Le Roi Lear de William Shakespeare, mise en scène de Georges Lavaudant

Le Roi Lear de William Shakespeare, mise en scène de Georges Lavaudant

 

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©J.L. Fernandez

Il était une fois un Roi qui avait trois filles. Aux deux premières, l’âge venu il offrit deux parts de son royaume et réserva la plus belle à sa troisième, la plus jeune et sa préférée. Mais la pièce ne peut commencer que par un : mais… Il y a en effet une condition à cette offre: avouer de la façon la plus fleurie son amour au Roi. Goneril et Regane se prêtent au jeu, avec plus ou moins d’enflure mais Cordelia refuse. Son père la bannit, ce qui aura des conséquences familiales et géopolitiques…

Gloucester, le bâtard ingrat, aimé mais trop peu honoré à son gré, écrit de fausses lettres et crée des rumeurs qui vont abuser son père, pour faire exiler et déshériter Edgar, le fils légitime. Ces premières chutes entraîneront tout le reste: ingratitude des filles aînées qui dénoncent aussitôt le contrat d’héritage, chute de l’ancien Roi, à son tour banni, passage dans la clandestinité du fidèle Kent et, parallèlement, errance de Gloucester soutenu par Edgar, devenu le « pauvre Tom », dépouillé de tout, jusqu’à son nom qui blessait si fort le bâtard Edmond. On connaît l’histoire. Les méchantes sœurs seront rivales comme dans les anciens contes, sans que la gentille cadette soit sauvée pour autant… On n’en finit pas de tirer les fils de cette toile.

Jacques Weber est Lear, patriarche jouisseur, égoïste à l’autorité jamais remise en question.  La scène du partage est plutôt raide et lente, comme pour une donation devant notaire ou comme si les personnages étaient les pièces d’un jeu d’échecs. Ce qu’ils sont, peut-être!  Lear renonce à tout mais ne veut rien perdre… Une note d’humour froid dans ce qui est juste finalement un prologue mais la scène manquait, ce soir-là, non de rythme au sens de la vitesse -la rapidité de Shakespeare à dérouler l’action suffit-, mais d’énergie et du «pourquoi on est là ».

Georges Lavaudant a pourtant pris soin de vite se débarrasser d’un trône réduit au minimum et il n’ y a aucun siège, ou presque où s’asseoir : ce qui pourrait ralentir l’action. Très vite (merci, William) le roi Lear jeté dans la lande, apostrophe orages et vents, moins cruels, dit-il, que ses ingrates de filles. Là, le ton monte et la vitalité du vieux roi éclate. A ce moment, au sens latin de movimentum, ce qui fait bouger, la pièce commence. En écho, Gloucester, torturé et aveugle, peut y voir clair. François Marthouret en donne une vision tendre et retenue, celle d’un enfant incapable de voir venir le mal… Le Lear de Jacques Weber est une sorte de gros bébé furieux dont on nie la toute puissance. Encore un thème de méditation sur l’inépuisable génie de Shakespeare: le temps est bouleversé, comme dirait Hamlet et les vieillards deviennent de petits enfants, trouvant là leur vérité d’homme et leur rédemption… Pour enfoncer le clou, trois philosophes accompagnent l’action: le Fou dont c’est le métier (irrésistible Manuel Le Lièvre), Kent en fuite et déguisé (Babacar M’Baye Fall) et Edgar métamorphosé en «pauvre Tom» (Thibault Vinçon, remarquable de sobriété dans un rôle qui se prête aux grimaces du corps.) Qu’est-ce que l’homme? Un bipède nu…Une vérité qui éclaire cette affaire de pères dépouillés de leur pouvoir,  et même de leur existence!

Sur leur territoire de confort et de puissance, les filles jalouses (Astrid Bas et Grace Seri) belles empoisonneuses empoisonnées, finiront par s’entretuer pour le bel Edmond. Dans cette mise en scène, rien ne s’attarde et le public a tout juste le temps de recevoir l’information mais les actrices, tout comme Frédéric Borie et Clovis Fouin-Agoutin (les maris des filles de Lear) ne peuvent développer vraiment leur jeu. Edmond (Laurent Papot) a plus de chance et vient confier ses noirs desseins face public et en pleine lumière.
Le ton est sérieux et l’ironie du sort prête à sourire. Jusqu’au moment où la guerre, déclenchée par le bannissement de Cordelia, nous offre un moment de grand lyrisme avec la marque de fabrique de Georges Lavaudant: éclairs, hymnes fracassants et cascades de débris. Une très belle idée, sur l’immense plateau nu du Théâtre de la Porte Saint-Martin  dont  la «cheminée»  avale un peu les voix : au lointain, un mur d’obscurité absorbe les silhouettes des acteurs, comme des fantômes fondus dans un cauchemar.

Splendide traduction de Daniel Loayza souvent versifiée en alexandrins jouée par les personnages (en particulier Le Fou) sans artifice, dans leur plénitude naturelle et avec une musique juste qui n’ôte rien à l’action. La chair du spectacle est là, saisie à pleines mains par Jacques Weber, à la tête de la troupe…

Christine Friedel

Théâtre de la Ville hors-les-murs, au Théâtre de la Porte Saint-Martin, Paris (X ème) jusqu’au 28 novembre.


