Sans Famille d’Hector Malot, adaptation de Léna Bréban et Alexandre Zambeaux, mise en scène de Léna Bréban
Enfin du vrai et de l’excellent théâtre, sans trace de vidéos ou théories fumeuses. Et cette fois-ci aura été enfin la bonne pour Léna Bréban dont le spectacle a dû être reporté par deux fois à cause du covid. Eric Ruf, comme pour Vingt-mille lieues sous les mers d’après Jules Verne a offert un nouveau chef-d’œuvre au public du Vieux-Colombier. La metteuse en scène a travaillé, avec son alter ego Alexandre Zambeaux, sur ce roman populaire qui a enchanté depuis 1878 des millions d’enfants à travers le monde et qui a fait l’objet de nombreuses adaptations au cinéma.
C’est l’histoire d’un enfant abandonné à sa naissance comme il y en avait tant à l’époque et recueilli par Jérôme Barberin, un maçon qui travaille à Paris, originaire comme son épouse, de Chavanon, un village de Corrèze. Un jour il voit ce bébé enveloppé dans de beaux langes -donc de parents riches- et espère obtenir une bonne récompense! Il le confie à sa femme qui le nomme Rémi. Barberin, blessé dans un accident du travail, attaque son employeur en justice mais un procès coûte cher et il demande à sa femme de vendre leur seule richesse, une vache et d’abandonner Rémi. Mais elle le gardera… Or, Barberin revient et décide de louer le petit garçon à Vitalis, un artiste ambulant qui voyage à travers la France avec ses trois chiens Capi, Dolce, Zerbino, et un peti singe Joli-Cœur. Rémi parcourt les toutes du Sud-Ouest avec Vitalis qui lui apprend à jouer de la harpe, à lire et à jouer la comédie. Une vie rude, où l’on ne mange pas tous les jours à sa faim et où on s’abrite où on peut pour donner quelques représentations. Mais il y a Capi, Joli-Cœur et la bienveillance de Vitalis qui, à la suite d’un incident à Toulouse, est incarcéré. Rémi, à dix ans, se retrouve alors seul avec les animaux… et presque mort de faim. Il rencontre une Anglaise Madame Mulligan et leur fils Arthur qui est malade. Ils vivent sur une péniche et, pour le divertir, elle recueille Rémi: il apprend qu’Arthur avait un frère aîné, disparu avant sa naissance et que James, le beau-frère de Milligan, avait essayé en vain de retrouver.
Rémi voyagera pendant deux mois avec les Milligan sur le canal du Midi jusqu’à Béziers et Sète. Vitalis sort de prison, veut garder Rémi avec lui et l’enfant quitte la péniche. Il reprennent leur route vers le nord pour aller à Paris mais dans une tempête de neige, Zerbino et Dolce sont dévorés par des loups et Joli-Cœur va mourir d’une pneumonie. Pour payer le médecin, Rémi et Vitalis donnent une représentation et l’enfant entend chanter aussi bien pour la première fois son maître.
