Battre encore, mise en scène de Delphine Bardot et Pierre Tual

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© Virginie-Meigné

Battre encore, mise en scène de Delphine Bardot et Pierre Tual

 La compagnie La Muette, créée par la marionnettiste nancéenne Delphine Bardot et le musicien argentin Santiago Moreno, développe un théâtre visuel et musical fondé sur le rapport «entre corps réels et corps fantoches, manipulateurs et manipulés, résistants et consentants ». Battre encore met en présence trois femmes en chair et en os avec des pantins masculins en plusieurs états et dimensions. Une recherche qui s’appuie sur une fable en forme de conte cruel.

Trois petites fleurs s’épanouissent, cultivées par un gentil jardinier, sur un carré d’herbe peuplé de papillons. Brusque changement d’échelle : le trio se transforme en jeunes filles en fleurs rêvant du Prince charmant, figuré par des marionnettes étranges qu’elles tentent de manipuler, sous l’œil affectueux de leur père. Mais bientôt cette histoire mièvre qui se moque des demoiselles bien élevées, va tourner au cauchemar quand elles sont invitées au bal de l’Ogre. Il apparaît, gigantesque, entouré de ses généraux, sur une musique populaire d’Amérique latine, entrecoupée de violents discours. Et les trois sœurs  sont obligées de danser avec le tyran et ses sbires aux mines patibulaires. Nous nous trouvons soudain transportés aux heures sombres des dictatures sud-américaines…

 Ces comédiennes, danseuses et manipulatrices entrent dans l‘univers onirique fluctuant des scénographes Delphine Bardot et Daniel Trento, sous les éclairages de Joël Fabing. Les pantins, ombres et objets animés créés par Delphine Bardot, Lucie Cunningham et Santiago Moreno qui signe également la musique, sont expressifs, qu’ils soient de taille humaine ou miniatures.  Les metteurs en scène conjuguent avec habileté plusieurs techniques: marionnettes portées par les «corps-castelets» des interprètes, ombres chinoises, projections, mannequins, fragments de corps, masques…Les fondus-enchainés témoignent de la virtuosité de ces artistes et il y a des moments forts comme le bal, un tournant de la pièce, quand les trois femmes, aux prises avec les hommes du tyran, luttent contre la force virile de ces pantins qu’elles manipulent mais qui finissent par les terrasser. Viols et féminicides s’accomplissent en coulisse…Une voix off confirme le crime et se lèvent les poings d’une foule en révolte…

Battre encore veut « redonner corps et mouvements aux écrasées, aux meurtries aux étouffées, (…) en écrivant un anti-conte de fées très librement inspiré du destin des sœurs Mirabal ». Ceci explique pourquoi certaines incohérences et scènes anecdotiques brouillent le récit, sans qu’on en comprenne la nécessité dramaturgique. Le texte de Pauline Thimonnier, allusif, ne nous éclaire pas sur la tragédie vécue par Patria, Minerva et Maria-Theresa, dites «les Sœurs Mariposas » (Papillons). Résistantes à la dictature de Rafael Trujillo, qui dirigea la République Dominicaine de 1930 à 1961, elles furent, en 1960, arrêtées sur la route par la milice, découpées à la machette et jetées dans un fossé avec leur jeep. En 1999, l’O.N.U. fit du 25 novembre, date anniversaire de ce crime, une Journée internationale pour l’élimination de la violence envers les femmes.

 Malgré l’impression de décousu que laisse parfois une narration collant trop à l’Histoire, cette réalisation poétique questionne le politique. La marionnette entre ici en jeu dans un rapport de force féminin/masculin. Sans discours, et par le seul langage des corps et des images, Battre encore rend justice aux luttes des femmes et à leur convergence avec les mouvements pour l’égalité des droits humains.

 Mireille Davidovici

Du 12 au 25 novembre, Le Mouffetard-Théâtre des arts de la marionnette, 73 rue Mouffetard, Paris (Vème) T. : 01 84 79 44 44.

