Livres et revues : Jeu n°180 et Danser hip hop de Rosita Boisseau et Laurent Philippe

 

Livres et revues

Jeu revue de théâtre n° 180

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Dans son éditorial, Raymond Bertin le rédacteur en chef, met comme d’habitude et avec une grande clarté les choses au point après la pandémie historique que le Canada a subie : «Dans quel état se trouve le théâtre, entendu au sens large des arts du spectacle vivant ? Notre théâtre, celui que nous connaissons et aimons, saura-t-il se relever et retrouver son ampleur, son dynamisme, son rayonnement ? »

Il y a dans ce nouveau et très riche numéro un dossier Renaissance où il est question de mémoire transmission, perte, deuil, guérison, filiation, ruptures générationnelles, espoir, renouveau. Michel Vaïs pense qu’il faut élargir notre horizon, en réfléchissant sur les traumatismes sociaux qu’ a vécu l’humanité au cours de son histoire ; d’autre part, nous voulions chercher dans notre passé récent des réponses d’artistes aux maux de l’ici et après, notamment certain·es dont la longévité au théâtre devrait contribuer à nous éclairer.

Enzo Giacomazzi rappelle en effet que l’art a joué un rôle primordial dans la «reconstruction sociétale des pays endeuillés ». Que sera-t-il d’un nouveau théâtre? Aura-t-il encore à voir avec l’actuel ou faudra-t-il tout reconstruire comme depuis deux ans.

Notre ami Jean-Pierre Han dresse un bilan de la situation du théâtre en France et en Europe. il y a une véritable rupture. Et comme il le dit justement, les criques plus très jeunes mais encore en activité voient un âge d’or dans les quarante dernières années, ce qu’avait déjà remarqué un metteur en scène aussi lucide qu’Antoine Vitez. Mais les jeunes metteurs en scène ne se retrouvent souvent pas du tout dans le travail de ceux qui dirigent maintenant des institutions. Et le numérique comme la vidéo ont fini par envahir les plateaux avec des résultats souvent consternants. Et c’est toute une génération qui profite d’avoir un lieu théâtral pour tenter des expériences plus proches du cinéma. Il y aura un jour une bascule mais laquelle? Quand cette croyance absolue dans les merveilles coûteuses!-de la technologie aura pris un sérieux coup dans l’aile…

Des créateurs aussi avertis qu’Hervé de Lafond et Jacques Livchine ont bien senti le danger et leur Nuit unique, même si c’est une grosse machine à gérer une nuit entière avec une précision absolue, a plus à voir avec un certain artisanat du spectacle… Il y a actuellement aussi une tendance à la récupération. Ce qui était très rare il ya quelque vingt ans. Ainsi le décor de Roméo et Juliette, passant de la Comédie-Française à l’Opéra-Comique. Ou Murielle Mayette qui, intelligemment, récupère des costumes de la Comédie-Française pour créer sa trilogie Goldoni. Bien entendu la crise covid n’en est pas la cause mais a certainement aidé à prendre conscience de la débauche de moyens pour certains spectacles .
Comme le souligne Jean-Pierre Han, il y a bien une rupture que ce soit en France  ou ailleursentre les générations  et le théâtre des années soixante-dix à maintenant que nous avons connu, est sinon mort, du moins en train d’être oublié. Qui connait encore le parcours du célèbre Living Theatre de Julien Beck et Judith Malina? Qui est Jérôme Savary pour des jeunes gens de  vingt ans?  Et s’il y a renaissance, cela sera comme toujours en dehors des lieux institutionnels dont les jeunes se méfient de plus en plus, surtout quand ils sont cornaqués d’en haut par des énarques incompétents en matière de spectacle mais avec la bénédiction de la Macronie.

Et il a trois articles sur notre force collective de résilience. Celui de Marie-Laurence Marleau qui s’intéresse à la guérison des blessures individuelles.  Élise Fiola étudie le travail de création de Blackout,  The Concordia Computer Riots, et ceux de Serge Boucher et Pol Pelletier, entre autres, pour évoquer les événements traumatiques qui marquent l’inconscient collectif. Et Anne-Marie Cousineau dresse le portrait de Michelle Parent et de sa compagnie Pirata Théâtre  qui intègrent des acteurs non professionnels. Nous ne pouvons tout citer de ce riche numéro qui apporte un bel éclairage sur un théâtre à la fois si loin géographiquement et si près de nous, avec  comme toujours une iconographie précise et de grande qualité…

Philippe du Vignal

 

 Danser hip hop de Rosita Boisseau et Laurent Philippe

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© Laurent Philippe

 Né dans la rue, le  hip hop est apparu en France dans les années quatre-vingt et a investi progressivement les plateaux de théâtre, cinéma et télévision. Il s’est largement diversifié à la fois par son style et ses publics. Rosita Boisseau, autrice de plusieurs livres sur la danse, notamment Danser Pina prix de la critique 2020,  a vécu de près cette épopée dans l’Hexagone. Dans ce livre, elle remonte aux racines de cette danse, en complicité avec Laurent Philippe dont les photos saisissent l’énergie spectaculaire des artistes.

Une introduction historique va à la source du hip hop, dans les ghettos new yorkais, au début des années soixante-dix, avec joutes acrobatiques au son de «ghetto blasters», fêtes de quartier rythmées par les D J et battles… L’étymologie du mot: hip: être dans le coup, en argot américain, et hop: sauter,  évoque le bouillonnement de ce mouvement artistique et socio-politique. Si la ghettoïsation aux Etats-Unis des minorités noires et latinos «où la fibre hip hop trouve sa sève» est différente de celle des banlieues et villes françaises, on y rencontre les mêmes questions des racines et de la diversité, comme l’a exprimé par exemple le mouvement Black Blanc Beur.

En cinq chapitres, la journaliste dresse un panorama composite de ce mouvement en effervescence et en métamorphose permanente, qu’elle a suivie dès les années quatre-vingt avec des chroniques sur Radio Arc-en-Ciel et Radio Nova, puis à France-Culture dans Avant-Premières d’Yvonne Taquet. Exploration qu’elle poursuit avec ses critiques dans Le Monde et Télérama. Elle retrace l’évolution de ce mouvement en s’appuyant sur la trajectoire de plusieurs artistes : Frank 2 Louise, Hamid Ben Mahi, Kader Attou, Mourad Merzouk, Amala Dianor,i… Sans oublier les femmes qui commencent, elles aussi, à occuper le devant de la scène : Jann Gallois, Anne Nguyen… Ils et elles ont fondé leur compagnie et certains sont devenus directeurs de centres chorégraphiques nationaux.

