La Honte de Jean-François Hien, mise en scène Jean-Christophe de Blondel

La Honte de Jean-François Hien, mise en scène Jean-Christophe de Blondel

 

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Un universitaire d’âge mûr et sa jeune doctorante. Un conseil à demander, un point à vérifier d’urgence, ils se retrouvent chez lui, un soir en l’absence de l’épouse, elle aussi, universitaire. Un peu de musique, un moment de danse, un, deux, trois verres de porto : l’homme y lit le consentement de la jeune femme à aller plus loin. Elle-même sent qu’elle n’y échappera pas, sans pourtant y être contrainte, y mettant même du sien pour qu’on en finisse. Une banale soirée arrosée mais aux conséquences beaucoup plus graves qu’il n’y paraît : malaise et dépréciation de soi pour elle, enquête disciplinaire pour abus de position dominante et risque de révocation pour lui.

Une pièce sur le consentement mais avec une réflexion qui va beaucoup plus loin : l’homme ne sait pas se poser les bonnes questions, ni prendre en considération les signes envoyés par l’autre. Depuis le mouvement Metoo, les mécanismes de soumission et domination ont été observés avec une acuité nouvelle. François Hien* et Jean-Christophe Blondel se sont emparés du thème, au croisement direct de l’intime et du politique, pour un théâtre agissant. Sans s’accrocher à un hyper-féminisme réducteur, ils donnent toutes leurs chances aux personnages, y compris aux hommes : Louis Worms est plutôt un bon maître de thèse, attentif, sans prétention, époux d’une femme qu’il considère comme supérieure à lui, à laquelle il est presque fidèle, oubliant une aventure d’une certaine durée avec sa collègue Clémence. « Presque» : une petite lumière orange clignotante s’allume : un arrangement qui permet de ménager  la chèvre et le chou mais interdit d‘être au clair avec soi-même et rend la sexualité masculine «naturelle» ? Pour l’auteur, il y a là un point délicat à travailler, une recherche fine au croisement de la psychologie, de la sociologie, de la politique, des théories du langage… Un résultat passionnant, comme dans toute recherche approfondie qui ouvre de nouveaux chemins de pensée.

François Hien écrit de la façon la plus explicite qui soit, les suites d’un acte opaque. En deux temps : exposé des faits, puis mise en débat entre Clémence et Mathieu, des collègues de Louis et plus  autrefois, pour Clémence, à la fois accusateurs et défenseurs. Comme il l’avait fait avec La Faute (voir Le Théâtre du blog), l’auteur nous redonne le plaisir d’une rhétorique à l’opposé de la manipulation, vers la recherche et la découverte de la vérité. Du moins d’une vérités jusque là impensée. Mais si « mettre les mots » fait avancer la conscience des choses, cela suffit-il à guérir la honte ? Au moins ne pèsera-t-elle plus sur les mêmes épaules…

Implacable dialectique :La Honte s’adresse directement au public, pris pour jury dans l’affaire. Aucune lourdeur : la pièce est si bien écrite et les interprètes si engagés que tous les mots deviennent action. Ils font rire parfois, non par dérision ou ironie, mais par leur justesse à tomber droit sur une vérité. John Arnold et Noémie Pasteger sont émouvants, sans chichi : fausse séduction sur vrai malentendu,.Pauline Sales et Yannick Landrein, exemplaires en procureurs-avocats, sont venus avec chacun son bagage de vécu et d’idéologie. Personne n’en remet une couche, ce serait inutile. Et c’est tout à l’honneur des hommes féministes, Jean-Christophe de Blondel a signé une mise en scène fine et précise et des filles ont pris en charge scénographie, lumières et musique. Un spectacle bienveillant mais sans indulgence, une bonne catharsis qui nous secoue et donne des forces, sans évacuer la nuance ni la tendresse chez ces anti-héros d’une tragédie banale. Les dieux aveuglent ceux qu’ils veulent perdre….

Christine Friedel

Théâtre de Belleville,16 passage Piver, au 94 boulevard du Temple, Paris (XI ème) T. : 01 48 06 72 34.

