Encantado de Lia Rodrigues

Encantado de Lia Rodrigues

La vie n’est pas donnée mais s’attrape. Encantado que l’on pourrait traduire par « contagion », débute lentement. Des danseurs pénètrent sur la scène, nus dans l’ombre et déroulent un immense patchwork de tissus jaune, vert, rouge, aux motifs végétaux ou animaliers. La couleur chante la gloire de la vie qui attend qu’on la relance. Avec la couleur, rien ne peut s’instituer et les interprètes rampent, fouinent au sol, passent sous les tissus et se soulèvent enveloppés de drapés, en se chevauchant Autour de chacun, apparaissent de savantes combinaisons de morceaux de tissu qui font corps avec la couleur, et font aussi rythme.

©Sammi Landweer

©Sammi Landweer

Dans Encantado, Lia Rodrigues multiplie les contrepoints. Les morphologies variées des danseurs résonnent les unes avec les autres. Des postures étirées ou recroquevillées créent proximités et éloignements entre eux. Ce tableau vivant occupe toute la scène et ils ne cessent de s’affecter (s’infecter?) en proie à des déformations créatrices. Ils découvrent de nouvelles petites énergies et rencontrent ce qui les traverse. Tout un monde passe. « Ce sont, dit Lia Rodrigues, des bactéries, des plantes, des animaux. »  Et, de ces concentrations, naissent des assemblages nouveaux. Lia Rodrigues a connu Lygia Clark, une peintre brésilienne (1920-1988) pour qui l’art doit être concret et ici, en travaillant sur plusieurs niveaux de réalité, la chorégraphe fait se superposer tissus, postures basses et hautes, déhanchements… Cette œuvre se situe sur la ligne noire africaine brésilienne, en lisière de l’Amazonie. (voir les films sur le candomblé de Pierre-Edouard Verger (1902-1996), un photographe et anthropologue français qui vécut une grande partie de sa vie à Salvador, capitale de l’Etat de Bahia. La danse montre ici les puissances de l’Amazonie et des noces monstrueuses s’accomplissent…

«Les participations, les noces contre nature, sont la vraie Nature qui traverse les règnes, écrivaient dans Mille Plateaux, Gilles Deleuze et Félix Guattari.  La propagation par épidémie, par contagion n’a rien à voir avec la filiation… La contagion met en jeu des termes hétérogènes : par exemple un homme, un animal, une bactérie, un virus, un micro-organisme… Nous savons qu’entre un homme et une femme, beaucoup d’êtres passent, qui viennent d’autres mondes, apportés par le vent. Une seule et même Furor. » Difficile de tenir la multiplicité et la vie, dans les rapports de forces qui se composent en nous. Difficile aussi d’être à la hauteur de ce qui nous arrive Dans Encantado, un crescendo s’impose et il y a un sélection avec un seul type d’énergie vaine. L’excès grandit et les interprètes descendent au sol, formant un seul groupe, une fausse collectivité comme on dit un «faux mouvement». Le champ horizontal des contrepoints, postures et enveloppes de tissu cède la place à une transcendance de l’excès. Les interprètes sont maintenant séparés de leurs tissus; malgré tout, cet incantado a bien eu lieu. A propos de Furia de Lia Rodrigues: «Le mouvement se perpétue sans trêve dans un fascinant continuum , écrivait déjà Nicolas Villodre, et les corps sont toujours en mutation, en transformation.»

Bernard Rémy

Spectacle vu le 8 décembre, à Chaillot-Théâtre national de la danse, 1 Place du Trocadéro, Paris (XVI ème).

 

 

 

 

 

 


Archive pour 11 décembre, 2021

Counting Stars with you (Musiques Femmes) chorégraphie de Maud Le Pladec, dramaturgie musicale de Maud Le Pladec et Tom Pauwels

Counting Stars with you (Musiques Femmes) , chorégraphie de Maud Le Pladec, dramaturgie musicale de Maud Le Pladec et Tom Pauwels

Counting Stars with you (Musiques Femmes) chorégraphie de Maud Le Pladec, dramaturgie musicale de Maud Le Pladec et Tom Pauwels  dans actualites alexandre-haefeli-300x206

© Alexandre Haefeli

Les musiques anciennes et modernes seraient-elles sexistes? Il y a peu de grandes cheffes d’orchestre, compositrices et solistes internationales…  La chorégraphe a voulu combler cette lacune. Fil rouge de la pièce:  faire entendre et voir, à travers des corps en mouvement, des œuvres au féminin, anciennes et contemporaines. Tom Pauwels, de l’ensemble Ictus, qui collabore souvent avec des compositrices et instrumentistes, a préparé avec Maud Le Pladec ce programme dont Chloé Thévenin a assuré les arrangements.