Danser hip hop nous fait revivre les battles, ces compétitions informelles devenues des performances minutées devant un jury. Chacun avec un style personnel dans des solos ou duos insensés ou des affrontements par équipe.. Les battles ont conquis leurs lettres de noblesse, jusqu’à être programmés par l’Opéra de Paris. «Ils ont dégagé un circuit économique pour les danseurs, qui leur permet de gagner leur vie ou de se faire connaître et engager. » dit Rosita Boisseau. Elle  consacre un autre chapitre à l’aspect collectif que revêt, paradoxalement, le hip hop aujourd’hui : Wanted Posse fête ses vingt ans et à Lyon, Pokemon Crew gagne en notoriété jusqu’à inaugurer le stade de l’Olympique lyonnais.

Le dernier chapitre est consacré à tous les styles du hip hop : on y distingue ceux débout, dits : «old school» comme le waacking sur musique disco, et ceux «new school», dont l’électro, ou le break, dansés au sol,  et vous saurez tout sur le locking, le boogaloo, le smurt, le krump… Et sur le métissage de ces styles avec la danse contemporaine… Vous apprendrez aussi les modes vestimentaires liées à cette histoire du hip hop. Accompagné d’une bibliographie et d’un index, cet ouvrage sera le bienvenu dans la bibliothèque des amateurs de danse. Les nombreuses et belles photos, sont légendées, ce qui est rare, avec les noms de tous les interprètes et constituent ainsi une mémoire précieuse des spectacles…

Mireille Davidovici

Nouvelles éditions Scala, 140 pages, 29 €.

 

 

 

 

 


Archive pour décembre, 2021

Le Temps de vivre, de Camille Chamoux et Camille Cottin, mise en scène de Vincent Dedienne

Le Temps de vivre, de Camille Chamoux et Camille Cottin, mise en scène de Vincent Dedienne

Autrice et interprète de ses textes, la comédienne s’est imposée en 2012 avec Née sous Giscard et, de solo en solo, continue, porte-parole de la génération  « baby boom» à avoir un regard caustique sur le monde.  Nous l’avons suivie dès ses débuts et son quatrième spectacle a tenu l’affiche tout l’automne,  avec une réflexion sur le temps, sans doute dictée par le confinement. Celui qu’on perd sur les réseaux sociaux, qu’on espère gagner grâce à internet, ou, que pris dans une course contre la montre, on ne réussit pas à accorder aux autres, même à ses enfants… Jongler avec ses horaires de travail et ceux de la crèche, pester pour un contretemps quand waze a mal calculé votre itinéraire, déplorer les heures passées sur whatsapp

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© Christophe Raynaud De Lage

 Et si, dit-elle, on inversait le processus, si on prenait le temps : celui qui nous est accordé dans la finitude et la contingence de notre vie. Débrancher son téléphone et toutes ses applications chronophages… Et s’occuper un peu moins de notre petit nombril sur une planète qui souffre et qui brûle. Avec en mains, Marcel Proust, Epicure ou André Gide, en soixante-dix minutes  chrono elle partage ses tracas avec le public applaudit chaleureusement . Mais ensuite, nous dit-elle, le régisseur doit aller s’occuper de son vieux chien incontinent…

Rien de passéiste dans Le Temps de vivre ni de «c’était mieux avant». Camille Chamoux s’en prend volontiers à ces «boomers» qui ne lâchent rien, comme ses parents encore sur des skis à quatre-vingt ans… D’une plume acérée et avec quelques références littéraires à propos, elle évoque les petits maux d’une société hystérisée par le temps et l’argent et envoie quelques coups de griffes aux actrices de la génération précédente refusant de « balancer  les gros porcs». Et elle entre parfois dans de saines colères. Faute de tragédie grecque avec catharsis, nous dit-elle, elle emprunte sa rage à Virginie Despentes, en la parodiant…

 Fluette, la comédienne s’impose dès son entrée sur le beau plateau dénudé du grand théâtre de la Porte Saint-Martin, avec un jeu nuancé, parfois cru jamais vulgaire. Mise en scène sobre et efficace de Vincent Dedienne: Camille Chamoux n’a pas besoin d’aller chercher le public et le temps passe vite en sa compagnie et à la fin, quand la scène plongée dans l’obscurité est éclairée par une bougie, elle nous offre pour la route, un poème signé Boris Vian, Le Temps de vivre.

Un spectacle à  déguster comme le vieux Marcel dégustait sa madeleine, pour « cesser de se sentir médiocre, contingent, mortel » et en finir avec l’obsession du « timing» ».  Et vous pourrez l’applaudir près de chez vous.

 Mireille Davidovici

 Jusqu’au 31 décembre, Théâtre de la Porte Saint-Martin, 18 boulevard Saint-Martin, Paris (X ème). T. : 01 42 08 00 32.
Le 8 janvier, Théâtre Simone Signoret, Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines) ; le 11 janvier, Pantin (Seine-Saint-Denis); le 20 janvier, Chambéry (Savoie) ; le 22 janvier, Radiant-Bellevue, Caluire (Rhône) ; le 25 janvier Théâtre Jean Vilar, Bourgoin-Jallieu (Rhône), etc.

 

 

Qui êtes-vous Helen Coghlan?

Qui êtes-vous Helen Coghlan? 

 Cette artiste a fait de la magie toute sa vie car son père magicien est devenu professionnel quand elle avait onze ans. Quelques années plus tard, elle a vu son spectacle et a voulu être son assistante. Elle désirait être coiffeuse mais n’a pu obtenir d’apprentissage et son père, magicien dans un parc à thème sur la Gold Coast du Queensland en Australie, cherchait un assistant à temps plein. « Et, dit-elle comme rien de mieux ne s’est présenté, nous avons travaillé ensemble ! Ensuite, j’ai commencé à apprendre quelques tours et j’ai eu ma place dans son spectacle. Le premier tour que j’ai appris était les Hippity Hop Rabbits. À seize ans, j’avais déjà donné mille spectacles….

 

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J’ai appris la magie avec mon père qui avait une merveilleuse collection de tours et m’apprenait des routines. Dans ce parc à thème, nous faisions jusqu’à cinq spectacles par jour…Nous avons fait aussi beaucoup d’apparitions à la télévision et étions très connus en Australie, donc nous avons pu très souvent jouer dans notre pays et à l’étranger.
Plus récemment, j’ai participé à l’émission télévisée internationale Fool Us de Penn & Teller enregistrée  à Las Vegas et en l’an passé,  Helen est devenue la première personne au monde à tromper les magiciens de renommée mondiale Penn & Teller à trois reprises dans cette émission.

