Dark Noon,conception et mise en scène de Tue Biering, chorégraphie et mise en scène de Nhlanhla Mahlangu

Dark Noon, conception et mise en scène de Tue Biering, chorégraphie et mise en scène de Nhlanhla Mahlangu

 Une scénographie trifontale avec un plateau rectangulaire couvert de poussière rouge, une sorte de faux western qui se revendique comme tel. «A la fois, dit le metteur en scène danois qui dirige le collectif Fix&Foxy, un pastiche de Sergio Leone, un remake de John Ford avec des incrustes de La Petite Maison dans la prairie. Dark Noon tient du récit épique et burlesque. Mais attention, une histoire peut en cacher une autre. »

 Dans cet univers d’hommes prêts à tout, y compris à en tuer d’autres d’un simple coup de revolver pour un motif banal, des émigrés d’Europe centrale, d’Italie, etc. des cow-boys, mais aussi des prêtres, des prostituées, tous attirés par ce nouvel Eldorado quand un émigré trouva un petit caillou d’or. Massacres d’Indiens, Africains réduits en esclavage, Chinois payés une misère pour construire la grande voie de chemin de fer reliant l’Est à l’Ouest des Etats-Unis. L’exploitation de l’homme par l’homme admise comme une institution. Bref, de la violence, du racisme et de la tuerie au quotidien dans un pays en train de naître

Tue Biering a demandé à des acteurs noirs sud-africains de jouer le visage poudré de blanc des dizaines de personnages qui vont raconter cette histoire de colonisation virulente à marche forcée pour construire ce qui deviendra les Etats-Unis. Une allusion aussi très claire au pays de ces acteurs qui ont aussi souffert le temps de l’apartheid. « Dans Dark Noon, j’utilise en effet la référence du western que le public s’approprie immédiatement car c’est un genre qui lui est très familier, dit le metteur en scène. Et pour moi, c’est un moyen de questionner le concept de civilisation, être à la frontière entre ce qui serait civilisé et ce qui ne le serait pas. « 

Et cela donne quoi ? D’abord une excellente direction d’acteurs tous magnifiques et qui portent à bout de bras un spectacle très inégal: Bongani Bennedict Masango, Joe Young, Lillian Tshabalala, Mandla Gaduka, Siyambonga Alfred Mdubeki , Katlego Kaygee Letsholonyana , Thulani Zwane. Dans un des deux fonds de plateau, nous pouvons voir leur visage filmé devant un paysage projeté, retransmis sur un écran avec sous-titrage, un procédé pas très original. Et qui n’est ni un film ni du théâtre mais un machin hybride, peu agréable à suivre… Et une narratrice commente l’arrivée de ces pauvres migrants entrant dans l’espace de jeu de cette scène tri-frontale signée Johan Kølkjær.

Nous allons pouvoir assister selon une chronologie allant à l’essentiel ou du moins à des grands et petits faits de l’histoire des Etats-Unis: massacre d’Indiens à cause de leur impossibilité à se faire comprendre, construction du chemin de fer, bagarres entre cow-boys, généralement des hommes n’ayant plus rien à perdre et cherchant juste à se nourrir, scènes de bordel, missionnaires pas très scrupuleux, agressions verbales et/ou physiques, crasse, misère, viols : bref, la peinture sans retouche d’un passé dont les arrière-petits-fils de ces hommes sans foi ni loi ne veulent plus jamais entendre parler mais qui est bien celui sur lequel se sont construits ces Etats-Unis.