Quatre danseuses et deux danseurs, à la fois performeurs et chanteurs, investissent le plateau. Leurs voix se mêlent pour un chorus aux accents de blues américain, dans un « Thank you » adressé à la cantonade, puis des directives basiques pour exercices de respiration. La pièce, après une introduction plus chantée que chorégraphiée, sur les morceaux mystiques de Beautiful Chorus où les registres vocaux s’accordent sur des tonalités variées, va se poursuivre par une succession de tableaux mouvementés, au gré de musiques de plus en plus électriques. Maud Le Pladec ménage quelques répits avec un lent cérémonial sur un Stabat Mater dolorosa baroque ou un chant populaire a capella d’Italie transcrit par Giovanna Marini. La musique répétitive des années soixante-dix de Planningtorock, écrite par Janine Rostron, devenue Jam Rostron, fait place à celle, entêtante de Lucie Antunes, aux sonorités synthétiques d’Anna Caragnano et Donato Dozzy,aux, aux airs acidulés de Madame Gandhi, entre autres… Mais nous découvrons aussi les harmonies byzantines de Kassia de Constantinople, une poétesse et compositrice du IX ème siècle, l’une des plus anciennes musiciennes connues. Des morceaux électroniques abrupts ou ceux de la DJ Chloé entrainent des séquences de hip hop et autres krumps endiablés, et vont dominer la deuxième partie.

Les interprètes donnent de la voix en continu, en dansant avec un tonus sans faille et, au passage, un court et joli duo acrobatique. La juxtaposition de séquences, sans véritable structure dramaturgique, est dictée par une montée en puissance sonore et rythmique, avec quelques ruptures de tempo et de style. Cette pièce d’une heure paraît une peu décousue et nous discernons mal les caractéristiques d’une musique au féminin mais l’énergie communicative des interprètes adaptés à tout genre musical et qui ont une capacité vocale et corporelle remarquable, emportent notre adhésion. Et quand, à l‘avant-scène, face public Régis Badel, Chandra Grangean, Pere Jou, Andréa Moufounda, Aure et Solène Wachter entonnent le morceau final où les pulsations des basses se mêlent aux aigus des voix, les spectateurs sont prêts à les rejoindre pour participer à ce chaleureux Counting Stars with you (Musiques Femmes).

 Mireille Davidovici

Jusqu’au 16 décembre, Chaillot-Centre National de la Danse, 1 Place du Trocadéro, Paris ( XVI ème). T. : 01 53 65 31 00.

Le 24 janvier, La Soufflerie, Rezé (Loire-Atlantique et le  26 janvier Festival Waterproof, Le Triangle & Opéra de Rennes (Ile-et-Vilaine).

Le 29 avril, L’Arsenal-Cité musicale de Metz  (Moselle)

En juillet , Festival Julidans, Amsterdam (Pays-Bas).

La foutue Bande, création collective de la compagnie 7 au soir, mise en scène d’Elsa Hourcade (à partir de quinze ans)

La foutue Bande, création collective de la compagnie 7 au soir, mise en scène d’Elsa Hourcade (à partir de quinze ans)

Nous vous avions parlé, il y a presque deux ans, de ce spectacle alors en préparation à la Scène nationale du Bassin minier du Pas-de-Calais, à Loos-en-Gohelle ouverte en 1998 et dirigée par Laurent Coutouly. Elle offre des spectacles de théâtre, arts de la rue, cirque, danse, spectacles jeune public et multimédias… Et l’ancienne salle des pendus, un vestiaire où les mineurs accrochaient leurs vêtements à un crochet au bout de la chaîne puis les faisaient monter au plafond, est devenue un grand espace scénique qui est avant tout un laboratoire où les artistes travaillent en résidence.

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Yvan Corbineau, comédien et metteur en scène y a donc préparé La Foutue Bande qu’il a écrit en résidence à la Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon. pour Mamie rôtie en 2009, qu’il a ensuite monté et souvent joué (voir Le Théâtre du Blog). Le Bulldozer et l’Olivier, un conte musical, premier volet de La Foutue Bande illustre l’histoire récente de la Palestine sur le thème de la résistance et de l’attachement à la terre… Ici, la scénographie est bien entendu plus construite : de grands châssis en contre-plaqué de récupération et huit tables roulantes dont huit tablettes à roulettes avec ordinateurs, écrans, instruments de musique électronique ou non, évier où on épluche des légumes, un clin d’œil à la nécessaire trivialité des jours qui passent quand, malgré tout, il faut se nourrir. Et  aussi un gros magnétophone à bande, métaphore de celle de Gaza  (41 kms de long sur six à douze km de large, entourée par l’État d’Israël au Nord et par l’Egypte au Sud-Ouest. Avec deux millions d’habitants dont de nombreux réfugiés palestiniens. Quant aux 9. 000 habitants juifs, ils ont été évacués eux il y a seize ans et, comme la Cisjordanie, ce territoire est revendiqué par l’Autorité palestinienne qui la contrôle actuellement. Mais l’électricité est achetée à Israël… .

