Brèves de comptoir, tournée générale, adaptation de Jean-Michel Ribes et Jean-Marie Gourio, mise en scène de Jean-Michel Ribes
Brèves de comptoir, tournée générale, adaptation de Jean-Michel Ribes et Jean-Marie Gourio, mise en scène de Jean-Michel Ribes
« Le bistrot, c’est un espace de liberté (..). Il produit et distribue de l’alcool, dit Jean-Michel Ribes, mais aussi du langage, celui qu’on écoute ou pas, de tous ceux qui se sentent exclus ailleurs. Le bar est un endroit de banalité où l’on trouve des pépites. Jean-Marie Gourio (…)guette le génie populaire, devient le découvreur d’un langage qui naît là, comme d’autres trouvent de l’or dans la boue. » Le metteur en scène avait fait de ces Brèves un film, puis un spectacle au Théâtre du Rond-Point et réitère l’opération à l’Atelier, avec cette fois seulement six acteurs -au lieu de huit- rompus à l’exercice de faire rire, un des plus difficiles qui soient et dont le théâtre contemporain n’est guère friand: Nanou Garcia, Gilles Gaston-Dreyfus, Philippe Magnan, Philippe Vieux mais aussi Marie-Christine Orry et Philippe Duquesne, des ex-Deschiens, la compagnie fondée par Macha Makeieff et Jérôme Deschamps. Une bonne distribution et tous sont aussitôt identifiables: l’ouvrier en bleu de travail, le bourgeois bien habillé, le patron du café avec son grand tablier blanc, etc… Et Emmanuelle Fabre a créé une brasserie des années cinquante, plus vraie que nature sous les éclairages de Jacques Rouveyrollis et comme on en voyait autrefois dans les gares importantes quand il n’y avait pas encore de TGV aux espaces anonymes, inconfortables, froids imaginés par des architectes sans beaucoup d’imagination ! Un bar en zinc, avec de hautes étagères emplies de bouteilles, des lustres à globes et rideaux blancs coupe-vent et bien sûr ,ces tables rondes où on peut juste disposer quelques verres à pied de vin blanc.
Et les brèves dans ce lieu de vie où toutes les classes sociales étaient admises, fusent autour d’un même thème, leur vie quotidienne : « Quand tu as une vie de con, faut surtout pas être intelligent, tu souffres plus.» « Plus je bois et plus je suis saoul, parce que moi, je suis logique!» «Heureusement qu’il y a les comptoirs pour s’accouder, sinon on serait debout sur la terre comme des cons ! » «Les putes font le plus vieux métier du monde et surtout les vieilles putes.» « Je vis ma vie, tu vis la tienne, chacun vit sa vie, je sais que c’est triste mais c’est comme ça. » « Je vais pas vivre ta vie ni toi la mienne, on fait pas la même taille. » « Moi ma femme peut pas me quitter, vu que je suis jamais là. »
Mais aussi la politique: «J’écoute pas les hommes politiques, je me fais ma propre opinion toute seule et ça m’empêche pas d’avoir la même opinion que tout le monde.» Mais aussi cette merveilleuse phrase sur le temps qui passe: » La photographie fixe l’instant présent pour en faire du passé, c’est malin. » Et surtoutla mort et la vieillesse: «Même le jour de ma mort, je croirai pas en Dieu n’attendrai le lendemain pour être sûr.». Les planètes: « J’ai la lune à côté de chez moi, des fois je la regarde. » «Sur le soleil, il fait jamais nuit. »
Et l’art moderne et contemporain, la musique: «Picasso, vu le prix que cela coûte, quand j’en aurai fais un, j’arrêterai. » «L’art sertà ce que des mecs se prennent pour des artistes, voilà c’est tout.« Le problème avec Mozart, c’est que c’est de la musique, un footballeur aussi doué m’intéresserait plus. » Rien ne ressemble plus à du Mozart qu’à du Ravel quand t’y connais zéro. » Et le cinéma : « Je suis incapable de regarder un film en version originale, je lis les textes en bas, après je regarde l’image mais ils ont déjà fini de parler, je sais pas qui a dit quoi. « » Mais aussi bien entendu, le Gouvernement, la vie sociale: « Les syndicats ne servent pas à grand-chose, ils ne défendent que les syndiqués. »
La religion : « Jésus s’était même pas essuyé les pieds avant de marcher sur l’eau, tu vas pas boireça! » « J’ai lu un bout du Nouveau Testament c’est comme tout, ça vaut pas l’Ancien. « La Justice : «Pas la même pour tous, si je tue un Noir, je vais en prison, si un Noir me tue, je vais au cimetière, à chaque fois, c’est le Blanc qui trinque. » La télévision et les médias «Avec la télé,on a plus de temps de se parler et c’est pas plus mal vu, qu’on a rien à se dire. » «L’actualité passe tellement vite de nos jours, si tu vas chercher une bière, tu rates une guerre! » Et cerise sur le gâteau: « Les fleurs, c’est des bites. » Incroyable mais c’était aussi un mot du philosophe Olivier Revault d’Allonnes, notre prof au lycée Condorcet…il y a quelques dizaines d’années!
