La foutue Bande, création collective de la compagnie 7 au soir, mise en scène d’Elsa Hourcade (à partir de quinze ans)
Nous vous avions parlé, il y a presque deux ans, de ce spectacle alors en préparation à la Scène nationale du Bassin minier du Pas-de-Calais, à Loos-en-Gohelle ouverte en 1998 et dirigée par Laurent Coutouly. Elle offre des spectacles de théâtre, arts de la rue, cirque, danse, spectacles jeune public et multimédias… Et l’ancienne salle des pendus, un vestiaire où les mineurs accrochaient leurs vêtements à un crochet au bout de la chaîne puis les faisaient monter au plafond, est devenue un grand espace scénique qui est avant tout un laboratoire où les artistes travaillent en résidence.
©x
Yvan Corbineau, comédien et metteur en scène y a donc préparé La Foutue Bande qu’il a écrit en résidence à la Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon. pour Mamie rôtie en 2009, qu’il a ensuite monté et souvent joué (voir Le Théâtre du Blog). Le Bulldozer et l’Olivier, un conte musical, premier volet de La Foutue Bande illustre l’histoire récente de la Palestine sur le thème de la résistance et de l’attachement à la terre… Ici, la scénographie est bien entendu plus construite : de grands châssis en contre-plaqué de récupération et huit tables roulantes dont huit tablettes à roulettes avec ordinateurs, écrans, instruments de musique électronique ou non, évier où on épluche des légumes, un clin d’œil à la nécessaire trivialité des jours qui passent quand, malgré tout, il faut se nourrir. Et aussi un gros magnétophone à bande, métaphore de celle de Gaza (41 kms de long sur six à douze km de large, entourée par l’État d’Israël au Nord et par l’Egypte au Sud-Ouest. Avec deux millions d’habitants dont de nombreux réfugiés palestiniens. Quant aux 9. 000 habitants juifs, ils ont été évacués eux il y a seize ans et, comme la Cisjordanie, ce territoire est revendiqué par l’Autorité palestinienne qui la contrôle actuellement. Mais l’électricité est achetée à Israël… .
Ils sont sept sur le plateau: les acteurs et chanteurs Yvan Corbineau, Cécile Coustillac, Judith Morisseau et Clémence Bucher (en alternance), Jean-François Oliver (musique, claviers et oud) Osloob, (musique, chant, rap et beatbox)pour interpréter cette seconde partie de La Foutue bande, sous-titrée De loin la Palestine. Yvan Corbineau sait de quoi il parle, après plusieurs fois en Israël, il parle avec intelligence de la Palestine, colonisée depuis le début du XX ème siècle mais aussi de la colonisation en général. «C’est l’histoire d’une bande qui manque d’air coincée entre le mur et la mer, dit-il, pour la parcourir ensemble, nous mettons en espace et en musique les fragments qui la composent : une tragédie de famille, les voix d’un peuple nié par son territoire, le récit d’un exil et de toute l’énergie qu’il faut pour entretenir le feu d’un pays vécu de loin. Le fatras des questions qui taraudent et des croyances, l’impossible traversée de celui qui voudrait aller d’un point à un autre, mais le territoire se dérobe, la terre résiste. »
Il y a chez Yvan Corbineau et Elsa Hourcade une attention portée à la scénographie comme élément essentiel du spectacle, pour mieux construire cette histoire imagée de cette Palestine qui focalise régulièrement l’attention du monde entier. Nous avons retrouvé ici les mêmes belles image comme entre autres, ce rectangle en papier calque éclairé et fendu par des cutters invisibles dans un bruit infernal de déchirure, symbole visuel et sonore de la séparation entre des peuples obligés de cohabiter. Et une fois, ce papier complètement enlevé, apparaissent alors une autre belle image : les personnages chantent en chœur, accompagnés par le joueur de oud. Espoir d’une vie commune retrouvée ?
Une mère dit qu’elle n’en peut plus : « Nos toits-terrasses bien exposés avec le linge qui y sèche et les drones qui y rôdent. Ça nous tombe dessus comme ça et mieux vaut ne pas être en dessous… Par ici, un enfant perd bien vite une jambe, un bras, le sourire. Par ici, une femme perd bien vite un enfant, perd un mari, perd pied. Par ici, on n’a plus grand-chose à perdre. On fait des enfants, ça redonne le sourire car, petits, ils ne savent pas à quelle sauce ils seront mangés. » Et il y a un très beau moment où, avec lucidité et une certaine tristesse compréhensible, Osloob raconte calmement assis à sa table: “Je suis devenu musicien par hasard, j’aimais bien les vinyles, j’aimais bien le son, les cassettes, j’aimais bien tout ça, même si j’étais pas musicien. C’est venu avec mon grand-frère, il écoutait beaucoup de jazz, rap, rock et chansons palestiniennes. À la maison, il mettait tout le temps de la musique, n’importe quoi. Il a allumé le truc dans mon cerveau. J’ai commencé par écrire un peu des paroles, puis j’ai trouvé un logiciel pour faire du son sur ordinateur. Après, j’ai appris les notes. (…) Je suis Palestinien mais né au Liban, ça fait cinq ans que je suis en France, je suis musicien, je rappe et je chante un peu. J’ai étudié le chant religieux quand j’étais petit. Et maintenant, je mélange ça avec la musique de jazz, de rap, et quoi d’autre encore.. Je suis réfugié en France, j’ai demandé l’asile, y a quatre ans, ouais. Ma famille est partie de Palestine en 1948. Ils ont été en Irak d’abord, après en Jordanie, à la fin, au Liban. Ils étaient obligés de partir parce qu’ils étaient de Jaffa, et Jaffa c’était la première ville occupée par des milices sionistes. »
Un spectacle avec un bonne direction d’acteurs et une qualité des images sur le plateau ou de témoignages en vidéo, des textes en arabe surtitré et en français sur le thème de ce grave conflit qui ne cesse d’accabler les pays occidentaux qui ont pourtant contribué à le créer… La saveur poétique du texte d’Yvan Corbineau est toujours bien là et la grande précision de la mise en scène aussi Mais ce spectacle-performance avec texte, musique et objets -déjà un peu trop long- souffre d’un trop plein d’éléments scéniques, ce qui lui donne au début du moins un côté statique… Mais aussi embêtant, la remise en place permanente de tout cet appareillage électronique ou pas, casse le rythme, d’autant plus que la balance son-texte n’est pas toujours au point… Bref, un classique: nous n’avons pas tout fait retrouvé les promesses du travail en cours vu à Loos-en-Gohelle… Toujours difficile de revoir une construction établie avec précision mais il faudrait que la metteuse en scène corrige cette trop intense circulation des châssis et éléments scéniques. Cela mettrait mieux en valeur texte et images et donnerait un meilleur rythme à cette création qui, à la fin, a tendance à se disperser … A suivre.
Philippe du Vignal
Spectacle vu le 10 décembre au Centre Culturel Jean Houdremont, 11 avenue du Général Leclerc, La Courneuve (Seine-Saint-Denis). T. : 01 49 92 61 61