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Vitalis laisse Rémi pour l’hiver chez Garafoli, un « souteneur » d’enfants, pendant qu’il va former d’autres animaux. Rémi y rencontre Mattia, un garçon maladif qui à la maison, garde une marmite cadenassée, pour l’empêcher de boire la soupe. Vitalis, menace de la police Garofoli et emmène alors Rémi. Ils passent la nuit dans la tempête de neige…Rémi reprend connaissance dans un lit chez M. Acquin, qui a deux garçons et deux filles. Il apprend que Vitalis est mort mais avait été le célèbre chanteur italien Carlo Balzani dont la voix s’était affaiblie, et il était devenu Vitalis. La famille Acquin recueille Rémi et Capi et le jardinier est un vrai père pour Rémi. Alexis et Benjamin sont aussi ses frères, Étiennette et Lise, ses sœurs. Chez eux, Rémi devient jardinier mais un orage de grêle ravage les serres de Pierre Acquin qui est ruiné et emprisonné pour dettes. Ses enfants, ont été dispersés chez des oncles et tantes et Rémi redevient musicien ambulant avec Capi…
A Paris, il retrouve Mattia, le garçon de la pension Garofoli, mourant de faim dans la rue et qui le supplie de le prendre avec lui. Violoniste, Mattia joue aussi d’autres instruments. Ils vont voir Alexis, qui vit maintenant avec son oncle Gaspard, dans la ville minière de Varses ( sans doute Alès dans les Cévennes). Alexis est blessé et Rémi le remplace. Un autre jour, la mine est inondée et sept mineurs dont l’oncle Gaspard, piégés, attendent des secours une quinzaine de jours, affamés et épuisés avant d’être sauvés. Mattia et Rémi ont repris la route; ils espèrent retrouver mère Barberin. Ils épargnent le peu qu’ils ont pour lui racheter une vache. Les vrais parents, de Rémi et Barberin le recherchent à Paris. Rémi apprend que Barberin est mort et il écrit une lettre à mère Barberin qui répond en joignant un mot de son mari avec l’adresse d’un avocat à Londres, chargé de rechercher Rémi. Il retrouve ces Driscoll (en fait des cambrioleurs) mais Rémi joue de la musique dans les rues pour se faire de l’argent. Mattia chez les Driscoll voit un homme : James Milligan qui est bien l’oncle d’Arthur dont il espère qu’il va mourir pour hériter de son défunt frère. Les garçons veulent avertir madame Milligan mais sans savoir où la trouver.
Rémi est accusé d’un vol commis par ses parents mais Bob, un autre ami et Mattia le font s’évader. Ils retournent en Normandie avec l’aide du frère de Bob. Ils recherchent Milligan, pour la mettre en garde contre son beau-frère. On a vu la péniche Le Cygne et ils suivent donc les rivières et canaux de France. Rémi et Mattia passent par Dreuzy, où ils espèrent retrouver Lise : son oncle est mort dans un accident d’écluse et une dame anglaise sans doute Milligan voyageant sur un bateau, a pris soin d’elle. Rémi et Mattia repèrent enfin la péniche en Suisse mais déserte. La famille a poursuivi son voyage jusqu’à Vevey en voiture… Rémi chante dans les rues une chanson napolitaine et surprend une voix faible qui continue la chanson et découvrent Lise qui, miracle, a recouvré la parole en l’entendant. Mais James Milligan est là aussi, et Rémi se cache. Mattia n’a pas peur car James ne le connaît pas. Il entre alors dans le jardin et raconte leur histoire à madame Milligan qui voit Rémi comme son fils aîné perdu. Elle les met dans un hôtel où ils peuvent enfin manger et dormir confortablement. Puis Milligan invite les garçons, qui tombent sur mère Barberin; que Milligan a envoyé chercher. Elle montre les vêtements de Rémi bébé à Milligan qui reconnaît ceux de son fils quand on le lui a volé. Tous réunis avec Lise et Mattia… Rémi découvre alors qu’il est l’héritier d’une grande fortune. On fait venir d’Italie, Cristina, la petite sœur de Mattia. Arthur épousera Cristina. Mattia sera un violoniste célèbre. Rémi épousera Lise et leur fils aura pour mère Barberin…
Le célèbre roman, assez touffu, pourrait donner matière à plusieurs pièces! Léna Bréban et Alexandre Zambeaux en ont finement gardé les scènes essentielles- et ce n’était pas facile- mais sans rien gommer de leur vie sociale. «Avec Alexandre, nous avons cherché, dit-elle, à ne pas abîmer le désir enfantin d’aventure, tout en prenant en charge la dimension humaniste, souvent très progressiste avec laquelle Hector Malot décrivait son époque. » Comme le dit justement la metteure en scène, le roman est d’une densité incroyable et il a fallu élaguer mais l’essentiel ou presque est bien là. Même si, entre autres, l’épisode de la mine a été supprimé mais Léna Bréban a le projet de le créer à Chalon-sur-Saône où se trouve un musée de la mine.
