Natalie Dessay : La grande personne…

Natalie Dessay : La grande personne…

Après les banquets donnés en l’honneur des écrivains Maryse Condé et Laurent Gaudé (voir Le Théâtre du blog), les Plateaux Sauvages nous invitent à la table de Natalie Dessay. Pour un repas sur mesure, préparé par la cheffe  Rosilene Vitorino. En complément de mets délicats : bœuf Wellington et mousse au citron yuzu, la directrice , Laetitia Guédon ordonnance les réjouissances : «Natalie, nous allons plonger dans toutes tes voix, celles de la Reine de la nuit et de Cléopâtre, celles du théâtre et de la chanson.» Et elle a convoqué des invités-surprise venant d’horizons divers, la cantatrice ayant porté sa voix dans plusieurs champs artistiques…

Une soixantaine de convives a pu suivre le parcours de la célèbre soprano,   lauréate de six Victoires de la musique. Depuis, elle a quitté le bel canto pour le théâtre : «C’est l’opéra qui m’a quittée, dit-elle. Le répertoire est restreint. Il n’y avait plus de rôle pour moi, je ne voulais pas jouer les éternelles jeunes premières ». Un enregistrement nous montre un extrait de La Flûte enchantée où elle interprète une Reine de la nuit subtile et malicieuse. On en vient à regretter qu’elle ait osé ce pas de côté  «pour découvrir, dit-elle, l’artiste que je suis, quand je ne chante pas. »

 Et le public a ainsi découvert de nouvelles facettes de son talent avec l’inoubliable Und d’Howard Barker, un solo mis en scène par Jacques Vincey en 2016, où elle s’accrochait aux mots du dramaturge anglais comme à une musique. Au-dessus d’elle, des glaçons géants, pampilles d’un grand lustre vénitien, fondaient et se brisaient au sol dans un fracas mouillé. « Cela fait trente ans que j’attendais cette occasion ». Depuis cette première apparition au théâtre, elle a multiplié les expériences, comme vont nous le raconter ceux qui les ont partagées avec elle. (Voir Le Théâtre du Blog)

Elisabeth Chailloux l’a mise en scène dans Hilda de Marie N’Diaye, que l’on pu voir dernièrement aux Plateaux Sauvages (voir Le Théâtre du blog) et Vanasay Khamphommala lui a proposé d’être au printemps, la nymphe Écho dans Écho pour en finir avec l’amour. Un spectacle qui va « interroger le mythe dans une perspective “trans“ », comme son Orphée aphone, où il mettait ses capacités littéraires, physiques et vocales au service du mythe, en jouant sur le trouble du genre… Pour Natalie Dessay, ce qui distingue opéra et théâtre est qu’à l’opéra, « c’est la musique qui décide de tout et il y a peu de marges de manœuvre. Chanter, c’est technique et athlétique, on doit toujours être en forme. Pas de place pour la fragilité. Au théâtre, la fragilité est importante et l’état où on est, colore la représentation. »

La cantatrice reste très attachée à la langue des textes, par exemple, celle d’Au bord de Claudine Galea qu’elle a lu récemment. Cette autrice vient nous en livrer un extrait avec une émotion dense mais retenue. Et elle accorde aussi beaucoup d’attention à la chanson de texte. Elle s’est produite en duo et a enregistré un album avec Michel Legrand qui lui «a donné le goût de la liberté. » Elle aime aussi Claude Nougaro dont elle a, sous la direction d’Yvan Cassar, l’arrangeur du regretté Toulousain, repris les textes et signé un album : Sur l’écran noir de mes nuits blanches, en y mettant une touche féminine. 

