Les Misérables de Victor Hugo, adaptation de Lazare Herson-Macarel et Chloé Bonifay, mise en scène de Lazare Herson-Macarel
Les Misérables de Victor Hugo, adaptation de Lazare Herson-Macarel et Chloé Bonifay, mise en scène de Lazare Herson-Macarel
Jean Valjean a fait de la tôle mais est toujours poursuivi par l’horrible Javert ici, inspecteur de police. Après bien des aventures, aidé par un vieil homme qui ment aux flics pour lui éviter une nouvelle condamnation pour vol et un retour en prison, il devient avocat, rencontre Fantine, une mère célibataire ouvrière obligée de vendre ses cheveux pour payer la pension qu’elle doit aux affreux Thénardier, les gérants d’un bar-restaurant minable qui gardent sa fille Cosette. Lui, surtout, n’hésitera pas à extorquer le maximum d’argent à Jean Valjean…
Parents indignes, ils laissent tomber leur fils Gavroche et leur fille Eponine. A une distribution d’aide alimentaire aux étudiants, Cosette rencontre Marius dont elle tombera amoureuse. Puis, nous assisterons aux luttes du personnel soignant épuisé et en grève d’un hôpital psychiatrique au Kremlin-Bicêtre et qui décidera finalement de construire une sorte de barricade contre les portes et fenêtres avec le mobilier pour interdire aux policiers d’entrer en force. Bref, une peinture d’une société qui ressemble à la nôtre avec son prolétariat mais sans être celui qu’avait créé Victor Hugo dont on peut lire des citations du roman original qui s’inscrivent en fond de scène. Et sur le plateau, il y a une vie intense sur presque trois heures sans entracte, grâce à une scénographie réussie de Margaux Nessi qui a imaginé de petits lieux avec juste quelques éléments symboliques : un enseigne lumineuse de café, quelques tables et chaises, etc.
Là où cela va moins bien : des personnages comme Cosette, Fantine, Marius et surtout Jean Valjean sont bien de leur siècle comme le père et la mère Thénardier, mais pas vraiment crédibles quand on les transpose dans le nôtre. Comme l’ont fait Chloé Bonifay et Lazare Herson-Macarel. Même si les acteurs font le boulot, ils n’ont guère le temps d’installer leur personnage et du coup, il manque à ce spectacle une véritable émotion…
Lazare Herson-Macarel a imaginé une suite sans fin de courtes séquences sur une musique électronique, avec changement permanent de châssis et accessoires que les acteurs mettent en place à vue ou presque. Rien à dire, c’est bien fait mais ce déménagement permanent est une curieuse idée! Comme cette série de petits projecteurs éblouissants que le metteur en scène a imaginé pour que nous ne voyons pas les changements de décor… Un procédé répétitif qui devient lassant, même s’il ne casse pas vraiment le rythme. Comme s’il se passe tout le temps quelque chose sur le plateau, on ne s’ennuie pas mais les personnages réduits à des silhouettes en costume actuel, ne sont guère convaincants. Et comment croire une seconde à cette fin avec ces barricades transposées en révolte d’hôpital… Et surtout quel sens, cela peut-il bien avoir ?
«Donc l’action sera contemporaine pour nous, comme elle l’était pour l’auteur en 1845, dit Lazare Herson-Macarel. » Mais comment ne pas voir que c’est un syllogisme et qu’il faut se méfier d’une actualisation à tout va… La démarche est loin d’être nouvelle surtout chez les auteurs (Jean Giraudoux, Jean Anouilh avec une Antigone au texte assez facile, voire vulgaire comme si celui de Sophocle n’était plus lisible! On retrouve aussi cette actualisation des mythes universels tragiques chez des metteurs en scène comme Peter Sellars avec Les Perses d’Eschyle, Peter Stein avec L’Orestie du même immense dramaturge ou encore Luc Bondy avec un Tartuffe de Molière en costumes et appartement contemporains.
Cela permet de parler de la société d’aujourd’hui mais à une condition : ne pas en faire une sorte de copié-collé et recréer un monde où l’on retrouve un vrai Jean Valjean, une vraie Cosette, etc. Ce qui semble moins difficile quand il s’agit d’une tragédie ou d’une comédie existante mais, pour un roman adapté à la scène, le mode d’emploi ne peut pas être le même… Il est sans doute plus compliqué, voire impossible. A moins de réécrire complètement ce célèbre roman.
Et les citations projetées, même si elles sont très bien choisies, ne sont pas un pont suffisant avec la misère sociale en 2021. Comparaison n’est pas raison et la question revient, lancinante : en quoi une réactualisation comme celle-ci qui a des allures de B.D. , rend-elle service à l’œuvre originale et/ou donne-t-elle une meilleure lecture du roman, puisque, de roman, il s’agit bien au départ.
Cette adaptation donne-t-elle au public les indispensables outils pour mieux appréhender une œuvre aussi célèbre? Rien d’évident, même si, encore une fois, tout, dans cette mise en scène, est réalisé avec un savoir-faire indéniable. Bref, un travail tout à fait honnête mais qui ne nous a pas vraiment convaincu…
Philippe du Vignal
Le spectacle a été joué au Théâtre de la Tempête , Cartoucherie de Vincennes, route du Champ de Manœuvre, du 5 au 25 novembre. T. : 01 43 28 36 36.
Et sera ensuite en tournée.