J’ai saigné, de Blaise Cendrars, mise en scène de Jean-Christophe Cochard et Jean-Yves Ruf

J’ai saigné, de Blaise Cendrars, mise en scène de Jean-Christophe Cochard et Jean-Yves Ruf

 

1915, en Champagne. L’engagé volontaire doit tenir sur la ligne de feu et ce feu lui arrachera la main. Le soldat Frédéric-Louis Sauser qui s’est donné le nom de Blaise Cendrars -il a déjà publié Pâques à New York et La Prose du transsibérien. Assommé de douleur, il est évacué dans les pires conditions, au hasard des erreurs d’aiguillage mais jamais les brancardiers n’égareront la fiche attachée à sa cheville, dans l’hospice des religieuses à Châlons-sur-Marne.

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Le poète a perdu sa main qui écrivait mais a gardé intact le talent du récit. Et ce que rend le spectacle, dans un dispositif très simple de Jean-Christophe Cochard et Jean-Yves Ruf: un lit d’hôpital vide suggère à lui tout seul le mouvement perpétuel des transferts, des morts, des réquisitions, du transit. A qui est destiné ce lit? Le poète manchot, lui, donne son récit debout ou, à un moment, assis sur une chaise…

Pour Jean-Yves Ruf, ce sera le texte et rien que le texte. En explorant son potentiel d’oralité, il en souligne la qualité d’écriture. Concise, linéaire, au plus juste, sans commentaires ni explications : un enchaînement absurde de faits où la banalité se heurte aux vertiges les plus extrêmes de la vie et de la mort. D’où naissent des effets comiques inattendus : le rire naît du « trop  » : trop d’obstacles à un sauvetage qui aura lieu pourtant, trop de retardements pour une mort qui arrivera quand même…

Alors, nous ne rions plus. Le sommet du pire est évoqué sobrement, jusqu’au moment où un mot manque pour décrire tant d’horreurs et alors le poète en trouve cent qui bouillonnent autour de ce trou. Il y a l’histoire du petit berger basque transpercé par soixante-douze éclats d’obus, crucifié par une médecin gradé sûr de lui et interventionniste, celle du géant trépané redevenu enfant Mais aussi celle de la religieuse et de l’infirmière major volontaire qui viennent chercher en lui, le poète Blaise Cendrars qui sait raconter les histoires, le ressort pour aider les autres et pour le faire aller lui-même vers la guérison. Un mot impossible à entendre jusqu’au jour de la révélation : oui, c’est possible.

Jean-Yves Ruf retient sa voix, prend peu d’air, comme s’il fallait ménager, longtemps après le temps même de l’écriture, les corps souffrants des petits soldats en agonie. Il tient le public en haleine. Présence massive et discrète, manche vide, voix à peine tremblée, obstinée à la recherche du dire vrai.  Il suffirait de lire chez soi le texte imprimé ? Non, il faut un comédien pour raconter vraiment cette histoire de corps mutilés par la guerre, puisqu’il s’agit de cela : s’il y a de l’infini en l’homme, c’est l’infini de la douleur. Au-delà du supportable, sur la frontière entre la vie et la mort, de quel côté va-t-on glisser ?

On peut se demander ce qu’il y a dans la chaleur des applaudissements. Pas un salut à l’exploit, même s’il y a de l’exploit dans cette tenue constante du «dire » et cette sobriété ne fléchit pas. Aucun spectaculaire : toutes les images se sont formées dans notre imagination et nous les avons reçues dans le secret. Ces applaudissements sont sans doute un remerciement pour avoir été touché au plus profond et au plus vrai de ses émotions.

Christine Friedel

Jusqu’au 11 décembre, Les Plateaux Sauvages, 5, rue des Plâtrières (Paris XX ème). T. : 01 83 75 55 70.

 

 

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