Natalie Dessay est aussi sensible à de jeunes talents indépendants comme Laura Mayne qui, par écran vidéo interposé, lui propose de la rejoindre pour un projet. Oui! lui dit-elle spontanément.  Pour autant, elle n’a pas quitté la musique classique, comme en témoigne la pianiste virtuose Shani Diluka qui l’accompagne dans ses nombreux récitals. Elle lui joue ici avec un doigté lumineux, son morceau préféré, Le Prélude en si mineur de Jean-Sébastien Bach. « Natalie, dit-elle, c’est un clown triste et gai qui n’a pas peur d’aller aux confins de la folie, comme avec Und ou Hilda. Elle est libre ! »

Ce mot, liberté, nous l’entendrons tout au long des hommages qui vont se terminer en famille, avec son beau-père, le pédiatre Aldo Naouri pour qui : «La qualité majeure de Natalie, c’est la simplicité, et la curiosité d’un enfant de trois ou quatre ans. » Ludique aussi, la complicité avec son époux Laurent Naouri, baryton et compagnon de route, rencontré à une master-class à Royaumont et qui a chanté plusieurs fois en duo avec elle. Il nous interprète, accompagné de Tom, leur fils saxophoniste, une mélodie jazzy sous le regard attendri de Natalie Dessay. Enfin, nous verrons en vidéo Neïma Naouri chanter avec sa mère un morceau du film américain de Walter Lang (1954) La joyeuse Parade, musique d’Irvin Berlin. Une voix et une carrière prometteuses pour la jeune femme, sur les traces de sa mère…

Une soirée riche en saveurs, dans tous les sens du terme, avec ceux qui font le spectacle. Et un de ces moments conviviaux et généreux offerts au public, qui ne sauraient être remplacés par le “distanciel“. D’autres banquets appétissants à la rencontre de grandes personnalités nous attendent comme le 8 avril, Leïla Slimani (prix Goncourt 2016).

 Mireille Davidovici

 Le 19 novembre, Les Plateaux Sauvages 5 rue des Plâtrières, Paris (XX ème). T. : 01 83 75 55 70.

 

 

 

 

 


Archive pour 1 décembre, 2021

Fruit Tree, chorégraphie de Lara Barsacq, musiques de Nick Drake et Igor Stravinsky

Fruit Tree, chorégraphie de Lara Barsacq, musiques de Nick Drake et Igor Stravinsky

 Librement inspiré des Noces d’Igor Stravinsky, le spectacle veut être une réflexion sur le rituel de mariage évoqué dans ce ballet mais aussi sur le travail de Bronislava Nijinska, sœur et alter ego du célèbre Vaslav Nijinski, injustement oubliée du grand public. Le compositeur écrivit cette partition entre 1915 et 1917, à partir de musiques pour noces paysannes, glanées à travers la Russie. Serge Diaghilev, séduit par la pièce, la met au programme des Ballets russes et la création en eut lieu le 13 juin 1923 à l’Opéra-Comique à Paris, dans la chorégraphie de Bronislava Nijinska, alors directrice de la compagnie.  Une cérémonie où la mariée verse des larmes, avant son rapt consenti… Une tristesse se dégage de ces «scènes chorégraphiques russes avec chant et musique» mais sur cette œuvre révolutionnaire, Bronislava Nijinska a brodé une partition scénique osée et d’une sensibilité moderne.

« Fruit Tree trouve ses origines dans mon désir de créer une pièce intense, sensuelle et crue, dit Lara Barsacq et j’aimerais restituer une ambiance d’atelier où il serait possible d’évoquer la liberté des corps dansants et leurs voix. » La chorégraphe a choisi le premier tableau, La Tresse. » Bronislava Nijinska aurait choisi, elle, une scène métaphorique représentant la mariée, avec deux nattes gigantesques, tenues par les autres femmes ». Comme le montre une photo d’époque. La mise en scène de Fruit Tree joue sur ces postiches capillaires, manipulés par Marta Capaccioli, Marion Sage, Carlos Garbin et Sue-Yeon Youn. »

Dans un long préambule, on nous explique la démarche du spectacle et cela parle plus, que cela ne danse. Puis un passage joliment chorégraphié et des chœurs sur la musique d’Igor Stravinsky laissent à nouveau place à des textes improvisés sur la symbolique de ces chevelures démesurées, en les comparant aux réseaux racinaires des arbres. A la fin, une chanson en forme de blues sur la plantation d’un arbre portera le nom d’une spectatrice. Lara Barsacq, danseuse et actrice passée par la Batsheva d’Ohad Naharin, se consacre maintenant à la chorégraphie pour ses projets ou ceux d’autres compagnies. Depuis quelques années, elle écrit Lost in Ballets russes, une recherche sur l’histoire de la danse. Avec Fruit Tree, elle travaille sur l’archéologie d’un ballet fondateur de la modernité et porté par une femme, où elle en explore les ramifications sur une sensibilité artistique féminine d’aujourd’hui. Un travail en cours que les interprètes partagent avec le public. Mais nous sommes restée sur notre faim…