Sous la forme d’un dialogue échevelé, de petites phrases spontanées, dans un sacré de cocktail de bêtise mais aussi de vraie pensée. Et elles en disent souvent plus long sur la vie d’un pays, que bien des analyses, vaguement teintées de sociologie. « Toute l’aventure des Brèves de comptoir a commencé ce jour où j’ai entendu cette petite phrase: « Est-ce qu’une plante carnivore peut être végétarienne ? Je crois pas… » lancée en l’air par un client accoudé devant un petit verre de vin blanc. Amusé, et pour ne pas l’oublier -bon réflexe- je la notais. Le lendemain, j’en notais une seconde au Relais Lagrange, place Maubert, puis une troisième au Chinon, une quatrième et une cinquième au Bar du Métro. »
Ici, nous sommes bien dans un café d’autrefois et les brèves fusent souvent en écho. Jean-Michel Ribes et Jean-Marie Gourio les ont très habilement tricotées, mais ce dialogue peine parfois à en être tout à fait un… Les acteurs, eux, s’ils ont parfois tendance à bouler leur texte, sont impeccables et ont tous une belle présence. Et pourtant ici quelque chose ne fonctionne pas bien… La faute à quoi? D’abord à un texte inégal qui aurait mérité d’être resserré: il y a d’excellentes brèves et d’autres qui le sont beaucoup moins. Le public, pas très jeune ni très nombreux ce dimanche, décroche et quelques spectateurs se sont même enfuis… Tout se passe comme si Jean-Michel Ribes, pourtant très bon directeur d’acteurs, avait laissé faire un peu les choses. Pourquoi, même si c’est évidemment un parti-pris, les personnages restent-ils toujours sans exception sur le plateau, ce qui rend les choses statiques et pourquoi y-a-t-il ces petites pauses où tous lèvent la tête, alignés, pour voir ensemble passer un train, des voitures, un orage… Cela casse un rythme déjà un peu lent, surtout au début. Quand on regarde la captation de sa précédente mise en scène, elle nous paraît plus enlevée et teintée d’une belle folie. Mais ici, les choses ont tendance à s’installer et malgré encore une fois les grandes qualités de cette distribution, nous avons eu la nette impression que le spectacle aurait été plus fort en une heure.
«C’est une étrange entreprise que celle de faire rire les honnêtes gens. » disait déjà Molière dans La Critique de l’Ecole des femmes… On nous répondra sûrement que le public ne viendrait pas jusque là pour un temps aussi court. Note à benêts: les places sont à 45 et 35 € au parterre! (mais il y a des réductions pour les habitants du XVIII ème). Ceci explique sans doute aussi cela. A vous de voir, mais vous pouvez aussi relire ces Brèves de comptoir devenues et à juste titre, un vrai classique…
Philippe du Vignal
Spectacle vu le 28 novembre au Théâtre de l’Atelier, place Charles Dullin, Paris (XVIII ème).