Hommage, adieu à Philippe Adrien

Hommage, adieu à Philippe Adrien

 

© Mila Savic

© Mila Savic

 Hommages, adieux ou plutôt retrouvailles avec celui qui a quitté ce monde le 15 septembre dernier. La maladie l’en avait écarté depuis quelques années. Les acteurs et artistes qui ont travaillé avec lui au Théâtre de la Tempête, comme ses amis et anciens élèves du Conservatoire National  se sont rassemblés dimanche dans ce même théâtre. Témoins, amis… On parle facilement de famille  au théâtre mais, ce soir-là, nous en avons vu une vraie avec différentes générations… Et la mémoire heureuse d’une troupe.

C’est beau d’entendre ces comédiens à la voix ferme et posée, dire avec toute la délicatesse du cœur, ce qu’était le travail avec Philippe Adrien. Comme Pierre-Alain Chapuis, Scali Delpeyrat, Annie Mercier, Gildas Milin et Dominique Boissel, le pilier, le dramaturge ferme et exigeant, l’alter ego si différent. Ils ont eu de vraies et belles paroles.

Et Philippe Adrien?  « Philippe a dit rien » pour les élèves du Conservatoire National qui rappellent avec reconnaissance sa façon de les jeter dans le bain. Ils découvraient qu’il fallait nager et que cela demandait un effort! Il y a aussi les frères comme Jean-Claude Fall, metteur en scène, Gérard Didier, scénographe, Hervé Dubourjal avec Les  Rencontres de la Cartoucherie : Jean-Daniel Magnin, auteur, Ahmed Madani, auteur et metteur en scène…
Et les sœurs: Laura Kofler, Mylène Bonnet, Pauline Bureau. Lisette Malidor, meneuse de revue réincarnée au théâtre, nouvelle Joséphine Baker, était là, dans sa splendeur, en effigie. Une drôle de famille recomposée autour d’un homme au sourire de bon élève qui a toujours fait confiance aux rêves et à la puissance de l’inconscient.
Le metteur en scène aux quelques cent spectacles (on ne compte plus) a toujours penché vers un «art du désordre » qui le mena vers des auteurs irrévérencieux: Alfred Jarry, Witold Gombrowicz, Cami,
Stanisław Ignacy Witkiewicz ou Copi… Sans oublier Molière et Paul Claudel qui, eux aussi, ont quelque chose de fou. De l’Atelier de Recherche et de Réalisation Théâtrale, qui fut bientôt installé à La Tempête (après Le Théâtre des Quartiers d’Ivry), il faut retenir ces mots : recherche et réalisation.

Inventer, trouver, toujours pour et avec un public. En cela, avec constamment au moins une création par an, sans compter les tournées, en particulier en Afrique où il aimait tant écouter les musiciens et les comédiens, Philippe Adrien a fait du Théâtre de la Tempête, un grand Centre Dramatique, sans trop de cahier des charges. Et il a saisi la chance de participer à une période exceptionnelle de l’histoire du théâtre en France. Et s’il a travaillé avec des acteurs handicapés dont Bruno Netter, pour Des Aveugles, adapté du roman d’Hervé Guibert et Le Malade imaginaire de Molière, c’est sans aucune injonction au politiquement correct et au travail sur la différence, mais avec une curiosité fraternelle. D’autres temps….Ont  compté ce soir-là, la chaleur et l’amour entre la salle et la scène avec un unique micro et une brume artificielle, propre aux évocations. Chacun d’entre nous s’est senti accompagné par cette troupe solide et fluctuante qui a fait le metteur en scène. Des images et fragments d’archives nous évoquaient soudain un spectacle entier que nous avions vu puis oublié. La mémoire du théâtre est là, sauvegardée par les photographes et vidéastes, vivante tant qu’il y aura des vivants en qui ces images résonneront. Ensuite elles deviendront archives dont on peut espérer qu’elles seront inspirantes. Quoi, on faisait cela, dans les années soixante dix-quatre-vingt du vingtième siècle ?

