Colère noire, textes de Gabriel Dufay d’après Brigitte Fontaine, mise en scène et jeu de Gabriel Dufay
Colère noire, textes de Gabriel Dufay d’après Antonio, Colère noire et Rien de Brigitte Fontaine, mise en scène et jeu de Gabriel Dufay
Non pas poétesse mais poète: le mot peut bien être épicène, sans enjolivures. Idem pour prophète, le féminin prophétesse renvoyant trop à l’Antiquité… On connait la chanteuse Brigitte Fontaine, inclassable et incontournable, solide au fil du temps, malgré sa fragilité apparente. Nous oserions dire : chansons à texte – et comment! -, rock pur et dur ? Il faut l’avoir entendue et l’avoir vue piétiner la scène avec rage: un beau mot bref qui la définit bien. Il faut aussi la lire : pas moins de vingt-huit publications aux titres robustes et décalés… Chroniques du Bonheur (1975, éditions des Femmes), Madelon, alchimie et prêt-à-porter (1980, Seghers), L’Inconciliabule, Attends-moi sous l’obélisque, Portrait de l’artiste en déshabillé de soie… Cherchons et nous les trouverons peut-être encore, ces livres précieux.
Gabriel Dufay a choisi Rien et Colère noire publié aux Belles Lettres-Archimbaud en 2006 et en a fait un grand spectacle. Avec de magnifiques images vidéo de Vladimir Vatsev: forêt affolée par le vent, barres d’immeubles sous une pluie de cendres, feux et flammes. La scénographie de Margot Nessi est robuste : urbaine par ci, rurale par là… Et il y a deux violoncellistes: Paul Colomb et Michèle Pierre (en alternance avec Alice Picaud), et l’éditeur Michel Archimbaud qui passe: faute de pouvoir voler le feu, il joue avec rage de l’extincteur, prophétise, anathématise, en arpentant la scène: «Ce n’est pas Dieu qui a créé le monde, c’est toi, et toi, et toi ! » Ou «La poésie n’a pas de contraire, elle va tout droit.»… Et tant d’autres.
Il a une façon de faire théâtre et aussi l’obsession d’une «place» pour Brigitte Fontaine, reine désorientée. Où sont l’extérieur et l’intérieur, d’où sort la voix, et qu’est-ce qui est de côté. Questions fondamentales pour savoir où l’on met les pieds. L’acteur-metteur en scène éprouve une joie manifeste à se donner à ces mots rageurs et définitifs, à ces slogans orgueilleux -c’est la moindre de choses- et binaires. Il règne. Que manque-t-il pour arriver au trouble que sait créer Brigitte Fontaine ? Sans doute la fragilité, la faille.
Mais nous nous disons que c’est à prendre ou à laisser. Trop d’images, trop d’actions, trop de trop ? C’est le choix de Gabriel Dufay et le risque pris par tout auteur publié: l’hommage à son écriture, l’amour de ses textes appartiennent à celui qui s’en empare. Pour donner envie à d’autres et aux spectateurs de s’en emparer à son tour, d’aller voir plus loin, comme lui, du côté de cette infatigable poète.Alors pourquoi pas ?
Christine Friedel
Les Plateaux Sauvages, rue des Plâtrières, Paris (XX ème), jusqu’au 11 décembre.