 


Archive pour 11 novembre, 2021

La Honte de Jean-François Hien, mise en scène Jean-Christophe de Blondel

La Honte de Jean-François Hien, mise en scène Jean-Christophe de Blondel

 

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Un universitaire d’âge mûr et sa jeune doctorante. Un conseil à demander, un point à vérifier d’urgence, ils se retrouvent chez lui, un soir en l’absence de l’épouse, elle aussi, universitaire. Un peu de musique, un moment de danse, un, deux, trois verres de porto : l’homme y lit le consentement de la jeune femme à aller plus loin. Elle-même sent qu’elle n’y échappera pas, sans pourtant y être contrainte, y mettant même du sien pour qu’on en finisse. Une banale soirée arrosée mais aux conséquences beaucoup plus graves qu’il n’y paraît : malaise et dépréciation de soi pour elle, enquête disciplinaire pour abus de position dominante et risque de révocation pour lui.

Une pièce sur le consentement mais avec une réflexion qui va beaucoup plus loin : l’homme ne sait pas se poser les bonnes questions, ni prendre en considération les signes envoyés par l’autre. Depuis le mouvement Metoo, les mécanismes de soumission et domination ont été observés avec une acuité nouvelle. François Hien* et Jean-Christophe Blondel se sont emparés du thème, au croisement direct de l’intime et du politique, pour un théâtre agissant. Sans s’accrocher à un hyper-féminisme réducteur, ils donnent toutes leurs chances aux personnages, y compris aux hommes : Louis Worms est plutôt un bon maître de thèse, attentif, sans prétention, époux d’une femme qu’il considère comme supérieure à lui, à laquelle il est presque fidèle, oubliant une aventure d’une certaine durée avec sa collègue Clémence. « Presque» : une petite lumière orange clignotante s’allume : un arrangement qui permet de ménager  la chèvre et le chou mais interdit d‘être au clair avec soi-même et rend la sexualité masculine «naturelle» ? Pour l’auteur, il y a là un point délicat à travailler, une recherche fine au croisement de la psychologie, de la sociologie, de la politique, des théories du langage… Un résultat passionnant, comme dans toute recherche approfondie qui ouvre de nouveaux chemins de pensée.

François Hien écrit de la façon la plus explicite qui soit, les suites d’un acte opaque. En deux temps : exposé des faits, puis mise en débat entre Clémence et Mathieu, des collègues de Louis et plus  autrefois, pour Clémence, à la fois accusateurs et défenseurs. Comme il l’avait fait avec La Faute (voir Le Théâtre du blog), l’auteur nous redonne le plaisir d’une rhétorique à l’opposé de la manipulation, vers la recherche et la découverte de la vérité. Du moins d’une vérités jusque là impensée. Mais si « mettre les mots » fait avancer la conscience des choses, cela suffit-il à guérir la honte ? Au moins ne pèsera-t-elle plus sur les mêmes épaules…

Implacable dialectique :La Honte s’adresse directement au public, pris pour jury dans l’affaire. Aucune lourdeur : la pièce est si bien écrite et les interprètes si engagés que tous les mots deviennent action. Ils font rire parfois, non par dérision ou ironie, mais par leur justesse à tomber droit sur une vérité. John Arnold et Noémie Pasteger sont émouvants, sans chichi : fausse séduction sur vrai malentendu,.Pauline Sales et Yannick Landrein, exemplaires en procureurs-avocats, sont venus avec chacun son bagage de vécu et d’idéologie. Personne n’en remet une couche, ce serait inutile. Et c’est tout à l’honneur des hommes féministes, Jean-Christophe de Blondel a signé une mise en scène fine et précise et des filles ont pris en charge scénographie, lumières et musique. Un spectacle bienveillant mais sans indulgence, une bonne catharsis qui nous secoue et donne des forces, sans évacuer la nuance ni la tendresse chez ces anti-héros d’une tragédie banale. Les dieux aveuglent ceux qu’ils veulent perdre….

Christine Friedel

Théâtre de Belleville,16 passage Piver, au 94 boulevard du Temple, Paris (XI ème) T. : 01 48 06 72 34.

 

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