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© Serein Meisner

Autre procédé: certaines séquences tournées caméra sur l’épaule ou avec un travelling sur les rails du chemin de fer… Dans de petits décors : chapelle, chambre faits en châssis en contre-plaqué nu, prison en grillage, semblant de saloon avec verres d’alcool… Des éléments qu’apportent à vue les acteurs depuis l’arrière des rangées de sièges où ils se costument aussi à vue mais discrètement, là aussi un procédé brechtien un peu fatigué…
Cela bascule donc sans arrêt entre théâtre et cinéma mais c’est -par moments seulement-  assez vivant, grâce à de belles images et surtout à ces acteurs étonnants de vérité, malgré un texte découpé en chapitres annoncés par écrit sur l’écran, ce qui donne au spectacle des allures de leçon d’histoire un peu laborieuse. Et l’invitation au public à rejoindre les acteurs sur le plateau pour faire de la figuration, ne fonctionne pas. Le compte n’y est pas même si le metteur en scène prétend qu’il
a besoin de lui sur le plateau. « Cela me permet de m’identifier à lui. Cela me renvoie à mon propre rôle, à ma propre place. Je peux, à travers le regard des spectateurs, sentir les enjeux du spectacle. Et puis, l’invitation du public sur le plateau, c’est aussi un moyen de rendre le spectacle plus incontrôlable et donc plus humain, plus personnel. Cela m’intéresse beaucoup. (…) J’essaie, de plus en plus, de m’engager, de parler en mon nom et de pointer du doigt ma propre hypocrisie. J’aimerais que le public en fasse autant, qu’il puisse se confronter à lui-même. En l’incluant dans l’espace du jeu, sur le plateau, j’ai l’impression de lui donner cette possibilité.» Ouf! Comme si Tue Biering avait absolument besoin de se justifier… Quelques jeunes gens se laissent toucher par la gentillesse des comédiens pour aller les rejoindre su le plateau, ce vieux procédé, lui aussi usé jusqu’à la corde, ne fonctionne pas.

© Serein Meisner

© Serein Meisner

Un autre vieux truc plus qu’usé comme les costumes et chapeaux à vue sur des portants.  Et ce dispositif tri-frontal n’est pas non plus convaincant, puisqu’il faut, quand on est sur un des deux côtés se pencher sans arrêt pour voir l’image projetée, en même temps… De toute façon, on ne voit vraiment la plupart des décors des lieux, que s’ils sont projetés : cherchez l’erreur de scénographie. Cela fait quand même trop de points négatifs. Malgré à la fin, quelques courtes mais formidables prises de parole des acteurs sur la vision qu’ils ont, négative ou positive, du western. Malheureusement, le spectacle est loin d’atteindre ce degré d’intensité et les deux heures paraissent bien longuettes. Enfin si vous avez le courage de prendre le métro puis le RER puis à la sortie de ce RER, la navette (attention: prenez la bonne sortie) et vice-versa, vous pourrez avoir une idée des réalisations de ce metteur en scène danois qui fait les choses avec le plus grand soin mais, malgré les apparences, de façon bien conventionnelle. Bref, ce Dark Noon, malgré d’excellents acteurs, ne nous a pas convaincu…

 Philippe du Vignal

 Jusqu’au 19 novembre, Théâtre des Amandiers-Nanterre, avenue Pablo Picasso, Nanterre (Hauts-de-Seine)

 


Archive pour 15 novembre, 2021

Festival Marmaille à Rennes

Festival Marmaille à Rennes

Lillico a pour but de promouvoir l’éveil artistique pour l’enfance et la famille mais aussi de participer au soutien et à l’encouragement des métiers des arts du spectacle, d’œuvrer pour l’accès à la culture pour tous, de diffuser et soutenir la création. Cette association dirigée par Christelle Hunot est forte d’une expérience de trente-deux ans avec des  projets  pour le jeune public et le tout public sur Rennes, l’agglomération rennaise, l’Ille-et-Vilaine et la Région Bretagne.. Il y a ici une approche particulière quant à l’accueil et à la communication pour les enfants jusqu’à six ans. «Nous affirmons, dit-elle, que le public des enfants et des jeunes est spécifique, psychologiquement, sociologiquement et économiquement et nous avons aussi la volonté d’un projet citoyen à travers toutes nos actions. Nos mises en œuvre vont toujours dans le sens d’un accompagnement, d’un soutien, d’un conseil pour aller vers l’autonomie. Le théâtre, l’objet, le corps… Des plus petites formes aux plus grands plateaux. Du plus petit enfant, au plus grand, aux parents et  grands-parents. (…) Les mots culture, art, création, solidarité et citoyenneté sont au cœur de notre projet et dans toutes ses mises en œuvres possibles, surtout dans ces moments si particuliers. »

