Mère, texte et mise en scène de Wajdi Mouawad

Mère, texte et mise en scène de Wajdi Mouawad

D’abord quel plaisir de voir enfin, par ces temps difficiles, un théâtre où toutes les places sont occupées… Troisième opus du cycle Domestique, après les Seuls  et Sœurs, Mère est une fiction construite à partir d’éléments autobiographiques. Wouajdi Mouawad avait dix ans quand, pour fuir la guerre civile qui fait rage à Beyrouth et au Liban, il arrive avec sa mère, sa grande sœur et son frère, dans le XV ème à Paris… Un appartement meublé en location où il sent dépaysé : « Un immeuble de style haussmannien avec concierge, ascenseur et moquette avec bosses, alors que j’avais passé toute mon enfance dans une forêt peuplée d’animaux, a pour moi été une expérience lunaire. »Bien sûr, il va à l’école mais comme il parle seulement l’arabe libanais, il a du mal avec le français surtout avec des verbes aussi compliqués qu »aller », au présent de l’indicatif.

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© x La sœur, C h. Ochrent, la mère et devant l’enfant

Son père à la tête d’un commerce, est resté là-bas pour faire vivre sa famille. Sa mère, elle, comme beaucoup de ses compatriotes, pense revenir au Liban dans trois mois puis dans six  et puis dans un an… Et ce seront finalement cinq années d’exil avec à la clé, une inquiétude permanente du lendemain et, la peur de voir disparaître les proches qui sont restés là-bas. ou ailleurs comme dans le monde, comme la sœur de sa mère qui habite les Etats-Unis et à qui elle téléphone régulièrement.  Seul moyen d’information, le Journal sur la 2 de Christine Ockrent qui s’invite ici son micro devant elle posé sur une petite table, dans l’appartement,. comme à la télé mais pour de vrai comme disent  les enfants et  non sur un écran qui est bien là mais sans images. Et comme dans une machine à remonter le temps, on la retrouve avec son habituel: «Madame, Monsieur bonsoir.» trente-quatre ans plus tard.  La mère prépare un repas avec des oignons et des épices qui parfument la salle et la journaliste présente les nouvelles, les bonnes comme les mauvaises mais reçoit les reproches de la mère,  parce qu’elle ne parle pas assez de la guerre au Liban. Une fabuleuse idée de mise en scène… Et Christine Ockrent est visiblement aussi à l’aise sur cette grande scène, que sur un plateau de télévision.

Le petit garçon qu’était Wajdi Mouawad voit sa mère téléphoner en larmes à son père réfugié dans une cave chez des voisins mais le réseau est en mauvais état et cela coupe souvent. Tous les beaux immeubles 1900 de ce quartier ne sont plus que ruines comme on le voit en vidéo- pour une fois réellement utile et efficace- sur le mur du fond. Et, catastrophe, le magasin du père finira par être pillé. La famille partira ensuite pour le Québec où sa mère mourra deux ans plus tard puis son père. Wajdi Mouawad y passera toute sa jeunesse avant de revenir en France où il a créé une quarantaine de spectacles.

Il est là au début dans la salle, très humble et souriant; il demande aux spectateurs d’éteindre leur portable, avant de leur expliquer rapidement la genèse du spectacle et ensuite de passer sur le plateau, où il y juste un long mur en bois avec deux portes frontales. L’auteur et metteur en scène n’a pas voulu tomber (et il a eu raison) tomber dans l’hyperréalisme. Et le scénographe Emmanuel Clolus a choisi la sobriété: de cet appartement du XV ème, nous ne verrons qu’une photo projetée d’un tableau d’Henri Matisse dont une reproduction ornait la salle à manger. Il y a quelques chaises, un canapé, un fauteuil, une grande table de cuisine où la mère prépare inlassablement les repas… A la fin, nous verrons la projection d’un photo en noir et blanc très émouvante avec la famille réunie autour de la table avec au mur, le tableau de Matisse. Wajdi Mouawad est présent sur scène, un peu à la façon de Tadeusz Kantor, autrefois,  veillant en silence au bon déroulement du spectacle. Incarnation irréprochable de la mère par Aïda Sabra et de la sœur par Odette Makhlouf.  Emmanuel Abboud, Théo Akiki, Dany Aridi, Augustin Maîtrehenry jouent en alternance le petit garçon. Celui que nous avons vu ce soir-là, un peu joufflu, cheveux noirs, était tout aussi impeccable et plus vrai que nature.

Un spectacle juste et précis avec une exceptionnelle direction d’acteurs. Wajdi Mouawad réussit par le bais du théâtre, à nous faire ressentir l’impression douloureuse d’avoir eu une guerre-mère : «Tous les Libanais ont deux mères dit-il, la seconde, qui les a mis au monde autant que leur propre mère, est la guerre. Je n’échappe pas à cela. Être l’enfant de ces deux mères est une prise de conscience tout à fait réelle. »  Il réussit grâce à une mise en scène d’une remarquable finesse à passer d’un récit autobiographique vers le fictionnel. Cette mère parle constamment arabe mais sur-titré et tout ici est tellement vrai que cela ne nuit en rien au spectacle et les scènes au téléphone avec son mari sont de vrais moments d’anthologie. Et on voit en filigrane que, Wouajdi Mouawad, lucide, n’oubliera jamais ce que sa vie aurait été sans cette guerre civile qui l’a marqué à jamais. «Si j’étais resté au Liban, j’aurais été quelqu’un de complètement différent, sans doute eu d’autres enfants que les miens. C’est vertigineusement troublant de se dire que ces êtres-là existent grâce à un événement aussi épouvantable que la guerre! De la même manière, je n’aurais probablement jamais fait de théâtre : c’est donc une guerre de 400.000 morts, sans compter les disparus et les conséquences irréparables à venir, qui m’a sauvé ! Un prix chèrement payé, non ? »