Le 14 décembre, Transversales, Verdun (Meuse).
Le 25 janvier, Compli’Cité, Le Triangle, Huningue (Haut-Rhin).
Le 10 février, La Machinerie, Homécourt (Meurthe-et-Moselle).
Et le 26 mars, Théâtre Victor Hugo, Bagneux (Hauts-de-Seine).

 

 

 


Archive pour 17 novembre, 2021

Simone en aparté, texte et mise en scène d’Arnaud Aubert

 

 Simone en aparté, texte et mise en scène d’Arnaud Aubert

«Une Simone Veil, libre, ardente, déterminée, dit le metteur en scène. Une vision fantasmée par l’imaginaire, un kaléidoscope d’évocations qui dévoilent, à différents âges de sa vie, les multiples facettes de celle qui pourrait être notre alter ego : la femme, la mère, la fille, l’épouse, la sœur, l’amie, la camarade…Avec l’envie de partager ses combats pour le respect des droits humains, ses prises de position en faveur des principes de justice et de laïcité, ses doutes… mais aussi ses colères.

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©Kevin Louviot (photo de répétition)

Au centre du plateau, une sorte de lit-chaise longue incurvée et trois colonnes brillantes symbolisant sans doute le Pouvoir auquel cette grande dame n’a pas craint de se frotter quand elle a voulu faire avancer ses idées. Déportée en camp de concentration par les nazis avec sa sœur et sa mère qui y mourra du typhus, elle découvre l’horreur : «Et c’est là que pour la première fois on nous dit « mais ils sont déjà… vous voyez les cheminées qui sont là… ils sont déjà… c’est ça, ce sont eux, ils sont arrivés, ils ont été gazés, il n’y a plus rien. » Pendant deux trois jours on pense que c’est de l’intoxication… de l’intox… mais très vite on est bien obligé de penser que c’est la vérité… mais on n’arrivait pas à le croire. On n’arrive pas à le croire.

Simone Veil réussira à survivre et revenue à Paris, aura la courage de faire des études de droit, se mariera et aura trois enfants. Puis elle entrera dans l’administration pénitentiaire dont elle parle très bien: «Mais le magistrat, même s’il est au Parquet, ce n’est pas celui qui est nécessairement répressif, c’est celui qui défend la victime, c’est celui qui défend le faible par rapport au fort et qui fait appliquer une loi qui est faite, si elle est bien faite, pour organiser une société. Et je suis entrée à l’administration pénitentiaire espérant alors pouvoir faire quelque chose pour les condamnés ou anciens condamnés, victimes de leur passé, de leur milieu et de leur misère. Je suis allée beaucoup en prison, je veux dire dans les prisons, et je découvre pour la plupart du temps des prisons qui sont dans un état épouvantable, sur-occupées. »

A la fin de sa vie aura la douleur de perdre l’un de ses fils et son mari avec lequel elle partage désormais un caveau au Panthéon. Sophie Caritté est une Simone Veil tout à fait crédible, à la fois emplie d’une solide autorité intellectuelle et morale mais aussi parfois assez joyeuse, comme elle le raconte: avoir une famille autour d’elle, sortir avec des compagnes en politique qu’elle retrouve pour fumer une cigarette et boire un verre, même si elles ne sont pas toujours de son bord. Elle ne déteste en rien les hommes malgré la haine de certains députés assez bornés qui ne lui firent aucun cadeau, quand, ministre de la Santé sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, elle réussit avec un courage exemplaire à faire passer sa fameuse loi historique sur l’avortement qui provoque un tsunami à l’Assemblée Nationale où elle reçut sans faillir des tonnes d’injures qui ne faisaient pas honneur aux députés mâles, c’est à dire l’essentiel de cette assemblée. Un des meilleurs moments de ce solo, comme l’évocation de son travail à construire l’unité européenne qui aura été un des buts essentiels de sa vie : «  Alors je trouve que cette volonté – une poignée d’hommes au départ, mais ensuite soutenue par des partis, par des mouvements – de dire « on va se réconcilier, on va faire quelque chose ensemble », c’est pour moi la grande aventure du XXème siècle, et la grande réussite. Construire l’Europe. C’est aussi le grand dessein du XXIème siècle. Quand on a la possibilité de travailler à la construction européenne, si l’on pense qu’il y a là un espoir pour l’avenir, et bien il faut le faire pour ses enfants et ses petits-enfants ; c’est le sens de mon engagement. Participer à la construction de l’Europe, avoir été élue au Parlement et avoir eu l’honneur d’en être la première présidente, et tout ce travail, cela m’a réconciliée avec la vie. »