Le Labo est  un espace de recherche artistique et d’expérimentation avec des professionnels  de l’art, de l’enfance, de la petite enfance, de la recherche, mais aussi avec des habitants, des familles, curieux de participer à des moments réguliers et informels, pour discuter et réfléchir ensemble. Territoires ou comment apprendre à travailler ensemble, à construire ensemble un territoire commun, un axe qui sera le leitmotiv pour toute notre ligne autour de la médiation et de l’action culturelle. Partant de notre cœur de projet, l’art, les territoires seront autant d’espaces possibles à explorer, pour rencontrer les habitants, les familles, les écoles, les structures sociales…

Cet ancien gymnase est devenu un espace de vie pour les enfants, pour les professionnels en lien avec l’enfance et la population du quartier de Maurepas et du département. (…) Un lieu de recherche et d’exploration artistique, de laboratoire, de production et de soutien à la création contemporaine par la co-production ou production déléguée pour les artistes indépendants et en développement. Et sont ici présentes toutes les disciplines du spectacle : théâtre, danse, musique, conte, autres formes hybrides mais aussi arts graphiques, arts numériques et cinéma. Avec des temps forts comme les spectacles et interventions au Festival Marmaille sur plusieurs semaines en octobre…

Ecoutes sous Zabris par la Bobine/Bob théâtre en Ille-et-Vilaine (pour tout public dès le début de la vie )

Une installation textile et sonore qui peut évoquer le corps de la mère avec des coussins de forme et couleurs diverses, avec un pont d’où pendent de gros fils eux aussi de différentes couleurs pour vivre une expérience intime et collective. Cette installation, a été auto-produite par Christelle Hunot, directrice de Lillico, qui, en 2012, monta une unité petite enfance, appelée La Bobine, au sein de la compagnie Bob théâtre où elle déploie un travail alliant les arts du textile et la mise en scène. Elle met en scène de formes évocatrices de la maternité, entre seins, ventres et tunnels de passage. « Ces cercles composés de textile, dit-elle, nous emmènent en voyage. Ils nous livrent des paysages suspendus entre interaction physique et écoute personnelle, avec ou sans casque, au cœur de nos voyages intérieurs, entre bercement et blotissement. »

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Elle a proposé à Elio Athimon-Hunot de composer une promenade musicale pour un espace carré où un public d’une vingtaine de personnes, tous âges confondus, s’installe où il veut pour vivre cette expérience sensible, en se déplaçant ou non, en écouatnt la musique au casque ou pas. Cette forme est née à l’occasion de Figure 2021 où la metteuse en scène a invité Elio Athimon-Hunot à créer le premier concert d’écoute au casque par les tout-petits d’une musique que l’on pourrait qualifier de pop életronique expérimentale.. Et elle a invité Mariana Caetano pour le chant et l’interprétation à travailler dans cette installation avec Puis dans un second temps, l’après-midi avec Héron Cendré (Gregaldur). Lui présent en fond scène sur différents synthés et machines électroniques avec lumières, en accord avec la musique
Déchaussés pour pénétrer sur ce tapis carré et allongés, la tête reposant sur de gros coussins, nous nous laissons volontiers bercer par ces douces phrases musicales qui doivent impressionner les bébés : aucun bruit, aucun cri mais une douceur et une paix qui s’installent dans cet espace privilégié.

