La Maladie Blanche de Karel Čapek, traduction d’Alain van Crugten, par la compagnie Jolie Môme
La Maladie Blanche de Karel Čapek, traduction d’Alain van Crugten, par la compagnie Jolie Môme
La pièce, écrite en 1937 et montée avec succès au Théâtre national de Prague la même année, fut encensée par Max Brod et Thomas Mann ! L’auteur tchèque est connu pour son théâtre polémique avec entre autres, La Guerre des Salamandres et R.U.R. (Les Robots universels de Rossum) avec pour la première fois, le mot « robot » :travailleur en tchèque. Il fait ici figure de visionnaire car sa dernière œuvre -il meurt en 1938- rejoint notre actualité: une épidémie accable le pays: des taches blanches sur la peau chez les plus de quarante-cinq ans qui meurent dans une douleur et une puanteur atroces. Le docteur Galén -rebaptisé ici Bougalen- un médecin des pauvres, trouve un remède mais refuse de soigner les riches, à moins qu’ils n’instaurent la paix. Le Maréchal, dictateur va-t-en guerre, victime du mal à son tour, va, pour recevoir le traitement, céder aux conditions du docteur et déclare : « Non à la guerre ! Non à la guerre! » Mais la foule se déchaîne et piétinera le médecin comme son médicament.
En trois actes et quatorze tableaux, La Maladie blanche met en lumière avec un humour grinçant les forces antagonistes d’une société où le profit est roi. Le capitalisme en crise génère nationalisme belliqueux et mesures liberticides: instruments d’un pouvoir déliquescent. De quoi alimenter l’esprit combatif de Jolie Môme… Ce collectif participe depuis longtemps à toutes les luttes populaires et a gardé sa verve militante.
Dans le style du théâtre d’intervention, il reprend les bonnes vieilles méthodes brechtiennes, avec un zeste de commedia dell’arte : visages blancs, costumes emblématiques de fonctions sociales. Les jeunes acteurs se plient à un jeu frisant la caricature et forcent le trait mais sans excès. Cette farce noire se prête à un traitement didactique et burlesque, avec des archétypes sociaux: un marchand de canons accompagné d’un chef de guerre, un conseiller d’Etat, propriétaire d’une clinique et entouré de médecins à sa botte, une presse et une petite bourgeoisie serviles, une nation au patriotisme fanatique… Quelle que soit leur classe sociale, tous veulent tirer bénéfice de l’épidémie: les uns, en agitant la peur pour garder le pouvoir, les autres en spéculant sur les ventes d’un traitement-miracle.
En montrant la résistance du docteur Bougalen, son engagement désintéressé et sans faille pour la cause pacifiste, Karel Čapek rend évident le système mafieux des industriels et politiciens. La compagnie Jolie Môme met son énergie au service d’un texte étonnant qui, encore aujourd’hui, résonne étrangement. Une mise en scène bien huilée, un rythme soutenu par une musique jouée sur scène et un style de jeu affirmé emportent l’adhésion du public, venu nombreux à la Belle Etoile. Cette ancienne salle des fêtes devenue gymnase, est mise à disposition de ce collectif par la ville de Saint-Denis depuis 2004. Un lieu chaleureux et à découvrir… situé dans un quartier en pleine mutation et où Jolie Môme propose des soirées cabarets, des ateliers de théâtre et reçoit des groupes militants.
Mireille Davidovici
Jusqu’au 5 décembre, La Belle Étoile, 14 rue Saint-Just, La Plaine-Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Métro : Front Populaire. T. : 01 49 98 39 20.
Le texte de la pièce est publié aux éditions de La Différence..