Fado dans les veines, texte et mise en scène de Nadège Prugnard, direction musicale de Radoslaw Klukowski
Fado dans les veines, texte et mise en scène de Nadège Prugnard, direction musicale de Radoslaw Klukowski
Embarquons pour le Portugal, dans un trajet à rebours de ceux qui l’ont quitté. Leurs paroles d’exil et de reconquête ont muté en un poème dramatique et musical sous le plume de Nadège Prugnard. Portugaise de sang mais pas de sol ni de langue. D’où un manque à combler, un vide et des silences qui la hantent. «C’est, dit-elle, de cette migration ancienne, intime et politique, de ce fado de l’âme et de l’exil, que j’ai toujours caché comme un secret impossible à prononcer dont j’ai voulu faire poème. »
Quand nous l’avions rencontrée au Théâtre de Ilets à Montluçon, pour Les Bouillonnantes qu’elle avait écrit, une pièce mise en scène par Carole Thibault, elle partait pour un voyage aux sources auprès des communautés portugaises de Montluçon et sur la terre de ses parents. Trois ans et deux confinements plus tard, Fado dans les veines a vu le jour à Montluçon et nous parvient enfin.
Comme entrée en matière, une géographie chantée parlée : « Un cercueil en bois, c’est la forme du Portugal/Un rectangle taillé par l’assaut perpétuel de l’océan/ Creusé par les sanglots des Carpideiras/ Notre identité » c’est d’être la fin du monde !/ Une route où pleurent les chiens/ Un endroit où a terre s’arrête! » Nadège Prugnard, récitante et ordonnatrice de la troupe, rockeuse flamboyante, lance ses mots à la fois rageurs et nostalgiques. Viennent en contrepoint, les chants de Charlotte Bouillot, Carina Salavado et Laura Tejeda, rythmés par le formidable trio Cheval des 3 : Jérémy Bonnaud, Eric Exbrayat, Radoslaw Klukowski. Sept interprètes pour ce fado flamboyant où musique et mots tissent un canto aux accents de saudade.
Selon Fernando Pessoa, «La Saudade, c’est la fatigue de l’âme forte, le regard de mépris du Portugal vers le Dieu en qui il a cru et qui l’a aussi abandonné ». Ici ce sont des larmes ravalées, une fête triste, une colère, entrecoupées de récits de déracinement : Adelino, Antonio, Joao, Maria ou Amalia et d’autres, partis sans retour loin de la dictature et de la misère, travailleurs de l’ombre, coupés de leurs racines. Les saillies éruptives de l’autrice portent leurs mots mêlés à sa révolte, pour conjurer cette « impossibilité poétique à recoudre ce qui a été arraché ». Aux airs d’Amalia Rodrigues entonnés par les trois chanteuses à la voix chaude, succèdent ceux la Résistance et le Grandola Vila Morena de Zeca Alfonso, diffusé le 25 avril 1974 à la radio, annonçant la Révolution des Œillets et célébrant la fraternité :« Grandola vila morena/ Terra da fraternidade. »
L’ombre du dictateur Salazar plane sur ce cérémonial intime et politique autour d’une immense table… Des croix et des tombes se découpent sur de grandes voiles blanches en fond de scène, comme des appels du large, en hommage à Magellan. La scénographie discrète de Benjamin Lebreton joue sur le contraste entre les œillets rouges disposés ça et là dans des vases, sur des crucifix et les costumes à dominante noire. Nadège Prugnard veut défier les trois F : Fado-Fatima-Football : « Fatima joue au Football » Fatima joue au football avec le crâne du Portugal et marque un but. Salazar applaudit et tombe de sa chaise comme on tombe du pouvoir, la messe est dite ! » Elle offre à la sainte patronne, un dernier cantique blasphématoire avec cette Prière profane devant l’église de Fatima : «Baise-moi de baisers sur la bouche./ Baise le fil rouge de mes lèvres écarlates (…) Baise la colombe de mes yeux/Baise mes yeux cernés par le charbon des idoles/ Baise les saphirs de mes mains. »
La messe est dite, et bien dite, avec ce voyage très personnel mais collectif, poétique, musical qui met en abyme l’hier et l’aujourd’hui… sans ménagement. Un spectacle nécessaire….
Mireille Davidovici
Spectacle vu le 16 décembre au Théâtre de l’Echangeur, Bagnolet, 9 avenue du Général de Gaulle, Bagnolet (Seine-Saint-Denis). T. : 01 43 62 71 20.
Les 14 et 15 mars, Thé́âtre municipal d’Aurillac (Cantal) ; les 18 et 19 mars, Biennale des écritures du réel, Théâtre Joliette, Marseille (Bouches-du-Rhône). Le 26 mars, Théâtre Municipal de Villefranche-de-Rouergue (Aveyron) ; le 31 mars salle de l’Ancien Evêché, Uzè̀s (Gard).
Le 18 mai Salle Georges Brassens, Lunel (Hérault); le 20 mai, Théâtre municipal Christian Liger, Nîmes (Gard) et le 24 mai, Théâtre municipal de Roanne (Loire).
La pièce est publiée aux Editions Moires.