Comptine et chants ont depuis l’aube de l’humanité accompagné réveil et endormissement des tout petits et plus récemment la musique s’est révélée comme une aide précieuse au développement du cerveau des prématurés. Celle qui accompagne les dessins animés, étant, elle souvent assez médiocre. Mais ici, elle nous paru à la représentation du soir encore plus qu’à celle du matin, d’une grande qualité. Et nous garderons aussi la belle image d’un petit garçon (deux ans environ) tirant avec joie sur le rythme de la musique, sur deux gros fils, et cela pendant plusieurs minutes… Impressionnant.

Spectacles vus à la Maison de quartier La Bellangerais, à Rennes.

La Chuchoterie

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C’est en plein cœur de ville, sous la houlette d’une jeune animatrice, un espace d’art où on peut, avec des tout petits, regarder de beaux livres-jeux en textile donc indéchirables ou qui s’ouvrent avec des paysages. Là aussi, on se déchausse avant d’entrer dans ce lieu calme et doux, marcher sur des tapis noir et blanc, puis s’asseoir et se lover dans des coussins. Et c’est gratuit…
Il y a quelques pièces de mobilier conçus par Laurence Henry, où sont disposés les livres. Seule réserve, l’espace n’est pas bien grand mais peut accueillir six personnes. Aucun doute, cette Chuchoterie est à découvrir par les très petits enfants. Malgré ces temps d’Internet, ils ont ici la joie de découvrir la magie d’un médium connu depuis l’Antiquité avec, d’abord, des
feuilles manuscrites réunis en bande enroulée autour d’un cylindre, ensuite pliés et cousus en cahiers depuis le premier siècle après J.C. Enfin imprimées sur papier d’épaisseur variable, et dernièrement édités sous forme numérique… Les livres restent des supports irremplaçables d’étude, de connaissance et distraction quel qu’en soit le genre et le volume. En général quand même assez peu fragiles, ils défient souvent le temps, sont légers, d’un coût peu élevé et peuvent être emportés partout.
Le livre pour très jeunes enfants en tissu ou en papier dur a un siècle à peine mais a aussi une remarquable fonction d’éveil au monde extérieur, La Chuchoterie est là pour nous le rappeler.

Contact : Alix Clerfeuille au 02 99 63 13 82 ou : lachuchoterie@lillicojeunepublic.fr pour toute information complémentaire.

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A la Lueur du doute, pièce chorégraphique et interprétation de Carole Bonneau, Hélène Maillou et Falila Taïrou, musique de Jean-Michel Noël (tout public dès six ans)

La compagnie Ostéorock basée en Maine-et-Loire a conçu ce spectacle avec des personnages récurrents dans les contes pour enfants comme dans Macbeth de Shakespeare. Trois sorcières investissent le plateau. Avec quelques pierres et du bois, elles font un feu, avec au-dessus, une marmite, deux symboles de leur colère mais aussi du respect qu’on doit à la terre nourricière. Elles écoutent le chant des feuilles dans les arbres et dansent souvent en rond, de façon très impulsive, presque sauvage et soufflent des cris célébrant la vie comme on rêve de voir les magiciennes le faire.

« Cette pièce chorégraphique interroge notre perception du réel, sème le doute sur l’envers du visible, questionne notre relation à la nature, disent les créatrices. Au centre de la pièce, on retrouve la sorcière. Celle-là même qui, au cours des siècles a été décriée mais qui, depuis les années 70, est un symbole de féminisme et de résistance. Ostéorock, en s’intéressant à cette figure de femme forte et libre, nous plonge dans un conte sacré où l’humain et la nature font corps. »

Contrat bien rempli: argument simple et significatif, très bonnes chorégraphie et interprétation des trois danseuses-actrices qui emmènent leur jeune public là où elles veulent pendant cinquante minutes, remarquables lumières de Séverine Lemonnier et beaux costumes de Thérèse Angebault. Bref, et ce n’est pas si fréquent, un bon spectacle de danse contemporaine à l’intention du jeune public… Quel chemin parcouru depuis cinquante ans quand le théâtre pour enfants commençait à à émerger avec les admirables spectacles de la compagnie de la Pomme verte dirigée par Catherine Dasté… Les enfants de ce Marmaille 2021 sont vraiment gâtés, même avec l’obligation de porter un masque…

Philippe du Vignal

Spectacle vu le 27 octobre, salle Guy Ropartz, association Lillico, salle Guy Ropartz,14, rue Guy Ropartz, à Rennes (Ille-et-Vilaine).