Mireille Davidovici

Spectacle vu le 26 novembre à l’Atelier de Paris, Cartoucherie,  2 route du Champ de Manœuvre. Vincennes (Val-de-Marne. Métro: Château de Vincennes+ navette gratuite. T. :  01 41 74 17 07.

 Le 16 décembre, La Manufacture C.D.C.N. de Nouvelle-Aquitaine, Bordeaux  (Gironde).

Les 11 et 12 février, Pays de Danses, Théâtre de Liège, Liège et le  25 février, Bits of Dance, Bruges (Belgique).

Et du 17 au 19 mars,  In Movement, Les Brigittines, Bruxelles (Belgique).

Le Bain, d’après Les Métamorphoses d’Ovide, traduction de Marie Cosnay, adaptation et mise en scène de Gaëlle Bourges, (à partir de six ans)

 

Le Bain, d’après Les Métamorphoses d’Ovide, traduction de Marie Cosnay, adaptation et mise en scène de Gaëlle Bourges, (à partir de six ans)

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Une pièce de cinquante minutes fondée sur le célèbre récit du poète latin et sur les non moins célèbres tableaux du XVI ème siècle,  Diane au bain de l’École de Fontainebleau d’après François Clouet que l’on peut voir au musée des Beaux-Arts de Tours et Suzanne au bain du Tintoret, maintenant au musée du Louvre-Lens. Gaëlle Bourges recrée ces scènes de bain avec quelques poupées et accessoires comme, entre autres, un arrosoir d’enfant. Mimées par trois jeunes actrices vêtues de noir la plupart du temps silencieuses qui miment, dansent et chantent parfois cette célèbre histoire. Et une belle voix féminine enregistrée décrit ces tableaux avec une grande clarté et sans aucune prétention ces tableaux dans une langue claire et riche de sens, les tableaux. Un récit qui commence donc par un épisode tiré des Métamorphoses d’Ovide : Diane chasseresse se baigne nue mais surprise par Actéon, un chasseur, va vite le transformer en cerf.
Suit, tiré de l’Ancien Testament  (
ch. XIII) du Livre de Daniel,  un autre récit qui a inspiré des dizaines de peintres mais aussi des compositeurs comme Roland de Lassus… Une jeune femme, Suzanne prend son bain dans une rivière mais se voit matée par deux vieux qui lui proposent de faire l’amour… Ce que bien entendu, elle refusera. Pour se venger, ils l’accusent alors d’adultère et veulent la faire condamner à mort mais le très jeune prophète Daniel prouvera son innocence et les vieillards seront finalement punis pour leur indiscrétion et leur mensonge…

Il y a sans doute ici une revendication féministe chez Gaëlle Bourges, puisque cette représentation du corps nu de Suzanne a été, exclusivement ou presque, le fait d’artistes  de sexe masculin. Mais ce Bain vaut surtout pour son impressionnante picturalité, la qualité du récit et son interprétation.  Sur le petit plateau, deux praticables couverts de plastique noir ( pas très heureux mais bon…) pour faire jouer ces poupées, traduction ironique des modèles féminins posant devant ces hommes.C’est un spectacle à la fois d’une grande subtilité, très bien interprété par ces trois actrices-danseuses et qui visiblement, a passionné la quarantaine d’enfants puisque c’était, ce jour-là,une séance pour les écoles. Le récit était traduit en langue des signes par une jeune femme également tout en noir.
Si ce
Bain se joue près de chez vous, n’hésitez pas, quel que soit votre âge: nous n’y voyons pas les mêmes choses mais c’est aussi un des atouts de ce bon spectacle.

 Philippe du Vignal

 Spectacle vu le 25 novembre au Théâtre Gérard Philipe, Saint-Denis ( Seine-Saint-Denis).

 

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