Kamuyot d’Ohad Naharin par le Ballet de l’Opéra national du Rhin

Kamuyot / Ohad Naharin /  Ballet de l’opéra national du Rhin  / Batsheva

© Agathe Poupeney

Kamuyot, d’Ohad Naharin par le Ballet de l’Opéra national du Rhin

Cette pièce, créée pour le Batsheva-Young Ensemble en 2003, entre au répertoire du Ballet de cet Opéra. Un spectacle festif pour tout public, en particulier scolaire. Assis sur les gradins disposés des quatre côtés d’un immense tapis de danse blanc, les enfants voient surgir avec surprise des jeunes gens qui étaient disséminés parmi eux. On les prendrait pour des écoliers avec, pour les garçons, des pantalons en tissu écossais, et jupettes de même matière pour les filles. Quatorze interprètes vont envahir l’espace pour danser sur des musiques allant du rock des années soixante, aux rythmes des années quatre-vingt, avec un détour par Ludwig van Beethoven.

Chacun a créé son solo, en fonction de sa personnalité, en improvisant sa gestuelle propre. Souvent drôle. Et les enfants ne se privent pas de rire. Le soliste va être rejoint par ses camarades, appliqués à reprendre ses mouvements, aussi insolites soient-ils, dans un ensemble à géométrie variable. Puis chacun retourne sagement s’asseoir, avant qu’un ou une autre propose sa propre grammaire corporelle. Et le public sera invité à entrer dans la danse. Mais sans aucune débandade. Les enfants, même très jeunes, osent imiter les artistes et libérer leurs mouvements, tout en restant dans le cadre imposé et en respectant la règle du jeu. Aucun débordement dans cette construction débridée.  Chaque spectateur se sent autorisé à venir sur scène et la pièce se termine, après trois quarts d’heures, par un grand bal populaire où s’égayent enfants, parents et enseignants.

Ohad Naharin veut mettre la danse à portée de tous et nous retrouvons dans cette œuvre, inspirée de ses pièces Mamootot et de Moshe, la fluidité du style gaga. Développé par ce chorégraphe israélien, c’est un peu la marque de fabrique de la Batsheva depuis qu’il la dirige (1990). Avec une grammaire fondée sur la liberté des mouvements guidés par la musique. « J’enseigne, dit-il, le plaisir de l’asymétrie». Le film de Tomer Heyman Mr Gaga sur les pas d’Ohad Naharin (2015) retrace son parcours. Gaga est un langage à part entière, une danse jouissive aux postures inhabituelles, où il faut surtout prendre conscience de la place de son corps dans l’espace et le mettre au service du mouvement.

« Les enfants comprennent très vite le cadre mais se sentent libres à l’intérieur », dit Bruno Bouché, directeur artistique du Ballet de l’Opéra national du Rhin, qui a programmé cette pièce conjointement avec Benoît André, directeur de la Filature de Mulhouse et aussi de sa Scène nationale. Kamuyot a été conçu pour être joué hors les murs, dans les gymnases et salles des fêtes de quartier, pour rencontrer le public israëlien qui ne pouvait se déplacer en raison des attentats. Cette reprise de Kamuyot est la première collaboration entre le Ballet et la Scène nationale de Mulhouse, pourtant hébergés sous le même toit. L’édifice, inauguré en 1993, abrite sous sa coque d’acier et de verre une médiathèque, l’Orchestre national du Rhin, le Ballet de l’Opéra du Rhin et la Scène nationale. Pas toujours facile de partager le même équipement! Benoit André chapeaute l’ensemble et, loin de se limiter à être une «syndic de copropriété », il entend mettre à profit les synergies possibles entre ces partenaires pour mêler les équipes, diversifier les publics et diffuser les arts vivants là où ils ne sont jamais représentés.  

Dans la foulée, les directeurs du Ballet de l’Opéra et de la Scène Nationale ont mis en place un ambitieux programme réunissant de grands Ballets européens. Mulhouse, proche de la Suisse et de l’Allemagne, est en effet la ville rêvée pour des projets transfrontaliers. Ont répondu présents: les Ballets de Lorraine à Nancy, du Capitole à Toulouse, les Ballets des Opéras nationaux du Rhin, de Bordeaux, Paris, Lyon, Marseille (La Horde), le Malandain Ballet à Biarritz, le Ballet Preljocaj, le Hessisches Staatballett et le Ballett Theater de Bâle.

Trois soirées pour découvrir les esthétiques de ces troupes: du néoclassique, au plus contemporain… Une façon aussi pour elles, de confronter et renouveler leurs répertoires. « En France, nous sommes les parents pauvres en cette matière, dit Bruno Bouché. Nous avons peu de livrets et il faudrait que la danse s’ouvre sur un répertoire plus vaste. Dans les Opéras, la musique domine et peu de chorégraphes en sont nommés directeurs. » Une table ronde, le 22 janvier, permettra d’en débattre… À suivre.

Mireille Davidovici

Spectacle vu le 30 novembre à la Filature, 20 allée Nathan Katz, Mulhouse (Haut-Rhin).
Les 9 et 10 décembre, Gymnase du Collège Molière, Colmar.

Les 11 et 12 janvier  Gymnase Maurice Schoenacker, Mulhouse : le 14 janvier,  Gymnase de la Caserne Drouot; le 18 janvier, Complexe sportif de la Doller, Strasbourg ( Bas-Rhin).

Du 16 au 23 juin, Centre socio-culturel de la Meinau ; Ballets européens du XXIe siècle les 23,26 et 29 janvier à La Filature.