Et cela nous a offert de nombreuses occasions de travailler ailleurs. J’ai ainsi joué dans le bel Opéra de Sydney, à la télévision ou dans des festivals en plein air. Mais les théâtres sont plus agréables : à l’extérieur, il y a trop d’imprévus.
Comme de nombreux collègues, je peux faire des tours de cartes mais mon point fort est la magie de scène et les évasions : J’ai été la première femme au monde à réaliser la célèbre Water Torture Escape d’Houdini.

 Enfant, j’adorais regarder Doug Henning. Je ne me souviens pas de son numéro mais j’aimais son style. Charlie Frye de Las Vegas, est un ami proche et j’aime vraiment le voir sur scène ou assis à une table, faire de la magie. Cette année, j’ai participé au spectacle Best Trick Ever de James Galea. Nous avons passé six semaines à l’Opéra de Sydney et j’ai joué aux côtés de James Galea, Raymond Crowe, Dom Chambers et Vincent Kuo. J’ai adoré travailler avec eux. J’aime voir une présentation unique et si c’est drôle, c’est encore mieux.Actuellement, il y a de nombreuses nouvelles formes de magie, entre autres technologiques, mais je n’en suis pas fanatique, sauf quand elles sont très bien présentées.

-Nombre de magiciens reconnaissent être influencés par des artistes qui ne sont pas toujours de leur discipline. Est-ce votre cas ? Et si c’était à refaire, aimeriez-vous être conseillée par de grands professionnels ?

-Pas vraiment… Mes spectacles sont toujours très naturels et ce que vous voyez sur scène est ma vraie personnalité, assez détendue. Mais je dirais aux jeunes gens : « Pratiquez, pratiquez, pratiquez… Entraînez-vous devant un miroir et filmez-vous. Vous apprendrez beaucoup, si vous êtes capable d’interpréter ce que le public voit. Si vous en avez l’occasion, faites aussi des représentations caritatives. C’est génial : vous aiderez la communauté et vous aurez une merveilleuse occasion de montrer vos talents et de tester de nouvelles routines. Enfin, vous vous sentirez bien, en sachant que vous avez aidé quelqu’un. J’oubliais : il y a une chose importante pour moi : voir des magiciens intègrant leur culture personnelle dans leur travail. Ils en font alors une forme d’art qui ouvre les yeux du public sur différents aspects de la Culture qu’ils n’avaient peut-être pas auparavant…

 Sébastien Bazou

 Interview réalisée le 20 décembre.

https://arthurcoghlan.com/

Roméo et Juliette, d’après William Shakespeare, musique de Charles Gounod, mise en scène d’Eric Ruf

Roméo et Juliette, d’après William Shakespeare, musique de Charles Gounod, mise en scène d’Eric Ruf

 

Les représentations de cet opéra a connu quelques bouleversements à cause de la pandémie. Les rôles-titres : Jean-Francois Barras et Julie Fuchs ont dû être remplacés en une demi-journée par Pene Pati (Roméo) et Perinne Madoeuf (Juliette) Et ils ont ont rapidement intégré les déplacements nécessaires. Eric Ruf avait monté la pièce de William Shakespeare en 2015, à la Comédie-Française et  a adapté sa mise en scène pour l’opéra mais avec le décor qu’il avait lui-même conçu. Le chœur Accentus portait un masque sans que cela n’altère son intensité vocale mais les rôles principaux, eux, n’étaient pas masqués.

© S. Brion ( photo de répétition)

© S. Brion ( photo de répétition)

Christian Lacroix a réalisé de magnifiques costumes, en adéquation avec de hauts murs évoquant l’Italie. « Mais dit Eric Ruf, une Italie pauvre avec sur ces beau murs murs délabrés, le souvenir d’une civilisation glorieuse. Une Italie du Sud où la chaleur écrase les places et échauffe les esprits. » Le beau couple Pene Pati et Perinne Madoeuf est très crédibles et quelle émotion après la fin tragique pour Roméo et Juliette, quand ils s’enlacent pour saluer le public, fiers et heureux de cette performance. Leurs voix résonneront sans doute longtemps dans notre bmémoire.

 L’orchestre de l’Opéra de Rouen-Normandie sous la direction de Laurent Campellone est impressionnant. Ernest Reyer écrivait à la création en 1867 : «Un souffle poétique passe à travers cette œuvre charmante où même les morceaux de demi-caractères ne trahissent pas la moindre faiblesse, la moindre négligence dans le style du musicien… On voit que le compositeur est tout à fait maître de soi. » Mais le chroniqueur parlait plus de la musique, que de la mise en scène.

Nous avons aussi assisté à la naissance d’une star de l’opéra… Pene Pati, originaire des îles Samoad’une carrure impressionnante, est apparu il y a trois ans.   Dans le fameux : « Ah! Lève-toi soleil! » il a suscité de fervents applaudissements comme dans le fameux duo au balcon . Un moment exceptionnel partagé, ce 19 décembre pour l’Opéra-Comique; c’était une des représentations labellisées: relax. Un dispositif d’accueil bienveillant, visant à faciliter la venue de personnes atteintes d’autisme, polyhandicap, handicap mental ou psychique, maladie d’Alzheimer… Avec leurs accompagnants, ils occupaient des places réservées et goûtaient avec nous, le bonheur de  voir et entendre ce Roméo et Juliette. Une belle thérapie !

 Jean Couturier

 Spectacle vu à l’Opéra-Comique, le 19 décembre et qui a été joué jusqu’au 21 à l’Opéra-Comique, 1 place Boieldieu, Paris ( II ème). T. : 01 70 23 01 31.

 

 

Giselle… de François Gremaud, d’après Théophile Gauthier

Giselle… de François Gremaud, d’après Théophile Gauthier

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© Dorothée Thébert-Filliger

 Qu’on ne s’y méprenne pas : les trois points de suspension du titre indiquent qu’il ne s’agit pas du fameux ballet classique ni de sa réinterprétation mais «d’une réduction de spectacle pour interprète seule». Selon la formule déjà éprouvée avec son Phèdre ! d’après Jean Racine, un solo joué par Romain Daroles et créé avec grand succès en 2019, le metteur en scène suisse a confié cette «comédie-ballet» à la danseuse Samantha van Wissen. Rompue à la grammaire de la danse contemporaine, elle met ses pas dans ceux des interprètes de Giselle, avec arabesques, entrechats et autres figures classiques dans une narration fluide.