 

Démons de Lars Norén, mise en scène de Matthieu Dessertine

Démons de Lars Norén, mise en scène de Matthieu Dessertine

Le grand poète et dramaturge et metteur en scène suédois est mort du covid à Stockholm en janvier dernier à soixante-seize ans. On a souvent comparé son œuvre à celle de ses compatriotes August Strindberg et Ingmar Bergman, mais aussi à Henrik Ibsen et Anton Tchekhov.
En France, il s’était imposé avec La Force de tuer qu’avait créée en 88 Jean-Louis Jacopin et où un jeune homme tuait son père. Puis il y eut La Veillée montée par Jorge Lavelli où deux frères et leurs épouses se déchirent autour de l’urne renfermant les cendres de leur mère. Dans ses quelque quarante pièces, il s’inspira surtout de ce qu’il avait vécu et mit l’accent sur la vie dans les institutions psychiatriques, sur les perversions notamment sexuelles et les violents conflits au sein d’un couple et/ou d’une famille. Bien connue dans son pays, son théâtre a aussi, et depuis longtemps, fait l’objet en France de nombreuses mises en scène (voir Le Théâtre du Blog) et Les Démons l’une de ses pièces les plus connues, a été montée entre autres, par Jorge Lavelli, Thomas Ostermeier, Lorraine de Sagazan, Marcial di Fonzo di Bo…

Franck et Katarina vivent depuis neuf ans ensemble dans un bel appartement. Ils n’ont pas d’enfants. Un soir, lui revient avec un sac plastique contenant l’urne des cendres de sa mère qu’il dépose sur une table-bar. Les obsèques doivent alors lieu le lendemain et ils attendent le frère de Frank et sa femme mais ils ne viendront pas: lui préfère regarder un match de foot à la télé! Très vite, nous allons assister au n ième épisode d’une relation amoureuse difficile sur fond d’alcool (on boit beaucoup et très souvent!), de violent érotisme, de solitude jamais avouée et d’agressivité mais aussi parfois à dose homéopathique, de tendresse. « Ou je te tue ou tu me tues, ou on se sépare, ou on continue comme ça. Choisis ! », dit Katarina. « Je ne peux pas choisir. Choisis, toi », dit Frank.

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Quand il arrive avec l’urne, Katarina fume allongée en robe très courte sur un canapé. Il l’insulte mais ne reçoit aucune réponse. Bref, tout est prêt pour une nième séance de règlements de compte sado-maso sur fond d’amour/haine. Du genre: «Je t’aime beaucoup mais je te supporte pas, vraiment pas, je peux pas te souffrir, mais je peux pas vivre sans toi. « Elle répond juste : « Pourquoi? » Ou encore : »Ou je te tue, dit Katarina, ou tu me tues, ou on se sépare, ou on continue comme ça. Choisis ! » « Je ne peux pas choisir. Choisis, toi », lui répond Frank.
Pour essayer de briser leur solitude, il téléphone à Tomas et Jenna, de jeunes voisins et leur propose de venir boire un verre. Eux, mariés il y a douze ans, ont deux jeunes enfants. Mais pour venir, ils doivent les laisser seuls dans leur appartement plus haut. Ce qui les inquiète mais exaspère nettement Katarina. Tomas et Jenna arrivent, bien contents d’échapper un moment à la grisaille quotidienne de leur couple.
Ils ne vont pas être déçus du voyage: d’abord fascinés par cette danse de mort et d’amour, vont finalement y participer. Frank, séducteur cynique drague avec succès Jenna et Katarina se laisse tenter par Tomas que Frank a aussi essayé de séduire… Lars Norén sait habilement utiliser l’effet-miroir: Jenna et Tomas voient ce qui risque fort de leur arriver dans quelques années… Et  ce que l’auteur imaginé n’a rien de franchement réjouisssant. Comme dans Qui a peur de Vriginia Woolf d’Edward Albee ou dans les enfers conjugaux imaginés par August Strindberg et Ingmar Bergman.

