Dark Noon,conception et mise en scène de Tue Biering, chorégraphie et mise en scène de Nhlanhla Mahlangu
Dark Noon, conception et mise en scène de Tue Biering, chorégraphie et mise en scène de Nhlanhla Mahlangu
Une scénographie trifontale avec un plateau rectangulaire couvert de poussière rouge, une sorte de faux western qui se revendique comme tel. «A la fois, dit le metteur en scène danois qui dirige le collectif Fix&Foxy, un pastiche de Sergio Leone, un remake de John Ford avec des incrustes de La Petite Maison dans la prairie. Dark Noon tient du récit épique et burlesque. Mais attention, une histoire peut en cacher une autre. »
Dans cet univers d’hommes prêts à tout, y compris à en tuer d’autres d’un simple coup de revolver pour un motif banal, des émigrés d’Europe centrale, d’Italie, etc. des cow-boys, mais aussi des prêtres, des prostituées, tous attirés par ce nouvel Eldorado quand un émigré trouva un petit caillou d’or. Massacres d’Indiens, Africains réduits en esclavage, Chinois payés une misère pour construire la grande voie de chemin de fer reliant l’Est à l’Ouest des Etats-Unis. L’exploitation de l’homme par l’homme admise comme une institution. Bref, de la violence, du racisme et de la tuerie au quotidien dans un pays en train de naître
Tue Biering a demandé à des acteurs noirs sud-africains de jouer le visage poudré de blanc des dizaines de personnages qui vont raconter cette histoire de colonisation virulente à marche forcée pour construire ce qui deviendra les Etats-Unis. Une allusion aussi très claire au pays de ces acteurs qui ont aussi souffert le temps de l’apartheid. « Dans Dark Noon, j’utilise en effet la référence du western que le public s’approprie immédiatement car c’est un genre qui lui est très familier, dit le metteur en scène. Et pour moi, c’est un moyen de questionner le concept de civilisation, être à la frontière entre ce qui serait civilisé et ce qui ne le serait pas. «
Et cela donne quoi ? D’abord une excellente direction d’acteurs tous magnifiques et qui portent à bout de bras un spectacle très inégal: Bongani Bennedict Masango, Joe Young, Lillian Tshabalala, Mandla Gaduka, Siyambonga Alfred Mdubeki , Katlego Kaygee Letsholonyana , Thulani Zwane. Dans un des deux fonds de plateau, nous pouvons voir leur visage filmé devant un paysage projeté, retransmis sur un écran avec sous-titrage, un procédé pas très original. Et qui n’est ni un film ni du théâtre mais un machin hybride, peu agréable à suivre… Et une narratrice commente l’arrivée de ces pauvres migrants entrant dans l’espace de jeu de cette scène tri-frontale signée Johan Kølkjær.
Nous allons pouvoir assister selon une chronologie allant à l’essentiel ou du moins à des grands et petits faits de l’histoire des Etats-Unis: massacre d’Indiens à cause de leur impossibilité à se faire comprendre, construction du chemin de fer, bagarres entre cow-boys, généralement des hommes n’ayant plus rien à perdre et cherchant juste à se nourrir, scènes de bordel, missionnaires pas très scrupuleux, agressions verbales et/ou physiques, crasse, misère, viols : bref, la peinture sans retouche d’un passé dont les arrière-petits-fils de ces hommes sans foi ni loi ne veulent plus jamais entendre parler mais qui est bien celui sur lequel se sont construits ces Etats-Unis.
Autre procédé: certaines séquences tournées caméra sur l’épaule ou avec un travelling sur les rails du chemin de fer… Dans de petits décors : chapelle, chambre faits en châssis en contre-plaqué nu, prison en grillage, semblant de saloon avec verres d’alcool… Des éléments qu’apportent à vue les acteurs depuis l’arrière des rangées de sièges où ils se costument aussi à vue mais discrètement, là aussi un procédé brechtien un peu fatigué…
Cela bascule donc sans arrêt entre théâtre et cinéma mais c’est -par moments seulement- assez vivant, grâce à de belles images et surtout à ces acteurs étonnants de vérité, malgré un texte découpé en chapitres annoncés par écrit sur l’écran, ce qui donne au spectacle des allures de leçon d’histoire un peu laborieuse. Et l’invitation au public à rejoindre les acteurs sur le plateau pour faire de la figuration, ne fonctionne pas. Le compte n’y est pas même si le metteur en scène prétend qu’il a besoin de lui sur le plateau. « Cela me permet de m’identifier à lui. Cela me renvoie à mon propre rôle, à ma propre place. Je peux, à travers le regard des spectateurs, sentir les enjeux du spectacle. Et puis, l’invitation du public sur le plateau, c’est aussi un moyen de rendre le spectacle plus incontrôlable et donc plus humain, plus personnel. Cela m’intéresse beaucoup. (…) J’essaie, de plus en plus, de m’engager, de parler en mon nom et de pointer du doigt ma propre hypocrisie. J’aimerais que le public en fasse autant, qu’il puisse se confronter à lui-même. En l’incluant dans l’espace du jeu, sur le plateau, j’ai l’impression de lui donner cette possibilité.» Ouf! Comme si Tue Biering avait absolument besoin de se justifier… Quelques jeunes gens se laissent toucher par la gentillesse des comédiens pour aller les rejoindre su le plateau, ce vieux procédé, lui aussi usé jusqu’à la corde, ne fonctionne pas.
Un autre vieux truc plus qu’usé comme les costumes et chapeaux à vue sur des portants. Et ce dispositif tri-frontal n’est pas non plus convaincant, puisqu’il faut, quand on est sur un des deux côtés se pencher sans arrêt pour voir l’image projetée, en même temps… De toute façon, on ne voit vraiment la plupart des décors des lieux, que s’ils sont projetés : cherchez l’erreur de scénographie. Cela fait quand même trop de points négatifs. Malgré à la fin, quelques courtes mais formidables prises de parole des acteurs sur la vision qu’ils ont, négative ou positive, du western. Malheureusement, le spectacle est loin d’atteindre ce degré d’intensité et les deux heures paraissent bien longuettes. Enfin si vous avez le courage de prendre le métro puis le RER puis à la sortie de ce RER, la navette (attention: prenez la bonne sortie) et vice-versa, vous pourrez avoir une idée des réalisations de ce metteur en scène danois qui fait les choses avec le plus grand soin mais, malgré les apparences, de façon bien conventionnelle. Bref, ce Dark Noon, malgré d’excellents acteurs, ne nous a pas convaincu…
Philippe du Vignal
Jusqu’au 19 novembre, Théâtre des Amandiers-Nanterre, avenue Pablo Picasso, Nanterre (Hauts-de-Seine)