Le texte oscille entre l’histoire de ce ballet écrit par Théophile Gauthier, des commentaires sur la musique d’Adolphe Adam, la chorégraphie de Jean Coralli et le décor de Cicéri qui réutilise pour le premier acte, celui de La Fille du Danube (1838), un ballet qui «a fini par sombrer, non dans le fleuve mais dans l’oubli. » Ici, nous apprenons par exemple que « Molière est l’inventeur de la comédie-ballet Le Bourgeois Gentilhomme avec deux heures de texte et trois heures et demi de danse. » Que Théophile Gauthier écrivit le livret pour la danseuse-étoile Carlotta Grisi dont il était amoureux. Que Jean-Georges Noverre (1727-1810) «en défendant la danse narrative théâtralisée et inféodée à la musique est, au XVlll ème siècle, le révolutionnaire que Merce Cunningham sera au XX ème siècle… en prônant très exactement l’inverse. » La Sylphide (1832), chorégraphie de Noverre, serait l’œuvre fondatrice du ballet romantique où s’invente, où s’invente, avec Marie Taglioni, la figure de la ballerine sur pointes et en tutu de mousseline blanche, « que tout le monde va copier, y compris les futures épousées qui, jusqu’ici, se mariaient en robe de couleur.»

Nous retrouvons ici la boulimie encyclopédique et l’esprit oulipien et coq-à-l’âne que nous avions aimés dans La Conférence des choses (voir Le Théâtre du blog). Un côté pédagogique plaisant et sans rien de cuistre : l’humour reste de mise et la présence sympathique de Samantha von Wissen donne corps au comique bonhomme si particulier de François Gremaud, avec quelques coups de griffe à l’académisme et au formalisme de Giselle.

L’héroïne et l’argument du ballet ne sont pas ici le véritable thème de cette pièce d’une heure cinquante, même si Samantha van Wissen nous conte et nous danse cette tragédie amoureuse romantique doublée d’une féérie macabre. En effet quand Giselle, une fraîche et primesautière paysanne, apprend qu’Albrecht est fiancé à une princesse, elle en meurt et son fantôme rejoint les Willis, esprits vengeurs des jeunes filles disparues, trahies par leurs fiancés. La reine des Willis condamne Albrecht à danser, jusqu’à rejoindre Giselle dans la tombe. Mais la jeune morte le sauvera en dansant son amour…

François Gremaud revisite pour nous cette œuvre-phare du répertoire, en la replaçant dans son contexte, en la décortiquant et en la reconstruisant avec drôlerie. La conteuse et danseuse a imaginé une chorégraphie à partir de celle de Jean Corelli et Jules Perrot. Mais elle ôte au ballet ses lourdeurs et se réfère à la version plus récente de Marius Petipa pour le Théâtre impérial Marinski (1887) et surtout à l’interprétation mythique de ce ballet recréé par Natalia Makarova (Giselle) et Mikhail Baryshnikov (Albrecht) à l’American Ballet Center  en 1974. Samantha van Wissen ne danse pas vraiment mais paraphrase les attitudes et mouvements indiqués par la musique.

 Grand complice de Giselle… un quatuor féminin en fond de scène mais bien présent : Léa Al Saghir (violon), Tjasha Gafner (harpe), Héléna Macherel (flûte) et Sara Zazo Romero (saxo) jouent la partition d’Adolphe Adam, revue par Luca Antigagni. Cette création suisse y gagne en vivacité et légèreté et offre une bouffée de plaisir. En attendant un Carmen à la sauce François Gremaud, nous pouvons aussi voir Phèdre!, un spectacle programmé dans cette même salle des AbbessesMais du 27 au 31 décembre seulement à 17 heures 30..

 Mireille Davidovici

Jusqu’au 31 décembre, Théâtre des Abbesses-Théâtre de la Ville, 31 rue des Abbesses Paris ( XVIII ème). T. : 01 42 74 22 77.

Et du 15 au 19 février, Théâtre Vidy, Lausanne (Suisse).

Les 1 et 2 mars, Espace Malraux, Chambéry (Savoie); du 9 au 12 mars, Théâtre Saint-Gervais, Genève (Suisse) ; les 15 et 16 mars, Les 2 Scènes, Besançon (Doubs) ; 20 Mars, Théâtre du Jura, Delémont (Suisse) ; les 24 et 25 mars, Bonlieu-Scène Nationale d’Annecy (Haute-Savoie).

Le 24 avril, Theater Basel (Suisse) ; du 27 au 30 avril, Le Maillon, Strasbourg (Bas-Rhin).

Les 10 et 11 mai, Usine à Gaz, Nyon (Suisse)  et le 14 mai, Théâtre Jean Marais, Lyon (Rhône).

 

 

 

Livres et revues

Livres et revues 

 

Danse la vie, danse la ville, Histoires de Guy Darmet, récit de Marie-Christine Vernay 

© R. Tissot

© R. Tissot

Un texte kaléidoscopique où celle qui fut journaliste à Libération durant vingt-quatre ans, raconte avec fluidité, humour et sérieux, l’évolution de la Maison de la danse et de la Biennale Internationale à Lyon. Mais aussi une certaine histoire de la danse telle qu’on a pu la voir dans cette capitale et en France, ces quarante dernières années. Guy Darmet dirigea cette Maison de 1980 à 2010 et la Biennale Internationale à partir de 1984.  Et en 1996, Carnaval, un défilé dans les rues de Lyon.

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Un livre enlevé et joyeux… Hors de tout histoire monumentale, Marie-Christine Vernay mélange les genres: danse, politique, cuisine, tournures familières comme «l’une de ses bonnes copines », « clope au bec». Un écriture à la souplesse nécessaire pour analyser de nombreux évènements et les diverses manières de vivre et de danser. Bref, une matière dense au rendu léger… L’auteure ressuscite le passé avec des portraits rapides et se tourne vers un avenir inconnu. Elle invente des esquisses qui se prolongent au-delà d’elles-mêmes et vibrent dans notre pensée. C’est son côté Jacques Tati… Lyon apparait alors comme une «ville monde de la danse ». Selon le grand historien Fernand Braudel, une « ville-monde» naît avec une nouvelle réalité du temps, non plus celui des cycles ruraux mais des flux : argent, navires chargés de marchandises, etc.) Ces cycles se concentrent, sans se centraliser et survoltée, la ville engendre alors un plan d’existence… Ce qui se passe avec la danse contemporaine où naissent de singulières associations de forces décentralisées et des coordinations inattendues.