Sa direction d’acteurs est impeccable : mention spéciale à Bakaré Sangaré qui joue avec un bel humour, le chien Capi toujours muet et aboyant légèrement. Et Véronique Vella est brillantissime en Rémi, comme Thierry Hancisse en Vitalis et père Driscoll. Clotilde de Bayser incarne très bien les mères Barberin et Driscoll. Jean Chevalier joue Mattia et manipule aussi efficacement la marionnette du petit singe Joli-Cœur. Et il y a dans les petits rôles Antoine Prud’homme de la Boussinière, Camille Seitz. Mention spéciale aussi à Alexandre Zambeaux, le dramaturge de cette histoire mais aussi acteur passant avec virtuosité d’un personnage à l’autre : Père Barberin, Garofoli, l’Infirmière, James Milligan…
Emmanuelle Roy a conçu avec sobriété et efficacité de remarquables éléments scéniques disposés sur une tournette. Cela fait souvent penser aux illustrations d’un livre pour enfants comme ce bateau dont la coque est juste figurée par un tissu qu’on déroule. Pas de véritable réalisme mais, avec des changements à vue, juste les éléments qu’il faut sur cette tournette, comme pour cette longue marche de Vitalis et Rémi, la nuit quand la neige commence à tomber. Jérôme Savary élevé en Argentine et qui avait découvert la neige à Chambon-sur-Lignon (Haute-Loire) en resta émerveillé toute sa vie et l’utilisait souvent dans ses spectacles. Ainsi la neige, formidable image du temps qui passe, tombait sans arrêt sur le grand plateau de Mère Courage…
Et il y a ici de merveilleux costumes très réussis, notamment ceux de la famille anglaise, conçus par Alice Touvet, issue comme Emmanuelle Roy des Arts Déco à Paris. Elle réussit à créer un léger décalage avec la réalité, une légère exagération dans les formes et les couleurs qui leur donnent toute leur saveur. Chapeau… ll y a une réelle unité dans cette réalisation où tout est dit avec à la fois vérité et burlesque, mais toujours avec légèreté…Aucun doute là-dessus: en quelques années, ( voir Le Théâtre du Blog) Léna Bréban a su acquérir un style bien à elle. Elle montre ici la solidarité et la générosité des pauvres: celle la mère Barberin, de Vitalis ou aussi d’une femme riche comme madame Mulligan, l’amour que l’on porte à un gros chien ou à un tout petit singe, la découverte des rencontres et de l’amitié chez les ados, la fascination pour la musique, la misère et le froid glacial qui guettent un émigré mais aussi l’envie de revanche chez Rémi et Mattia…
Hector Malot, un auteur d’autrefois bien dépassé à l’heure des jeux vidéo et des mangas? Pas si sûr… Et ici, nous en avons la preuve flagrante avec cette très belle mise en scène qui doit aussi à la transmission… Une pensée pour Jérôme Savary. Il aimait bien Léna et Alexandre quand ils étaient à l’Ecole de Chaillot, pour Christine Le Pen, son administratrice qui veillait sur eux avec une grande bienveillance et à Guy-Claude François, directeur de la section scénographie aux Arts déco. Quant à du Vignal, il dit aussi merci pour ce beau cadeau de Noël: trois de ses anciens élèves (deux acteurs-metteurs en scène et une créatrice de costumes) travaillant dans et pour un même spectacle… Mais attention, il joue jusqu’au 9 janvier seulement dans cette petite salle, avec donc peu d’heureux élus, alors faites vite. Enfin, on peut espérer que le spectacle sera repris la saison prochaine…
Philippe du Vignal
Jusqu’au 9 janvier, Théâtre du Vieux-Colombier, 21 rue du Vieux-Colombier, Paris (VI ème). T. : 01 44 58 15 15.