Livres et revues : Jeu n°180 et Danser hip hop de Rosita Boisseau et Laurent Philippe
Livres et revues
Jeu revue de théâtre n° 180
Dans son éditorial, Raymond Bertin le rédacteur en chef, met comme d’habitude et avec une grande clarté les choses au point après la pandémie historique que le Canada a subie : «Dans quel état se trouve le théâtre, entendu au sens large des arts du spectacle vivant ? Notre théâtre, celui que nous connaissons et aimons, saura-t-il se relever et retrouver son ampleur, son dynamisme, son rayonnement ? »
Il y a dans ce nouveau et très riche numéro un dossier Renaissance où il est question de mémoire transmission, perte, deuil, guérison, filiation, ruptures générationnelles, espoir, renouveau. Michel Vaïs pense qu’il faut élargir notre horizon, en réfléchissant sur les traumatismes sociaux qu’ a vécu l’humanité au cours de son histoire ; d’autre part, nous voulions chercher dans notre passé récent des réponses d’artistes aux maux de l’ici et après, notamment certain·es dont la longévité au théâtre devrait contribuer à nous éclairer.
Enzo Giacomazzi rappelle en effet que l’art a joué un rôle primordial dans la «reconstruction sociétale des pays endeuillés ». Que sera-t-il d’un nouveau théâtre? Aura-t-il encore à voir avec l’actuel ou faudra-t-il tout reconstruire comme depuis deux ans.
Notre ami Jean-Pierre Han dresse un bilan de la situation du théâtre en France et en Europe. il y a une véritable rupture. Et comme il le dit justement, les criques plus très jeunes mais encore en activité voient un âge d’or dans les quarante dernières années, ce qu’avait déjà remarqué un metteur en scène aussi lucide qu’Antoine Vitez. Mais les jeunes metteurs en scène ne se retrouvent souvent pas du tout dans le travail de ceux qui dirigent maintenant des institutions. Et le numérique comme la vidéo ont fini par envahir les plateaux avec des résultats souvent consternants. Et c’est toute une génération qui profite d’avoir un lieu théâtral pour tenter des expériences plus proches du cinéma. Il y aura un jour une bascule mais laquelle? Quand cette croyance absolue dans les merveilles coûteuses!-de la technologie aura pris un sérieux coup dans l’aile…
Des créateurs aussi avertis qu’Hervé de Lafond et Jacques Livchine ont bien senti le danger et leur Nuit unique, même si c’est une grosse machine à gérer une nuit entière avec une précision absolue, a plus à voir avec un certain artisanat du spectacle… Il y a actuellement aussi une tendance à la récupération. Ce qui était très rare il ya quelque vingt ans. Ainsi le décor de Roméo et Juliette, passant de la Comédie-Française à l’Opéra-Comique. Ou Murielle Mayette qui, intelligemment, récupère des costumes de la Comédie-Française pour créer sa trilogie Goldoni. Bien entendu la crise covid n’en est pas la cause mais a certainement aidé à prendre conscience de la débauche de moyens pour certains spectacles .
Comme le souligne Jean-Pierre Han, il y a bien une rupture que ce soit en France ou ailleursentre les générations et le théâtre des années soixante-dix à maintenant que nous avons connu, est sinon mort, du moins en train d’être oublié. Qui connait encore le parcours du célèbre Living Theatre de Julien Beck et Judith Malina? Qui est Jérôme Savary pour des jeunes gens de vingt ans? Et s’il y a renaissance, cela sera comme toujours en dehors des lieux institutionnels dont les jeunes se méfient de plus en plus, surtout quand ils sont cornaqués d’en haut par des énarques incompétents en matière de spectacle mais avec la bénédiction de la Macronie.