La vie en dansant, aux articulations enfouies, a eu, et a des expressions ayant pour nom : modern dance, post-modern dance surtout aux Etats-Unis, danse libre, expressionnisme, Tanztheater en Allemagne, butoh au Japon danse française… Les chorégraphes du monde entier convergèrent alors vers Lyon avec jazz, flamenco, danses indiennes, africaines, israëliennes…Guy Darmet, est un producteur: il ne se contente donc pas de financer,  mais  rend possible un projet en rassemblant des individus. Et il sut avec intuition, rendre visibles ces réseaux et constellations. L’avant-naissance ne s’épuise pas dans des incarnations mais en traverse la durée… C’est un des mystères de la vie. Dans ce livre, se déplient topographies et sites. Pour Spinoza, la société est faite pour les rencontres. Et Stéphanie Claudin coordinatrice du premier Défilé 1996 (4.000 participants et 300.000 spectateurs) ajoute: «Faire se rencontrer des gens qui n’ont peut-être rien à voir ensemble.»  Ou comme Maguy Marin: «Ouvrir une zone d’expansion pour croiser des habitants, des artistes.» Ainsi le hip-hop fait se multiplier les sols : «Un bout de mur, une terrasse, les toits des barres à Vénissieux», dit Marie-Christine Vernay. Parfois un lieu se superpose à un autre en une archéologie de la danse, des corps et des pensées.Le groupe Frigo fut une expérience artistique indépendante des années 80. Frigo était le nom d’une ancienne fromagerie à Lyon, puis devint le nom du groupe, avec laboratoire de formes, espace multi-médias, galerie vidéo, lieu d´expositions et de spectacles, Radio Bellevue. Mais aussi un atelier de création résidences d´artistes avec de nombreuses collaborations internationales. Frigo organisa ainsi des rencontres entre danseurs et artistes auxquelles Marie-Christine Vernay participa

Mais la ville-monde n’offre pas d’absolues garanties mais des informations. Entre autres, sur les destructions opérées au Brésil (où Guy Darnetest maintenant installé en partie ) par le gouvernement de Jair Bolsonaro  qui a  supprimé le carnaval, l’Agence nationale du cinéma, la Cinémathèque… Nihiliste, il essaye de retirer aux pauvres leur croyance en l’existence. Le spectacle de la pauvreté ne suffit pas à ce gouvernement, jaloux de la joie de vivre de ceux qui ne possèdent rien ou presque. L’esprit de vengeance réunit des hommes et la haine de la vie concerne toujours l’élan vital de l’autre… Et la ville-monde n’est pas donnée: la danseuse et chorégraphe Lia Rodrigues, elle, résiste. Vivant entre le Brésil et l’Europe, elle s’est installée dans la favela de Maré, à Rio. Et en 2009, elle a ouvert un centre d’art avec sa compagnie et une école de danse. Dépliant un lieu, elle a créé un germe de ville-monde…

Marie-Christine Vernay, à la fin de son livre, lance d’une manière elliptique : « La question qu’a posée la danse de création d’aujourd’hui, n’est pas: « qui danse ! » Mais l’essentiel est de se demander : « Que se danse-t-il ? » même si cela heurte un peu le français. Et, c’est dans le faux pas, que surgit la danse de création. L’ellipse offre une manière de sentir : qu’est-il en train d’arriver?  Un athlétisme mental…

Bernard Rémy

Le récit de Marie-Christine Vernay est publié chez  Hippocampe éditions ( 2021).

Georges sauve le monde,spectacle métacinéma de Jeanne Frenkel et Cosme Castro, musique composée et jouée par Lou Rotzinger

Georges sauve le monde, spectacle métacinéma de Jeanne Frenkel et Cosme Castro, musique composée et jouée par Lou Rotzinger

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Au  cas où vos chers enfants ne vous auraient pas fait passer l’information, attention: le métacinéma est « un art ( sic) consistant à projeter des films en même temps qu’ils sont tournés. » Soit!  Sur le grand plateau du Monfort, côté cour, tout le matériel nécessaire à un tournage (câbles, perches, projos, etc.) et côté cour, travelling, décors maquettes, trucages et bruitages, régie vidéo, rétro-projection…Le tout à vue,  puisqu’il s’agit d’un spectacle… L’argument : «la fabrication d’un film de super-héros sur scène en mêlant théâtre, cinéma et musique live. Georges sauve le monde est une histoire d’amour, un spectacle de genre, un conte moderne qui reprend avec humour les grandes ficelles des mythologies Comics. »

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Georges, le projectionniste et Suzanne l’ouvreuse, que l’on voit sur scène, sont propulsés dans leur film préféré et vont devoir vivre avec leurs stars bien-aimées. En fait, la superposition d’une bande existante avec le jeu sur le plateau. Grégoire Tachnakian & Edith Proust qui est d’abord l’ouvreuse distribuant dans la salle pop corn et chocolats  font leur boulot. Georges est projectionniste dans un petit cinéma de quartier et chaque soir, projette son film préféré Flashman sauve le monde mais dans la cabine, il renverse son café et provoque un court-circuit : l’appareil disjoncte… Mais Georges vient d’être téléporté dans la peau de Flasman son super héros préféré. Et à l’écran, on voit apparaître entre autres des acteurs bien connus: Jacques Weber et son fils Stanley, Vincent Macaigne, Pascal Reneric.

«Voilà presque six ans disent  Jeanne Frenkel et Cosme Castro, les auteurs et metteurs en scène, que nous développons une nouvelle manière de fabriquer des films, à la croisée entre le théâtre et le cinéma. Ce nouveau projet a pour objectif d’approfondir notre travail autour du Metacinema, en explorant de nouveaux outils au service d’un spectacle ambitieux, une fusion entre les premières illusions visuelles cinématographiques et un dispositif technique innovant. Vous assisterez à la fabrication et à la projection du film simultanément. Le plateau sera entièrement à vue, dévoilant l’ensemble des dispositifs. » Bon, allons-y…

Le public, surtout les nombreux enfants, est ravi de voir ces images de coulisses, un domaine de fabrication intime et en principe interdit au public et réservé aux initiés, que ce soit les loges et couloirs d’un théâtre, sur un plateau de cinéma, un atelier de peintre, une cuisine de grand restaurant, une salle de réunion de parti politique… Et le théâtre comme le cinéma ne sont se sont jamais privés de mettre en scène ces coulisses, le théâtre dans le théâtre, cela ne date pas d’hier : le XVI ème siècle… Ici, la mise en scène est impeccablement réglée comme le jeu des acteurs sur le plateau et à l’écran, il y a de la musique en direct, tout est rigoureusement synchrone et pourtant, il ne se passe rien de passionnant sur le plan visuel ou textuel… Et ce sera en une semaine, le troisième méta-théâtre, ou méta-cinéma au choix, que nous aurons vu mais à chaque fois, en rien une métamorphose de l’un ou de l’autre. Bref, nous n’y avons pas trouvé notre compte dans ce second degré qui rattrape le premier Et le public semblait partagé mais le spectacle a été très applaudi… Vous pouvez toujours tenter l’expérience avec des enfants quand les représentations reprendront…

Philippe du Vignal

Spectacle vu le 18 décembre au Monfort, Paris ( XV ème) ). Attention: ANNULATION DES REPRÉSENTATIONS jusqu’au 23 décembre, en raison d’un cas positif au covid dans l’équipe artistique. Le spectacle reprendra lundi 27 décembre.