Archive pour 9 novembre, 2021

Grammaire des mammifères de William Pellier, mise en scène de Jacques Vincey

Grammaire des mammifères de William Pellier, mise en scène de Jacques Vincey

Un texte qui ne ressemble à aucun autre et qui donne du grain à moudre aux acteurs. A la fois bourré à craquer et plein de trous, très écrit -et pour cause, il s’agit quand même de grammaire- et voué à l’improvisation, il explose les codes théâtraux en les mettant en lumière comme jamais.

En trois temps, aura été explorée la nature même de l’acte théâtral. Cela commence dans le hall, avec le serment des comédiens : « Moi, (nom et prénom), fille de (prénom et nom), mon père et de (prénom, nom) ma mère née (nom de jeune fille), née à (lieu de naissance) reconnaît pouvoir être capable de restituer l’œuvre en question à l’endroit comme à l’envers, par cœur et entièrement – Je le jure. Et si je me trompe, que je me frappe la poitrine en disant merde je suis un traître à l’œuvre.»

Un serment prononcé dans la salle… Le public, un peu interloqué et déjà pris à partie va avoir son tour : face à la pénombre de la salle, de mystérieux êtres velus, mais végétaux, lui susurrent un rituel de concentration façon gourou, avec une ironie assez altière, qui pourrait amener tout un chacun au sommeil, mais surtout à sa vérité de spectateur : « Vous désirez, vous avez des désirs (…), vous n’avez pas un seul désir, vous avez toutes sortes de désirs ». Et surtout aussi à sa responsabilité  : c’est ton désir, ton attente, ami, qui rend possible le théâtre.

Et les comédiens ne se privent pas de faire durer le plaisir, attentifs à l‘organisation de la langue et aux mots, avec un respect tout particulier pour le mot sexe, prononcé :sek-se, qui doit faire frémir tous ces corps, là en face, dans l’ombre des fauteuils.  Le public étant à la fois concentré et troublé, la troisième phase peut commencer. À manipulation, manipulation et demi.  Avec sur la scène éclairée, un jeu de récits, courtes scènes ou plutôt mouvements .Dans ce spectacle auto-régénérateur, chaque moment implose pour donner naissance au suivant, une destruction de la destruction… Des gens racontent, vivent des bouts de vie, des extraits de théâtre, y compris un échantillon hilarant de « vieux théâtre » dans l’angoisse constante d’être « pénétré »par l’autre. Sommes–nous si perméables à la persuasion, à l’humiliation ?

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Un spectacle impossible à raconter… Les  personnages , en caleçon ou slip pour les garçons, en dessous pour les filles, créent une situation paradoxale  avec  mise à nu, abandon des dignités sociales, fragilité et gêne dégoupillés par l’aisance de ces jeunes comédiens, eux bien dans leur peau. Elles et Ils en perpétuel mouvement, inversent le regard. Avec une  vitalité et une joie d’être ensemble, ils créent un théâtre tonique et revigorant : oui, il faut montrer les petites misères contemporaines, le quidam qui veut tout, a peur de tout -et d’abord de  manquer-, de ne pas être vu et pas être aimé… Cohésion et dynamique de la troupe: le public se sent allégé, allègre, même s’il y a des moments où il ne comprend rien ou autrement dit, ne comprend pas tout.

Pas grave, entraîné dans ce « perpetuum mobile », il est prêt à recevoir tous les retournements et flèches de gravité car nos mammifères sont quand même des êtres sociaux et politiques. Ajoutons le plaisir visuel. Cela commence avec des bâches de plastique couvrant de mystérieuses collines : ôtées une à une et aussitôt récupérées pour le jeu, elles se révèleront être des gradins -comme notre miroir-, jungle de plantes vertes:  métaphore de l’homme inutile, ou plus exactement néantisé, effacé derrière une fonction décorative (juste revanche pour les femmes trop souvent admises dans les hautes sphères du pouvoir comme des plantes vertes … Le tout fait d’éléments récupérés d’autres spectacles devant un magnifique panorama inspiré par le Jardin des Plantes à Paris.

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Autrement dit : avec cette promenade au jardin d’Alice, cette sorte de boule à neige au dessus des palmiers, cette fantaisie insaisissable, aura été rarement exposé avec une telle clarté ce qu’est le théâtre : un échange entre public et acteurs, ici dans cette supposée désintégration du théâtre. Jacques Vincey l’a bien compris, qui a créé avec ces jeunes interprètes (enfin un mot épicène!) l’organisation esthétique de l’affaire.

 Chapeau à ces acteurs et à leurs camarades  artistes…Ils ont déjà un solide bagage en  musique et danse, ce qui leur permet de déployer leur jeu. Nous avons entendu un fort joli chœur, n’en déplaise à l’auteur qui avoue détester ce mot. Bref, une bonne occasion pour s’égarer, se faire plaisir et respirer autrement. Rien de tel qu’entrer dans un monde onirique, pour reprendre pied dans celui-ci…

Christine Friedel

Théâtre Olympia, Tours, jusqu’au 13 novembre. T. : 02 47 64 50 50.

Théâtre National de Bordeaux-Aquitaine du 1 er au 4 décembre. T. : 05 56 33 36 60.

 

 

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