Ils sont sept sur le plateau: les acteurs et chanteurs Yvan Corbineau, Cécile CoustillacJudith Morisseau et Clémence Bucher (en alternance),  Jean-François Oliver (musique, claviers et oud)  Osloob, (musique, chant, rap et beatbox)pour interpréter cette seconde partie de La Foutue bande, sous-titrée De loin la Palestine. Yvan Corbineau sait de quoi il parle, après plusieurs fois en Israël, il parle avec intelligence de la Palestine, colonisée depuis le début du XX ème siècle mais aussi de la colonisation en général. «C’est l’histoire d’une bande qui manque d’air coincée entre le mur et la mer, dit-il, pour la parcourir ensemble, nous mettons en espace et en musique les fragments qui la composent : une tragédie de famille, les voix d’un peuple nié par son territoire, le récit d’un exil et de toute l’énergie qu’il faut pour entretenir le feu d’un pays vécu de loin. Le fatras des questions qui taraudent et des croyances, l’impossible traversée de celui qui voudrait aller d’un point à un autre, mais le territoire se dérobe, la terre résiste. »

Il y a chez Yvan Corbineau et Elsa Hourcade une attention portée à la scénographie comme élément essentiel du spectacle, pour mieux construire cette histoire imagée de cette Palestine qui focalise régulièrement l’attention du monde entier. Nous avons retrouvé ici les mêmes belles image comme entre autres, ce rectangle en papier calque éclairé  et fendu par des cutters invisibles dans un bruit infernal de déchirure, symbole visuel et sonore de la séparation entre des peuples obligés de cohabiter. Et une fois, ce papier complètement enlevé, apparaissent alors une autre belle image : les personnages chantent en chœur, accompagnés par le joueur de oud. Espoir d’une vie commune retrouvée ?

Une mère dit qu’elle n’en peut plus : « Nos toits-terrasses bien exposés avec le linge qui y sèche et les drones qui y rôdent. Ça nous tombe dessus comme ça et mieux vaut ne pas être en dessous… Par ici, un enfant perd bien vite une jambe, un bras, le sourire. Par ici, une femme perd bien vite un enfant, perd un mari, perd pied. Par ici, on n’a plus grand-chose à perdre. On fait des enfants, ça redonne le sourire car, petits, ils ne savent pas à quelle sauce ils seront mangés. » Et il y a un très beau moment où, avec lucidité et une certaine tristesse compréhensible, Osloob raconte calmement assis à sa table: “Je suis devenu musicien par hasard, j’aimais bien les vinyles, j’aimais bien le son, les cassettes, j’aimais bien tout ça, même si j’étais pas musicien. C’est venu avec mon grand-frère, il écoutait beaucoup de jazz, rap, rock et chansons palestiniennes. À la maison, il mettait tout le temps de la musique, n’importe quoi. Il a allumé le truc dans mon cerveau. J’ai commencé par écrire un peu des paroles, puis j’ai trouvé un logiciel pour faire du son sur ordinateur. Après, j’ai appris les notes. (…) Je suis Palestinien mais né au Liban, ça fait cinq ans que je suis en France, je suis musicien, je rappe et je chante un peu. J’ai étudié le chant religieux quand j’étais petit. Et maintenant, je mélange ça avec la musique de jazz, de rap, et quoi d’autre encore.. Je suis réfugié en France, j’ai demandé l’asile, y a quatre ans, ouais. Ma famille est partie de Palestine en 1948. Ils ont été en Irak d’abord, après en Jordanie, à la fin, au Liban. Ils étaient obligés de partir parce qu’ils étaient de Jaffa, et Jaffa c’était la première ville occupée par des milices sionistes. »

Un spectacle avec un bonne direction d’acteurs et une qualité des images sur le plateau ou de témoignages en vidéo, des textes en arabe surtitré et en français sur le thème de ce grave conflit qui ne cesse d’accabler les pays occidentaux qui ont pourtant contribué à le créer… La saveur poétique du texte d’Yvan Corbineau est toujours bien là et la grande précision de la mise en scène aussi Mais ce spectacle-performance avec texte, musique et objets -déjà un peu trop long- souffre d’un trop plein d’éléments scéniques, ce qui lui donne au début du moins un côté statique… Mais aussi embêtant, la remise en place permanente de tout cet appareillage électronique ou pas, casse le rythme, d’autant plus que la balance son-texte n’est pas toujours au point…  Bref, un classique: nous n’avons pas tout fait retrouvé les promesses du travail en cours vu à Loos-en-Gohelle… Toujours difficile de revoir une construction établie avec précision mais il faudrait que la metteuse en scène corrige cette trop intense circulation des châssis et éléments scéniques. Cela mettrait mieux en valeur texte et images et donnerait un meilleur rythme à cette création qui, à la fin, a tendance à se disperser … A suivre.

Philippe du Vignal

Spectacle vu le 10 décembre au Centre Culturel Jean Houdremont, 11 avenue du Général Leclerc, La Courneuve (Seine-Saint-Denis). T. : 01 49 92 61 61




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