Et il a trois articles sur notre force collective de résilience. Celui de Marie-Laurence Marleau qui s’intéresse à la guérison des blessures individuelles. Élise Fiola étudie le travail de création de Blackout, The Concordia Computer Riots, et ceux de Serge Boucher et Pol Pelletier, entre autres, pour évoquer les événements traumatiques qui marquent l’inconscient collectif. Et Anne-Marie Cousineau dresse le portrait de Michelle Parent et de sa compagnie Pirata Théâtre qui intègrent des acteurs non professionnels. Nous ne pouvons tout citer de ce riche numéro qui apporte un bel éclairage sur un théâtre à la fois si loin géographiquement et si près de nous, avec comme toujours une iconographie précise et de grande qualité…
Philippe du Vignal
Danser hip hop de Rosita Boisseau et Laurent Philippe
Né dans la rue, le hip hop est apparu en France dans les années quatre-vingt et a investi progressivement les plateaux de théâtre, cinéma et télévision. Il s’est largement diversifié à la fois par son style et ses publics. Rosita Boisseau, autrice de plusieurs livres sur la danse, notamment Danser Pina prix de la critique 2020, a vécu de près cette épopée dans l’Hexagone. Dans ce livre, elle remonte aux racines de cette danse, en complicité avec Laurent Philippe dont les photos saisissent l’énergie spectaculaire des artistes.
Une introduction historique va à la source du hip hop, dans les ghettos new yorkais, au début des années soixante-dix, avec joutes acrobatiques au son de «ghetto blasters», fêtes de quartier rythmées par les D J et battles… L’étymologie du mot: hip: être dans le coup, en argot américain, et hop: sauter, évoque le bouillonnement de ce mouvement artistique et socio-politique. Si la ghettoïsation aux Etats-Unis des minorités noires et latinos «où la fibre hip hop trouve sa sève» est différente de celle des banlieues et villes françaises, on y rencontre les mêmes questions des racines et de la diversité, comme l’a exprimé par exemple le mouvement Black Blanc Beur.
En cinq chapitres, la journaliste dresse un panorama composite de ce mouvement en effervescence et en métamorphose permanente, qu’elle a suivie dès les années quatre-vingt avec des chroniques sur Radio Arc-en-Ciel et Radio Nova, puis à France-Culture dans Avant-Premières d’Yvonne Taquet. Exploration qu’elle poursuit avec ses critiques dans Le Monde et Télérama. Elle retrace l’évolution de ce mouvement en s’appuyant sur la trajectoire de plusieurs artistes : Frank 2 Louise, Hamid Ben Mahi, Kader Attou, Mourad Merzouk, Amala Dianor,i… Sans oublier les femmes qui commencent, elles aussi, à occuper le devant de la scène : Jann Gallois, Anne Nguyen… Ils et elles ont fondé leur compagnie et certains sont devenus directeurs de centres chorégraphiques nationaux.
Danser hip hop nous fait revivre les battles, ces compétitions informelles devenues des performances minutées devant un jury. Chacun avec un style personnel dans des solos ou duos insensés ou des affrontements par équipe.. Les battles ont conquis leurs lettres de noblesse, jusqu’à être programmés par l’Opéra de Paris. «Ils ont dégagé un circuit économique pour les danseurs, qui leur permet de gagner leur vie ou de se faire connaître et engager. » dit Rosita Boisseau. Elle consacre un autre chapitre à l’aspect collectif que revêt, paradoxalement, le hip hop aujourd’hui : Wanted Posse fête ses vingt ans et à Lyon, Pokemon Crew gagne en notoriété jusqu’à inaugurer le stade de l’Olympique lyonnais.
Le dernier chapitre est consacré à tous les styles du hip hop : on y distingue ceux débout, dits : «old school» comme le waacking sur musique disco, et ceux «new school», dont l’électro, ou le break, dansés au sol, et vous saurez tout sur le locking, le boogaloo, le smurt, le krump… Et sur le métissage de ces styles avec la danse contemporaine… Vous apprendrez aussi les modes vestimentaires liées à cette histoire du hip hop. Accompagné d’une bibliographie et d’un index, cet ouvrage sera le bienvenu dans la bibliothèque des amateurs de danse. Les nombreuses et belles photos, sont légendées, ce qui est rare, avec les noms de tous les interprètes et constituent ainsi une mémoire précieuse des spectacles…
Mireille Davidovici
Nouvelles éditions Scala, 140 pages, 29 €.