Les Carnets d’Albert Camus, mise en scène de Stéphane Olivié-Bisson et Bruno Putzulu

Les Carnets d’Albert Camus, mise en scène de Stéphane Olivié-Bisson et Bruno Putzulu

Ces Carnets vont de mai 1935 à décembre 1959 juste avant le 4 janvier 1960 où Camus trouva la mort dans un accident de voiture sur une route de l’Yonne. Anecdotes, idées, quotidien de sa vie  en Algérie, à Paris sous l’occupation, à la Libération…Une sorte de journal intime discret, même si ces Carnets n’en portent pas le nom sur la vie professionnelle et familiale de l’écrivain. Il parle ainsi de son travail acharné comme romancier dramaturge, essayiste… Un homme fragile- il avait été tuberculeux- mais exigeant avec lui-même et conscient de son talent d’écrivain mais sujet à des doutes: « C’est ce que nous avons de plus intime. » Il souffre ainsi des incompréhensions quand il veut être publié et tacle l’auteur d’un article sur lui : «Trois ans pour faire un livre, cinq lignes pour le ridiculiser et des citations fausses.»

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Il parle aussi de son enfance pauvre à Alger : « Ce que je veux dire : on peut avoir -sans romantisme - la nostalgie d’une pauvreté perdue. Une certaine somme d’années vécues misérablement suffisent à construire une sensibilité… » Mais aussi de Tipasa, du Brésil, de l’Italie et de la Grèce qu’il aimait tant mais aussi de Paris  dont il avait horreur, même s’il y travailla longtemps. «Une jungle et les fauves y sont miteux. »Il parle aussi de la France où il sera bloqué par la guerre « comme des rats ». Cet homme d’une immense culture lisait beaucoup et   citait volontiers Nietzsche « Celui qui a conçu ce qui est grand, doit aussi le vivre. » Albert Camus admirait aussi Stendhal : « C’est dans la disproportion du ton et de l’histoire que Stendhal met son secret. »

A la fin de ces Carnets, il évoque le Vaucluse où il veut trouver une maison: ce sera à Lourmarin. Il est aussi inquiet pour sa femme Francine malade et pour sa mère qui a été opérée et qu’il doit aller voir à Alger. Mais il estime aussi qu’il doit  se retourner sur son passé et reconstruire une vérité -après avoir vécu toute ma vie dans une sorte de mensonge. » Et Albert Camus avoue s’engager «dans des liaisons insatisfaisantes» mais se dit « avoir été capable d’élire quelques êtres et de leur garder fidèlement le meilleur de moi, quoi qu’ils fassent. » Sans doute une allusion à la grande actrice Maria Casarès avec laquelle il vivait souvent, ce que sa femme  supportait très mal… Il s’interroge aussi sur ses prises de position politique : «Cette gauche dont je fais partie malgré moi et malgré elle. »  Et il parle aussi de son prix Nobel reçu en 57 -donc trois ans avant sa mort- avec un sentiment d’amertume. Et une certaine fatigue morale semble l’envahir : « Je n’ai envie que de m’asseoir, et que le soir arrive. »

Sur le plateau de ce beau petit théâtre, juste trois chaises différentes et dans le fond, côté cour un écran vertical où seront déclinées, des photos en noir et blanc de rues d’Alger mais aussi des ruines de Tipasa ancienne cité romaine au bord de la mer à soixante kms d’Alger et chère au cœur de l’écrivain. Et de Saint-Germain des Prés à Paris. Et de Lourmarin où il sera enterré avec sa femme. C’est de cette vie bien remplie mais arrêtée en plein vol que parle ce spectacle avec des extraits bien choisis de ces Carnets. Aux meilleurs moments, seul en scène, Stéphane Olivié-Bisson réussit à nous rendre Albert Camus plus proche. Mais, visiblement mal dirigé ou auto-dirigé, il boule souvent son texte! Donc on l’entend mal et c’est très dommage. Comme aurait dit Louis Jouvet à un acteur: « Quand tu ne sais plus quoi faire, regarde le lustre et articule. » Et dans cette petite salle chaleureuse, située dans le vieux Nice, ce n’est en rien une question d’acoustique: le lendemain la compagnie Iva y présentait une lecture-spectacle sur Tolstoï dont nous vous reparlerons et où les comédiens et la soprano  se faisaient parfaitement entendre…

Philippe du Vignal 

Spectacle vu le 19 novembre au théâtre Francis-Gag,  4 rue de la Croix, Nice (Alpes-Maritimes). T :  04 92 00 78 50,  dans le cadre de la célébration du soixantième anniversaire de la disparition d’Albert Camus.

