Livres et revues
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Danse la vie, danse la ville, Histoires de Guy Darmet, récit de Marie-Christine Vernay
Un texte kaléidoscopique où celle qui fut journaliste à Libération durant vingt-quatre ans, raconte avec fluidité, humour et sérieux, l’évolution de la Maison de la danse et de la Biennale Internationale à Lyon. Mais aussi une certaine histoire de la danse telle qu’on a pu la voir dans cette capitale et en France, ces quarante dernières années. Guy Darmet dirigea cette Maison de 1980 à 2010 et la Biennale Internationale à partir de 1984. Et en 1996, Carnaval, un défilé dans les rues de Lyon.
Un livre enlevé et joyeux… Hors de tout histoire monumentale, Marie-Christine Vernay mélange les genres: danse, politique, cuisine, tournures familières comme «l’une de ses bonnes copines », « clope au bec». Un écriture à la souplesse nécessaire pour analyser de nombreux évènements et les diverses manières de vivre et de danser. Bref, une matière dense au rendu léger… L’auteure ressuscite le passé avec des portraits rapides et se tourne vers un avenir inconnu. Elle invente des esquisses qui se prolongent au-delà d’elles-mêmes et vibrent dans notre pensée. C’est son côté Jacques Tati… Lyon apparait alors comme une «ville monde de la danse ». Selon le grand historien Fernand Braudel, une « ville-monde» naît avec une nouvelle réalité du temps, non plus celui des cycles ruraux mais des flux : argent, navires chargés de marchandises, etc.) Ces cycles se concentrent, sans se centraliser et survoltée, la ville engendre alors un plan d’existence… Ce qui se passe avec la danse contemporaine où naissent de singulières associations de forces décentralisées et des coordinations inattendues.
La vie en dansant, aux articulations enfouies, a eu, et a des expressions ayant pour nom : modern dance, post-modern dance surtout aux Etats-Unis, danse libre, expressionnisme, Tanztheater en Allemagne, butoh au Japon danse française… Les chorégraphes du monde entier convergèrent alors vers Lyon avec jazz, flamenco, danses indiennes, africaines, israëliennes…Guy Darmet, est un producteur: il ne se contente donc pas de financer, mais rend possible un projet en rassemblant des individus. Et il sut avec intuition, rendre visibles ces réseaux et constellations. L’avant-naissance ne s’épuise pas dans des incarnations mais en traverse la durée… C’est un des mystères de la vie. Dans ce livre, se déplient topographies et sites. Pour Spinoza, la société est faite pour les rencontres. Et Stéphanie Claudin coordinatrice du premier Défilé 1996 (4.000 participants et 300.000 spectateurs) ajoute: «Faire se rencontrer des gens qui n’ont peut-être rien à voir ensemble.» Ou comme Maguy Marin: «Ouvrir une zone d’expansion pour croiser des habitants, des artistes.» Ainsi le hip-hop fait se multiplier les sols : «Un bout de mur, une terrasse, les toits des barres à Vénissieux», dit Marie-Christine Vernay. Parfois un lieu se superpose à un autre en une archéologie de la danse, des corps et des pensées.Le groupe Frigo fut une expérience artistique indépendante des années 80. Frigo était le nom d’une ancienne fromagerie à Lyon, puis devint le nom du groupe, avec laboratoire de formes, espace multi-médias, galerie vidéo, lieu d´expositions et de spectacles, Radio Bellevue. Mais aussi un atelier de création résidences d´artistes avec de nombreuses collaborations internationales. Frigo organisa ainsi des rencontres entre danseurs et artistes auxquelles Marie-Christine Vernay participa…
Mais la ville-monde n’offre pas d’absolues garanties mais des informations. Entre autres, sur les destructions opérées au Brésil (où Guy Darnetest maintenant installé en partie ) par le gouvernement de Jair Bolsonaro qui a supprimé le carnaval, l’Agence nationale du cinéma, la Cinémathèque… Nihiliste, il essaye de retirer aux pauvres leur croyance en l’existence. Le spectacle de la pauvreté ne suffit pas à ce gouvernement, jaloux de la joie de vivre de ceux qui ne possèdent rien ou presque. L’esprit de vengeance réunit des hommes et la haine de la vie concerne toujours l’élan vital de l’autre… Et la ville-monde n’est pas donnée: la danseuse et chorégraphe Lia Rodrigues, elle, résiste. Vivant entre le Brésil et l’Europe, elle s’est installée dans la favela de Maré, à Rio. Et en 2009, elle a ouvert un centre d’art avec sa compagnie et une école de danse. Dépliant un lieu, elle a créé un germe de ville-monde…
Marie-Christine Vernay, à la fin de son livre, lance d’une manière elliptique : « La question qu’a posée la danse de création d’aujourd’hui, n’est pas: « qui danse ! » Mais l’essentiel est de se demander : « Que se danse-t-il ? » même si cela heurte un peu le français. Et, c’est dans le faux pas, que surgit la danse de création. L’ellipse offre une manière de sentir : qu’est-il en train d’arriver? Un athlétisme mental…
Bernard Rémy
Le récit de Marie-Christine Vernay est publié chez Hippocampe éditions ( 2021).