 

Fado dans les veines, texte et mise en scène de Nadège Prugnard, direction musicale de Radoslaw Klukowski

Fado dans les veines, texte et mise en scène de Nadège Prugnard, direction musicale de Radoslaw Klukowski

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© Jean-Pierre Estrounet

 Embarquons pour le Portugal, dans un trajet à rebours de ceux qui l’ont quitté. Leurs paroles d’exil et de reconquête ont muté en un poème dramatique et musical  sous le plume de Nadège Prugnard. Portugaise de sang mais pas de sol ni de langue. D’où un manque à combler, un vide et des silences qui la hantent. «C’est, dit-elle, de cette migration ancienne, intime et politique, de ce fado de l’âme et de l’exil, que j’ai toujours caché comme un secret impossible à prononcer dont j’ai voulu faire poème. »

Quand nous l’avions rencontrée au Théâtre de Ilets à Montluçon, pour Les Bouillonnantes qu’elle avait écrit, une pièce mise en scène par Carole Thibault, elle partait pour un voyage aux sources auprès des communautés portugaises de Montluçon et sur la terre de ses parents. Trois ans et deux confinements plus tard, Fado dans les veines a vu le jour à Montluçon et nous parvient enfin.

 Comme entrée en matière, une géographie chantée parlée : « Un cercueil en bois, c’est la forme du Portugal/Un rectangle taillé par l’assaut perpétuel de l’océan/ Creusé  par les sanglots des Carpideiras/ Notre identité » c’est d’être la fin du monde !/ Une route où pleurent les chiens/ Un endroit où a terre s’arrête! » Nadège Prugnard, récitante et ordonnatrice de la troupe, rockeuse flamboyante, lance ses mots à la fois rageurs et nostalgiques. Viennent en contrepoint, les chants de Charlotte Bouillot, Carina Salavado et Laura Tejeda, rythmés par le formidable trio Cheval des 3 :  Jérémy Bonnaud, Eric Exbrayat, Radoslaw Klukowski. Sept interprètes pour ce fado flamboyant où musique et mots tissent un canto aux accents de saudade.

Selon Fernando Pessoa, «La Saudade, c’est la fatigue de l’âme forte, le regard de mépris du Portugal vers le Dieu en qui il a cru et qui l’a aussi abandonné ». Ici ce sont des larmes ravalées, une fête triste, une colère,  entrecoupées de récits de déracinement : Adelino, Antonio, Joao, Maria ou Amalia et d’autres, partis sans retour loin de la dictature et de la misère, travailleurs de l’ombre, coupés de leurs racines. Les saillies éruptives de l’autrice portent leurs mots mêlés à sa révolte, pour conjurer cette « impossibilité poétique à recoudre ce qui a été arraché ». Aux airs d’Amalia Rodrigues entonnés par les trois chanteuses à la voix chaude, succèdent ceux la Résistance et le Grandola Vila Morena de Zeca Alfonso, diffusé le 25 avril 1974 à la radio, annonçant la Révolution des Œillets et célébrant la fraternité :« Grandola vila morena/ Terra da fraternidade. »

L’ombre du dictateur Salazar plane sur ce cérémonial intime et politique autour d’une immense table…  Des croix et des tombes se découpent sur de grandes voiles blanches en fond de scène, comme des appels du large, en hommage à Magellan. La scénographie discrète de Benjamin Lebreton joue sur le contraste entre les œillets rouges disposés ça et là dans des vases, sur des crucifix et les costumes à dominante noire. Nadège Prugnard veut défier les trois F : Fado-Fatima-Football : « Fatima joue au Football » Fatima joue au football avec le crâne du Portugal et marque un but. Salazar applaudit et tombe de sa chaise comme on tombe du pouvoir, la messe est dite ! »  Elle offre à la sainte patronne, un dernier cantique blasphématoire avec cette Prière profane devant l’église de Fatima : «Baise-moi de baisers sur la bouche./ Baise le fil rouge de mes lèvres écarlates (…) Baise la colombe de mes yeux/Baise mes yeux cernés par le charbon des idoles/ Baise les saphirs de mes mains. »

La messe est dite, et bien dite, avec ce voyage très personnel mais collectif, poétique, musical qui met en abyme l’hier et l’aujourd’hui… sans ménagement. Un spectacle nécessaire….

 Mireille Davidovici

 Spectacle vu le 16 décembre au Théâtre de l’Echangeur, Bagnolet, 9 avenue du Général de Gaulle, Bagnolet (Seine-Saint-Denis). T. : 01 43 62 71 20.

Les 14 et 15 mars, Thé́âtre municipal d’Aurillac (Cantal) ; les 18 et 19 mars, Biennale des écritures du réel, Théâtre Joliette, Marseille (Bouches-du-Rhône). Le 26 mars, Théâtre Municipal de Villefranche-de-Rouergue (Aveyron) ; le 31 mars salle de l’Ancien Evêché, Uzè̀s (Gard). 

Le 18 mai Salle Georges Brassens, Lunel (Hérault); le 20 mai, Théâtre municipal Christian Liger, Nîmes (Gard) et le 24 mai, Théâtre municipal de Roanne (Loire).

 La pièce est publiée aux Editions Moires.

 

 

A Passage to Bollywood, chorégraphie et mise en scène d’Ashley Lobo

A Passage to Bollywood, chorégraphie et mise en scène d’Ashley Lobo

 Après plusieurs déprogrammations à cause  de la crise sanitaire, Rachid Ouramdane et son équipe peuvent enfin accueillir à Chaillot ce spectacle festif. Le Bollywood, contraction d’Hollywood et du B de Bombay (Mumbai depuis 1995) est un genre suivi par des dizaines de millions de gens à la fois dans le monde entier et en Inde qui produit quelque deux mille films de ce type par an et est donc le plus gros producteur de cinéma.  Avec pour thème le plus souvent une romance ou une histoire d’amour contrariée, avec danse classique indienne, chansons interprétées en direct ou en play-back, costumes et décors chatoyants changeant en permanence.