Le 24 novembre, au Théâtre National de Nice, concert par l’Orchestre Philharmonique de Nice, le Chœur de l’Opéra de Nice et le Conservatoire de Nice, suivi d’une lecture des lettres échangées entre Maria Casarès et Albert Camus par Muriel Mayette-Holtz et Augustin Bouchacourt. Et Dissonances Camus, conception de Frédéric de Goldfiem, Jonathan Gensburger et S. de Montgolfier. T : 04 93 13 19 00.

Jusqu’au 28 novembre, Cinémathèque de Nice, cycle Albert Camus au cinéma et projections scolaires : Loin des hommes de David Oelhoffen, L’Etranger de Luchino Visconti, La Peste de Luis Puenzo, Le Premier Homme de Gianni Amelio. cinemathèque-nice.fr

 


Archive pour 22 novembre, 2021

Les Furtifs, d’après le roman d’Alain Damasio, mise en scène de Laetitia Pitz, musique de Xavier Charles

Les Furtifs, d’après le roman d’Alain Damasio, mise en scène de Laetitia Pitz, musique de Xavier Charles

Peu fervente de science-fiction, nous ne connaissions pas l’œuvre de cet écrivain que des centaines de milliers de lecteurs plébiscitent. Pas d’histoires de robots ou d’extra-terrestres, la terre suffit bien pour loger la dystopie qu’on entend furtivement dans le spectacle, celle d’un société de surveillance mutuelle horizontale. (L’auteur se réfère à Surveiller et punir de Michel Foucault). Pas besoin non plus de dictature, la servitude volontaire fait le travail ; relisons le célèbre essai de La Boétie… Cette société fait donc naître des furtifs, résistants clandestins et « terroristes » insaisissables qui se pétrifient en cas de danger. Il y aura une histoire de fillette disparue, des métamorphoses, de l’entrisme chez les chasseurs de furtifs, la visite d’un hologramme plus vivant que les vivants…

© Morgane Ahrach

© Morgane Ahrach

Ce roman d’anticipation parle bien des peurs et des drames du présent : «La ville est née en écrasant sous deux cents tonnes de gravats, les soixante-dix manifestants du collectif Reprendre… Nous pensons au film Gagarine de Fanny Liatard et Jérémy Trouilh (2020) sur la démolition réelle d’une tour à Ivry-sur-Seine. Le café est transformé en espace de «co-working» discipliné, comme dans le spectacle actuel de Guillermo Pisani, J’ai un nouveau projet, au Théâtre de la Tempête.  Bien sûr, l’anticipation accroît les craintes, celle d’une privatisation totale des écoles, hôpitaux, police… par la société Orange (nommément citée, avec son logo) mais aussi d’une guerre :«on chasse, on tue, on rechasse, on retue» qui passerait aux mains de civils, plus efficaces que les militaires, et enfin «des personnalités créatrices, des artistes», symptôme d’une mainmise plus profonde encore sur toute une société.

De tout cela, nous entendons des fragments, qu’ensuite nous pouvons rassembler mais la matière est trop riche pour le temps d’une représentation même si Laetiatia Piz nous offre une  expérience musicale exceptionnelle. Neuf instrumentistes savent se faire furtifs, agressifs, voire humoristiques dans l’usage des souffles, frottements, harmonies et grincements, parfois aux imites de l’audible, le tout dans un swing constant et léger qui va de l’avant et nous emmène dans un vrai plaisir : cette musique n’envahit pas le récit et ne joue pas non plus les fonds sonores.

Laëtitia Pitz et sa compagnie Roland Furieux travaillent particulièrement sur la voix parlée et chantée, comme dans Perfidia créé au dernier festival d’Avignon. Mais elle s’en est tenue ici avec ses deux partenaires, à la position classique du récitant et  n’a pas utilisé sa palette d’interprétation avec plus d’ampleur et de liberté. Il y a un moment d’humour savoureux sur le jeu et l’illusion quand apparaît un hologramme, traité par son partenaire de «sac d’air», solidement incarné par un comédien au jeu très brut, comme si on avait demandé à un passant complaisant de monter sur le plateau.

Et dommage, Laëtitia Pitz elle-même comme interprète, s’est presque effacée devant la musique. Ce qui est peut-être du à un grand respect pour le roman d’Alain Damasio: ici, il y a trop de texte et il ne nous parvient donc pas assez: le message se fait lointain et nous aurions envie d’un peu plus de théâtre. Mais cet oratorio créé à L’Arsenal-Cité musicale de Metz aiguise nos perceptions, décape nos oreilles en toute délicatesse et nous fait participer à une expérience musicale rare.

Christine Friedel

Théâtre de l’Echangeur, Bagnolet (Seine-Saint-Denis) jusqu’au 22 novembre
T. : 01 43 62 71 20

Les Furtifs d’Alain Damasio, collection folio-science-fiction. Grand prix de l’Imaginaire 2020

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