Henry Vl de William Shakespeare, traduction de Stuart Seide, mise en scène de Christophe Rauck
Henry VI de William Shakespeare, traduction de Stuart Seide, mise en scène de Christophe Rauck
Spectacle de sortie pour la sixième promotion de l’École du Nord à Lille: seize filles et garçons jouent cette fresque en trois épisodes sur un demi-siècle avec cent-cinquante personnages. Une pièce -douze mille vers!- rarement montée dans son intégralité… Les metteurs en scène lui préfèrent Richard III, suite de la troisième partie de cet Henry VI où nait le personnage de Richard. Ici, se succèdent trahisons, assassinats, renversements d’alliances, guerres fratricides, coups d’Etat et émeutes populaires…
La guerre des Deux-Roses, une lutte sans merci pour le trône d’Angleterre, oppose les Lancaster et les York, en mettant le pays à feu et à sang, surtout sous le règne d’Henri VI, un roi bon et confiant en son prochain mais faible. Son épouse va-t-en guerre et ses courtisans mèneront donc facilement leurs intrigues… «Je voulais un texte qui soit une vraie aventure pour eux », dit Christophe Rauck, directeur jusqu’à cette année, du Théâtre du Nord et de son école, avant d’être nommé à la tête du Théâtre des Amandiers-Centre Dramatique National à Nanterre. Pour donner des outils à ces jeunes acteurs qui se confrontent ici à une grande épopée… Une belle gageure… (…) Pour moi, jouer Shakespeare, c’est faire l’ascension de l’Himalaya.» Dans la traduction du fondateur de cette école, les comédiens se lancent à l’assaut d’un texte efficace et sans afféteries, ici heureusement réduit pour épargner interprètes et spectateurs. Cécile Garcia-Fogel qui a enseigné à l’École et en connaît bien les élèves, a collaboré à la mise en scène et a réuni une distribution équilibrée….
Dans la première partie, sur fond de guerre de Cent-Ans, Shakespeare met en scène le début du règne de d’Henry VI, qui fut couronné enfant et marié, encore adolescent, à la princesse de France Marguerite d’Anjou pour mettre fin au conflit où l’armée anglaise, affaiblie par les divisions de ses chefs, devait faire face à la « sorcière » Jeanne d’Arc. Menant les troupes du dauphin de France et futur Charles VII, d’abord victorieuse la « sainte » sera emprisonnée et brûlée, ici, sans autre forme de procès. Dans la deuxième partie, feront rage les luttes entre grands seigneurs anglais et émeutes populaires de Jack Cade. Le dernier volet traite de la guerre civile : déposition puis restauration puis assassinat d’Henry VI dans la tour de Londres…par Richard de d’York, futur Richard III…
Ce texte épique aux violents affrontements verbaux est ici joué sans micro et traité comme un feuilleton où s’enchaînent les intrigues à un rythme soutenu et où les acteurs entrent avec une belle énergie… Le metteur en scène multiplie les focus: mort d’un personnage relayée sur écran, flash d’information sur une bataille ou une émeute, combats au lointain dans la brume. Jeanne d’Arc s’envolant dans les airs comme les héroïnes de films de cape et d’épée chinois…Les nombreuses péripéties sont interprétées dans un style dépouillé, très physique et les combats sont menés sur la musique d’une batterie.
De quoi faire expérimenter ici tous les styles de jeu par les acteurs dont nous reconnaissons certains, vus dans Croquis de voyage (voir Le Théâtre du Blog). On retrouve la mélancolie de Louis Albertosi (Henry Vl), la vigueur de Mathilde Auneveux (la Reine Marguerite) ou Pierre-Thomas Jourdain tout en nuances quand il est le sombre duc d’York, père de Richard III. Antoine Huillet joue un Louis XI de France fantaisiste et décalé, ou le matois Humphrey de Lancaster. Paola Valentin est une Jeanne d’Arc lumineuse et fanatique, brandissant l’épée. Joachim Fossi campe un lord Talbot matamore et Maxime Crescini joue John Cade, le tisserand rebelle et Richard III, le contrefait. Et nous citerons aussi ceux qui interprètent plusieurs autres rôles: Orlène Dabadie, Simon Decobert, Adèle Choubard, Joaquin Fossin, Nicolas Girard Micheletti, Solène Petit, Constance de Saint-Rémy, Noham Selcer, Nine d’Urse …
Un grand plateau tournant donne un véritable élan aux déplacements et bagarres. En fond de scène, les acteurs jouent à différents niveaux sur des gradins en bois brut et quelques éléments de décor symbolisent les insignes du pouvoir et délimitent les espaces. Sur un écran, s’affichent les lieux où les événements se déroulent en France et en Angleterre, comme les noms des nombreuses batailles qui jalonnent la pièce, en particulier dans la troisième partie. Mise en scène et direction d’acteurs rigoureuses : le spectacle nous nous tient en haleine et révèle l’énergie de tout un collectif. A voir comme une série: par épisodes, ou en version intégrale de quatre heures.
Mireille Davidovici
Du 15 au 24 octobre, Théâtre Nanterre-Amandiers, 7 avenue Pablo Picasso, Nanterre (Hauts-de-Seine). T. : 01 46 14 70 00.
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