Le témoignage d’un homme lucide qui a donc vécu une guerre à distance de son cher pays plusieurs fois martyrisé, et encore l’an dernier par une explosion monstrueuse. Allez absolument voir ce spectacle que certains ont trouvé un peu long mais ces deux heures et demi, pour nous, ont très vite passé. Et c’est sans doute l’un des meilleurs et des plus exigeants de cet excellent auteur : nous n’avons qu’un Wouajdi Mouawad! Ici l’intimité d’une famille -et surtout celle d’un enfant devenu écrivain et metteur en scène- rejoint l’universel. Et nous nous souviendrons longtemps de cette mère libanaise si attachante, même et surtout quand elle hurle en arabe au téléphone tout son désespoir. Ou, quand, tout en préparant le dîner, elle engueule son petit garçon, parce qu’il fait des fautes de conjugaison en français… Enfin une très bonne soirée et longuement saluée par le public. On vous le redit: allez voir ce spectacle, vous ne le regretterez pas.

Philippe du Vignal

Jusqu’au 30 décembre, Théâtre de la Colline, rue Malte-Brun Paris ( XX ème). T. : 01 44 62 52 52. 


Archive pour 30 novembre, 2021

La Maladie Blanche de Karel Čapek, traduction d’Alain van Crugten, par la compagnie Jolie Môme

La Maladie Blanche de Karel Čapek, traduction d’Alain van Crugten, par la compagnie Jolie Môme

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Photo PhilippeCaro

 La pièce, écrite en 1937 et montée avec succès au Théâtre national de Prague la même année, fut encensée par Max Brod et Thomas Mann ! L’auteur tchèque est connu pour son théâtre polémique avec entre autres,  La Guerre des Salamandres et R.U.R. (Les Robots universels de Rossum) avec pour la première fois, le mot « robot » :travailleur en tchèque. Il fait ici figure de visionnaire car sa dernière œuvre -il meurt en 1938- rejoint notre actualité: une épidémie accable le pays: des taches blanches  sur la peau chez les plus de quarante-cinq ans qui meurent dans une douleur et une puanteur atroces. Le docteur Galén -rebaptisé ici Bougalen- un médecin des pauvres, trouve un remède mais refuse de soigner les riches, à moins qu’ils n’instaurent la paix. Le Maréchal, dictateur va-t-en guerre, victime du mal à son tour, va, pour recevoir le traitement, céder aux conditions du docteur et déclare : « Non à la guerre ! Non à la guerre!  » Mais la foule se déchaîne et piétinera le médecin comme son médicament.

En trois actes et quatorze tableaux, La Maladie blanche met en lumière avec un humour grinçant les forces antagonistes d’une société où le profit est roi. Le capitalisme en crise génère nationalisme belliqueux et mesures liberticides: instruments d’un pouvoir déliquescent. De quoi alimenter l’esprit combatif de Jolie Môme… Ce collectif participe depuis longtemps à toutes les luttes populaires et a gardé sa verve militante.

Dans le style du théâtre d’intervention, il reprend les bonnes vieilles méthodes brechtiennes, avec un zeste de commedia dell’arte : visages blancs, costumes emblématiques de fonctions sociales. Les jeunes acteurs se plient à un jeu frisant la caricature et forcent le trait mais sans excès. Cette farce noire se prête à un traitement didactique et burlesque, avec des archétypes sociaux: un marchand de canons accompagné d’un chef de guerre, un conseiller d’Etat, propriétaire d’une clinique et entouré de médecins à sa botte, une presse et une petite bourgeoisie serviles, une nation au patriotisme fanatique… Quelle que soit leur classe sociale, tous veulent tirer  bénéfice de l’épidémie: les uns, en agitant la peur pour garder le pouvoir, les autres en spéculant sur les ventes d’un traitement-miracle.

En montrant la résistance du docteur Bougalen, son engagement désintéressé et sans faille pour la cause pacifiste, Karel Čapek rend évident le système mafieux des industriels et politiciens.  La compagnie Jolie Môme met son énergie au service d’un texte étonnant qui, encore aujourd’hui, résonne étrangement. Une mise en scène bien huilée, un rythme soutenu par une musique jouée sur scène et un style de jeu affirmé emportent l’adhésion du public, venu nombreux à la Belle Etoile. Cette ancienne salle des fêtes devenue gymnase, est mise à disposition de ce collectif par la ville de Saint-Denis depuis 2004. Un lieu chaleureux et à découvrir… situé dans un quartier en pleine mutation et où Jolie Môme propose des soirées cabarets, des ateliers de théâtre et reçoit des groupes militants.

Mireille Davidovici

 Jusqu’au 5 décembre, La Belle Étoile, 14 rue Saint-Just, La Plaine-Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Métro : Front Populaire. T. : 01 49 98 39 20.

Le texte de la pièce est publié aux éditions de La Différence..

 

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