La pièce, sans doute assez provocante à l’époque de la création, (c’était il y a a trente ans et il n’était pas question de P.M.A. ni même de mariage pour tous..) a sans doute un peu vieilli et et a même parfois des allures de nouveau boulevard… Mais reste le dialogue très bien écrit qui garde une rare intensité, parfois à la limite de l’obscénité: « Tu vois… dit Frank à Katarina, j’ai finalement découvert qu’on pouvait baiser par amour, et qu’on pouvait baiser sans amour… Je veux dire, baiser avec toi sans amour, ce que j’ai fait ces dernières semaines… C’est une expérience terrifiante. Comme d’arriver au crépuscule dans un endroit qui vient d’être ravagé par la guerre, et on compte les cadavres, C’est comme de coucher avec un cadavre ».

Aucun cadeau, aucune pitié dans cette guerre intime à la fois amoureuse et sexuelle… Franck et Katarina s’affrontent en permanence  avec une certaine cruauté qui fait partie des règles de ce jeu pervers auquel ils sont abonnés depuis longtemps. « C’est pas une colombe qu’ils mettront sur ta tombe, c’est un rat », lui dit-il. Il en viendra même ensuite, dans une scène très réussie, à jeter rageusement à jeter les cendres de sa mère sur Katerina. Insupportable et sordide mais rien ne semble pouvoir détruire ce couple infernal… « Tant que je serai vache avec toi, dit-elle, tu resteras avec moi. Ça, je le sais.N’est-ce pas ? Est-ce que ce n’est pas vrai ? (…) Tant que je te maltraiterai, tu resteras lié à moi ».

Mais très vite, la situation se dégrade: Katarina reproche à Frank d’être impuissant et lui reproche même des penchants homosexuels. Bref, le couple est au bord de l’implosion. Au début, les dialogues ont une force redoutable mais, après un peu plus d’une heure, font du sur-place et ces relations amoureuses entre couples ont quelque chose de téléphoné… Sinon, il n se passerait rien. Il y a, à la fin, une vague réconciliation sur l’air bien connu de: « Je t’aime moi non plus, mais quand même », comme si l’auteur avait eu du mal à conclure…

Il est toujours intéressant de voir comment un jeune metteur en scène peut avec quelques copains de promo, aller à la rencontre d’un texte comme celui-ci qui exige une excellente direction d’acteurs, surtout sur un aussi petit plateau où la circulation des acteurs ne va pas de soi. Et où il n’y a aucun dégagement autre que deux petites portes et quand il faudrait souvent le silence total pour mettre en valeur le texte, règne un insupportable ronronnement permanent de chauffage. Matthieu Dessertine n’y peut évidemment rien mais dirige ses acteurs avec une grande rigueur. Et il y a du très bon dans cette mise en scène: la direction d’acteurs avec mention exceptionnelle à Marion Lambert que nous avions vue dans Sophonisbe de Corneille montée par Brigitte Jaques-Wajeman. Elle possède, dès qu’elle entre sur le plateau, une présence lumineuse, une gestuelle et une diction impeccables… Impressionnant. Et Anthony Boullonois (Tomas), Ambre Pietri (Jenna) et Damien Zanoly (Frank) sont tout à fait crédibles dans ces rôles difficiles et dans un espace exigu où on les sent souvent pas très à l’aise… Et il y a de quoi. Chapeau.