 


Archive pour 5 décembre, 2021

Chère Chambre, texte et mise en scène Pauline Haudepin

Chère Chambre, texte et mise en scène Pauline Haudepin

 

Entrer dans l’âge adulte? Abandonner sa chambre, quitter subitement sa famille aimante et aimée, rien de plus normal à vingt ans !Au commencement, le public observe cette « chère chambre » où il n’y a personne… Un papier peint romantique, avec grosses fleurs bleues et roses pastel sur les murs. Suspendu au mur un chemisier en liberty, des photos, une chevreuil naturalisé, tout droit sorti de contes pour enfants, ou du Moyen-Age une radio-cassettes…

©Jean-Louis Fernandez

©Jean-Louis Fernandez

Soudain, en bas de la porte, une petite masse noire, indescriptible et bizarroïde,  comme un amas de longs cheveux, ou  une araignée qui se redresse légèrement en reculant, pousse la porte et disparaît ! Pour un temps seulement ! Bruits de circulation et voix lointaines… Chimène, jeune fille de dix-huit/vingt ans entre en scène et va tout droit dans sa chambre. Il lui faut passer dans ce lieu une dernière fois pour saluer à jamais sa «chère chambre » ! Elle s’installe à sa table encombrée, saisit son dictaphone : « Chère chambre! (…) C’est la dernière fois que j’écris entre tes quatre murs et pour la première fois depuis dix-huit ans, ils n’auront personne sur qui veiller.» Paroles qu’elle inscrira dans son Journal intime

Au début du spectacle, la chambre, placée en bord scène, crée un lien de proximité  avec nous. Comme pour mieux incarner son caractère intime, son souffle et placer le public dans le secret et le désir de Chimène avant son départ, fatal.  Une scénographie d’une belle poésie et en complicité étonnante avec l’âme du texte, sa respiration et sa profondeur, renforce la qualité de la mise en scène. Pauline Haudepin a eu la finesse d’utiliser cette scénographie pour rendre visible les espaces inarticulés enfouis dans le texte. « La chambre », un confident muet, à mesure que progresse l’intrigue, va s’élargir, se déconstruire et s’éloigner, comme pour signifier un changement d’espace existentiel. Le monde de Chimène et de son entourage -exceptée Theraphosa Blondi (formidable Jean-Gabriel Manolis), magique et troublante, tout à la fois araignée et créature fascinante, androgyne- son amoureuse Domino (Dea Liane, d’une forte présence et d’une émouvante sincérité) vont se métamorphoser mentalement. À partir d’une situation sensible mais banale : le départ d’un enfant à l’âge adulte, de la maison familiale, Pauline Haudepin crée un univers surprenant. Le nom de l’héroïne : Chimène Chimère, à la beauté diaphane et au tempérament entier, ouvre notre imaginaire avec théâtralité: « Cette nuit, je sors je sors du roman familial, je sors tout court. Exit ». En quittant le cocon de la maison parentale, elle nous invite à la suivre sur le chemin qu’elle a dessiné, peu à peu au cours de son enfance, son adolescence.

 Idéal et douceur montrent bien comment souvent les situations évoluent l’air de rien, au sein des différents contextes dramatiques. Le départ et la rupture sans conflit de Chimène avec son milieu, trouve son sens et son combat avec ces mots. Défendre un idéal, objectif utopique peut-être… mais qui se révèle être source de force et capable d’actes les plus fous ! : Chimène s’adresse ainsi à Domino, son amoureuse : « J’ai couché avec un homme. » Domino : « Non »  (…) Chimène : » Un homme malade ».(…)  Domino : « Non » (…) Domino : «Et tu savais ? » Chimène : « Oui ». 

Ce voyage onirique, fantastique par certains côtés a des touches de comédie. Le jeu de Sabine Haudepin est une merveille d’intelligence dans son rôle de mère et d’épouse ! Et nous avons un vrai plaisir à sentir l’aisance et la subtilité de cette belle comédienne.    Autre force du spectacle, et non des moindres, la découverte d’un texte  théâtral atypique. Pauline Haudepin a tissé sa pièce à l’aide d’une diversité de registres d’écritures théâtrales, la personnalité et la vie de Chimène Chimère ne sont pas loin de celles d’une héroïne tragique actuelle. La pièce ouvre un espace kaléidoscopique, à la fois sombre et féérique, sur le monde et ses bouleversantes rencontres! Le public découvre, dans une atmosphère tout à la fois grave et comique, insolite, , avec enthousiasme, une vision de notre contemporanéité. Les thèmes : l’amour, le désir, la mort et l’injustice sont traités sans détour, loin des sentiers battus et vibrants d’une poésie aux accents parfois mystiques ou d’ une drôlerie inhabituelle.

Le public, toutes générations confondues, est touché par le monde de Chimène Chimère. Ce spectacle porté par un texte singulier et d’un romantisme moderne, sensuel, à la fois lumineux et obscur, pourrait être reçu comme la mise en scène d’un geste et de sa décomposition à l’identique de celle de la lumière. Un geste complice et signifiant, à l’image de la jeunesse de 2021 et de toujours. Et un geste de la liberté, coûte que coûte !  À la fin de la pièce, Chimène a disparu -subrepticement-, Domino est seule : « Je ne sais plus marcher Tout ce qui me tenait debout tout a  disparu. Peut-être qu’il vaut mieux se taire.  Y a-t-il ici quelqu’un pour me prendre dans ses bras ? Je cherche ici quelqu’un qui me prenne dans ses bras ». Un spectacle d’une profonde force théâtrale et un bel hommage à l’imaginaire et à l’amour ! 

 Elisabeth Naud 

 Jusqu’au 5 décembre au Théâtre National de Strasbourg, 1 avenue de la Marseillaise, Strasbourg ( Bas-Rhin). Tl : 03 88 24 88 00.

Théâtre de la Cité Internationale, Paris (XIV) du 17 au 29 janvier.

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