédure d’achat des machines mais aussi l’hygiène qui laisse à désirer. Puisque ses camarades et lui en ont une expérience incomparable, que les ingénieurs et l’administration de l’entreprise n’ont pas. Mais son père (Eric Charon) sans doute échaudé par trop de luttes sans succès, n’y croit guère… Marion, l’amie de Jochen est une jeune journaliste (Lina Alsayed) dans un quotidien du coin. Ils vont se marier.
Il y a aussi sa grand-mère, à côté de la plaque et assez délirante mais drôle et toujours de bonne humeur: Evelyne Didi, cette immense actrice, forme avec Grégor, son amoureux (remarquable Christian Druillaud), un curieux couple. Et, dès qu’elle entre en scène, seule ou avec lui, elle s’impose aussitôt. Julie Deliquet a visiblement été séduite par cette peinture chorale d’un univers qui était sans doute aussi celui de la Seine-Saint-Denis il y a encore une cinquantaine d’années avec nombre de petites et moyennes entreprises industrielles… Elle est obsédée par le cinéma avec lequel elle flirte une fois de plus. Elle avait déjà adapté Fanny et Alexandre d’Ingmar Bergman et Un Conte de Noël d’Arnaud Desplechin (voir Le Théâtre du Blog) «Réel», «l’univers propre inspiré du réel», «le réel et la fiction», «la représentation sans filtre de la réalité», «le réalisme » mais aussi «la déréalisation»… Et «une vie de cinéma», «la vie sur scène», «l’amour de la vie», «la vie en direct», des mots qu’elle répète sans arrêt en quelques lignes dans sa note d’intention… Et ce n’est pas la première fois que la metteuse en scène nous fait le coup: nous ne saurons jamais si les acteurs ont reçu comme consigne de jouer mais sans vraiment jouer, tout en jouant et ce parti-pris est agaçant…
Dans Huit heures ne font pas un jour, on parle aussi beaucoup : condition ouvrière, rapports de classe, droit au bonheur, préjugés envers les immigrés, loyers trop élevés, manque de crèches. Mais bon, ce n’est pas du grand Fassbinder, celui de Liberté à Brême, entre autres et ces dialogues font souvent penser à des conversations de bistrot mais il faudrait aller voir dans le texte original* qui semble avoir été pas mal « transformé ». Et cela donne quoi sur le plateau ? On sent chez Julie Deliquet une volonté de bien faire et, par moments, il y a comme un léger frémissement, surtout quand la grand-mère et/ou le jeune couple sont là, mais le compte n’est pas là. D’abord, à cause d’une dramaturgie approximative: l’adaptation au théâtre d’une série télévisée ne sera jamais une pièce et ici, cela se sent cruellement. Les petites scènes se succédent sans véritable fil rouge autre que le milieu ouvrier. Il ne semble pas qu’un metteur en scène allemand ait tenté l’expérience, puisque Julie Deliquet nous dit que c’est une première mondiale au théâtre… Les quatorze acteurs passent avec une grande habileté d’un personnage à un autre -il y a quatre générations différentes- mais le spectacle dure deux heures et demi ! Beaucoup trop long pour ce que Julie Deliquet veut nous dire.
Par ailleurs, la metteuse en scène adore aussi jouer les scénographes, ici avec l’aide technique de Zoé Pautet. Mais le bric-à-brac qu’elle a imaginé, encombre le plateau, sonne faux et gêne la circulation de ses acteurs. Dans cette salle de repos mais aussi atelier de travail -il y a une perceuse sur colonne- et un peu partout une dizaine de tables de tout format et tout genre, dont une à tréteaux, avec une vieille porte et un bureau où poser quelques verres et une bouteille pour fêter un anniversaire! (Julie Deliquet depuis La Noce chez les petits bourgeois de Bertolt Brecht que nous avions vue il y a dix ans semble obsédée par les tables!)
Il y a aussi un vestiaire fait de casiers à clapets pour ranger les dossiers! Comprenne qui pourra… En fond de scène, des toilettes juste fermées par un rideau ( ???) , une douche ouverte où quelques ouvriers vont se laver et en haut, une petite chambre où Marion et Jochen feront l’amour. Cela veut être «une pièce multi-fonctions aux allures de vestiaire, de coulisse et s’inventer au rythme des envies de la fantaisie de ses personnages.» Mais cela ne peut pas fonctionner! De chaque côté, des châssis en tôle ondulée plastique derrière lesquels on a placé des projecteurs- mais bien visibles, sans doute pour bien montrer que nous sommes au théâtre?- laissent passer une lumière assez sinistre… Cela ira mieux ensuite quand le plateau sera débarrassé de tout ce fatras et où il ne restera qu’une longue table nappée de blanc pour le mariage. Ouf ! On respire enfin.
Côté direction d’acteurs, c’est aussi très limite et un jeune étudiant en dramaturgie à la Sorbonne nouvelle, assis à côté de nous, se plaignait de ne pas bien comprendre le texte à cause d’une diction approximative- sauf bien entendu Evelyne Didi qui se place toujours sur le plateau de façon à ce qu’on l’entende. Mais ses camarades jouent souvent de trois-quarts, voire carrément dos au public. Là il a une erreur évidente dans la direction d’acteurs. Et, comme la scène est nue et que la salle du théâtre Gérard Philipe n’est pas réputée pour son acoustique, les voix se perdent dans les cintres et tant pis pour ceux qui ne sont pas près de la scène… « Un travail d’amateur » résumait durement cet étudiant. Nous n’irons pas jusque là mais cette adaptation qui a des moments assez comiques et où on sent que ce collectif d’acteurs a mis toute son énergie, est beaucoup trop longue et manque singulièrement d’exigence. Peu de gens sont sortis mais le public était partagé: peu ou pas d’applaudissements, ou alors frénétiques. En tout cas, ces Huit heures ne font pas un jour ne feront pas non plus date dans l’histoire du théâtre contemporain! Et nous avons la nette impression que Julie Deliquet aurait pu aller beaucoup plus loin! Le spectacle part pour une longue tournée mais nous ne le recommanderons pas à nos lecteurs de province…
Philippe du Vignal
*Le spectacle a été joué jusqu’au 17 octobre, au Théâtre Gérard Philipe-Centre Dramatique National de Saint-Denis. Et en tournée, notamment à Montpellier, Toulouse, Colmar, Châteauvallon, Toulon, Limoges, Marseille, Caen…
L’intégralité du texte des huit épisodes est publiée par L’Arche Editeur.