 

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©J. couturier

Le chorégraphe indo-australien Ashley Lobo est le fondateur et directeur de la Dancework PerformingArts Academy et duNavdhara Indian Dance Theatre, une des rares compagnies professionnelles du pays qui va en tournée partout dans le monde où  ce spectacle a déjà été joué plus de cent fois. En 2015, Ashley Lobo a adapté pour la scène, ces chorégraphies destinées au cinéma, qui racontent l’aventure initiatique d’un jeune homme parti chercher la gloire et l’amour à Bombay. « J’aime, dit-il, le romantisme et l’exagération de tout : musique, danse, costumes, couleurs. Un vrai régal pour les sens. » Cette chorégraphie est un mélange de plusieurs styles à la fois visuels et musicaux : elle emprunte à la danse classique indienne, au folk, aux formes de danse occidentales et au style libre. En fait, un film se vend parfois uniquement sur ses chansons et sa mise en scène. Autrefois, c’était surtout des fins heureuses, beaucoup de musique et de danse pour le plaisir des yeux, des chansons romantiques et beaucoup d’innocence. Aujourd’hui, c’est beaucoup plus réaliste et l’élément chanson  fait principalement avancer le récit au lieu de mettre en valeur la danse. “

Un feu d’artifice où vingt-deux danseurs et deux chanteurs mettent une grande énergie à transmettre leur art et leur joie à un public a priori néophyte. A Passage to Bollywood mêle danse classique indienne mais aussi occidentale et contemporaine… Allez découvrir, dans ce voyage en une heure vingt, un monde plein de couleurs et de paillettes…

Jean Couturier

 Jusqu’au 25 décembre, à Chaillot-Théâtre national de la Danse, 1 place du Trocadéro, Paris (XVI ème). T. :  01 53 65 30 00.

 

Sans Famille d’Hector Malot, adaptation de Léna Bréban et Alexandre Zambeaux, mise en scène de Léna Bréban

 

Sans Famille d’Hector Malot, adaptation de Léna Bréban et Alexandre Zambeaux, mise en scène de Léna Bréban

Enfin du vrai et de l’excellent théâtre, sans trace de vidéos ou théories fumeuses. Et cette fois-ci aura été enfin la bonne pour Léna Bréban dont le spectacle a dû être reporté par deux fois à cause du covid. Eric Ruf, comme pour Vingt-mille lieues sous les mers d’après Jules Verne a offert un nouveau chef-d’œuvre au public du Vieux-Colombier. La metteuse en scène a travaillé, avec son alter ego Alexandre Zambeaux, sur ce roman populaire qui a enchanté depuis 1878 des millions d’enfants à travers le monde et qui a fait l’objet de nombreuses adaptations au cinéma. 

 

Unknown-2C’est l’histoire d’un enfant abandonné à sa naissance comme il y en avait tant à l’époque et recueilli par Jérôme Barberin, un maçon qui travaille à Paris, originaire comme son épouse, de Chavanon, un village de Corrèze. Un jour il voit ce bébé enveloppé dans de beaux langes -donc de parents riches- et espère obtenir une bonne récompense! Il le confie à sa femme qui le nomme Rémi. Barberin, blessé dans un accident du travail, attaque son employeur en justice mais un procès coûte cher et il demande à sa femme de vendre leur seule richesse, une vache et d’abandonner Rémi.  Mais elle le gardera… Or, Barberin revient et décide de louer le petit garçon à Vitalis, un artiste ambulant qui voyage à travers la France avec ses trois chiens Capi, Dolce,  Zerbino,  et un peti singe Joli-Cœur. Rémi parcourt les toutes du Sud-Ouest avec Vitalis qui lui apprend à jouer de la harpe, à lire et à jouer la comédie. Une vie rude, où l’on ne mange pas tous les jours à sa faim et où on s’abrite où on peut pour donner quelques représentations. Mais il y a Capi, Joli-Cœur et la bienveillance de Vitalis qui, à la suite d’un incident à Toulouse, est incarcéré. Rémi, à dix ans, se retrouve alors seul avec les animaux… et presque mort de faim. Il rencontre une Anglaise Madame Mulligan et leur fils Arthur qui est malade. Ils vivent sur une péniche et, pour le divertir, elle recueille Rémi: il apprend qu’Arthur avait un frère aîné, disparu avant sa naissance et que James, le beau-frère de Milligan, avait essayé en vain de retrouver.

Rémi voyagera pendant deux mois avec  les  Milligan sur le canal du Midi jusqu’à Béziers et Sète. Vitalis sort de prison, veut garder Rémi avec lui et l’enfant quitte la péniche. Il reprennent leur route vers le nord pour aller à Paris mais dans une tempête de neige, Zerbino et Dolce sont dévorés par des loups et Joli-Cœur va mourir d’une pneumonie. Pour payer le médecin, Rémi et Vitalis donnent une représentation et l’enfant entend chanter aussi bien pour la première fois son maître.

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Vitalis laisse Rémi pour l’hiver chez Garafoli, un « souteneur » d’enfants, pendant qu’il va former d’autres animaux. Rémi y rencontre Mattia, un garçon maladif qui à la maison, garde une marmite cadenassée, pour l’empêcher de boire la soupe. Vitalis, menace de la police Garofoli et emmène alors Rémi. Ils passent la nuit dans la tempête de neige…Rémi reprend connaissance dans un lit chez M. Acquin, qui a deux garçons et deux filles. Il apprend que Vitalis est mort mais avait été le célèbre chanteur italien Carlo Balzani dont la voix s’était affaiblie, et il était devenu Vitalis. La famille Acquin recueille Rémi et Capi et le jardinier est un vrai père pour Rémi. Alexis et Benjamin sont aussi ses frères, Étiennette et Lise, ses sœurs. Chez eux, Rémi devient jardinier mais un orage de grêle ravage les serres de Pierre Acquin qui est ruiné et emprisonné pour dettes. Ses enfants, ont été dispersés chez des oncles et tantes et Rémi redevient musicien ambulant avec Capi…

A Paris, il retrouve Mattia, le garçon de la pension Garofoli, mourant de faim dans la rue et qui le supplie de le prendre avec lui. Violoniste, Mattia joue aussi d’autres instruments. Ils vont voir Alexis, qui vit maintenant avec son oncle Gaspard, dans la ville minière de Varses ( sans doute Alès dans les Cévennes). Alexis est blessé et Rémi le remplace. Un autre jour, la mine est inondée et sept mineurs dont l’oncle Gaspard, piégés, attendent des secours une quinzaine de jours, affamés et épuisés avant d’être sauvés. Mattia et Rémi ont repris la route; ils espèrent retrouver mère Barberin. Ils épargnent le peu qu’ils ont pour lui racheter une vache. Les vrais parents, de Rémi et Barberin le recherchent à Paris. Rémi apprend que Barberin est mort et il écrit une lettre à mère Barberin qui répond en joignant un mot  de son mari avec l’adresse d’un avocat à Londres, chargé de rechercher Rémi. Il retrouve ces Driscoll (en fait des cambrioleurs) mais Rémi joue de la musique dans les rues pour se faire de l’argent. Mattia chez les Driscoll voit un homme : James Milligan qui est bien l’oncle d’Arthur dont il espère qu’il va mourir pour hériter de son défunt frère. Les garçons veulent avertir  madame Milligan mais sans savoir où la trouver.