Côté dramaturgie, Matthieu Dessertine aurait dû couper dans ce texte trop long et nous épargner un début de mise en scène assez poussif avec visage sur écran, fumigènes à gogo et musique d’orgue qui n’ont rien à faire là et, à la fin, un enregistrement caméra à l’épaule, des acteurs avec de nouveau, en gros plan, visages sur grand écran… Deux stéréotypes du théâtre actuel dont on n’a jamais dû lui signaler la vacuité quand il était élève du Conservatoire National…  Cette mise en scène gagnerait sans doute beaucoup à être vue sur un plus grand plateau, et avec plus de public. Le théâtre des Déchargeurs devrait programmer moins de spectacles et plus de quelques jours par semaine… Des créations comme celles-ci auraient alors une meilleure lisibilité auprès du public qui, à Paris, semble encore frileux -covid oblige- pour retourner au théâtre…

Philippe du Vignal

Jusqu’au 17 novembre, Théâtre des Déchargeurs, 1 rue des Déchargeurs, Paris ( I er).

Pacific Palisades, de Guillaume Corbeil, mise en scène de Florent Siaud

Pacific Palisades de Guillaume Corbeil, mise en scène de Florent Siaud

  »Je m’appelle Guillaume Corbeil », dit le narrateur, alors que s’affichent des photos de son appartement à Montréal, inaugurant la série d’images qui illustreront la suite du récit. L’écrivain, interprété par la Québecoise Evelyne de la Chenelière, nous raconte comment il est parti pour Los Angeles sur les traces d’un étrange fait divers, à l’été 2015. A Pacific Palisades, quartier résidentiel de Santa Monica en Californie au bord de l’océan Pacifique. 

Ici vivait Jeffrey Alan Lash, retrouvé mort dans le coffre de sa voiture. La police appelée sur les lieux par Harland Braun, l’avocat de Catherine Nebron, petite amie du défunt, a découvert chez le sexagénaire 1.200 armes à feu (valeur: trois millions de dollars!), six tonnes de munitions, quatorze voitures et 230.000 dollars en petites coupures. Jeffrey Alan Lash n’avait ni emploi ni revenu officiels…

La pièce est construite en chapitres titrés, comme autant de stations au fil des rencontres de l’auteur avec les témoins de l’affaire : l’avocat, la mère de Dawn VadBunker, l’assistante de Catherine Nebron, une policière et plusieurs femmes blondes  «à la bouche en forme de cœur». Quelle est ici la part du vrai et du faux?

L’auteur prend plaisir à brouiller les pistes pour donner à ce fait-divers un tour romanesque et le metteur en scène cultive aussi l’équivoque. Les images projetées, comme autant de jalons, ancrent la pièce dans un réalisme documentaire. Puis la comédienne nous entraîne progressivement dans un monde imaginaire, portée par des voix off fantomatiques, des vidéos brouillées et un décor qui se creuse vers les profondeurs du plateau, sous des lumières saturées et changeantes. Evelyne de la Chenelière, tantôt androgyne, tantôt vamp, se métamorphose à vue d’œil pour interpréter avec vigueur, une vingtaine de personnages sans qu’on discerne la part de fiction et de réalité dans ses rencontres.

Florent Siaud et son équipe de création nous font découvrir ici le cinquième texte de cet auteur québécois, sorti il y a peu de l’École nationale de théâtre du Canada. Entre roman policier à l’américaine et reportage scrupuleux, le metteur en scène a su monter un habile tissage pour semer le doute, à l’image de l’ambigu Jeffrey Alan Lash…

Mireille Davidovici

Du 12 novembre au 4 décembre, Théâtre Paris-Villette, 11 avenue Jean Jaurès, Paris (XIX ème) T. : 01 40 03 72 23.

Le 7 décembre, Espace Jean Legendre, Compiègne (Oise).

 

 

 

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