Chère Chambre, texte et mise en scène Pauline Haudepin
Chère Chambre, texte et mise en scène Pauline Haudepin
Entrer dans l’âge adulte? Abandonner sa chambre, quitter subitement sa famille aimante et aimée, rien de plus normal à vingt ans !Au commencement, le public observe cette « chère chambre » où il n’y a personne… Un papier peint romantique, avec grosses fleurs bleues et roses pastel sur les murs. Suspendu au mur un chemisier en liberty, des photos, une chevreuil naturalisé, tout droit sorti de contes pour enfants, ou du Moyen-Age une radio-cassettes…
Soudain, en bas de la porte, une petite masse noire, indescriptible et bizarroïde, comme un amas de longs cheveux, ou une araignée qui se redresse légèrement en reculant, pousse la porte et disparaît ! Pour un temps seulement ! Bruits de circulation et voix lointaines… Chimène, jeune fille de dix-huit/vingt ans entre en scène et va tout droit dans sa chambre. Il lui faut passer dans ce lieu une dernière fois pour saluer à jamais sa «chère chambre » ! Elle s’installe à sa table encombrée, saisit son dictaphone : « Chère chambre! (…) C’est la dernière fois que j’écris entre tes quatre murs et pour la première fois depuis dix-huit ans, ils n’auront personne sur qui veiller.» Paroles qu’elle inscrira dans son Journal intime.
Au début du spectacle, la chambre, placée en bord scène, crée un lien de proximité avec nous. Comme pour mieux incarner son caractère intime, son souffle et placer le public dans le secret et le désir de Chimène avant son départ, fatal. Une scénographie d’une belle poésie et en complicité étonnante avec l’âme du texte, sa respiration et sa profondeur, renforce la qualité de la mise en scène. Pauline Haudepin a eu la finesse d’utiliser cette scénographie pour rendre visible les espaces inarticulés enfouis dans le texte. « La chambre », un confident muet, à mesure que progresse l’intrigue, va s’élargir, se déconstruire et s’éloigner, comme pour signifier un changement d’espace existentiel. Le monde de Chimène et de son entourage -exceptée Theraphosa Blondi (formidable Jean-Gabriel Manolis), magique et troublante, tout à la fois araignée et créature fascinante, androgyne- son amoureuse Domino (Dea Liane, d’une forte présence et d’une émouvante sincérité) vont se métamorphoser mentalement. À partir d’une situation sensible mais banale : le départ d’un enfant à l’âge adulte, de la maison familiale, Pauline Haudepin crée un univers surprenant. Le nom de l’héroïne : Chimène Chimère, à la beauté diaphane et au tempérament entier, ouvre notre imaginaire avec théâtralité: « Cette nuit, je sors je sors du roman familial, je sors tout court. Exit ». En quittant le cocon de la maison parentale, elle nous invite à la suivre sur le chemin qu’elle a dessiné, peu à peu au cours de son enfance, son adolescence.
Idéal et douceur montrent bien comment souvent les situations évoluent l’air de rien, au sein des différents contextes dramatiques. Le départ et la rupture sans conflit de Chimène avec son milieu, trouve son sens et son combat avec ces mots. Défendre un idéal, objectif utopique peut-être… mais qui se révèle être source de force et capable d’actes les plus fous ! : Chimène s’adresse ainsi à Domino, son amoureuse : « J’ai couché avec un homme. » Domino : « Non » (…) Chimène : » Un homme malade ».(…) Domino : « Non » (…) Domino : «Et tu savais ? » Chimène : « Oui ».
Ce voyage onirique, fantastique par certains côtés a des touches de comédie. Le jeu de Sabine Haudepin est une merveille d’intelligence dans son rôle de mère et d’épouse ! Et nous avons un vrai plaisir à sentir l’aisance et la subtilité de cette belle comédienne. Autre force du spectacle, et non des moindres, la découverte d’un texte théâtral atypique. Pauline Haudepin a tissé sa pièce à l’aide d’une diversité de registres d’écritures théâtrales, la personnalité et la vie de Chimène Chimère ne sont pas loin de celles d’une héroïne tragique actuelle. La pièce ouvre un espace kaléidoscopique, à la fois sombre et féérique, sur le monde et ses bouleversantes rencontres! Le public découvre, dans une atmosphère tout à la fois grave et comique, insolite, , avec enthousiasme, une vision de notre contemporanéité. Les thèmes : l’amour, le désir, la mort et l’injustice sont traités sans détour, loin des sentiers battus et vibrants d’une poésie aux accents parfois mystiques ou d’ une drôlerie inhabituelle.
Le public, toutes générations confondues, est touché par le monde de Chimène Chimère. Ce spectacle porté par un texte singulier et d’un romantisme moderne, sensuel, à la fois lumineux et obscur, pourrait être reçu comme la mise en scène d’un geste et de sa décomposition à l’identique de celle de la lumière. Un geste complice et signifiant, à l’image de la jeunesse de 2021 et de toujours. Et un geste de la liberté, coûte que coûte ! À la fin de la pièce, Chimène a disparu -subrepticement-, Domino est seule : « Je ne sais plus marcher Tout ce qui me tenait debout tout a disparu. Peut-être qu’il vaut mieux se taire. Y a-t-il ici quelqu’un pour me prendre dans ses bras ? Je cherche ici quelqu’un qui me prenne dans ses bras ». Un spectacle d’une profonde force théâtrale et un bel hommage à l’imaginaire et à l’amour !
Elisabeth Naud
Jusqu’au 5 décembre au Théâtre National de Strasbourg, 1 avenue de la Marseillaise, Strasbourg ( Bas-Rhin). Tl : 03 88 24 88 00.
Théâtre de la Cité Internationale, Paris (XIV) du 17 au 29 janvier.