Rémi est accusé d’un vol commis par ses parents mais Bob, un autre ami et Mattia le font s’évader. Ils retournent en Normandie  avec l’aide du frère de Bob. Ils recherchent Milligan, pour la mettre en garde contre son beau-frère. On a vu la péniche Le Cygne et ils suivent donc les rivières et canaux de France. Rémi et Mattia passent par Dreuzy, où ils espèrent retrouver Lise : son oncle est mort dans un accident d’écluse et une dame anglaise sans doute Milligan voyageant sur un bateau, a pris soin d’elle. Rémi et Mattia repèrent enfin la péniche en Suisse mais déserte. La famille a poursuivi son voyage jusqu’à Vevey en voiture… Rémi chante dans les rues une chanson napolitaine et surprend une voix faible qui continue la chanson et découvrent Lise qui, miracle, a recouvré la parole en l’entendant. Mais James Milligan est là aussi, et Rémi se cache. Mattia n’a pas peur car James ne le connaît pas. Il entre alors dans le jardin et raconte leur histoire à madame  Milligan qui voit Rémi comme son fils aîné perdu. Elle les met dans un hôtel où ils peuvent enfin manger et dormir confortablement. Puis Milligan invite les garçons, qui tombent sur mère Barberin; que Milligan a envoyé chercher. Elle montre les vêtements de Rémi bébé à Milligan qui reconnaît ceux de son fils quand on le lui a volé. Tous réunis avec Lise et Mattia… Rémi découvre alors qu’il est l’héritier d’une grande fortune. On fait venir d’Italie, Cristina, la petite sœur de Mattia. Arthur épousera Cristina. Mattia sera un violoniste célèbre. Rémi épousera Lise et leur fils aura pour mère Barberin…

Le célèbre roman, assez touffu, pourrait donner matière à plusieurs pièces! Léna Bréban et Alexandre Zambeaux en ont finement gardé les scènes essentielles- et ce n’était pas facile- mais sans rien gommer de leur vie sociale. «Avec Alexandre, nous avons cherché, dit-elle, à ne pas abîmer le désir enfantin d’aventure, tout en prenant en charge la dimension humaniste, souvent très progressiste avec laquelle Hector Malot décrivait son époque. » Comme le dit justement la metteure en scène, le roman est d’une densité incroyable et il a fallu élaguer mais l’essentiel ou presque est bien là. Même si, entre autres, l’épisode de la mine a été supprimé mais Léna Bréban a le projet de le créer à Chalon-sur-Saône où se trouve un musée de la mine.

Sa direction d’acteurs est impeccable : mention spéciale à Bakaré Sangaré qui joue avec un bel humour, le chien Capi toujours muet et aboyant légèrement. Et Véronique Vella est brillantissime en Rémi, comme Thierry Hancisse en Vitalis et père Driscoll. Clotilde de Bayser  incarne très bien les mères Barberin et Driscoll. Jean Chevalier joue Mattia et manipule aussi efficacement la marionnette du petit singe Joli-Cœur.  Et il y a dans les petits rôles Antoine Prud’homme de la Boussinière, Camille Seitz. Mention spéciale aussi à Alexandre Zambeaux, le dramaturge de cette histoire mais aussi acteur passant avec virtuosité d’un personnage à l’autre : Père Barberin, Garofoli, l’Infirmière, James Milligan…

Emmanuelle Roy a conçu avec sobriété et efficacité de remarquables éléments scéniques disposés sur une tournette. Cela fait souvent penser aux illustrations d’un livre pour enfants comme ce bateau dont la coque est juste figurée par un tissu qu’on déroule. Pas de véritable réalisme mais, avec des changements à vue, juste les éléments qu’il faut sur cette tournette, comme pour cette longue marche de Vitalis et Rémi, la nuit quand la neige commence à tomber. Jérôme Savary élevé en Argentine et qui avait découvert la neige à Chambon-sur-Lignon (Haute-Loire) en resta émerveillé toute sa vie et l’utilisait souvent dans ses spectacles. Ainsi la neige, formidable image du temps qui passe, tombait sans arrêt sur le grand plateau de Mère Courage…

Et il y a ici de merveilleux costumes très réussis, notamment ceux de la famille anglaise, conçus par Alice Touvet, issue comme Emmanuelle Roy des Arts Déco à Paris.  Elle réussit à créer un léger décalage avec la réalité, une légère exagération dans les formes et les couleurs qui leur donnent toute leur saveur. Chapeau… ll y a une réelle unité dans cette réalisation où tout est dit avec à la fois  vérité et burlesque, mais toujours avec légèreté…Aucun doute là-dessus: en quelques années, ( voir Le Théâtre du Blog) Léna Bréban a su acquérir un style bien à elle.  Elle montre ici la solidarité et la générosité des pauvres: celle la mère Barberin, de Vitalis ou aussi d’une femme riche comme madame Mulligan, l’amour que l’on porte à un gros chien ou à un tout petit singe, la découverte des rencontres et de l’amitié chez les ados, la fascination pour la musique, la misère et le froid glacial qui guettent un émigré mais aussi l’envie de revanche chez Rémi et Mattia…

Hector Malot, un auteur d’autrefois bien dépassé à l’heure des jeux vidéo et des mangas? Pas si sûr… Et ici, nous en avons la preuve flagrante avec cette très belle mise en scène qui doit aussi à la transmission… Une pensée pour Jérôme Savary. Il aimait bien Léna et Alexandre quand ils étaient à l’Ecole de Chaillot, pour Christine Le Pen, son administratrice qui veillait sur eux avec une grande bienveillance et à Guy-Claude François, directeur de la section scénographie aux Arts déco. Quant à du Vignal, il dit aussi merci pour ce beau cadeau de Noël: trois de ses anciens élèves (deux acteurs-metteurs en scène et une créatrice de costumes) travaillant dans et pour un même spectacle… Mais attention, il joue jusqu’au 9 janvier seulement dans cette petite salle, avec donc peu d’heureux élus, alors faites vite. Enfin, on peut espérer que le spectacle sera repris la saison prochaine…

Philippe du Vignal

 Jusqu’au 9 janvier, Théâtre du Vieux-Colombier, 21 rue du Vieux-Colombier, Paris  (VI ème). T. : 01 44 58 15 15.


 

 

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