Même si elle a des regrets impossibles à combler et nous la comprenons aussitôt quand elle dit, la gorge nouée par l’émotion: «Il y a une chose que je regretterai toujours beaucoup et qui ne pourra jamais être comblée, c’est le fait qu’il n’y ait pas eu de lien entre eux, mes enfants et maman. Que maman n’ait pas connu mes enfants; mais surtout que mes enfants n’aient pas connu maman, et que mon mari non plus, n’ait pas connu maman. « 

Le travail sur le texte et la mise en scène d’Arnaud Aubert est d’une grande honnêteté, même si le spectacle encore brut de décoffrage, a encore besoin d’être rodé. Nous oublierons vite cette espèce de lit-transat qui parasite le plateau comme les quelques projections de fleurs. Et on entendait parfois mal l’actrice quand elle n’est pas au bord du plateau dans ce petit théâtre du XIX ème. Sans doute sujette au trac en cette première, elle avait aussi tendance à bouler son texte.

Ce court spectacle a le mérite de retracer quelques moments d’une vie exemplaire où on VOIT Simone Veil parler d’elle: « Mon mari et les enfants disent toujours que je manque d’humour, ce qui est vrai… je ne suis pas très gaie, je ne ris pas beaucoup je suis…je me sens bien comme ça, sans que ce soit tout d’un coup un sentiment d’euphorie extraordinaire. S’intéresser aux gens, à tous, s’aimer, oui j’ai une grande disponibilité je crois pour les gens, et pas seulement pour les gens mais pour les choses… probablement parce que j’aime la vie. Les gens m’intéressent, tout m’intéresse en définitive, alors quand ils vous intéressent on les aime forcément, c’est très rare que je n’ai vraiment aucune sympathie pour quelqu’un… c’est très rare les gens sans intérêt et c’est vrai pour les gens mais c’est vrai aussi pour les choses, j’aime beaucoup la peinture, aller voir une exposition, j’aime beaucoup lire, beaucoup le cinéma, je suis très gourmande, je crois que j’ai une faculté et une disponibilité pour la vie, et surtout pour les gens, très grande.

Une époque qui doit sembler moyenâgeuse… aux nombreux collégiens et lycéens de Lisieux une ville qui a été bombardée à plus de 90 % pendant la dernière guerre mondiale. Mais ils écoutaient sans broncher cette histoire du passé qui éclaire la situation politique actuelle. Nous aurions bien besoin des colères de cette femme courageuse disparue il y a quatre ans et qui avait le courage de parler haut et fort… Le spectacle qui raconte  simplement cette vie exemplaire est nécessaire et on peut espérer qu’il arrivera un jour à Paris…Une pensée aussi pour sa quasi-homonyme Simone Weil la philosophe (1909-1943) qui connaissait bien les tragiques grecs. Elle aussi mériterait un spectacle…

Philippe du Vignal

Spectacle vu au Théâtre Lisieux-Normandie, le 16 novembre.

Centre culturel d’Orbec, 18 novembre ; Cinéma Le Parc, Livarot 19 novembre. Foyer familial Cambremer, 20 novembre, Théâtre Roger Ferdinand, Saint-Lô, 23 novembre. Tanit Théâtre, Lisieux ( Calvados) du 29 au 30 novembre et du 2 au 3 décembre.

 

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