À Clément Poirée qui l’a fidèlement secondé, Philippe Adrien a transmis la direction du ce Théâtre, il revenait d’ouvrir la soirée et à Pierre Lefebvre, son fils (le nom d’Adrien était un masque), de la clore avec le sourire… que n’ont pas arrêté quelques larmes dans le public. Mais le héros du jour, facétieux, amateur de jeux de l’inconscient et d’humour noir, ne nous en voudra pas. Il avouait lui-même avoir une généreuse tendance aux larmes…

Christine Friedel

 


Archive pour 4 décembre, 2021

J’ai saigné, de Blaise Cendrars, mise en scène de Jean-Christophe Cochard et Jean-Yves Ruf

J’ai saigné, de Blaise Cendrars, mise en scène de Jean-Christophe Cochard et Jean-Yves Ruf

 

1915, en Champagne. L’engagé volontaire doit tenir sur la ligne de feu et ce feu lui arrachera la main. Le soldat Frédéric-Louis Sauser qui s’est donné le nom de Blaise Cendrars -il a déjà publié Pâques à New York et La Prose du transsibérien. Assommé de douleur, il est évacué dans les pires conditions, au hasard des erreurs d’aiguillage mais jamais les brancardiers n’égareront la fiche attachée à sa cheville, dans l’hospice des religieuses à Châlons-sur-Marne.

©x

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Le poète a perdu sa main qui écrivait mais a gardé intact le talent du récit. Et ce que rend le spectacle, dans un dispositif très simple de Jean-Christophe Cochard et Jean-Yves Ruf: un lit d’hôpital vide suggère à lui tout seul le mouvement perpétuel des transferts, des morts, des réquisitions, du transit. A qui est destiné ce lit? Le poète manchot, lui, donne son récit debout ou, à un moment, assis sur une chaise…

Pour Jean-Yves Ruf, ce sera le texte et rien que le texte. En explorant son potentiel d’oralité, il en souligne la qualité d’écriture. Concise, linéaire, au plus juste, sans commentaires ni explications : un enchaînement absurde de faits où la banalité se heurte aux vertiges les plus extrêmes de la vie et de la mort. D’où naissent des effets comiques inattendus : le rire naît du « trop  » : trop d’obstacles à un sauvetage qui aura lieu pourtant, trop de retardements pour une mort qui arrivera quand même…

Alors, nous ne rions plus. Le sommet du pire est évoqué sobrement, jusqu’au moment où un mot manque pour décrire tant d’horreurs et alors le poète en trouve cent qui bouillonnent autour de ce trou. Il y a l’histoire du petit berger basque transpercé par soixante-douze éclats d’obus, crucifié par une médecin gradé sûr de lui et interventionniste, celle du géant trépané redevenu enfant Mais aussi celle de la religieuse et de l’infirmière major volontaire qui viennent chercher en lui, le poète Blaise Cendrars qui sait raconter les histoires, le ressort pour aider les autres et pour le faire aller lui-même vers la guérison. Un mot impossible à entendre jusqu’au jour de la révélation : oui, c’est possible.

Jean-Yves Ruf retient sa voix, prend peu d’air, comme s’il fallait ménager, longtemps après le temps même de l’écriture, les corps souffrants des petits soldats en agonie. Il tient le public en haleine. Présence massive et discrète, manche vide, voix à peine tremblée, obstinée à la recherche du dire vrai.  Il suffirait de lire chez soi le texte imprimé ? Non, il faut un comédien pour raconter vraiment cette histoire de corps mutilés par la guerre, puisqu’il s’agit de cela : s’il y a de l’infini en l’homme, c’est l’infini de la douleur. Au-delà du supportable, sur la frontière entre la vie et la mort, de quel côté va-t-on glisser ?

On peut se demander ce qu’il y a dans la chaleur des applaudissements. Pas un salut à l’exploit, même s’il y a de l’exploit dans cette tenue constante du «dire » et cette sobriété ne fléchit pas. Aucun spectaculaire : toutes les images se sont formées dans notre imagination et nous les avons reçues dans le secret. Ces applaudissements sont sans doute un remerciement pour avoir été touché au plus profond et au plus vrai de ses émotions.

Christine Friedel

Jusqu’au 11 décembre, Les Plateaux Sauvages, 5, rue des Plâtrières (Paris XX ème). T. : 01 83 75 55 70.

 

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